Chapitre 6
La pluie a cessé depuis plusieurs heures mais l'air charrie encore une odeur humide et épaisse. Fade. La ville de Daers est sans doute trop petite pour posséder une Tour aux Effluves.
Mes bottes éclatent la boue de la rue lorsque je mets pied à terre devant une auberge d'où s'échappent un flot de lumière et des éclats joyeux. L'eau trempe mes vêtements, colle le tissu à ma peau. Un frisson de dégoût court le long de mon dos tandis que je mène mon cheval à l'écurie.
Par Tharsio Silvia, je hais la pluie !
Les écuries sont presque vides et ne présentent aucune issue, hormis la porte d'entrée. Une torche à moitié consumée jette des ombres dansantes sur les murs. Sa lumière, sa chaleur...
Les flammes se sont à peine étirées vers moi que mon cheval manque de me déboîter l'épaule dans une tentative de ruade. Le feu bat en retraite.
« Ne commence pas, grincé-je en tentant de maîtriser ma monture. »
Mais l'animal piaffe, les pupilles dilatées, le souffle précipité. Il ne s'apaise que lorsque je quitte sa stalle après l'avoir dessellé. La lueur souligne la boue qui macule sa robe. Je marque un temps. Au moins le bouchonner, ou... L'animal recule, les oreilles plaquées en arrière. Mes épaules se raidissent.
Après tout, c'est son problème.
L'auberge déborde de rires et de lumière. Deux portes. Celle d'entrée, et celle de la cuisine. Au fond de la salle, à côté d'un comptoir plutôt miteux, le feu de la cheminée éclaire une véritable foule. On dirait que toute la ville s'est rassemblée ici, et le vacarme des conversations plane au-dessus des têtes comme la fumée des dizaines de chandelles. Quelque part, quelqu'un a entamé une chanson à boire, vite reprise par toute l'assemblée.
« On dit qu'sauter d'une montagne procure d'l'ivresse.
C'est p'têt vrai, mais après, y a plus grand-chose qui reste.
Alors qu'un bon verre de tord-boyaux, puis deux, puis trois,
Ça chauffe le coeur, ça console l'âme, sans risquer l'trépas.
Qu'les gens d'la haute gardent leur liqueur vieillie en fût !
Moi, j'veux laisser l'barmadas aux kirpouflus !
C'qui m'faut, moi, c'est un truc qui tient au corps !
Eh ! Remets-en une, la belle, et une encore !
Je fends la foule en direction du comptoir, des regards curieux accrochés à ma cape. Seulement curieux.
Que se passe-t-il ? Pourquoi semblent-ils si confiants, tous ?
— Y a une conteuse qui passe la nuit en ville, m'informe le tavernier, un nain grisonnant. Voilà bien un an qu'on en a pas vu dans le coin, alors ça se fête, comme vous pouvez le voir...
Il ôte ses lunettes de criml, désigne avec la foule rassemblée dans son établissement et entreprend de les nettoyer sur son tablier graisseux.
— Mais on a pas trop de voyageurs, poursuit-il, donc on devrait vous trouver une chambre sous le toit sans problème. Par contre, pour ce qui est de la table...
Nouveau geste vers la salle bondée.
— Dites-moi si vous en voyez une de libre, parce que moi...
Parce que lui, le nez au niveau du comptoir, ne doit pas voir grand-chose.
Il me faut plusieurs secondes pour repérer, collée contre le mur du fond, une table esseulée. Elle n'offre un bon angle de vue ni sur la porte d'entrée, ni sur celle de la cuisine, mais se trouve au moins en dehors de l'animation.
— Allez vous installer, me presse aussitôt le nain en me tendant une clé. Je vous apporte votre repas dès qu'il est prêt.
Puis il disparaît dans la fumée qui s'échappe de la cuisine. Je m'apprête à suivre son conseil lorsqu'une exclamation jaillit dans mon dos.
— Mes amis, c'est notre jour de chance !
Volte-face. Devant moi, un type mince, un sourire jovial, des favoris clairsemés et deux yeux entièrement jaunes. Un loup. Qui a sans doute bu plus que la chope qu'il brandit en l'air.
— Une conteuse nous fait l'honneur de sa présence, lance-t-il à la cantonade, et des voyageurs viennent se joindre à nous pour fêter ça !
