Natural Blues
L'idée lui vient allongé dans l'herbe, « Natural Blues » dans les oreilles. Les mains d'Harry qui se roule une clope à quelques centimètres au-dessus de son ventre, il a du tabac sur le nombril. Il se redresse, retire ses écouteurs et la pulsion de la musique qui coule encore dans ses veines le rend un peu euphorique. Il dit :
-A trois, je saute.
Harry fronce les sourcils. Il approche le filtre de sa bouche et puis le referme avant de répondre.
-Tu sautes ?
-De la falaise. Dans l'eau.
Harry rigole un peu. Mais le rire qu'il a quand Louis dit quelque chose de stupide ou qui lui fait de la peine. Les deux parfois, aussi.
-C'est super haut. Tu es fou ?
-Ce n'est pas si haut. Et l'eau est profonde à cet endroit.
Harry secoue lentement la tête, l'air de ne pas savoir quoi dire, quoi en penser. Harry est plutôt quelqu'un de... Lent. Posé. Calme. Réfléchi. Louis est tout le contraire. Louis c'est le vent, on le croit endormi et puis d'un coup il souffle plus fort encore.
Louis la mini tornade tropicale d'Harry, qui bouscule tout et aime mettre le bordel dans leur vie.
Il s'est déjà levé. Il passe par dessus les restes de leur goûter, enjambe la guitare d'Harry et se retourne en souriant. Il répète :
-A trois. C'est toi qui compte.
Harry se redresse à son tour. Il a un peu peur soudain. Un peur froide qui dégringole dans son ventre et l'étire.
-Et si je ne veux pas ?
-C'est toi qui vois. Si tu refuses, je saute tout de suite.
Louis est en train de retirer son jean. Harry souffle une bouffée de cigarette. Il réfléchit. Ile ne comprend pas vraiment pourquoi Louis veut faire ça. Pourquoi c'est si urgent. Et... Ce n'est même pas amusant. Il pourrait se blesser. Cette idée lui rappelle celle que Louis avait eu un jour, il y a quelques mois, de se tenir debout sur les rails et d'attendre le plus longtemps possible que le train arrive. Il n'avait pas su le retenir, cette fois-là, et même si ça n'avait pas fini en drame, il pressent que la falaise pourrait être un point de non retour. A trop jouer avec le feu, on finit forcément pas s'y brûler les doigts.
Il s'approche de Louis qui se tient maintenant presque nu, les mains sur les hanches, une lueur de défi dans le fond de ses yeux.
Harry s'oblige à ne pas regarder son corps, à ne pas avoir envie de le serrer très fort pour l'empêcher de s'enfuir. Il pose seulement sa main sur son avant-bras. Il se sent collant comme du caramel salé.
-Je peux proposer un truc moi ?
-Dis toujours.
Louis sourit, l'air de follement s'amuser. Harry garde sa main serré sur son bras et il propose :
-Je compte jusqu'à trois, mais à chaque nombre, je te donne une raison de ne pas sauter.
Louis à l'air un peu surpris.
-D'accord...
Harry lâche son bras. Il se regardent. Et... Louis a mal au ventre de ce regard-là. C'est aussi pour ça qu'il veut sauter. Parce que parfois, la façon qu'Harry a de le regarder avec tout l'amour et la peine du monde est terrifiante. Louis sait que c'est un peu stupide cette idée de sauter de la falaise, que c'est dangereux même. Mais il le fait exactement pour ce qui est en train de se passer : faire peur à Harry, et voir jusqu'où il est possible de l'effrayer. Voir s'il est vraiment capable de le retenir, ou s'il sera trop lâche. S'il le laissera sauter.
Harry, lui, pense qu'il pourrait embrasser Louis. Tout de suite. Et puis qu'il se roulerait dans l'herbe avec lui, qu'ils s'en fouteraient dans les cheveux et que tout irait bien ensuite. Ils feraient comme si rien n'était arrivé. Mais ce serait trop facile. Ce ne serait pas tellement eux non plus. Louis a besoin de tragique, Harry aime pleurer devant des comédies romantiques. Alors. Le saut. Du haut de la falaise.
A trois.
C'est une idée qui les rassemblent.
Harry sourit à Louis.
Puis il s'assoit dans l'herbe, pendant que Louis marche jusqu'au bord de la falaise, à quelques mètres à peine. Ses cheveux volent et s'emmêlent dans le vent. Harry se sent un peu triste à le regarder. Il se demande si, quand même, ils ne sont pas en train de faire une erreur qui ressemblerait à un celle d'un mauvais pacte, fait un soir où l'on a trop bu « Je saute si tu n'arrives pas à me prouver que tu m'aimes assez pour que je reste. » Mais il ne dit rien, il se contente de dire, la gorge un peu nouée.
-1.
Il y a un long silence, seulement comblé par les rafales de vent.
-Ne saute pas. Ce soir on mange du porc pané.
Louis rigole. Harry regarde ses épaules secouées par le rire, les épaules de Louis qui se découpent contre le bleu du ciel. C'est iréel. Et même si des jeunes ont déjà fait ce que Louis s'apprête à faire, même s'ils ont été plus d'un à se jeter dans le vide de l'océan juste par goût du danger, même s'ils n'en sont pas morts, Harry a peur parce que Louis, c'est différent, c'est toujours plus fort que les autres et toujours plus violent. Louis serait capable de s'exploser contre un rocher, tout comme il a toujours été capable de créer une électricité rare dans les veines d'Harry.
Il ferme les yeux. Sous le noir de ses paupières, il se souvient de Louis dansant dans une pièce pleine de couleur. Il se souvient de sa bouche qui avait un goût de sucre glace, il se souvient de leurs ventres qui se collaient sous le tissu de leur t-shirt, de ses mains moites le long de sa nuque. De tout l'amour qui coulait partout sur leur peaux, l'amour explosée avant même d'avoir pu devenir couleur de l'arc-en-ciel. Harry se dit que c'est tout de même triste tout ce qu'on laisse au néant seulement parce qu'on a peur de faire le premier pas. Il rouvre les yeux. Devant lui, toujours le dos nu de Louis, surplombant le ciel.
-2. Ne saute pas. Pour les nuits de folie à danser jusqu'au petit matin l'un contre l'autre, des nuits comme dans un film, des nuits comme il en existe peu. Ne saute pas.
Louis avance un peu plus. Son corps tangue au-dessus du vide. Harry pense : un coup de vent, et il tombe. Il pense aussi : c'est comme inévitable maintenant.
Alors il se lève. Le chiffre trois au bord des lèvres, il s'approche de Louis ; Il se souvient de toutes ces fois où ils ont voulu s'aimer, de toutes ces fois où ils ont fait n'importe quoi. Il se souvient qu'il aime Louis plus que tout au monde, beaucoup trop fort, beaucoup trop mal. Il se souvient qu'ensemble il n'y a toujours eu que des étincelles et des larmes à essuyer en faisant l'amour. Il se souvient qu'en s'aimant si fort, on finit par se tuer.
Alors il prend la main de Louis et il dit :
-Trois.
Leurs doigts accrochés comme lors de la première nuit, ils sautent.
Dans les écouteurs de Louis « Natural Blues » résonne encore.
Fin.
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