Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chapitre 17

Les feuilles bruissent. Des cris d'oiseaux jaillissent de la voûte de feuillage. Pourtant, un silence de mort plane au-dessus du groupe. Je fixe Melion. Je fixe l'elfe qui a voyagé avec moi depuis Cytari. Je fixe ce menteur.

Le meurtrier, celui dont les actes menacent la paix du Continent tout entier, est le prince héritier du trône elfique. Et le frère de Melion.

« Dites-moi que...

— Non.

Il tourne la tête vers moi, les traits encore plus fermés qu'à l'ordinaire.

— Non, il ne s'agit pas d'une plaisanterie.

La voix calme, lisse.

Oui, je vous mens depuis le début. Depuis le jour où vous êtes entrée dans ce bureau, à Cytari.

Et Beren ? Il le savait, bien sûr. Il a son siège au Conseil de l'Union, il le savait forcément. Alors pourquoi ne m'a-t-il rien dit ? Pas à la simple demande de l'elfe, il n'a jamais acquiescé aux requêtes des aristocrates sans avoir ses raisons. Il voulait me ménager ? A-t-il craint que... Non ! C'est l'elfe ! C'est l'elfe qui lui a demandé de se taire ! C'est l'elfe qui l'a poussé à me mentir comme lui-même m'a menti ! Cet elfe ! Ce prince !

Je le revois, sur le pas de la porte, dans l'auberge à Prek, après avoir soigné ma main. Je voulais savoir ce qu'il cherchait. J'entends son silence, j'entends sa réponse.

Un ricanement m'échappe.

— La vérité, hein ? Elle est belle, votre vérité.

Les mâchoires de l'elfe se crispent. Ah, non. Juste le jeu d'ombre du feuillage.

— Je ne vous ai pas menti.

Un temps. J'éclate de rire.

— Non ! m'esclaffé-je. C'est vrai, vous ne m'avez pas menti ! Vous avez été honnête ! Vous m'avez informée que l'elfe responsable de tout ce bourbier était fils de roi ! Vous m'avez précisé qu'il s'agissait de votre frère ! Vous m'avez dit que vous étiez un prince !

Mais réagis, par Tharsio Silvia ! Ne reste pas immobile et muet, rigide comme un bloc de glace ! Défends-toi, explique-toi, excuse-toi, peu importe, mais aies l'air d'en avoir quelque chose à foutre !

— Cela n'aurait servi de rien.

Mon rire se coince dans ma gorge.

Toujours cette certitude ! Au fond j'aurais dû me douter qu'il avait du sang bleu dans les veines. À sa hauteur, à son désintérêt. Il se tient si raide, il portait forcément une couronne sur la tête. Une foutue couronne !

J'ai la nausée. Et l'impression que ma tête est trop petite pour les images qui s'y pressent.

— Vous avez raison, dis-je, de rien. Il ne s'agit que de menus détails après tout. Veuillez pardonner mon impertinence, Votre Altesse.

Et sans attendre son absence de réaction, je me tourne vers le loup.

— Il vous reste deux options : ou bien vous continuez à nous filer pour surprendre la fourberie des elfes, ou bien vous vous joignez à nous. À vous de choisir, mais faites-le vite.

Le loup - Karim ? - me jette regard rapide avant de baisser de nouveau les yeux.

— Je viens avec vous.

Sa voix est un murmure.

— Très bien. Dans ce cas, vous devenez garant de l'impartialité de cette mission, et vous avez interdiction d'essayer de tuer qui que ce soit, quel que soit le jugement rendu. Bienvenue dans notre troupe solidaire où règnent bonne entente et confiance. Maintenant en route. »

Et je me détourne pour rejoindre le sentier.

Fils de roi. Fils de roi ! Espèce d'abreshk ! Pourquoi fallait-il qu'il se taise ?! Lui, Beren, pourquoi ne m'ont-ils rien dit ?! Que craignait le vampire ? Et l'elfe ? Il aurait dû m'en parler ! Par Tharsio Silvia, j'avais le droit de savoir, je...

Des eaux sombres, polies se dessinent dans mon esprit.

Mes entrailles se tordent. Je secoue la tête, les dents serrées. Cela n'a rien à voir ! Moi, c'est indépendant de ma volonté !