Un concert d'acclamations avinées accueille ses paroles, et le loup m'adresse un nouveau sourire rayonnant tandis qu'un cercle se forme autour de nous. Quelqu'un me propose une pinte. Ou alors on la lève à mon attention ?
— Vous venez d'où ? lance une voix.
— Vous allez où ?
—Faut dire que y a plus trop de voyageurs par les temps qui courent !
Je tente de m'esquiver, les clients me barrent la route.
— Vous êtes pas de la région, vous !
— C'est vrai, c'est pas courant des cheveux de cette couleur !
Ils parlent tous en même temps. Ils sourient. Ils s'attroupent. Et le bruit. Cris d'allégresse, exclamations enthousiastes.
— Vous faites quoi dans le coin ?
Le cercle se resserre, les clients se bousculent. Tapes dans le dos. Questions. Sourires. Leurs visages se brouillent. Les cris... des cris qui couvrent les clameurs joyeuses. Mes avant-bras me brûlent. Et une main se pose sur mon épaule.
— Allez, venez boire avec n...
De l'autre côté du comptoir, le feu hurle. Les clients sursautent. Hoquets de surprise, regards vers la cheminée. Lorsque le loup reporte son attention sur moi, il tressaille.
— Ôtez votre main de là, articulé-je. Maintenant. »
Autour de nous, le bruit tombe. Les pupilles du loup s'étrécissent. Je n'aurais pas dû. Son animal ne supportera pas de plier la nuque. Pas ainsi. Pas devant moi.
Mais qu'il me lâche ! Et que tous ses amis désormais silencieux disparaissent !
La porte de l'auberge bat. Mon adversaire se retourne. Je me libère aussitôt et gagne ma table en bousculant les clients.
Inspirer. Expirer. Retrouver un rythme respiratoire normal. Je ferme les yeux. Inspirer. Lorsque je les rouvre, le feu, à l'autre bout de l'auberge, a cessé de gronder, et l'elfe se dirige vers le comptoir, le sac d'offrandes à la main. Encore cette démarche étrange. Comme s'il se retenait d'aller plus vite. Tous les clients, ou presque, ont les yeux fixés sur lui. Seule une poignée d'entre eux n'a pas remarqué son arrivée et discute toujours avec une stygia plantureuse. La conteuse, sans doute.
Insensible à l'attention dont il est l'objet, Oreilles Pointues adresse quelques mots à un tavernier sidéré, puis balaye la salle du regard. Ses yeux au couleurs trop chaudes s'arrêtent une fraction de seconde sur les miens. Passent en revue le reste de la taverne. Reviennent vers moi. L'elfe se dirige vers ma table, le sac à la main, tandis que les clients s'écar...
Minute, quoi ?!
Le temps que mes yeux retrouvent des dimensions normales, une chaise a déjà raclé le plancher, et Oreilles Pointues s'est installé face à moi. Sans m'accorder un regard, bien sûr. Il balaye la salle des yeux avec indifférence. Comme ça, les traits figés, les mains posées à plat sur la table, il ressemble à une statue. À un gisant. La chandelle posée sur la table redouble d'éclat.
Des acclamations soudaines emplissent la taverne. Je sursaute et tourne la tête pour voir la conteuse se hisser sur le comptoir, sous les applaudissements d'un public à moitié saoul. Elle reste un instant immobile, à se gorger de l'impatience des clients, de leur ovation. Sa robe pâle fait ressortir le hâle de son teint.
« Vous voulez un conte ? lance-t-elle enfin.
Une immense clameur lui répond. La stygia esquisse un sourire satisfait et laisse plusieurs secondes s'écouler avant de s'asseoir sur le comptoir.
— Dans ce cas...
Sa voix s'est faite plus basse, plus grave. Des légendes affleurent derrière. En quelques secondes, tous les clients se taisent. L'attente et l'excitation se logent dans mes entrailles. Mais je ne vais rien entendre d'ici ! Elle est trop loin ! En me rapprochant, je...
La chandelle siffle sur la table. Je me rassois les dents serrées.
Les stygias et leurs foutus pouvoirs !
