
Reconversion future ? Dompteuse de carpe.
- J'en peux plus !
Le gémissement sonore de Nathanaël me fit redresser les yeux des touches noires et blanches pour le voir enfoncer son visage, couvert de sueur, dans une serviette. Il la frotta vigoureusement alors que la chaleur ambiante n'aidait en rien. D'un bref coup d'œil sur le côté, je constatai que Derek était dans le même état tandis que je sentais bien les perles salées couler sur ma propre peau. Nous étions dans un drôle d'état. Depuis quand étions-nous enfermés dans la petite salle de répétition ? Au vue de la douleur dans mes phalanges, des heures. Je bougeais les doigts, les refermant et les rouvrant tour à tour.
Concentrée, je n'avais pas remarqué à quel point la douleur était devenue omniprésente. Mes doigts me semblaient anormalement lourd et le simple fait de les plier, équivalait à une pure séance de torture. Je grimaçai, mécontente. J'aurai voulu jouer encore. Plus longtemps. Beaucoup plus longtemps. Mais je devais me rendre à l'évidence, la répétition du jour avait assez durée. Précautionneusement, je refermai donc le piano en faisant geindre plus vivement Nathanaël qui brandit ses baguettes en l'air en signe de soulagement profond. Derek, l'imitant rapidement en posant sa guitare au sol et en venant s'effondrer sur mon siège, me laissant à peine le temps de me décaler. Son dos, humide, se colla à mon bras et je n'en faisais pas la moindre remarque. Même ce contact quelque peu désagréable, faisait s'envoler les battements de mon cœur.
- On a assuré, souffla celui-ci.
- On parvient de mieux en mieux à jouer en harmonie, approuva Nathanaël, qui s'étirait déjà en se relevant, les jambes engourdis. Tes chansons sont vraiment cool, Hed.
J'esquissai un mince sourire, encore gênée. Mes chansons. Nous jouions mes chansons. Je parvenais encore mal à réaliser. Pourtant, les partissions qui s'étalaient devant nous avaient toutes été écrites par ma main. Mon cœur se gonflait d'une fierté immense. J'avais été très hésitante la première fois que j'avais présenté à Nathanaël, Samira et Derek, les premières mélodies que je souhaitais utiliser pour nos futurs chansons. J'avais crains leurs déceptions. Ils semblaient tous attendre de moi plus que je n'étais capable de fournir. Pourtant, aucun n'avait émit de protestation même en constatant qu'aucune parole ne se trouvait sur les papiers que je leur tendais. Et, au contraire, Nathanaël avait exprimé l'envie d'essayer l'une d'entre elle sur le champ.
C'était donc sur une de mes partitions que j'avais eu la chance de découvrir sa batterie. Puissante. Rayonnante. Légère. Presque aussi enjouée qu'il l'était lui-même. Mon cœur avait loupé un battement alors que la musique avait envahit mes sens. Il était doué. Plus que doué. Ses doigts étaient si rapides que je peinais parfois à les suivre, sa technique était aussi incroyable que sa précision et je ne parvenais pas à croire qu'un tel prodige avait pu redoubler. Il aurait fallut être aveugle pour ne pas remarquer son talent. Et quelqu'un d'aussi doué que lui, prenait plaisir à jouer mon morceaux. Ma mélodie. Mes sentiments. Mes mots. Mon monde. Il s'y était immiscé avec tant de facilité que j'en avais aussi éprouvé de la gêne pendant un court instant. J'avais eu le sentiment d'être nue, d'être pleinement exposée. C'était un sentiment étrange et pourtant dès plus galvanisant. Je voulais l'entendre jouer plus. L'entendre jouer mes morceaux, mes rythmes. Plus. Plus. Plus. Le mot n'avait plus eu de cesse de résonner dans mon esprit depuis cet instant.
Mais il était aisé d'écraser ce genre de sentiment.
- Ce serait encore mieux si ces chansons avaient des paroles. On stagne depuis des jours.
Je me crispai, consciente que le reproche m'était clairement dirigé. À raison. Samira, assise sur un pouffe, dans mon dos, n'avait de cesse de me rappeler mon plus gros problème actuel. Depuis plus d'une semaine maintenant, elle était lassée d'attendre. Elle aussi voulait jouer. Elle aussi voulait s'intégrer à ce groupe qu'elle ne faisait que regarder depuis un mois maintenant. Mais, ne jouant d'aucun instrument, elle devait attendre des paroles qui ne venaient pas. J'étais mauvaise à ce jeu là. J'aimais musique. Les sons. Les notes. Les rythmes. Tout mon corps vibrait, s'emportait avec la mélodie. Mes doigts bougeaient d'eux même. Je n'avais pas besoin de réfléchir, c'était comme une vague qui venait me submerger, mon seul moyen de respirer étant de la laisser m'emporter et d'écouter ce son qu'elle voulait tant me faire entendre. Mais les paroles ne venaient pas aussi naturellement. Je restai, durant des heures, devant une page blanche ou juste quelques mots étaient griffonnés puis rayés rageusement par une main frustrée.
Je n'étais pas douée pour les mots. J'étais incapable de m'exprimer. Mes yeux se rivèrent sur le bois sombre du piano droit sur lequel je m'exerçais depuis des jours. Je savais que je devais réussir à écrire et ceux rapidement. Il ne nous restait qu'un mois avant la première représentation. Un tout petit mois. Le poids sur mes épaules voulait me clouer au sol.
- Elle le sait, pas la peine de le lui rappeler à tout bout de champ, souffla Nathanaël en me faisant relever la tête, même si j'étais peu surprise de le voir prendre ma défense. Tu me tapes sur les nerfs, si tu es pas contente, écris-les toi les paroles. Arrête de t'en prendre à elle.
- Je suis pas une compositrice, rétorqua Samira, désinvolte.
- Et ? Cameron écris bien ses propres paroles, désapprouva-t-il, froidement.
- Et tu me gonfles à toujours tout ramener à lui. C'est quoi ton problème ? Si tu as tant envie de faire parti de son groupe, barre-toi, personn...
- Du calme, coupai-je en me redressant, faisant chanceler Derek qui avait finalement laissé peser tout son poids sur mon épaule. Je suis désolée pour le retard que je nous fait prendre.
Je plantai mes yeux dans ceux de Samira qui les affronta un instant avant de se lever, marquant son agacement. Elle se rua hors de la salle, claquant la porte d'un geste théâtrale. Je soupirai lourdement, passant ma main dans ma nuque, nerveuse. Je l'aimais de moins en moins. Sans doute parce qu'elle me mettait face à mon incompétence tandis que Nathanaël et Derek, tentaient de me couver. Ce dernier tira sur mon poignet, me faisant reposer mon attention sur lui.
- T'en fais pas. Elle est juste impatiente de pouvoir chanter tes chansons, m'assura-t-il. Elle est jalouse de nous voir sans pouvoir participer.
- C'est pas une raison pour la faire chier sans arrêt, désapprouva Nathanaël en s'écartant de sa batterie pour se vautrer dans le pouffe que Samira venait d'abandonner. Et puis, c'est pas de ta faute si elle ne sait même pas tenir une guitare et est donc inutile.
- Elle est ici parce qu'elle veut chanter, souligna Derek en haussant les épaules. Pas parce qu'elle est une musicienne, ce reproche est donc stupide.
Pourquoi la défendait-il à ce point ? Je me mordais la lèvre, le faisant lâcher mon poignet d'un geste sec. Il soupira aussitôt et je me crispai un peu plus, consciente que mon comportement se faisait de plus en plus enfantin. La pression des derniers jours me rendait exécrable, même avec lui. Surtout avec lui. Je m'excusai vaguement du bout des lèvres avant de venir m'effondrer à côté de Nathanaël qui s'était décalé, naturellement, dès qu'il m'avait vu approcher. Je me collais à lui avec une aisance devenue habituelle. Je n'éprouvais aucune gêne, aucun mal à l'aise à sentir son épaule contre la mienne.
Nathanaël était définitivement un chic type. En un mois, j'avais eu largement le temps de le découvrir. Surtout que nous passions le plus clair de notre temps ensemble tandis que Derek passait le sien avec Samira. L'équilibre s'étant trouvé aisément puisque ni moi, ni Nathanaël n'éprouvions l'envie de les contempler roucouler mièvrement.
Ainsi, s'il pouvait se montrer froid au première abord, il était en réalité un garçon jovial et plein d'énergie. Il aimait rire. Aimait s'amuser. Aimait aussi attirer l'attention des filles. Presque un peu trop pour que cela soit naturelle. Et puis, il parlait énormément de Cameron. Beaucoup trop. Je n'avais pas encore osée lui poser la question, mais j'étais persuadée que ce n'était pas juste de l'admiration. Samira avait tort. Il n'avait aucune envie de rejoindre son groupe. Pour la simple et bonne raison qu'il en était fortement amoureux. Et qu'il ne désirait sans doute pas l'assumer. Ou craignait-il, au contraire, de trop l'assumer ? Je n'en savais rien.
Je basculai ma tête contre son épaule en fermant les yeux alors que nous étions devenu très proche depuis notre première rencontre. Nathanaël c'était montré d'une grande aide et d'une gentillesse immense envers moi. Parce que j'étais un membre de son groupe ? Au départ sans doute. Mais désormais il y avait plus que cela. Du moins, c'était ce queje ne pouvais m'empêcher d'espérer.
