Chapitre 21
Le souffle du vent, dans les feuilles. Le pépiement des oiseaux. Et le silence. Ce silence qui m'éclate les tympans, un peu plus à chaque pas que je fais. À chaque pas que fait l'elfe. Il n'a pas prononcé un mot depuis que nous avons quitté le Lac. Trois jours. Trois jours à tituber, à chanceler, à se laisser guider sans rien dire, le visage... le visage vide. Melion est loin. Loin derrière ces traits figés, cette respiration raide, ces... yeux. Il n'a pas réagi lorsque nous avons repris le passage dans la muraille de pierre. Il s'est contenté d'avancer de sa démarche mécanique, de trébucher, de continuer. Comme s'il était coupé du monde. Enfermé à l'intérieur de lui-même.
Je me tais aussi. Je le guide au milieu des arbres, mes doigts autour de son bras, en silence.
Que pourrais-je bien lui dire, de toute manière ? « Vous cherchiez la vérité, vous l'avez eue, êtes-vous satisfait ? » Et pourquoi, pauvre imbécile ? Par Tharsio Silvia, pourquoi ne m'avez-vous pas laissée poser cette question ?! Vous l'auriez obtenue, votre réponse ! Vous l'auriez obtenue, et le prix...
Le prix ! Le prix ! Le sacrifice de ce qui est le plus cher, pour recevoir quoi ?! Une demi-réponse sibylline qui ne satisfera peut-être même pas l'Union ! Sans parler des loups !
Je secoue la tête dans l'air vicié, dilate les narines pour en écarter l'odeur de terre, avale ma salive dans l'espoir de dissiper le goût amer qui rampe sur ma langue. J'ai accompli ma mission. Beren m'avait envoyée chercher un jugement, je reviens avec. Mais les arbres s'en moquent. Ils se penchent vers nous, énormes, voraces, pour hurler leurs accusations en silence. Des gardiens gonflés dans leur cuirasse qui regardent passer des estropiés sous leurs murailles. J'ai envie de les abattre un par un. Ils grincent l'échec.
"Fream de Piroê n'a pas frappé seul, mais il a tourné le dos à son peuple. La rancune et la noirceur ont armé son bras. Il effleure les voiles du doigt et écoute les ombres du passé."
La guerre aura lieu. Ces mots ne signifient rien, on peut les charger du sens que l'on veut, et les loups ne s'en priveront pas ! La parole de Karim ne pèsera pas lourd face à la haine de son peuple.
Je tourne un peu la tête pour jeter un regard au loup, qui avance la tête basse, les yeux au sol. Lui aussi s'est muré dans le silence. Mais au moins, la réponse des sirènes lui suffit, à lui. Il a soutenu Melion, dans les premiers temps, quand celui-ci ne parvenait pas à rester debout sans perdre l'équilibre. La haine qui se coulait dans ses muscles noueux, ses poings serrés, ses petits yeux meurtriers, elle a disparu. Elle le laisse anéanti. Sans consistance. Ses doigts frappent sporadiquement le cuir de son pantalon.
Un coup. Deux coups. Un coup. Deux coups.
Clac. Clac. Clac.
***
« Eh, Karim ? Rengaine les crocs, tu veux ? Tu fais peur aux chevaux.
L'air. L'air sec et pur qui s'abat sur le visage pour en épouser les formes et en gifler les reliefs. Enfin. La Forêt est derrière nous, son ombre ses ricanements s'éloignent à mesure que nous rejoignons les chevaux.
— Je te l'avais bien dit, chérie, qu'ils s'en iraient que s'ils avaient leurs raisons.
Peut-être qu'il l'avait dit, oui, mais peu importe. Tout ce qui compte, pour l'instant, c'est le vent qui souffle une odeur vive, fringante sur la campagne, et la lumière de l'après-midi. J'inspire à pleins poumons. Karim fait de même à côté de moi, il savoure la sensation de l'air libre, tournant sur lui-même, le visage offert au vent, comme pour mieux le sent...
— On nous attendait, murmure-t-il.
L'air se bloque dans ma gorge.
— Quoi ?! m'étranglé-je.
Le loup tourne la tête vers moi, hésite, baisse les yeux.
— Des humains. Une trentaine, peut-être plus. Ils nous ont encerclés.
J'ai l'impression d'entendre ricaner à mon oreille. Un très léger, un très bref picotement se répand dans mes doigts.
— Vous êtes sûr de vous ? demandé-je en tâchant de contrôler ma voix, le regard rasant la campagne.
Un paysage vallonné, plein d'ombres et de reliefs, couvert d'une herbe uniforme. Idéal pour une embuscade.
Karim rentre la tête dans les épaules.
— Je suis le meilleur pisteur, marmonne-t-il. Il y a des humains tout autour de nous, je vous l'ai dit. Et du métal. Beaucoup de métal.
Des armures. À la lisière de mon esprit, cachées, les flammes s'agitent. Je balaye encore la campagne des yeux. Déserte. Mais fourbe.
— Encerclés, hein ?
Les mots tombent comme des pierres. Karim hoche la tête, sans me regarder.
— Ils se rapprochent.
Je ferme les yeux un instant. Juste pour contenir le cri de rage qui ne demande qu'à me trouer la gorge.
Par Tharsio Silvia, cela ne s'arrêtera donc jamais ?!
— Morgane, appelé-je en rouvrant les paupières.
La petite tressaille. Elle lève les yeux vers moi.
— Reste près de Gaëtan.
Une silhouette vient de surgir d'un repli de terrain, à une vingtaine de mètres. Puis deux. Puis trois. Trente-cinq. Toutes vêtues de bleu et de gris, déployées pour nous encercler. Toutes, la main sur la garde. Mes doigts se crispent sur le manche de ma dague.