— Que diriez-vous de voyager loin, très loin, au-delà des frontières de pierre et de temps ? poursuit la conteuse. Que diriez-vous de tout abandonner derrière vous pour aller à la rencontre des époques et des batailles ? Que diriez-vous d'oublier ce que vous pensez savoir, afin de découvrir comme pour la première fois les plus beaux paysages, les plus grands esprits ? Venez, partez avec moi côtoyer l'impétueux Hengael, son courage... et les Dragons desquels il sauva les contrées de l'Est. »
Plus un bruit, dans la taverne. Même le nain a sorti la tête de sa cuisine pour fixer la conteuse d'un air fasciné. La voix de la stygia, suave, aux intonations tantôt pressantes, tantôt indolentes, plane au-dessus des têtes penchées. Des images se dessinent dans la fumée des chandelles à mesure qu'elle parle. Des images de batailles, de lances et de silhouettes écaillées.
Les Dragons... Tant de récits à circuler sur eux, et si peu de personne à en avoir déjà vus. Encore un objet de superstitions. Pourtant... enfin ce sont des Dragons ! Plus grands que le plus grand des bâtiments, plus hauts que les Tours aux Effluves, plus meurtriers que les pires prédateurs de la Cuve Abyssale ! Cela dit, la plupart des descriptions concerne les Dragons Ascendants, dans les Hauts Plateaux des Terres de Fumées. Les plus nombreux et sans doute les moins dangereux. Les Dragons Brisures de Fadren tiennent maintenant plus de la légende que du redoutable prédateur. À l'instar des elfes, en fait. Quant aux Dragons Fournaises, dans les Hauts Fourneaux...
La seule image que j'en aie jamais pu trouver se résume à une peinture trolle. Un point sombre sur un ciel gris. Et une traînée incandescente, une étoile filante en plein jour. Superbe. Mortel, mais superbe. Et inaccessible.
Parce que les Hauts Fourneaux se trouvent à Breniam.
Des applaudissements et des cris exaltés s'élèvent dans la taverne. Les clients, debout, acclament la conteuse. Tout sourire, celle-ci s'incline plusieurs fois, sans répondre aux nombreuses réclamations quant à un second récit. Ses yeux dorés balayent la salle, et s'arrêtent une fraction de seconde sur les seules personnes encore éloignées du comptoir, à savoir l'elfe et moi. Est-ce la lumière du feu ou... non, une ombre a bien passé sur son visage.
« Une autre histoire ! lance quelqu'un dans la foule avec un mouvement enthousiaste, arrosant ses voisins de bière au passage.
— Ne les faites pas languir ! renchérit l'aubergiste nain qui vient de sortir de sa cuisine, un plateau dans les mains. Vous avez forcément d'autres récits en réserve !
— Autant que vous avez de fûts de bière dans votre cave, réplique la stygia avec un sourire. Vous les dispensez pour autant à tort et à travers ?
La foule se divise entre partisans des rires ou des sifflets.
— Je suis au service de mes clients, contre le nain avec un air de défi.
Acclamations. Le bruit tombe lorsque la conteuse lève une main, un air indulgent appliqué sur le visage.
— Soit.
Le tavernier, sans chercher à masquer sa satisfaction devant l'ovation de ses clients, s'approche de notre table pour poser son plateau devant moi. Il assure l'elfe qu'il revient vite avec sa commande et disparaît de nouveau dans sa cuisine tandis que la conteuse reprend la parole. Une onde de calme attentif se répand sur la taverne. Une invitation au laisser aller. Au lâcher prise.
La chandelle crachote.
— Je vais vous demander un effort, à tous, murmure la stygia d'une voix profonde, soyeuse. Rappelez à votre esprit l'image des Temples de Lumière, immenses et majestueux, dont les toits scintillants cachent un royaume de verdure. Sous les rayons du soleil, ils flamboyent de mille couleurs, ils éblouissent, ils guident. Leurs façades ne renferment nul trésor que la foi et la bienveillance, et du haut des pierres sacrées, les visages gravés de nos créatrices veillent sur nous.
Je m'étouffe dans ma bière.
— À présent, imaginez le temps où ces êtres merveilleux foulaient encore le sol du Continent. Le temps où nos ancêtres suppliaient de vive voix les Fées, nos mères à tous, de leur venir en aide...
Un silence religieux plane sur l'auberge. Tous les regards sont fixés sur la stygia, tous les esprits tournés vers ces utopiques Jours de Lumière.