- On rentre ? Finit par me demander Derek.
- Je vais rester encore un moment, assurai-je, sans esquisser le moindre mouvement.
- On a passé la journée ici. Tu dois te reposer.
- Plus tard.
- Il a raison, souffla Nathanaël en bougeant son épaule, me faisant grogner. On va manger quelque chose, boire un verre et tu vas rentrer dormir.
- Pas ce soir, repris-je en m'écartant, soupirante. J'ai besoin de bosser.
- Tu passes déjà tout ton temps à le faire, rétorqua Derek, froidement. Tu crois pas que tu en fais trop ? C'est bon, ce n'est que la première scène. On attend pas de toi que tu fasses un miracle, on débute tous, va à ton rythme.
- Je veux y arriver.
Mon obstination aurait pu être honorable si je ne faisais pas face à deux garçons luttant, farouchement, contre un travail trop assidu. Ils aimaient la liberté, la sensation du plaisir que leur procurait la musique. Pas les contraintes associées. Mais je n'étais pas comme eux. Je supportais mal la pression, mais j'aimais la rigueur. Passer des heures et des heures à m'arracher les cheveux, ne m'effrayait pas. C'était long. Dur pour le moral. Mais cela avait aussi quelque chose de plaisant. Je faisais ce que j'avais toujours eu envie de faire. On me laissait le droit de faire ce que je désirai. Et on me faisait confiance. Je voulais réussir. Pour eux. Mais aussi pour moi. J'étais venue ici pour cela, non ? Alors à quoi bon si je ne me donnai pas à fond ?
Derek me contempla un instant avant d'échanger un regard avec Nathanaël. Ils soupirèrent en même temps et je fis la moue, mécontente. Nathanaël sourit le premier, venant passer sa main dans mes cheveux pour les ébouriffer. Je grognai mais le laissait faire, ne songeant pas à taper dans sa paume abîmée. La batterie était un instrument plus difficile que le piano, de mon point de vue. Cela pouvait vite devenir extrêmement douloureux. Mais il ne semblait pas en souffrir. Même lorsque ses doigts étaient couverts de sang, il souriait béatement tant qu'il avait des baguettes entre les doigts. La musique lui permettait de respirer. Et ce sentiment nous unissait plus que aucun autre.
- Tu as avancé au moins ? Me questionna-t-il.
- J'en sais rien, baragouinai-je en basculant la tête en arrière pour fixer le plafond comme si une créature quelconque allait s'y trouver pour occuper mon attention. Je crois. Non. Oui. Peut-être.
- Très claire, me gratifia Nathanaël d'un coup de coude. Montre.
- Nop.
- Alleeez, geint-il gaminement en venant tirer sur mon bras. Comment tu veux que je t'aide si tu me montres pas !
- Je le montre déjà aux professeurs, son avis est suffisant, assurai-je dans un grognement.
- Pourquoi toutes les nanas que je rencontre, doive-t-elle être des bûcherons, siffla-t-il en faisant la moue. T'es vraiment pas mignonne.
- Merci du compliment, souris-je aussitôt.
- Cela n'en était pas un.
- Ah bon ? Mince, murmurai-je en mimant de la déception. J'en étais persuadée.
Il fit un peu plus la moue, gonflant, gaminement, ses joues. J'appuyai dessus et son sourire illumina son visage juvénile. Il était difficile de croire que Nathanaël était de deux ans mon aînée. Non seulement il avait redoublé l'année dernière, mais avait aussi redoublé au lycée. Sa seconde pour être précise. Ce n'était pas un élève studieux. Il détestait les cours. Et c'était pour cela qu'il s'épanouissait cette année. Nos heures de cours se limitaient à sept heures casés dans la semaine. Sept petites heures. Beaucoup trop courtes. Moi qui avait le sentiment d'avoir besoin d'un berger, je me retrouvai à errer comme une pauvre brebis égarée dans une montagne ardue à arpenter et regorgeant de loup à éviter. J'allais me faire dévorer avant même de parvenir à l'auberge, c'était une évidence pour moi. Mais, visiblement, pas pour les autres.
Néanmoins, le parcours des compositeurs était quelque peu différent de ceux des musiciens et des chanteurs. Nous avions donc cinq heures de plus, ajoutées aux cinq premières. Cinq heures qui étaient des plus enrichissantes. J'aimais particulièrement les cours de monsieur David, l'homme au costume de pie. Il était sévère, mais ses conseils étaient toujours dès plus avisés et ses cours riches en information. J'en sortais toujours avec le même entrain, la tête pleine de rêve et d'espoir. Qui s'effondraient lorsque je me retrouvai, à nouveau, devant une page blanche et des centaines de mots qui se bousculaient dans mon esprit avec incohérence.