L'une des silhouettes, plus massive que toutes les autres, s'avance, jusqu'à ce que je puisse distinguer la forme de son casque, et le cheval qu'elle monte. Sa voix roule sur la campagne, effilochée par la distance.
— Nous sommes des soldats de Breniam. Rendez-nous vos armes et il ne vous sera fait aucun mal !
Des soldats de Breniam ? Comme un haut-le-cœur, un rire me monte à la bouche, qui se transformerait en hurlement s'il pouvait sortir.
J'ai envie de détruire quelque chose. Mes doigts tremblent.
— On se replie vers la Forêt, articulé-je tandis que ma main gauche irradie de douleur. Ils n'ont pas encore fermé leur cercle, il faut les en empêcher.
— Chérie...
Le cavalier de la troupe s'avance encore. Il porte une cuirasse qui luit au soleil. Je remue les épaules, ma double lame roule dans mon dos.
— Préparez-vous à courir, droit vers les arbres. Quand je...
— Chérie, écoute.
Je tourne un peu la tête vers Gaëtan sans lâcher le cavalier des yeux. C'est de lui que les ordres viennent.
— Quoi ?
— Pourquoi tu veux les fuir ?
Que...
Je pivote complètement vers le garnum, la bouche entrouverte.
Se fout-il de moi ?
— Pourquoi ? répété-je.
Il acquiesce, un sourcil en l'air. Le souffle me manque.
— Mais... cette formation ? C'est pour quoi, à ton avis ?
Mon bras balaye le cercle de silhouettes qui s'est encore resserré, de la fumée s'élève dans l'air.
— Pour nous souhaiter la bienvenue, sans doute ?!
Haussement d'épaules. Son corps ondule.
— C'est des soldats de Breniam, répond-il, ils l'ont dit.
La mâchoire m'en tombe.
Il... non, il n'est pas sérieux. Il...
— Gaëtan, ils nous ont encerclés ! explosé-je. Ils nous attendaient, ils nous ont coupé toute retraite, ils espèrent qu'on baissera la garde pour pouvoir nous sauter à la gorge !
Le Nouvel Ordre ! Cela ne peut être que lui ! Il veut ma mort depuis le début, le qavol déchiquette à nouveau ma main, et ce... ce type...
— Regarde autour de toi, par Tharsio Silvia ! Tu... tu es vraiment prêt à croire en leurs bonnes intentions parce qu'ils t'ont affirmé qu'ils en avaient ?!
Le garnum secoue la tête.
— Surtout parce qu'ils travaillent avec moi, en fait.
Qu... quoi ?
Les mots s'étranglent dans ma gorge. Le bruit s'éteint. Je fixe Gaëtan. J'attends le sourire, l'étincelle dans le regard qui trahit la plaisanterie. Rien. Le garnum se contente de me rendre mon regard, sans la moindre gêne, sans la moindre honte, un doigt posé sur son pendentif. Sérieux.
Soudain, j'ai chaud. Très chaud. Les flammes se déversent, crevant la fumée, déchaînées. Le feu hurle dans mon esprit, la brûlure dévore mes avant-bras. Une odeur brûlée s'élève du sol. L'inspiration suivante gonfle mon corps comme s'il n'allait jamais cessé de grandir. Je veux dire quelque chose. Je n'y arrive pas. J'éclate de rire. Un rire si faux qu'il m'écorche la gorge. Mes mains crépitent.
Détruire.
— J'en étais presque venue à te faire confiance, m'esclaffé-je, tu y crois ?! Bravo ! On peut dire que tu nous as bien eus !
De nouveau, Gaëtan hausse les épaules, presque modeste. Mon rire s'éteint dans ma gorge.
— Peut-on au moins savoir qui t'envoie nous tenir compagnie ? sifflé-je tandis que des étincelles parcourent ma peau.
Il soutient mon regard. Cet homme au sourire si facile, à la parole si fluide, ce traître, il soutient mon regard sans broncher, en silence. Puis, il ouvre la bouche.
— Ta mère, Heltia. La reine Antiope de Carnaïm. »
FIN DU TOME 1
Hey !
Heltia, princesse de Carnaïm. Bravo à ceux qui l'avait deviné suite à leur lecture de la première version ! Les autres, vous vous y attendiez ? Et Gaëtan qui montre son vrai visage... Le vernis craque, hein ?
Bon bah... bon bah voilà, c'est la fin. Mais que de cet acte ! Il reste encore beaucoup, beaucoup de choses avant le fin mot de cette histoire, et je vous promets que je trace comme je peux sur le tome 2 ! Je vous tiendrais informés de l'avancée de son écriture, d'accord ? De ça et de deux trois autres petites choses qui peuvent avoir leur importance :)
J'avais un autre truc à dire, mais... ah ! oui !
MERCI !
Voilà, merci d'être toujours là, merci d'avoir lu ce livre jusqu'à la fin, merci pour votre soutien, pour vos commentaires ou pour votre présence silencieuse qui passe par de petits yeux, voire de petites étoiles en plus dans les caractéristiques des chapitres, ça fait chaud à mon petit cœur :') Et ça me motive comme jamais pour écrire la suite ! J'espère que vous avez apprécié ce livre, parce que c'est vous qui l'avez fait ! Je vous naime <3
Et puis n'hésitez pas à laisser votre avis si jamais l'envie vous en prend, je suis preneuse de tout ce qui pourrait me permettre d'améliorer ce tome 1 et de gratter le meilleur tome 2 possible !
Hâte de vous retrouver dans les commentaires, et en attendant les nouvelles, je vous dit
Une santé de licorne et un sourire de cochon d'Inde
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro