Soeurtilège
- Attends, attends, soufflai-je. Je ne comprends pas. Tu t'es fait virée ?
Ma voix partit dans un aiguë que je ne lui connaissais pas sur le dernier mot. Virée. Virée. Virée. Je la fixai, deux yeux ronds la détaillant alors qu'elle haussait les épaules, totalement désinvolte.
- Ce sont des choses qui arrivent, m'assura-t-elle, naturellement. Ce n'est pas la peine d'en faire toute une histoire.
- Ne pas en faire toute une histoire ? Répétai-je, abasourdie. Tu n'es pas sérieuse ?
Un nouveau haussement d'épaule, empli d'un peu plus de désinvolture encore. Elle se décida à me jeter un regard en coin en constant que je restai immobile, ne tournant pas la clé de la voiture pour établir le contact et démarrer. Nos yeux se croisèrent et elle roula des yeux, cette fois-ci d'exaspération, devant mon air ahuri. Je crois que je ne réalisai pas. Non. C'était elle qui ne réalisait pas l'ampleur de la situation.
Comment pouvait-elle balancer une aberration telle que « ce sont des choses qui arrivent ». A d'autres peut-être. Pas à elle. Pas à Marie. Pas à ma sœur. Pas à ma parfaite grande sœur. Je ne comprenais pas comment une telle chose avait pu se produire. Pas plus que je ne comprenais ce qu'elle faisait assise là, sur le siège passager de ma vieille voiture.
Il y a quelques jours, j'avais reçu un unique message : « Je serais porte B à l'aéroport Charles de Gaule, vendredi à 16h. Tu peux venir me récupérer ? ». Et cela avait été tout. Même lorsque je l'avais harcelé de message pour tenter d'obtenir une vague explication compte à sa soudaine venue en France. Elle était restée silencieuse, m'envoyant finalement un unique message pour répondre au flot des miens : « Je t'expliquerai vendredi ». Point barre. J'avais alors tentée les coups de fils, mais n'avait pas obtenu plus de succès et lorsque je finis par tomber, systématiquement, sur sa messagerie, je compris que la situation était grave. Mais jamais au grand jamais, je n'avais imaginé qu'elle serait même catastrophique.
- Tu comptes démarrer, oui ou non ? Me souffla-t-elle, excédée. Et arrête de me regarder comme ça. C'est bon, tu fais une montagne d'un truc sans importance.
- Avant de démarrer je veux des explications, soupirai-je. Tu ne peux pas débarquer comme ça, me balancer simplement que tu as été « virée » et exiger de moi quoi que ce soit.
- Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? C'est une histoire débile, assura-t-elle en soupirant son tour. On m'a accusé d'avoir triché à des examens et ils m'ont viré.
- Comment ils ont pu croire un truc aussi débile ? Sifflai-je aussitôt, écarquillant les yeux, indignés. Pourquoi une élève brillante aurait-elle besoin de tricher ? Attend, on va appeler maman et je suis sûr qu'on va tro...
Je me stoppai net. Marie venait de se ratatiner quelque peu dans son siège, ses lèvres se pinçant et son regard se perdant sur la vitre alors qu'elle semblait se découvrir une passion pour la voiture garé à côté de la mienne. Je blêmis. Je connaissais ce comportement. J'avais déjà eu l'occasion de le voir à plusieurs reprises. Toujours lorsque Marie avait quelque chose à se reprocher. Quelque chose de grave.
- Marie, murmurai-je. Dis-moi que tu n'as pas fait un truc aussi débile...
- J'n'avais pas le choix, assura-t-elle, s'obstinant à ne pas me regarder. J'étais à la bourre dans mes révisions et j'allais me queuter. J'ai convaincu l'un de mes profs de me filer quelques réponses pour être sûr d'avoir au moins la moyenne, c'était rien de bien méchant.
- Convaincu ? Répétai-je, de plus en plus blême. Ne me dis pas que tu as fait ce que je pense. Pitié, Marie.
Elle tourna un instant son regard sur moi alors que je la fixai ahurie. Et elle le fit. Elle eut encore ce foutu haussement d'épaule. Les bras m'en tombaient. J'ouvris la bouche et la refermai dans la seconde. Je ne savais pas quoi lui dire. J'aurai voulu m'énerver, trouver une réplique cinglante pour lui souligner toute sa débilité, mais rien ne me venait. Je restai abasourdi. Elle avait couché avec un prof. Juste pour avoir des putains de réponse à un examen.
- Arrête de me fixer comme ça, s'emporta-t-elle. C'est bon, Heden. Pas besoin de faire ta sainte nitouche de service. Comme si t'aurais pas fait pareille à ma place.
- J'aurai jamais fait un truc pareil, sifflai-je aussitôt, retrouvant quelque peu mes esprits. T'aurais été heureuse d'obtenir ton année en sachant que c'est juste parce que tu as écartée les cuisses ?
Cette fois, elle me fusilla du regard. Et je ne me détournai pas, l'affrontant sans sourciller. Si elle n'avait pas envie d'entendre ce genre de chose, elle aurait dû demander à notre mère de venir la récupérer. Qu'elle ne compte pas sur moi pour la mén... je me stoppai dans ma pensée, réalisant soudainement.
- Tu n'as rien dit à maman, pas vrai ?
Son regard noir se volatilisa brusquement et son souffle se coupa quelques secondes. Une courte seconde je crus sincèrement voir une once de honte l'effleurer, mais elle se détournait déjà, faisant passer ses longs cheveux derrière son épaule dans un geste magistrale.
- Non. Et elle n'a pas besoin d'être au courant.