Aussi, pourquoi fallait-il qu'il ait une couronne sur la tête ? Une sale couronne, une foutue couronne qui plante ses pointes dans la chair et arrache les yeux pour chaque regard lancé à ses joyaux ! Une immondice ! Posée sur son coussin de velours, à agripper l'attention et les pensées comme une affamée !

Chiasse de troll !

La douleur pulse dans ma main. Mes doigts tremblent.

« Il... vous savez, il faut pas être en colère.

Je sursaute, une onde de souffrance remonte dans mon bras, la fillette esquisse un mouvement de recul.

— Pardon, je voulais pas...bégaye-t-elle.

Je lâche aussitôt le manche de ma dague.

— Tu n'as pas à t'excuser. Je suis... Tu n'y es pour rien.

Pourquoi la peur dans sa voix me fait-elle aussi mal ?

La fillette hoche la tête, ses grands yeux fixés sur moi, comme si elle se tenait prête à s'écarter au moindre signe de danger. Ma gorge se serre.

— Tu... voulais me dire quelque chose ?

La petite hésite un instant avant de hocher de nouveau la tête. La pénombre des arbres souligne au noir les angles de son visage.

— C'est pas bon, la colère, dit-elle d'une voix étouffée. Parce qu'ici, il y a plein d'arbre-s partout, et que si vous êtes en colère, ils vont tous brûler.

Elle me jette un rapide regard. Et j'inspire profondément, à la fois pour sentir l'air emplir ma poitrine et pour dégager la pointe qui s'est plantée dans mon cœur.

Elle ne me craint pas. En tout cas, pas au point de me fuir comme un Dragon.

— Ne t'inquiète pas, murmuré-je, je maîtr...

Le visage horrifié de la pillarde. Les flammes qui explosent autour de moi. La douleur de mes avant-bras.

Mes épaules se raidissent.

— Je... ne te ferais pas de mal.

La petite me lance un nouveau regard, puis baisse les yeux. Ses cheveux bruns forment une masse épaisse autour de son visage. Elle tient ses bras serrés contre sa poitrine. Des bras maigres et longs, comme le reste de sa silhouette. Une brindille.

— Je peux te poser une question ? demandé-je.

Elle lève les yeux, puis hoche la tête.

— Pourquoi prononces-tu "arbresse" ?

La petite fronce les sourcils.

— Parce qu'il y en a beaucoup.

Ah.

— Et... alors ?

Une seconde d'hésitation, un nez retroussé qui se fronce, puis :

— Une fois, un monsieur est venu dans mon village. Il parlait beaucoup, il m'a dit que quand il y avait plusieurs chose-s, on mettait un s.

Elle hésite et lève les yeux vers moi.

— C'est pas vrai ?

Elle a l'air si anxieux, si inquiet soudain. Pour une simple histoire de prononciation. Mes épaules pèsent lourd, soudain.

— Si, si, c'est vrai, assuré-je. Simplement... ce monsieur, t'a-t-il dit de prononcer les s ?

— Non, répond-elle en secouant la tête. Mais je voulais pas oublier.

Elle me regarde, esquisse un timide sourire puis baisse de nouveau la tête. Moi aussi, je la regarde. Je cherche la source de cette force qui permet à cette petite fille sèche et anguleuse, aux tempes veinées de bleu, de tenir debout alors que tout ce qui faisait son monde s'est effondré.

— Comment t'appelles-tu ?

Elle hésite un instant avant de répondre :

— Morgane.

Morgane. Peu commun.

— Et vous ?

Elle me dévisage avec attention, ses grands yeux emplis d'un mélange de crainte et de curiosité. Le poids qui pèse sur ma poitrine s'allège un peu.

— Heltia.

La petite fronce les sourcils et plisse le nez.

— C'est joli, décrète-t-elle. C'est votre grand-mère qui s'appelait comme ça ?

Ma grand...

— Qu'est-ce qui te fait croire cela ? interrogé-je d'un ton brusque.

Morgane tressaille, me jette un regard anxieux, un autre aux arbres.

— Rien, s'empresse-t-elle de répondre. Je suis désolée, je voulais pas dire quelque chose de mal. C'est juste... ma grand-mère à moi elle s'appelait Morgane aussi, alors je croyais... pardon.

Elle serre de nouveau ses bras contre sa poitrine, et je sens la mienne se serrer.

Pauvre idiote !