- Vous vous entendez de mieux en mieux tous les deux.
La voix de Derek résonnait étrangement. Amer ? Sans doute. Pourtant, je m'empêchai de m'engouffrer dans une illusion quelconque. Il était fortement possible que ce soit de la jalousie. Mais il n'était pas jaloux de me voir avec un autre homme. Il était simplement jaloux, de me voir avec quelqu'un. De me voir être aussi à l'aise avec quelqu'un d'autre que lui. De l'amitié. C'était tout ce qu'il éprouvait pour moi. Je ne devais pas l'oublier. Plus de faux espoir. J'en avais déjà assez souffert. Je rivais mes yeux dans les siens, naturellement.
- Jaloux ? Soufflai-je naturellement.
- Ouai.
Sa franchise fit rater un battement à mon cœur. Et si j'avais tort ? Et si Derek m'aimait ? J'écrasai cette pensée dès qu'elle eut l'audace de naître. Sa façon de me fixer, son sérieux. Il ne plaisantait pas. Mais je savais que, dans quelques secondes, tout reviendrait à la normale. Aucune raison de s'emballer. Mais mon cœur tambourinait, n'écoutant aucunement ma sage raison.
- Y a de quoi en même temps. Je l'accapare vachement en ce moment, pas vrai ?
Plus surprise, je me tournai vers Nathanaël dont le bras venait de passer autour de mes épaules. Derek le contempla avec froideur et je me crispais, perdue. À quoi jouaient-ils tous les deux ? Que se passait-il ? Pourquoi cette conversation déboulait-elle aussi soudainement alors que Derek n'avait fait aucun commentaire durant tout le dernier mois à ce sujet ? Ne répondant aucunement à mes interrogations muettes, ils s'affrontaient silencieusement, se dévisageant froidement. La tension grimpait souvent entre les deux garçons et je crois qu'ils ne s'appréciait pas outre mesure. Trop différent.
Nathanaël était un garçon léger, mais il se montrait extrêmement droit et respectueux. Il ne faisait jamais un pas de travers. S'il était extrêmement populaire dans l'établissement, jamais je ne l'avais vu profiter de cela. Il était toujours poli et prévenant. Il était ce genre de garçon un peu timide qui n'hésiterait pourtant pas à s'interposer s'il voyait quelqu'un en danger. Derek était aussi quelqu'un de profondément bon. Mais moins assidu dans les règles de bienséance. Il ne fallait pas compter sur lui pour se montrer cordiale en toute circonstance, il aimait n'en faire qu'à sa tête, quoi que cela lui en coûte. Et quoi que cela en coûte à son entourage. L'un se préoccupait des autres. L'autre se préoccupait de lui-même avant les autres. Quelle façon de faire était la meilleure ? Je n'aurais su le dire. Peut-être aucune. Chacun avait sa façon de vivre.
- C'est bien que Heden se fasse de nouveaux amis, lâcha-t-il finalement en haussant les épaules. Je suis juste pas habi...
- Amis ? Murmura Nathanaël, feintant une surprise trop exagérée pour être perçue comme naturelle. Tu crois vraiment qu'on est simplement amis ?
Derek s'immobilisa net et ma tête se dévissa sur elle-même. Pardon ? Nathanaël resta imperturbable devant nos deux visages déconfit. Il déraillait, pas vrai ? De quoi parlait-il ? Nous étions ami. Point barre. Et puis, n'était-il pas censé être amoureux de Cameron ? Avais-je mal interprété son intérêt pour ce garçon ? Avais-je loupé quelque chose ? Il tourna ses yeux dans les miens et haussa un sourcil, surpris avant d'éclater de rire. Nous restions pantois. J'esquissai un coup d'œil vers Derek dont le visage ne laissait pas passer une autre émotion qu'un agacement profond à l'idée d'être prit pur un idiot.
- Vous devriez voir vos tronches, siffla Nathanaël, conservant un large sourire satisfait. Entre l'un qui se retient de me coller un poing et l'autre qui se demande ce qu'elle fou là.
- Je vois pas pourquoi je te collerais mon poing, souffla Derek, froidement.
- Parce que cela te ferait vraiment chier si elle sortait avec un mec.