Ah. A nouveau, les bras voulaient m'en tomber. Je mis une minute avant de remettre mes idées en place et articuler très lentement, détachant chaque mot :
- Pas besoin d'être au courant ? Tu te fou de moi, j'espère ?
- Pourquoi je la ferai s'inquiéter alors que tout va rentrer dans l'ordre dès l'année prochaine ? Assura-t-elle, totalement sereine. Je me réinscrirai en droit dans une fac française et je finirai mes études, voilà tout.
- En France ? Répétai-je, de plus en plus abasourdi. Je croyais que tu ne jurais que par tes chères Etats-Unis ? Et l'année prochaine ? Pourquoi l'année prochaine ?
- Parce qu'il est trop tard pour que je me réinscrive dans une fac dès cette année, expliqua-t-elle, en un énième haussement d'épaule. Et puis j'ai besoin de respirer un peu. Je me suis bouffée la vie ces dernières années, prendre quelques mois pour moi sera bénéfique. Mais maman ne comprendrait pas. Donc tu ne vas rien lui dire. Compris ?
Elle me toisa un instant, froidement. Je lui rendis son regard et l'affrontai un long moment avant de me détourner sans répondre. Machinalement, je tournai les clés pour faire démarrer le moteur qui ronronna aussitôt, occupant le silence pesant que je laissai planer. J'appuyai sur la pédale et la voiture se déplaça lentement. Marie baissa la fenêtre, faisant frissonner ma peau lorsque le courant d'air glaçant se propagea dans l'habitacle mais je n'en fis pas la remarque, me contentant de regarder devant moi.
Marie avait toujours été volatile. Avec ces nombreuses conquêtes, bien évidemment, mais aussi avec tout le reste. Elle n'avait jamais pratiqué une activité plus de deux ans de suite. Elle n'avait jamais eu le même rêve d'avenir plus d'un mois de suite. Et, plus frappant encore, elle n'avait jamais cessé de papillonner entre les groupes. Marie était populaire. Extrêmement populaire. Et tout le monde l'appréciait. Mais elle, je doutai qu'elle n'ait réellement appréciée qui que ce soit. Ses soi-disant « meilleures amies » changeaient toutes les deux semaines et, d'un jour à l'autre, elle pouvait ne plus adresser la parole à quelqu'un avec qui elle parlait durant des heures le jour précédent. Cela avait toujours été ainsi. Elle avait besoin de changement. De changement perpétuel. Et cela ne m'avait jamais inquiété. Après tout, elle semblait heureuse ainsi, alors pourquoi aurais-je trouvé cela dérangeant ? Mais aujourd'hui ce n'était plus le cas.
Ce comportement était dangereux. Dangereux pour elle. Elle n'avait jamais grandit. Jamais apprit à grandir. Elle avait toujours été dans des situations où elle obtenait ce qu'elle désirait. Peu importait comment elle agissait. Elle pouvait changer à sa guise et la situation tournait systématiquement en sa faveur. Elle ne savait pas être raisonnable. Elle ne savait pas réaliser quand tout lui échappait.
Je gardai les yeux rivés sur la route, roulant lentement, coincée dans un habituel bouchon de la capitale. Mes doigts pianotaient sur le cuire du volant, songeuse. Une multitude de question me brûlait les lèvres, sans que je ne sache par où commencer. Ni même si j'en avais le droit. J'aurai voulu lui affirmer qu'elle était entrain de gâcher son avenir, bousillant plusieurs années de boulot par pure et simple caprice. Plus encore, cette année n'était-elle pas extrêmement dangereuse ? Aurait-elle le courage de reprendre ses études alors qu'elle aurait passé une année loin des études ? Elle n'en faisait que sa tête. Voilà ce que j'aurai voulu lui dire. Qu'elle était déraisonnable, ne faisant que ce qui lui chantait. Mais n'en avais-je pas fait de même à ses yeux et à ceux de ma mère ? Si. Sans aucun doute possible. Toutes deux devaient penser que cette année était une année sacrifiée, perdue inutilement. Tout comme elle venait de me le lancer, notre mère « ne comprenait pas ». Alors je n'avais aucune envie de me comporter comme elles l'avaient fait toute deux. Elle était grande, c'était à elle de prendre ces décisions.
- Et tu comptes faire quoi cette année ? Interrogeai-je, finalement, alors que nous avions bien une trentaine de minutes avant de parvenir au parking où je garais ma voiture, habituellement. A première vue, tu ne vas pas rentrer chez les parents. Tu vas squatter chez des amis ? Car je suppose que tu n'as plus de bourse ?
- Exact, admit-elle, très calmement, fixant les immeubles nous surplombant sur des centaines de mètres. Je pensais rester dans le coin et trouver un petit boulot. Mais... en attendant que j'en trouve un, j'espérai que tu pourrais m'héberger.
Cette fois, aucune surprise. Si Marie m'avait contacté moi, ce n'était pas pour rien. Je hochai la tête sobrement, un peu crispée même si je m'étais préparée à une telle réponse.
- L'appartement est petit, enchaînai-je. Faudra qu'on partage ma chambre.
- Pas de problème, assura-t-elle. Tu habites toujours avec Derek ?
- Oui.
- Il sait que je débarque ? Interrogea-t-elle.
- Non.
Parler de lui redoublait mon mal à l'aise. J'allais devoir retourner à l'appartement alors que je n'y avais plus mis les pieds depuis notre conversation. J'aurai voulu pouvoir laisser Marie là-bas et simplement continuer à vivre chez Nathanaël, cependant je n'avais pas envie de les laisser seuls tous les deux. Stupidement. Jalousement. Et puis elle était ma sœur, je ne pouvais pas la laisser vivre seule avec un type dont elle ne savait plus grand-chose.