— Ta grand-mère... Ce devait être quelqu'un de bien pour qu'on te donne son nom.

La petite acquiesce sans me regarder. Ses petites épaules sont voûtées.

Vraiment, une sombre idiote ! Bien sûr qu'elle ne pensait pas à mal ! Quel mal y a-t-il à penser, de toute manière ?

— Heltia vient de proheltivp, lâché-je. Un mot en langue ancienne.

Cette fois, Morgane redresse la tête.

— Proheltivp ? répète-t-elle. Ça veut dire quoi ?

Mon regard se perd dans la voûte de feuillage.

— "Horizon". »

J'ai l'impression d'entendre les arbres ricaner.


Nous marchons ainsi, dans le silence et les commentaires de Gaëtan. Les arbres se resserrent en même temps que ma cage thoracique. Le craquement des feuilles et des branches sous mes bottes se répercute dans mes oreilles comme le claquement de pas sur des dalles de marbre.

Crac. Crac. Clac.

Beren, assis derrière son bureau, les mains nouées sur le bois sombre. Beren qui se tait. Beren qui baisse les yeux sur mon poignet gauche, là où devrait se trouver le jyrkhem des Neighians. Le vide, au creux de ma poitrine.

Crac. Crac.

Le village aux maisons incendiées. L'appel des flammes. Les cicatrices, sur mes avant-bras.

Crac. Clac.

Melion, sa cape sur les épaules, et sa couronne sur la tête. Mes poings qui se crispent. La douleur.

Une vaste étendue d'eau noire. Et les pas. Les pas sur les dalles de marbre.

Clac. Clac. Clac.

***

La nuit est tombée depuis longtemps. La torche que Gaëtan a allumée découpe les arbres sur l'obscurité. Au bout d'une heure à avancer ainsi, à trébucher sur des racines invisibles, nous tombons enfin sur un petit ruisseau près duquel nous établissons le campement. Le loup, Karim, hésite un bref instant avant de s'asseoir en retrait, les yeux fixés sur Melion, les doigts tapotant la terre à côté de lui. Morgane regarde autour d'elle, les bras serrés contre sa poitrine. Il n'y a que le garnum pour ne pas tenir compte de l'atmosphère lourde qui plane au-dessus de nous et déblatérer sur la température, sur le bruit caractéristique des feuilles, sur la nourriture...

« D'ailleurs, t'es peut-être au courant, mais on a pas de viande dans la bouffe de voyage.

Le loup sursaute et lève les yeux sur Gaëtan. Celui-ci lui adresse un sourire.

— Un pain aux algues ?

Les yeux bleus de Karim pivotent de nouveau vers Melion, puis vers le garnum, avant de venir se poser sur moi.

— Je... n'ai pas faim, déclare-t-il, mais à peine a-t-il fini sa phrase qu'il lève le bras pour attraper quelque chose au vol.

Le pain aux algues.

— Au cas où, lâche Gaëtan. »

Je prends le premier tour de garde. Tandis que les autres s'installent pour dormir, Morgane enroulée dans ma couverture, le loup toujours à l'écart, je m'assieds dos au feu, qui m'ignore. Il projette mon ombre agrandie sur les troncs noirs, mais il ignore mes appels, alors que le sien résonne dans mon esprit. Puissant. Libre. Si libre...

Je ferme les yeux. Et je les rouvre aussitôt pour chasser de mon esprit les images de maisons en flammes.

Que se passe-t-il ? Pourquoi rien ne se déroule-t-il comme prévu dans cette mission ?!

D'abord les pillards qui connaissaient notre itinéraire, puis le Nouvel Ordre, le poison, Morgane, cette foutue couronne en équilibre sur la tête de l'elfe, le silence de Beren !

Beren. Pourquoi ne m'a-t-il pas dit au moins que l'elfe responsable de tout ce bourbier était fils de roi ?! Cela aurait expliqué la réserve de l'Union dans cette affaire, et la dimension prise par celle-ci ! Mais non ! Le vampire a choisi de se taire ! Pourquoi ?! Pour complaire à un énième prince ?! Pour ménager un égo royal mal cicatrisé ?! Comme si Melion en avait quoi que ce soit à foutre, de toute façon ! La roche gelée n'a pas d'égo. Alors quoi ? Pourquoi Beren a-t-il gardé pour lui cette information ? Parce que... parce que l'elfe n'était pas le nœud du problème ? Parce que c'était à ma réaction que mon chef craignait de se fier...