Nathanaël souriait joyeusement, son visage enfantin débordant de candeur. Pourtant, sa voix était aussi froide que celle de Derek et ses yeux, rivés sur lui, n'exprimaient aucun amusement. Un nouveau silence. Lourd. Pesant. Et moi je reste interdite, pantoise, muette comme une carpe. Comparaison forte peu parlante puisque je n'avais jamais eu l'occasion de m'adresser à l'une d'entre elle. Mais sans doute me ressemblaient elles actuellement, la bouche entrouverte et des yeux aussi ronds que des billes. Oui. Une carpe c'était parfait. Mon cerveau s'éparpillait tant le choc me faisait dérailler.
- Cela me soûle que ma meilleure amie me donne moins d'attention, souffla Derek après un moment de réflexion, mon cœur cessant net son entrain joyeux. Mais faut pas chercher plus loin. On vous l'a déjà répété : on ne sort pas ensemble. Si elle veut sortir avec toi, qu'elle le fasse. Je serais content pour elle et je vous féliciterai.
- Super, assura Nathanaël sans perdre son parfait sourire. Puisque tu seras content pour elle, la prochaine fois qu'elle est proche d'un mec, évite de la culpabiliser en venant lui tirer la tronche. Cela t'éviteras aussi de te prendre des affirmations inexactes.
Derek le dévisagea encore un instant et haussa les épaules. Il se détourna le premier, fonçant vers la porte qui lui permettrait de sortir de cette pièce soudainement devenue trop étroite. Le souffle coupée, je contemplai son dos, persuadée qu'il allait se retourner pour me dire de le suivre. Il s'immobilisa. Une courte seconde. Mais sa main serra la poignée et il disparut sans prononcer le moindre mot supplémentaire. Je ne respirai toujours pas. Que venait-il de se passer ? Je me tournai, lentement, vers Nathanaël qui planta ses yeux dans les miens, calmement.
- C'était quoi ce délire ? Murmurai-je, estomaquée.
- Il me gonflait avec ses grands airs, m'expliqua-t-il sobrement. Son petit air innocent en te balançant qu'il était jaloux... brr. Ça me débecte. Comme s'il savait pas que tu allais rappliquer dans ses jambes dès que tu réaliserais qu'il était pas content.
- Hoy, on dirait que tu parles d'un chien, soulignai-je en fronçant les sourcils.
- Bah c'est un peu ce que tu es avec lui, affirma-t-il avant de geindre en se recevant mon poing dans le bras. Quoi ? Fais pas genre tu en as pas conscience. Tu cèdes à tous ses caprices, il bouge un pied, tu bouges l'autre. Tu arrêtes pas de t'occuper de lui, tu le fixe tout le temps, tu ...
- J'ai compris, rougis-je vivement avant de me détourner en m'assombrissant. En bref, cela crève les yeux.
- Effectivement, m'approuva-t-il plus doucement en venant bousculer son épaule de la mienne. Il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre que tu es amoureuse de lui.
- Et pourquoi cette scène ? Soupirai-je, passant ma main dans ma nuque, nerveusement. Ok, il te soûle, mais je compren...
- Parce que je t'apprécie vraiment, coupa-t-il en levant les yeux au ciel, visiblement excédé par mon manque de compréhension. Et donc, comme tu es en voie de devenir une sacrée bonne amie, cela me tape sur le système de le voir te traiter ainsi. Il fait comme s'il ne savait pas que tu étais amoureuse de lui et en profite pour t'utiliser.
- Tu y vas un peu fort, rétorquai-je, posant mes coudes contre mes cuisses et me penchant en avant. Derek a ses défauts mais il...
- Il quoi ? Me coupa-t-il une troisième fois. Il pète les plombs dès que tu approches un mec pendant que lui batifole avec tout ce qui porte jupon ? Ou peut-être que tu veux souligner qu'il fait toujours en sorte de te donner suffisamment d'espoir pour que tu ne cesse pas de l'aimer mais que jamais il ne te considérera comme plus qu'une petite sœur ? Ce serait très pertinent mais j'avais déjà remarqué.
Je me crispai violemment. Alors c'était ce que tout le monde pensait ? Que j'étais le gentil petit toutou de Derek ? Qu'il m'utilisait ? Hé bien, ils faisaient tous erreurs. Nathanaël ne connaissait pas Derek comme je le connaissais. Personnes ne le connaissaient comme moi. Bien sûr, il était parfois étrange mais jamais il ne m'avait réellement donné de faux espoir. Au fond, il avait toujours été assez possessif avec moi. Il n'aimait pas l'idée que je sois aussi proche de quelqu'un d'autre, que je l'étais de lui. Notre relation était unique. Différente. Et j'aurais moi-même détestée me voir voler ma place si particulière dans sa vie. Néanmoins, j'avais toujours eu l'habitude de le voir entouré d'un grand nombre de personne. Contrairement à lui, qui ne m'avait jamais réellement vu lié à qui que ce soit. Le changement l'inquiétait donc plus que de raison, la moindre proximité avec un autre lui faisait craindre une chute de son piédestal. Nathanaël avait cependant raison sur un point. Jamais il ne me considérerait comme je le faisais. Jamais il ne serait amoureux de moi. J'enfonçai mes ongles dans mes paumes, mon cœur écrasé par ma poitrine comprimée.