Marie tourna un peu la tête vers moi, visiblement consciente que mes réponses brèves étaient anormales. Tout autant que ma négation. Habituellement, je confiais tout à Derek. Elle fronça les sourcils alors que je tentai de l'ignorer, restant focalisée sur ma conduite.
- Un problème ? S'enquit-elle, renonçant à m'interroger du regard et me forçant à répondre à ses interrogations. Vous vous êtes disputez ?
- Pas vraiment, soufflai-je dans un haussement d'épaule. On a juste prit un peu nos distances.
- Sérieux ? Siffla-t-elle, incrédule. Tu as pris tes distances avec ce gars que tu suis comme son ombre depuis des années ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Disons que nous n'étions plus en accord sur notre... relation, murmurai-je, platement.
- Oh, fit-elle, plus douce. Je vois. Tu t'es déclarée et il t'a jeté ?
Je me mordis la joue. Ouai. Elle visait juste. Et le plus blessant était le manque de surprise dont elle témoignait. C'était une évidence, pour elle, que Derek allait finir par me jeter. Je hochai simplement la tête, n'ayant pas la force de lui répondre autrement.
- C'est un idiot, Hedwige, m'assura-t-elle, venant poser sa main gauche sur mon épaule. Tu es une fille incroyable. S'il ne s'en est pas rendu compte, c'est qu'il ne te mérite pas.
Phrase clichée bonjour. Je me mordis la joue, plus fortement. J'étais foutrement sur les nerfs dis donc, Marie tentait simplement de me réconforter, je n'avais pas à m'agacer pour ce genre de chose. Je tâchai donc de lui offrir un sourire qui manqua clairement de sincérité mais qu'elle dû trouver convainquant puisqu'elle me sourit en retour, très naturellement pour sa part. Marie ne me connaissait pas. Et la réciproque était tout aussi véridique. Nous étions sœur. Liées par le sang. Et pourtant, j'avais parfois le sentiment d'être assise à côté d'une inconnue. Non. Pas une inconnue. Plutôt d'une personne dont je ne connaissais que la façade. Que ce qu'elle voulait laisser voire.
- Mais... vous habitez toujours ensemble ? Continua-t-elle après quelques minutes où j'eus le temps de calmer les battements lourds de mon cœur endolori.
- Je me suis engagé avec lui pour la collocation, je ne peux pas partir comme ça, assurai-je. Et puis nous ne sommes pas en mauvais terme.
- A ta place, je me serais barrée, rétorqua-t-elle.
Je me gardai bien de lui parler de Nathanaël. Pourquoi ? Possessivité ? Non. Je savais que Nathanaël n'apprécierait pas ma sœur. Trop superficielle, trop précieuse pour ce garçon brusque et nature. Mais par contre, ma sœur était ce genre « d'amis » qu'il avait déjà eu le malheur de connaître. Ce genre d'amis qui n'hésitaient pas à vous apprécier bien plus une fois qu'ils connaissaient le contenu de votre compte en banque. Alors il était hors de question que je l'amène chez lui, bien qu'il me l'ait proposé lui-même lorsque je lui avais parlé de l'arrivée soudaine de ma sœur.
- Sinon, toi la fac ? Reprit-elle alors que je laissais courir un silence pesant qui l'indisposait bien plus que moi. J'ai vu la vidéo de votre prestation. Vous étiez cool.
- Hein ? Fis-je. La vidéo ? De quoi tu parles ?
Marie arqua un sourcil, tout aussi étonnée que je l'étais. Je fronçai rapidement les sourcils. C'était quoi, encore, cette histoire ? Sobrement, elle sortit son téléphone de la poche de son jean noir. Elle pianota sur l'écran tactile, ses ongles trop longtemps claquant sur celui-ci. Elle ne mit pas plus d'une minute avant de trouver ce qu'elle semblait chercher et, bientôt, elle me tendit l'appareille. Je plissai les yeux un instant et mon cœur loupa un battement. Son téléphone affichait une page Youtube et plus précisément une vidéo qu'elle n'avait pas encore lancée. Mais dont la première image suffit à me faire devenir livide.
Une scène que je connaissais bien. La jolie robe orange de Samira me sautant d'abord aux yeux. Puis le visage de Derek dont les yeux bleutés étaient rivés sur la foule dont ne percevait que le premier rang. Au fond de la scène, Nathanaël irradiait derrière sa batterie. Et puis, mon regard tomba sur un visage encore plus familier que les autres. Le mien.
Je me tournai prestement. Concentre-toi. Sur. La. Route. Mes doigts se serrèrent sur le volant alors que mon cœur s'emportait violemment dans ma poitrine. Merde. Merde. Merde. Putain de merde.
- Bon sang, c'est quoi ce délire, articulai-je, péniblement.
- Tu savais pas ? Enchaîna Marie, rangeant son téléphone. Vous avez déjà pas mal de vu pourtant... c'est une fille qui était au conservatoire avec Derek et moi qui me l'a envoyé. Je pensais que tu étais forcément au courant.
- Je ne l'étais pas, assurai-je, les lèvres serrées. Tu sais qui a postée cette vidéo ?
- Heu..., souffla-t-elle en rallumant son écran éteint et y jetant un bref coup d'œil avant de reprendre. Le pseudo du compte est « Water Lily ».
Mon cœur ripa. Et la voiture cala. Je jurai aussitôt, m'empressant de tâcher de la redémarrer alors que, déjà, les klaxons vrombissaient dans notre dos. Comme si mon esprit ne bourdonnait pas déjà assez. Mes doigts tremblaient sur mes clés. J'allais les tuer. J'allais les trucider. Car je savais qui avait posté cette vidéo.
Il y'a quelques mois, nous avions dû réfléchir au nom que l'on voulait donner à notre groupe. Durant plusieurs jours, aucun de nous n'avaient eu la moindre illumination. Puis, un matin, Nathanaël m'avait soudainement demandé ma fleur préféré. Sans trop d'hésitation, j'avais d'abord répondu les fleurs de cerisiers et les lys. Puis après un petit temps d'arrêt, j'avais ajouté à ces deux premières, le lotus. Une fleur que j'affectionnai tout particulièrement depuis quelques années et que je dessinai toujours dans les coins de mes cahiers. Elle avait toute une symbolique, était présente dans des tas de mythologie différente et représentait, tout simplement, la force dans l'adversité. C'était une fleur capable de naître dans la boue. Depuis l'adolescence j'avais eu pour envie de me tatouer cette fleur sur la peau, comme pour me convaincre que moi aussi je pouvais être jolie, que je n'étais pas juste un amas boueux.
Et lorsque j'avais joins l'explication à mon amour pour cette fleure, Nathanaël avait bondit sur ses pieds, annonçant que nous serions les « Water Lily ». Pour une fois, Derek s'était joint à lui pour assurer qu'il aimait l'idée. Et même Samira ne s'y opposa pas. Cependant, j'avais obtenu qu'on réfléchisse encore quelques temps à ce nom qui nous suivrait durant toute notre scolarité. Ainsi, il n'avait pas été rendu officiel. Nous n'étions donc que quatre à le connaître, que quatre à l'utiliser. La voiture redémarra. Contrairement à ma respiration, bloquée dans ma gorge.
- Ça va ? S'enquit Marie, les yeux exorbitées alors qu'elle avait été, elle aussi, surprise par l'arrêt brusque de notre carrosse.
- Ça va, assurai-je, les dents serrés et tentant de rester concentrée sur ce que je faisais, peu désireuse d'augmenter mon stress en ayant un accident quelconque.
- Ce pseudo te parle ? M'interrogea-t-elle, sans comprendre qu'il fallait me distraire et changer de conversation.
- Il me parle, acquiesçai-je.
Cette fois, elle comprit que je ne souhaitais pas m'étendre plus que cela sur le sujet. J'étais furieuse. Comment avait-elle pu faire un truc pareil ? Sans nous en parler. Sans même nous demander notre avis. Car je savais que Samira était derrière tout ça. C'était elle qui avait ça. C'était elle qui avait posté une vidéo de notre prestation. Calme-toi. Calme-toi. Calme-toi. Sortir de tes gonds maintenant ne rimerait à rien. J'avalai ma salive. Distrais-toi, m'ordonnai-je.
- Quel type de petit boulot tu espères trouver ? Enchaînai-je, décidant que parler avec Marie serait la meilleure option possible.
- Peu m'importe, répondit-elle, sceptique devant ma réaction mais consciente qu'elle n'obtiendrait rien de plus de moi. Je prendrai ce que je trouverai.
Je hochai la tête, au moins elle n'était pas totalement déconnectée de la réalité, elle semblait se montrer trop exigeante. Je soupirai un instant, mon esprit revenant se focaliser sur elle. Si notre mère apprenait ce qu'il s'était passé, elle entrerait dans une colère noire. Elle ne lui pardonnerait pas aisément. Elle adulait Marie. Elle lui avait toujours pardonnée ses caprices, ses lubies étranges car elle représentait la perfection. Ou plutôt sa perfection. Contrairement à moi, elle ne l'avait jamais déçue.
Mais, tout comme moi, notre mère ne connaissait pas Marie. La chute allait être rude. Et je ne pus m'empêcher d'éprouver une vive compassion. Marie avait toujours été très proche de ma mère, toutes deux partageant plus d'une passion. Elles étaient complices, ne passaient pas une semaine sans se parler. J'avais très longtemps été jalouse de ce lien qui les unissait. Un lien que je ne parvenais pas à partager avec ma mère. Alors je pouvais comprendre que Marie ne souhaite pas informer notre mère de la situation. Elle avait peur. Peur de perdre la seule personne ayant peut-être réellement compté dans sa vie.
Finalement, le reste du trajet se déroula dans un silence que ni elle, ni moi, ne cherchions plus à interrompre.
♪
- Voilà, soupirai-je, me vautrant dans le canapé. Je ne pensais pas que vider ta valise nous aurait pris autant de temps. Combien de fringue tu as, au juste ?
- Une trop petite quantité, assura-t-elle, s'asseyant plus élégamment, à côté de moi. J'ai dû laisser pas mal de fringue aux Etats-Unis.
Et cela lui avait visiblement coûtée au vue de ses lèvres pincées et son air contrarié. Je roulai des yeux, assez dépitée mais n'en fit pas la remarque. Je me contentai donc de basculer la tête contre le dossier du canapé, fermant les yeux, harasée.
Une fois arrivé à l'appartement, j'avais eu une petite appréhension lorsque je m'étais trouvée face à la porte. J'avais peur de trouver Derek dans le salon. Je savais que j'allais devoir me confronter à lui, tôt ou tard. Mais j'avais été extrêmement soulagée de constater que l'appartement était vide. Et nous avions profité de l'absence de mon colocataire pour permettre à Marie de s'installer confortablement. J'avais libéré un petit coin de mon placard, mais j'avais finis par me résigner et à sortir une plus grande partie de mes vêtements pour permettre à Marie de pendre ses très très très nombreuses robes.
- C'est... petit, finit-elle par lâcher. Comment vous faites pour ne pas vous marcher dessus ?
Je ne répondis pas, me contentant de rester immobile, rouvrant à peine les yeux pour fixer le plafond. La question ne m'avait même pas effleurée une seule fois. L'endroit ne m'avait jamais paru trop étroit. Pas quand je le partageai avec lui. Vivre ensemble était une chose aisée. Naturelle. Logique.
- ... sur la vidéo... toi et Derek, vous semblez vraiment différents.
Je geins lourdement, me redressant pour décoller mon dos du canapé. Je n'avais aucune envie de repenser à cette vidéo. Je posais mes coudes contre mes cuisses, triturant mes doigts entre eux. Mais mon gémissement ne suffit pas à convaincre Marie de renoncer au sujet :
- Tous les commentaires sur la vidéo font l'éloge de Derek. Les nanas bavent littéralement sur lui. Mais tu as aussi ton petit succès, tu devrais les lires.
- Non merci, soufflai-je, la mâchoire serrée. Cette vidéo n'aurait jamais dû être mise en ligne. Non. Elle n'aurait jamais dû existée.
- Je ne comprends pas pourquoi tu en fais un drame, rétorqua-t-elle, ses yeux rivés dans ma nuque. Cette vidéo a du succès et les avis sont majoritairement positifs. C'est quoi le souci ?
- Qu'on ne m'ait pas demandé mon avis ? Soulignai-je, agacée. C'est mon image. Non. Pire. C'est ma chanson, ma musique et j'ai le dr...
- Hein ? Coupa Marie aussitôt. Attends. Tu es entrain de me dire que cette chanson est une de tes compositions ?
J'hésitai une seconde avant de hocher la tête et elle écarquilla les yeux en lâchant un juron. Quoi ? C'était si surprenant ? Je faisais une école de musique, il fallait donc s'attendre à ce que je compose, non ? Mais alors qu'elle me fixait, ahurie, elle finit par recouvrir son calme. Ses épaules se détendirent et elle se renfonça dans le canapé, son expression devenant indéchiffrable.
- Tu as bien fait de tenir tête à maman. Tu as beaucoup de talent.
Ma bouche s'ouvrit. Et se referma dans la seconde. Elle semblait sincère, étrangement sincère. Et pourtant, quelque chose me soufflait que sa voix aurait voulut se teinter d'amertume. Je me tus, ne sachant si cette impression avait une once de vérité ou si ce n'était qu'un tour de mon imagination trop fertile. Je la remerciai du bout des lèvres et elle me sourit, calmement.
- Sur cette vidéo, Derek est impressionnant, enchaîna-t-elle. Mais, définitivement, c'est toi qui irradie le plus. Je ne t'avais jamais vu aussi... épanouie. Oui c'est ça. C'est le bon mot.
- Ah bon ? Murmurai-je, peu convaincue, mon regard se perdant devant moi. Pourtant, je n'ai pas... vraiment apprécié d'être sur scène. Enfin si. Sans doute un peu. Mais ce n'est pas ma place.
- Pourquoi ça ? Interrogea-t-elle. Tu semblais vraiment heureuse. Tu devrais regarder cette vidéo, j'insiste.
- J'ai vraiment aucune envie de le faire, assurai-je, soupirant dans la foulée. Je ne suis pas comme toi ou Derek, je me sens plus à l'aise dans la pénombre.
- Je ne vois pas ce que tu as de différent de nous, rétorqua-t-elle, platement. La seule chose qui nous sépare c'est que nous avons confiance en nous et pas toi.
- Laisse tomber, soufflai-je en me levant. Je crève de faim... mais je ne sais pas ce qu'il y a dans le frigo, il va peut être falloir sortir faire des courses.
- Pas de soucis, assura-t-elle, restant assise sur le canapé. Je cuisinerai, tu as l'air crevée.
- T'inquiète, répondis-je, me dirigeant vers le frigo en priant le dieu des céréales pour que Derek l'ait rempli récemment. Tu dois l'être bien plus, tu as eu une longue journée. Et puis, je vais me contenter de faire quelque chose de simple et rapide.
- Je ne vais pas me battre, assura-t-elle dans un soupir de délice. Merci, Heden. Pour tout.
Je relevai les yeux vers elle alors que je m'apprêtai à ouvrir la porte du frigo. Nos regards se croisèrent et, pour la première fois depuis longtemps, j'eus le sentiment d'être proche de ma sœur. J'acquiesçai sobrement, me détournant la première, un peu mal à l'aise dans cette situation. Et je geins lourdement. Derek Meyer, je te maudis. Le frigo était vide. Un vide intersidéral même. Il n'y avait qu'une canette de bière coincé dans la porte, un pot de mayonnaise à moitié entamé et deux compotes à la poire sûrement passées de date depuis bien longtemps. Il allait falloir se résigner à aller faire des courses. Je refermai la porte d'un geste un peu sec, trop fatiguée pour réprimer mon mécontentement.
- Les courses s'imposent, lâchai-je. Si tu veux, je peux y aller toute seule.
- Non, non, je t'accompagne. J'ai passé la journée assise, j'ai besoin de me dégourdir les jambes. Et puis... si Derek rentre, je pense qu'il vaut mieux que tu sois là.
J'acquiesçai, sans conviction. Là ou non, j'avais l'étrange certitude que cela n'allait pas être une partie de plaisir. Marie se leva donc du canapé, se dirigeant vers l'entrée pour enfiler sa veste et ses chaussures. Je l'imitai, traînant un peu des pieds alors que je n'avais qu'une envie : m'effondrer dans mon lit et dormir. Alors que j'enfilai l'une de mes baskets, mon portable vibra dans la poche de mon jean. Je l'en extirpai habillement, continuant de tirer sur la toile de la chaussure pour l'enfiler, sans en défaire les lacets. Un sourire s'accapara mes lèvres en voyant le nom de Nathanaël s'afficher sur l'écran.
Nathanaël
Alors ? Les retrouvailles avec la frangine ?