Je serre les dents.
Allez-y. Réfugiez-vous dans les croyances aveugles. Fermez les yeux en rêvant à un monde meilleur au lieu de chercher à sauver celui qui meurt sous vos pieds !
— ...se sont retirées dans un autre voile de monde, le céleste Cerman Silvius, après avoir créé la vie, laissant derrière elles une porte, dissimulée et, jusqu'à ce jour, introuvable.
— Vous ne croyez pas aux Fées.
Le légume en équilibre sur ma fourchette tombe dans mon assiette, aspergeant la table de sirop d'érable. Je relève la tête. Melion de Fadren me fixe, immobile.
Que lui prend-il, de vouloir me parler ?
— On en apprend, des choses, avec vous.
Oreilles Pointues ne cille pas. Il se contente de me dévisager, les traits exempts de toute curiosité. Puis :
— Pourquoi ?
Je fronce les sourcils.
Que cherche-t-il ? Deux jours qu'il ne m'adresse ni mots, ni regards, et le voilà soudain qui s'interroge sur mes convictions religieuses ?
— Cela vous regarde ? lâché-je en plantant ma fourchette dans un nouveau légume.
L'elfe ne répond rien. Les mains posées à plat sur la table, le visage impassible, il me fixe encore un instant, puis détourne le regard. Indifférent. La chandelle siffle.
Nouveaux applaudissements. Rayonnante, la conteuse salue son public, debout sur le comptoir. Ses cheveux roux luisent à la lueur du feu, son regard doré rencontre le mien avant de se poser sur l'elfe. Elle, parvient-elle à le lire ?
— Voilà, messire.
Je sursaute et tourne la tête, main sur ma dague. Le tavernier me jette un coup d'œil surpris en déposant devant Oreilles Pointues une assiette et une cruche. D'eau, bien sûr. Il s'éloigne avec un « bon appétit » prudent.
L'elfe aligne ses couverts avec le bord de son assiette puis se sert un verre. Sans relever la tête vers moi, bien sûr.
Par Tharsio Silvia, c'en est rageant ! Il est là, en face de moi, et je n'ai toujours aucune idée quant à la manière de lui extorquer des informations ! Comment savoir ce qu'il cache et le pourquoi de sa présence s'il ne trahit jamais rien, s'il ne décroche pas un mot ? Comment le faire parl...
En parlant. Quelle idiote !
— Je ne crois pas aux Fées parce que cela ne servirait à rien.
L'elfe mâche, avale, relève la tête. Ses yeux aux couleurs de feuilles mortes se plantent dans les miens. Pas de réponse.
Bon.
— Les massacres se multiplient, poursuis-je, les groupes de pillards écument le Continent, et les gens entassent toujours plus de plantes auprès des autels. Y a-t-il un changement pour autant ? Vous l'ignorez sans doute, mais je peux vous le dire : non. Et pour une simple raison, à savoir que les Fées ne sont rien de plus que de jolis visages apposés sur des valeurs sinon trop abstraites. Elles offrent de belles histoires, une pointe d'espoir...
J'esquisse un rictus.
— ...une gamme infinie de jurons, mais rien de plus. Et quand bien même elles existeraient, elle ne mériteraient pas le culte qu'on leur voue. Qu'ont-elles fait, jusque-là, pour le Continent ? Rien. Alors les mystifications et autres utopies lumineuses, très peu pour moi.
Rien n'a bougé sur le visage de l'elfe. Mais ses yeux ne me lâchent pas. Comme s'il cherchait à extraire par leur biais les réponses à ses questions. Comme un fruit pressé dont on recueille le jus.
Mes épaules se raidissent.
— Vous préféreriez n'être qu'un pion entre leurs mains ? demande-t-il enfin. Qu'elles agissent comme elles l'entendent et manipulent les peuples pour ce qu'elles croient être juste ?
Je croise les mains devant mon visage, sourcils froncés.
On s'égare, là.
— Non. Si elles existaient, je préférerais qu'elles tiennent leurs promesses. Les textes anciens parlent de Lumière, de paix, de bienveillance. Si vous regardiez un tant soit peu autour de vous, vous verriez le sang, la souffrance, la mort.
— L'Ombre.
Son accent rocailleux s'est teinté d'une nuance plus grave. Je ne peux retenir un ricanement.
— Bien sûr, l'Ombre, répété-je. Une plaie dans le flanc du Continent. Quelle tragédie.
L'ironie glisse sur le visage de l'elfe sans en érafler l'impassibilité.
— Votre peuple y croit, pourtant.
Les flammes de la chandelle s'étouffent, mes doigts se crispent sur ma dague.
Quel peuple ?! Les humains ?! La bonne blague ! Existe-t-il une chose à laquelle ils ne croient pas ?
— Pourquoi l'avis d'une majorité devrait-elle m'empêcher de me faire ma propre opinion ? rétorqué-je en portant ma chope à mes lèvres pour effacer le goût amer qui emplit ma bouche.
Mais je ne bois pas. Je ne bois pas parce que l'elfe me dévisage comme si j'avais blasphémé. Durant une fraction de seconde, quelque chose remue sous ses traits figés, un mélange de stupeur, d'inquiétude, de... détresse ?
Je fronce les sourcils.
— Puis-je m'asseoir ?
Je tourne la tête pour me retrouver nez à nez avec un sourire engageant, un nez fin et deux yeux ocres. Sans attendre de réponse, la conteuse tire une chaise, s'y installe puis croise les bras sans se départir de son sourire. Son mouvement dévoile un bracelet à son poignet. Une perle de nacre passée sur un ruban noir.
— Alors ? lance-t-elle. Qu'avez-vous pensé des récits ?
— En quoi cela vous intéresse ? lâché-je d'un ton sec en vidant ma chope d'une traite.
La conteuse ne daigne même pas se troubler.
— Voyez-vous, répond-elle, lorsqu'on a fait de son art un métier, mieux vaut s'enquérir de l'effet qu'il produit sur les autres. D'autant plus quand de ces autres dépend votre pain quotidien.
Nouveau sourire, regard en biais à l'elfe.
—Alors, qu'en avez-vous pensé ?
— Nous n'avons pas écouté, repliqué-je.
Cette fois, l'ocre de ses yeux vire au vert.
— Ah ? dit-elle d'un ton vexé. Vous... n'appréciez pas les contes ?
Rarement quand on manipule mes émotions pour me faire écouter.
— Je n'apprécie pas les mensonges en général, aussi enjolivés soient-ils.
La conteuse ouvre la bouche, l'air offensé, puis la referme, comme si elle venait soudain de penser à quelque chose. Un énième sourire fend son visage.
— Mais ma chère, répond-elle, vous parlez des mensonges comme si la vérité existait. »
Que...
La stygia repousse sa chaise, m'adresse un gracieux signe de tête puis s'éloigne, fendant la foule d'un pas tranquille. Trois secondes. Une pour remarquer qu'un sac vient d'apparaître dans sa main. Une pour aviser la chaise vide, à côté de l'elfe au regard absent. Une pour me lever d'un bond.
Par Tharsio Silvia !
Je me lance à sa poursuite, mais les clients me jettent des regards hostiles, se placent sur mon chemin. Elle les manipule ! Cette abreshk les manipule et elle aura bientôt atteint la sortie ! Tant pis ! Au fond de l'auberge, le feu gronde, je tends la main devant moi.
—Ecartez-v...
La stygia s'effondre avec un cri de surprise. Je me fige. Puis me précipite vers elle.
Plus tard. Réfléchir plus tard, après avoir récupéré les offrandes.
Des mains secourables se tendent déjà vers la conteuse éberluée tandis que des rires éclatent dans la taverne. Bousculant les clients, je m'agenouille auprès d'elle et saisit d'une main son poignet, de l'autre le sac de toile, comme pour l'aider à se relever. Elle se raidit.
Ses traits crispés... elle a dû se faire mal en tombant, je dois l'aider et...
Chiasse de troll !
Mes doigts fourmillent, la voleuse grimace lorsque la température de mes paumes grimpe en flèche.
« Ne jouez pas avec le feu, grondé-je.
La stygia m'adresse un sourire reconnaissant, les iris émeraude de rancœur.
— Pourquoi ce sac vous intéressait-il ? chuchoté-je en la relevant sans douceur.
Notre mission devait pourtant rester secrète !
— Votre compagnon avait l'air d'y tenir, pour le garder ainsi près de lui, répond la voleuse entre ses dents. Et je vous l'ai dit. Mon pain quotidien dépend de ceux qui écoutent mes récits.
Elle se dégage, adresse à la ronde un dernier sourire éclatant en réponse aux moqueries avinées, puis se dirige vers la sortie. Le sac d'offrandes à la main, je la laisse disparaître à l'extérieur. Vu comme les clients s'engagent à sa suite pour lui proposer l'hospitalité, l'accuser de vol serait à peu près aussi utile que de souffler sur un criml pour le déraciner. Maintenant, reste à expliquer la scène qui s'est déroulée sous mes yeux, il y quelques instants. Je balaye l'auberge du regard, à la recherche de... de quoi ? D'yeux fixés sur les offrandes, de traits atypiques, d'un indice quelconque qui puisse éclaircir ce qu'il s'est passé ? Mais rien. Et pourtant... pourtant quelque chose d'anormal a eu lieu, qui a un lien avec le sac que je tiens dans ma main.
Je dois en avoir le cœur net.
— Vous avez vu ? demandé-je en rejoignant l'elfe. Cette chaise qui...
— Pourquoi a-t-elle cherché à s'emparer des présents ? me coupe-t-il.
J'esquisse un rictus et laisse tomber lesdits présents sur la table dans un tintement métallique.
— Pourquoi a-t-elle réussi, vous voulez dire ? rectifié-je. Vous sembliez y tenir comme un epcrimlas à sa feuille, alors elle s'est dit que ça devait avoir de la valeur. Non, la vraie question, c'est pourquoi une chaise...
Oreilles Pointues saisit le sac et traverse la salle en direction des escaliers tandis que les clients s'écartent sur son passage.
Par Tharsio Silvia ! Il ne pourrait pas... Abreshk !
Je me lance à sa poursuite et le rattrape alors qu'il s'engage dans l'escalier qui mène au deuxième étage. Sa cape blanche se détache sur la pénombre.
— Pourriez-vous, l'espace d'un instant, utiliser les baguettes qui vous servent d'oreilles et m'écouter ?! Une chaise s'est déplacée d'elle-même pour faire trébucher la voleuse ! Je sais ce que j'ai vu, elle était glissée sous une table avant de se retrouver sur son chemin, personne ne se tenait à côté ! Il y a quelqu'un ici qui veille sur les offrandes en plus d'être au cour...
Ma voix s'éteint.
La démarche de l'elfe s'est faite encore plus raide, presque précipitée. Et son air absent, avant que je coure après la stygia. L'esquisse de pli entre ses sourcils.
Chiasse de troll !
— C'est vous.
Il ne se retourne pas. Il continue à avancer comme s'il ne m'avait pas entendue. Mais il m'a entendue. Et son silence parle à sa place.
— C'est vous, n'est-ce pas ?
Toujours pas de réponse. Un picotement se répand dans mes doigts. Maintenant, cela suffit !
— Je vous ai posé une question, sifflé-je en le dépassant pour lui barrer le chemin.
Oreilles Pointues s'arrête sans un mot. Trop calme. Trop lisse. Disparue, la concentration qu'il avait affichée pendant le vol. L'ai-je rêvée ? Non. Si j'ai tort en l'accusant, qu'il le dise. Et pour quelle autre raison fuirait-il la conversation ?
— Comment avez-vous fait... C'est impossible. À ma connaissance, vous ne pouvez pas...
Je m'interromps. Un sourire aussi froid que bref vient de déformer les lèvres de l'elfe.
— Pourquoi semblez-vous si surprise que votre connaissance ne soit pas exhaustive ? »
Il me contourne, se dirige vers une porte, glisse une clé dans la serrure. J'ai beau me trouver à un mètre du battant, j'ai l'impression de me le prendre en pleine figure lorsqu'il le referme.
Hey,
Des voleurs sans scrupules et un compagnon illisible qui dispose visiblement de capacités jusque-là inconnues au bataillon, elle est bien lotie, Heltia, pas vrai ? Enfin, heureusement qu'elle est d'un naturel confiant, sinon elle risquerait de se méfier !
J'espère que ce chapitre vous a plu, que ceux qui ont des vacances en profitent bien et je vous dis à très vite pour un texte intercalaire. En attendant,
Une santé de licorne et un sourire de cochon d'Inde
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