Il se fichait donc de savoir si je sortais avec quelqu'un tant que sa place lui était assuré. Au fond, les paroles de Nathanaël avait dû le rassurer plus que l'énerver. Et j'aurais préféré que toute cette conversation n'ait jamais débutée. Je n'avais pas envie de me rendre compte du point auquel j'étais ridicule aux yeux de tous. Tous savaient. Tous savaient que je vivais un amour à sens unique. Un amour ridicule pour une fille comme moi. Derek ne poserait jamais les yeux sur moi. Pas de cette façon.
- Je te remercie Nath', soufflai-je en me redressant. Mais je suis assez grande pour me débrouiller. Et tu ne connais rien de notre passé, tu ne sais pas tout ce qu'il a fait pour moi. Alors, s'il te plaît, évite de créer des tentions inutiles.
Il me contempla un instant, lâchant un profond soupir exaspéré. Néanmoins, il hocha la tête, m'affirmant ainsi qu'il n'agirait plus de la sorte. Du moins, c'était ainsi que je voulais le prendre. Je lui offrais un mince sourire avant de récupérer mon sac de cours, au sol et de remonter la lanière sur mon épaule.
- Demain même heure ? Questionnai-je, mollement mais tâchant d'être la plus naturelle possible.
- Je croyais que tu voulais rester un peu plus longtemps ? Me rétorqua-t-il aussitôt.
- J'ai changé d'avis, répondis-je en haussant les épaules.
- Tu vas aller le « réconforter » ? Souffla-t-il en mimant les guillemets de ses doigts et grimaçant.
- Non, assurai-je après un instant d'hésitation tandis que l'idée m'avait plus que effleurée l'esprit. Je vais aller faire un tour. J'ai envie de prendre l'air.
- Je viens avec toi alors.
- Seule, rajoutai-je un peu rapidement alors qu'il bondissait déjà sur ses pieds.
- Tu me déteste ? Demanda-t-il aussitôt en grimaçant, son visage joyeux se liquéfiant sur place, m'attendrissant grandement.
- Bien sûr que non, affirmai-je en venant balancer un nouveau petit coup dans son épaule. Tu es un mec génial, comment je pourrais te détester ? Tu voulais me défendre et j'apprécie sincèrement. J'ai... pas vraiment l'habitude d'avoir des amis... mais je suis vraiment heureuse que tu sois devenu le mien.
- Hmm.
Son bougonnement voulait autant me signifier sa gêne que son mécontentement et je riais naturellement devant sa moue insatisfaite. Il se rapprocha de moi et vint passer son bras autour de mon cou, frottant vigoureusement sa main libre dans mes cheveux. Il avait déjà eu ce geste une ou deux fois durant le mois, mais il semblait en passe de devenir un geste rituel. J'éclatai un peu plus de rire, étrangement détendue malgré la conversation précédente qui m'avait plus que perturbée. Nathanaël avait un étrange don : il était capable d'illuminer la plus triste des journées.
- Avoue que en faite tu veux m'éviter parce que tu as peur que je sois vraiment amoureux de toi.
- J'admets que cela me ficherais sacrément la trouille, soufflais-je en levant les yeux au ciel.
- Bah, c'est clair. Être aimé par un gars bien pour une maso, c'est dur à vivre.
- Hahaha, grognai-je en retirant son bras de ma nuque. Crétin.
- Morue.
- Babouin.
- Pélican.
- Tu passes de la morue au pélican comme ça toi ? Souris-je alors que nous nous dirigions, finalement ensemble, vers la sortie.
- Je me disais que Thon ça passerait pas, expliqua-t-il d'un sourire espiègle revenant déjà poser son bras sur mes épaules.
- Tu manques cruellement d'imagination, désapprouvai-je. Regarde tu aurais pu dire Saumon, Merlan, Colin...
- Colin ? Répéta-t-il, me coupant dans mon élan. Truite pendant qu'on y est ?
- C'est sacrément moche une truite, approuvai-je.