Moi
Longue histoire. Je te raconterai ça lundi.
Nathanaël
Lundi ? Dans tes rêves, princesse. Appelles-moi ce soir quand tu pourras et rendez-vous demain à midi devant chez toi.
Moi
J'ai ma sœur à la maison, je te signale. Je ne vais pas la laisser toute seule alors qu'elle vient tout juste d'arriver.
Nathanaël
Promet d'appeler alors. Cela me fait tout drôle que tu ne sois pas à l'appart.
Je souris un peu plus, attendrie. Ce type était un ange.
- Une bonne nouvelle ?
Je remarquai seulement que je m'étais immobilisée, une seule chaussure au pied, afin de pouvoir répondre plus aisément à Nathanaël. Marie, elle déjà prête à sortir, s'était donc tournée vers moi, intriguée, avant que ce sentiment ne s'intensifie devant mon sourire.
- Pas vraiment, répondis-je en enfilant ma seconde chaussure, renfonçant mon téléphone dans mon jean.
- C'était qui alors ? Derek ? Y a que lui pour te faire sourire comme ça. Mais je croyais que vous aviez pris vos distances ?
- Ce n'était pas lui, répondis-je, tout sourire se volatilisant de mon visage. C'est un ami de la fac. Un bon ami.
- Il a l'air cool s'il arrive à te faire sourire comme ça, affirma-t-elle sans cesser de me fixer. Cela fait plaisir de te voir ainsi autrement que grâce à Derek.
- ... merci, répondis-je, sans trop savoir si c'était le mot à prononcer.
Elle sourit et me fit un petit signe de tête pour m'indiquer la porte, j'acquiesçai donc en enfilant ma veste. Je me stoppai un instant, fouillant l'entrée du regard. Une écharpe, une écharpe, une écharpe, murmurai-je tout bas en tirant sur l'amas de bazar que nous avions entassé. Normalement, je devais en avoir une, beige, planquée quelque part. Mais, comme beaucoup de mes affaires, elle devait avoir un don d'invisibilité.
Au bout d'un moment, je finis par tomber sur une grosse écharpe grise. J'hésitai. Elle appartenait à Derek. Mais je la lui avais souvent empruntée ces dernières années. Il ne m'en voudrait pas si je la piquai encore aujourd'hui. Cependant, je finis par lâcher le tissu d'une douceur exquise. Je n'avais pas envie de m'entourer de son odeur. Ce serait comme replonger dans une drogue à laquelle je peinai déjà me sevrer. Je me détournai donc, repartant en quête de mon écharpe. Elle devait forcément se trouver dans le coin, je l'y avais laissé. Il suffisait que je remette la main dessus.
Et, enfin, elle apparut dans mon champ de vision.
Peut-être un peu trop soudainement à mon goût. Même beaucoup trop soudainement à mon goût. Mon corps s'immobilisa un instant et mes bras tombèrent le long de mon corps. Ma poitrine se gonfla d'air un grand coup, avant de s'immobiliser. Ma salive passa dans ma gorge, lentement. Et nos yeux se croisèrent. Mes doigts s'enfoncèrent aussitôt dans mes paumes.
La porte venait de s'ouvrir, faisant reculer Marie qui se trouvait juste derrière. Un rire cristallin avait aussitôt envahie nos tympans avant de se figer, lui aussi. La fille qui venait d'entrer dans le hall, me contempla avec surprise. Mais pas moi. Je ne l'étais pas. Et puis, elle ne parvenait pas réellement à entrer dans mon champ de vision. Il restait braqué sur lui. Sur lui seulement.
Mon écharpe enroulée autour de son cou, Derek était immobile. Déstabilisé. Il ne s'attendait visiblement pas à me trouver là. Il ouvrit la bouche, la referma dans la seconde. Ses poings se serrèrent tout autant que les miens alors qu'il semblait chercher une explication. Mais il n'avait pas besoin d'en fournir. J'avais trop l'habitude. Je me détournai la première, attrapant mes clés que j'avais déposées sur le buffet de l'entrée et les fourrant dans la poche de ma veste.
- Désolée de débarquer à l'improviste, lâchai-je, mollement, sans plus le regarder dans les yeux. J'aurai du te prévenir que je revenais à l'appart. Mais on allait justement faire des courses, cela tombe bien. Cela dit, on n'en aura pas pour plus d'une heure, donc si tu pouvais vite en finir.
Il bégaya quelque chose, détachant brusquement son bras des épaules de la fille qui était accrochée à lui. Il s'avança vers moi mais, dans le geste, percuta légèrement le bras de Marie. Il se tourna aussitôt, n'ayant pas encore réalisé sa présence. Sa surprise redoubla tandis qu'il la fixa longuement. Mon cœur allait exploser. Je ravalai mes émotions.
- Marie va squatter quelques temps, enchaînai-je. Là aussi je peux dire que désolée, j'aurais dû te prévenir avant.
- Désolée pour le dérangement, rajouta la concernée, affrontant Derek, sans sourciller. Du double dérangement, ajouta-t-elle en détaillant la jeune femme qui s'accrochait toujours à lui.
- Je...
Il se tut, ne terminant pas sa phrase. Il était hébété, ne sachant ni comment se comporter, ni quoi dire. De toute façon, nous le mettions au pied du mur, il n'avait donc que peu d'échappatoire. Sobrement, et sans attendre qu'il recouvre ses esprits, je me décalai sur le côté, tirant sur la porte qu'il n'avait pas prit le temps de refermer et me dirigeai vers l'extérieur, tâchant de ne rien laisser paraître de mes émotions.
Mais sa main se referma sur mon poignet. Ses doigts étaient froids. Et, pourtant, la chaleur qui se propagea sur ma peau me fit frissonner. Ma gorge se serra et l'air y passa difficilement.
- Tu... tu es vraiment là ?
Sa voix tressautait presque. Mes doigts tremblèrent. Je me sentis faible. Tellement faible face à cette voix chevrotante qui ne lui ressemblait pas. Mais une odeur acre effleura mon visage, me faisant reculer d'un pas. Je connaissais cette odeur. Alcool. Et une nuance plus vive, plus forte, plus amer. Il avait fumé. Et pas qu'un peu.
Je voulus me dégager, sèchement, mais ses doigts se refermèrent plus fortement sur moi. Ses yeux, apeurés, me dévisagèrent et je détournai le regard, redevenant immobile. Il ne voulait pas me lâcher. Il refusait de me lâcher. Je me mordis la lèvre. Qu'étais-je censée faire ? Je devais me dégager. Vite. Mais mon cœur se refusait à irriguer mon cerveau, m'empêchant de réagir. Mais je n'eus pas besoin de le faire. Une main pâle venait se poser sur celle de Derek, le faisant presque sursauter.
- Je te prierai de lâcher ma petite-sœur, souffla Marie, très calmement. Vous pourrez discuter plus tard, on doit aller faire les courses là. Et puis, il y a une damoiselle qui attend de pouvoir écarter les cuisses. Ne la fait donc pas attendre.
Elle décocha un sourire débordant de douceur à la jeune fille concernée. Alors qu'elle venait, très clairement, de l'insulter. Celle-ci ne sut pas comment réagir, déstabilisée par la contradiction entre le sourire avenant de Marie et ce qu'elle venait de dire. Ses joues finirent par rosir de gêne et elle se recroquevilla sur elle-même, ramenant ses bras le long de son corps et rivant ses yeux sur le sol. Pourtant, elle ne semblait pas du genre à se laisser marcher dessus. Au contraire, elle était ce genre de fille que j'imaginai, aisément, pleine d'assurance, voir même d'arrogance. Mais, face à Marie, on s'écrasait toujours.
- Allons-y.
Et, sèchement, elle arracha mon bras de la paume de Derek. Sans se retourner, elle me poussa en avant, sa main appuyant dans mon dos comme pour me conférer un peu de sa force. Je ne me retournai pas, avançant avec elle. Elle referma la porte derrière elle, juste au moment où Derek hélait mon prénom. Je me crispai vivement. Puis me relâchai, expirant longuement.
- Tout va bien ? S'enquit Marie, sa main toujours posée dans mon dos.
- Oui, mentis-je tant bien que mal. Merci pour ton aide.
- Pas besoin, m'assura-t-elle dans un sourire ravi. Voire la tête de ce crétin et de sa pimbêche fut jouissive.
- Tu y es pas aller de main morte, souris-je, malgré moi. Tu es vraiment incroyable, Marie.
- Je sais, je sais, se pâma-t-elle sans que je sache si elle était sérieuse ou plaisantait. Dit... je me trompe où Derek semblait surpris de te voir là ?
- J'ai passé quelques jours chez un ami, répondis-je. J'imagine qu'il a du penser que je ne reviendrai pas.
- ... lorsque tu disais que vous aviez pris vos distances, je n'imaginai pas que c'était à ce point, avoua-t-elle. Vous... vous êtes disputés ?
- Pas vraiment, soupirai-je. Et je n'ai pas envie d'en parler plus. Je suis juste désolée que tu es dû être mêlé à ça.
- Il n'y a pas de mal. C'est moi qui suis désolée de m'imposer et de t'obliger à le côtoyer. Je ferai au plus vite pour trouver un boulot, ajouta-t-elle, glissant sa main de mon dos jusqu'à ma main pour y exercer une brève pression.
Je la remerciai du bout des lèvres, ne parvenant pas à lui dire qu'elle pouvait prendre son temps. J'avais hâte. Hâte de pouvoir me carapater de cet appartement. Je ne le supporterai pas. Son regard. Sa voix appelant mon prénom. Ce sentiment si puissant que nous partagions en ce moment. Ce sentiment de tristesse, de solitude, de manque.
Marie resserra sa main sur la mienne avant de se détacher, passant devant pour descendre les escaliers. Je la suivis, encore un peu ébranlée, mais capable de respirer. J'enfonçai mes mains dans les poches de ma veste et fus soulagée lorsque Marie initia, d'elle-même, une nouvelle conversation. Elle me questionna notamment sur Jason et je dus reconnaître que je n'avais pas eu de ses nouvelles depuis quelques jours. Mais, aux dernières nouvelles, son boulot accaparait le plus claire de son temps et il m'avait promis de bientôt venir me voir.
Une fois dans la supérette, nous convenions d'un repas. Je voulus opter pour des pattes, mais elle me souligna qu'elle ne mangeait pas de féculent le soir. Je proposai donc des légumes à la poêle, ce qu'elle approuva aussitôt. Je restai un long moment devant les étalages, discutant avec elle de son alimentation de plus en plus restreinte. Depuis plusieurs années, je la savais végétarienne. Et, je n'avais été que peu surprise quand, il y a un ou deux ans, elle avait suivit la mode du sans gluten. Cela dit, la situation se dégradait visiblement puisque, désormais, elle limitait son apport en féculent et en divers protéine. Finalement, notre panier se garnis surtout de fruit et de légume.
- Je pense qu'on à tout ce qu'il nous faut pour quelques jours, fis-je, guettant le contenu de notre panier, songeuse. Ah... je veux des yaourts et on va pouvoir y'aller.
- C'est parti alors.