Il éclata de rire et je pouffais. Avec lui, j'avais le sentiment de pouvoir dire toutes les bêtises du monde. Il me suivrait dans n'importe quel délire. Peu importe si tous les yeux se rivaient sur nous avec mépris ou incompréhension. Il s'en fichait tant que nous pouvions rire ensemble. J'appréciais de plus en plus Nathanaël et ce qu'il venait de se passer voulait me renforcer dans l'idée que j'avais réussi. J'avais réussi à être amie avec quelqu'un. Moi. Moi seulement. Moi Heden. Pas l'amie de Derek. Pas la sœur de Jason et de Marie. Moi, Heden je m'étais fait un véritable ami. Et ce sentiment soulageait tout le poids qui comprimait ma poitrine. Cela irait. J'avançais. Je continuerais à avancer. Et puis, j'avais l'habitude de constater la différence entre nos sentiments. J'aimais Derek. Plus encore, j'étais amoureuse de lui. Il m'aimait en retour. Mais simplement pas comme je le désirerai. J'étais une amie. Une précieuse amie. Je devais m'en contenter.
Tâchant de ne pas me focaliser sur ce qu'il venait de passer, je discutai naturellement avec Nathanaël dont l'intérêt c'était vu soudainement accaparé par une odeur de nourriture. Visiblement, la cafétéria venait d'ouvrir et l'estomac furieux de Nathanaël lui signalait sa volonté d'être rempli. Inévitablement, il se mit à tirer sur mon bras dans le but de me convaincre de l'accompagner, allant même jusqu'à m'assurer qu'il payerait mon repas. Je m'obstinais pendant une longue minute à refuser l'idée, soulignant que je ne voulais pas rentrer tard. Si j'avais remis à plus tard mes séances de torture pour trouver de fichues paroles à mes chansons, je comptais bien m'y remettre dès ce soir. De plus, au fond de moi, persistait cette envie de retrouver Derek et de lui assurer que je ne sortais pas avec Nathanaël. Comme la parfaite idiote que j'étais.
- Attends, comment quelqu'un peut refuser qu'on l'invite à manger, s'indigna-t-il alors que nous déboulions dans un des nombreux couloir de la fac. Nourriture, gratuite. Deux mots magiques, encore plus s'ils sont associés, non ?
- Non, assurai-je en haussant les épaules. Écoute Nath, je suis crevée et faut vraiment que j'avance sur mes paroles. Si je n'ai pas réussie à avancer d'ici la fin de la semaine, Samira va m'arracher la tête.
- Je pense qu'elle épargnera ta tête, rétorqua-t-il. Elle te sert à composer. Mais par contre, tes jambes te servent pas à grand-chose.
- Je plaisantais pas, bougonnai-je avant de lui donner un coup de coude, amusée. Une prochaine fois, d'accord ?
- Promis ?
- Promis quoi ?
- Promis tu me laisseras t'inviter la prochaine fois.
J'hésitai un instant avant de soupirer tout en hochant la tête. Il m'offrit un parfait sourire et me balança une grande tape dans le dos tandis que c'était à mon tour de faire la moue. Il assurait que Derek me faisait faire ce qu'il désirait, mais il en était, visiblement, tout autant capable. Au fond, c'était juste peut-être moi qui était trop malléable.
- Bon, puisque tu ne veux pas de moi, je vais te laisser à ton triste sort, dit-il en m'adressant toujours son parfait sourire. Mais ne passe pas ta soirée là-dessus. Parfois, se vider la tête est le meilleur moyen d'y voir plus claire.
- Je tâcherai d'y songer, assurai-je en le faisant lever les yeux au ciel.
Il me gratifia d'une nouvelle tape dans le dos avant de me saluer brièvement de cette même main qui venait de s'abattre sur mon épaule. Je lui rendais son petit geste, traînant des pieds tandis qu'il se ruait en direction de la cafétéria. Nathanaël vouait un véritable culte à notre cantine. Pas que la nourriture y soit incroyablement. C'était simplement le lieu où il avait le plus d'espoir de croiser Cameron. Du moins, c'était ce que j'avais finis par deviner. Sans cesse, il fouillait des yeux la pièce avant de se fixer sur la porte d'entrée si celui qu'il cherchait ne se trouvait pas déjà là. Ses expressions changeant radicalement lorsque, enfin, l'objet de son intérêt apparaissait.
Il était difficile pour moi d'aborder le sujet. Il n'avait pas un seul instant hésité à me parler de mon amour, plus que visible, pour Derek mais je me sentais mal à l'aise à l'idée de lui rendre cette proximité. Peut-être ne désirait-il pas en parler ? Peut-être n'assumait-il aucunement son attirance pour un garçon ? Peut-être que je me trompais radicalement et que, en réalité, il le détestait ? J'avais beau y réfléchir, je me sentais maladroite et peu douée pour aborder un tel sujet. Il me restait encore un long chemin à parcourir.