D'une main, elle tira sur l'une des anses du panier afin de m'aider à le porter. J'étais réellement surprise. Marie était... différente. Elle me semblait bien plus douce qu'à son habitude. Etait-elle reconnaissante pour l'aide que je lui apportais ? Ou était-ce par pitié après ce qu'elle avait vu ? Et il y avait une dernière hypothèse. Je l'avais toujours mal jugé. Ou, plutôt, ne lui avais jamais laissé le droit de se comporter comme une grande-sœur. Je finis par sourire. J'étais heureuse qu'elle soit là.
En arrivant au rayon des yaourts, je me stoppai un instant, remarquant un dos large et des cheveux bruns quelques peu humide. Je souris un peu, sous le regard inquisiteur de Marie. Je tendis la seconde anse à Marie, posa un doigt devant mes lèvres pour lui intimer le silence. Elle fronça les sourcils, mais concéda à libérer mes mains pour quelques minutes. Je m'avançai donc, le plus discrètement possible, et me glissai dans ce dos familier :
- Salut. Tu sais, ce n'est pas très prudent de traîner seul le soir, ce quartier est mal fréquenté à ce qui parait.
Il sursauta brusquement et je rattrapai, de justesse, le paquet de yaourt qu'il venait de saisir. Nos regards se croisèrent et Cameron sourit aussitôt. Il secoua la tête alors qu'il devait parfaitement ce souvenir de notre première rencontre. Dans ce même rayon. Et c'était lui qui, la première fois, m'avait averti de la sorte sur le quartier.
- Tu m'as foutu la trouille, fit-il. Qu'est-ce que tu fais ici ?
- Des courses ? Suggérai-je, arquant un sourcil.
- Pas faux, rit-il naturellement. Mais je croyais que tu devais récupérer ta sœur aujourd'hui ?
- Je n'ai pas mentie, assurai-je. Et voici la fameuse sœur.
Je me tournai quelque peu, laissant apparaître Marie dans son champ de vision. Percevant notre mouvement vers elle, Marie s'avança, souriante. Cameron lui rendit son sourire alors que repris une anse pour l'aider à porter le panier.
- Marie, je te présente Cameron, fis-je. Un ami de la fac. Et Cameron, voici Marie, ma sœur aînée.
- Enchantée, dit-elle, conservant un parfait sourire.
- De même, approuva-t-il d'un petit signe de tête. Vous ne vous ressemblez pas trop toute les deux dis donc.
Ma mâchoire se serra, presque malgré moi. Mais je me ressaisis rapidement. Cameron ne devait pas penser à mal, il ne voulait sans doute pas souligner à quel point Marie était plus jolie que je ne l'étais.
- On nous le dit souvent, enchaîna Marie.
- Au faite, fis-je, à mon tour, tâchant de paraître naturelle. Tu ne devais pas aller à un concert ce soir ?
- Si, lâcha-t-il après un instant où il glissa sa main dans sa nuque, marquant sa gêne. Mais... enfin... disons que j'avais surtout envie d'y aller avec une personne très particulière.
Mes joues rougirent brusquement. Marie me jeta un œil en coin alors que Cameron évitait autant son regard que le mien. Mince alors. La honte. Au même instant, nous redressions la tête, ouvrant la bouche et la refermant, prêt à laisser l'autre interrompre ce moment gênant. Un nouveau regard. Et, enfin, nous pouffions. Il rouvrit la bouche, plus détendu et ses yeux luisant d'une émotion que je peinai à identifier. Mais, avant qu'il ne puisse parler, son téléphone sonna. Il me fixa un instant et jura tout bas, sortant son téléphone alors que la voix du chanteur des Nickelback se propageait dans le rayon.
- Désolé, soupira-t-il. Je vais devoir répondre.
- Pas de soucis, souris-je. On doit y aller de toute façon. On se verra en cours lundi.
- Ca marche.
Un nouveau sourire et il se déporta quelque peu pour décrocher alors que la sonnerie continuait de se répandre. Je fis un petit signe de tête à Marie pour nous diriger vers les caisses, empoignant, rapidement, un paquet de yaourt qui m'inspirais plus ou moins et qui était, surtout, peu cher. Elle me suivit, jetant un dernier petit coup d'œil vers Cameron qui entamait déjà une conversation que n'épiais pas, tâchant de ne pas me focaliser sur sa voix grave.
- C'est qui ? Me questionna-t-elle alors que nous étions suffisamment loin pour qu'il ne nous entende pas.
- Un ami de la fac, répétai-je.
- Il est foutrement mignon, lâcha-t-elle. Il est célibataire ?
Mon cœur se serra violemment. Mais, alors que j'allais lui dire qu'il l'était, on me coupa dans mon élan.
- Heden !
Je me retournai, la voix de Cameron m'interpellant sans gêne. Il parlait fort. Suffisamment pour que tout le supermarché sache désormais mon nom. Mais je n'en éprouvai, étrangement, aucune gêne. Ses yeux rencontrèrent les miens, il avait son téléphone toujours collé à l'oreille mais son attention était rivée sur moi. Mon cœur s'emporta doucement.
- Est-ce que je peux t'envoyer des messages ce soir ?
Je bégayai un instant, surprise. Puis ma tête bascula d'avant en arrière. Le sourire de Cameron fut si éblouissant que mes doigts se serrèrent sur l'anse. Il avait un sourire à vous retourner le cœur. Et il retournait clairement le mien en cet instant. Il me salua chaleureusement avant de s'éloigner, reprenant sa conversation téléphonique. Je restai, pour ma part, immobile à le fixer.
- Il l'est sans doute, souffla Marie à côté de moi. Mais sans doute plus pour très longtemps.
Je piquai un nouveau fard et lui décochai un petitcoup de coude qui la fit sourire. Mais, peut-être aurais-je dû remarquer que cesourire fut pincé. Incroyablement pincé.
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