Distraite par mes pensées, j'avançai vers la sortie de la fac dans une lenteur exagérée. Je crois que je n'avais pas particulièrement hâte de rentrer. Derek serait sans doute à l'appartement. Dans le meilleur des cas seul. Dans le pire avec quelqu'un. Dans le pire du pire avec Samira. Il l'avait déjà invité plusieurs fois chez nous et me retrouver à tenir la chandelle dans la pièce que je considérai comme mon nouveau cocon, était quelque chose dès plus désagréable qui soit. Je jetais un œil à mon téléphone portable, espérant qu'il m'ait envoyé un message mais l'écran reste vide de toute information. Je soupirai. Je présentais que l'ambiance serait mauvaise. Derek n'aimait pas qu'on le remette à sa place. Ni même qu'on lui dise que son comportement avec moi n'était pas sain. Ma main atterrit dans ma nuque naturellement, massant ma peau dans un geste qui relevait du tique tant je le faisais régulièrement depuis quelques mois.
Décidée à ne pas rentrer tout de suite, je faisais demi tour au dernier moment et me dirigeai, naturellement, vers une des salles de répétition qui était réservée à notre promotion. L'établissement, gigantesque, offrait une multitude de salles souvent désertes et libres d'accès aux étudiants. Si cela m'avait paru étrange, dans un premier temps, j'avais finalement découvert tout un protocole très sécurisé. Badge nécessaire pour entrer et sortir, plusieurs gardiens toujours présent, des caméras de sécurité un peu partout, etc. Chose relativement logique lorsque l'école conservait une quantité phénoménale d'objet de valeur, à commencer par nos instruments de musique.
Je me retrouvai donc à mon point de départ, m'effondrant lourdement sur le siège que je n'avais quitté que depuis quelques minutes. Je fixai le piano droit en bois brun et soupirai lourdement, m'avachissant contre lui. Le Dieu des pianos manquait cruellement de clémence envers ma personne. Pourtant, j'avais toujours pris grand soin de ses enfants. Morne, je rouvrais les les yeux pour fixer la pièce vide. Ni les piaillements de Samira. Ni le tumulte de Nathanaël. Ni Derek pour accaparer mon attention. Juste un silence cérémonieux et des instruments inertes. Je restais un moment ainsi, attendant une révélation quelconque. Ou peut-être un message venant d'une certaine personne qui m'ordonnerait de rentrer. Je soupirai avant de sortir de mon sac un bloc note déjà bien recouvert de mon écriture. Et de rayure. Je l'ouvrais une sur une nouvelle page, ne pouvant m'empêcher de murmurer tout bas quelques prières au Dieu des pianos, des tambours, des guitares et mêmes des maracas. Juste un couplet. Un petit couplet. Un minuscule couplet.
♪
Agacée, j'appuyai plus violemment sur les touches en jurant. Je balançai les feuilles volantes que j'avais disposé devant moi et elles s'étalèrent sur le sol. Je me mordais la lèvre, détestant mes accès de colère récurent depuis le début du mois. Mais je ne parvenais pas à lutter contre. Le stress. La frustration. La peur. Tout s'accumulait. Comment étais-je censée y faire face ?
- Fait chier.
Ma voix était un murmure à peine audible tandis que je venais de passer la pire heure de ma vie. D'abord emportée par une frénésie créatrice, je m'étais emballée trop vite. Le contentement c'était vu anéanti lorsque j'avais enfin réalisée que ses paroles étaient d'une nullité flagrante. Elles ne collaient pas au rythme de la mélodie, étaient d'une fadeur extrême et n'entrait pas en harmonie avec les émotions que j'avais éprouvé en composant. Je serrais les dents face au piano muet. Qu'est-ce que je fichai ici ? Pourquoi est-ce que je m'acharnais de la sorte ? Je ne pouvais pas écrire de parole. Je n'avais pas le niveau. Je n'étais pas faite pour ça. Je ne ...
- Tu ne laisse pas assez tes émotions parler. C'est pour ça que tu es si frustrée par tes paroles, tu te retiens beaucoup trop de t'exprimer.
Surprise, je sursautai violemment, bondissant sur mes jambes alors que je n'avais même pas entendue la porte s'ouvrir. Je fixai le détenteur de cette voix masculine, le cœur battant d'anxiété. Mais la peur suscitée par son intrusion, s'estompa tandis qu'il ramassait calmement, au sol, les feuilles que je venais d'éparpiller. De temps à autres, ses yeux s'arrêtaient sur mon écriture qu'il tentait de déchiffrer sous les épaisses rayures. Puis, enfin, il redressa le visage pour me faire face. Je restais muette. Deux grandes iris noires me dévisageaient et je ne parvenais pas à y lire le moindre sentiment. Juste deux abîmes sans fond dans lesquels j'avais le sentiment de me perdre. Une seule question battait dans mon esprit : que faisait-il là ?
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