Le grondement des flammes qui explosent autour de moi. Mon sourire.

Je redresse les épaules. Et j'ai l'impression que la peau cloquée qui recouvre mon poignet me démange.

Peut-être avait-il raison, au fond.

Un gémissement, derrière moi. Je sursaute et pivote, dague à la main.

Que...

Mes yeux s'arrêtent sur la petite forme étendue de Morgane. Elle sanglote en tordant sa couverture contre sa poitrine. Encore. Ma gorge se serre, je cherche Gaëtan du regard. Il dort, allongé sur le côté, une main sous la tête. Je suis à côté de lui en trois pas.

« Gaëtan, appelé-je.

Il grogne dans son sommeil.

— Gaëtan ! insisté-je en lui frappant l'épaule.

Cette fois, il ouvre les yeux et se redresse avec des gestes désordonnés.

— Hein quoi... qui ?

Je jette un regard à Morgane, qui se crispe sous sa couverture. Un nouveau sanglot lui échappe.

— Ah, lâche le garnum.

Il baille, repousse sa couverture, se lève, passe une main dans ses cheveux puis m'adresse un signe de tête.

— Je m'en occupe.

Et il va s'asseoir près de la fillette. Avec des gestes doux, précautionneux, il passe un bras dans son dos, l'autre sous ses genoux pour la soulever contre lui. Il la berce, il chantonne un air tout bas, et peu à peu, les sanglots de la fillette se calment. Gaëtan relève les yeux sur moi. Je n'ai pas bougé.

— Tu sais, elle me rappelle ma petite sœur. En plus cassée, remarque.

Il hoche la tête pour lui-même, un léger sourire effleure ses lèvres.

— C'est fou ce que c'est solide, ces petites choses-là.

Un sourcil se hausse à mon attention.

— Pas vrai ?

Je regarde la fillette brune qui dort, blottie dans les bras du garnum, ses petits poings serrés sur sa tunique.

— Bonne nuit, Gaëtan. »

Et je retourne m'asseoir, dos au feu, une pierre sur la poitrine.

Cette nuit-là, au milieu des restes du village, j'aurais pu tous les tuer. Aussi solide que soit Morgane, elle ne résiste pas aux flammes.


Les minutes passent, les heures peut-être. Gaëtan s'est rendormi, et je fixe l'ombre des arbres avec leur souffle régulier, à tous, dans les oreilles. Le feu meurt peu à peu. Comme si la Forêt les étouffait, lui et sa lumière, pour pouvoir respirer librement.

Quelque chose craque dans mon dos. Sursaut, pivot, dague à la main. Douleur.

Sans m'accorder un regard, Melion vient s'asseoir à mes côtés, le visage lisse, les yeux fixés sur l'obscurité. Il se tait. Comme il s'est tu durant tout le voyage. Je serre les dents et détourne le regard.

Le silence. Il ne connaît que cela ! Un bloc de glace ! Un bloc de glace couronné, frère de meurtrier, qui n'a même pas eu le courage de m'en parler ! Je l'aurais soupçonné, et après ? Pas plus que maintenant ! Parce que Karim a raison. Que vient-il chercher, ce prince menteur, sinon le salut de son peuple ? Qu'attend-il du jugement des sirènes ?

« Vous lui ressemblez beaucoup.

Je tourne la tête.

Que...

— Il avait la même irrévérence, le même regard de défi. Lui non plus ne supportait pas que les choses soient comme elles étaient.

Un sourire caresse ses lèvres, avant de disparaître aussitôt. Il ne me regarde pas.

— Vous le savez, la société de mon peuple se fonde sur le bien commun. Le pouvoir appartient à tous, la figure royale n'en est que le réceptacle. Toute personne d'ascendance princière se doit d'oublier ses opinions pour permettre à celle du peuple de s'exprimer à travers elle. Mais Fream n'y parvenait pas. Il considérait qu'agir comme un représentant du peuple relevait du sacrifice et non du devoir. Il critiquait le système sans égard pour l'avis du peuple et exprimait haut et fort ses convictions. Il disait qu'il se refusait à abandonner son identité. Malgré tout, nous étions très proches.

Il s'interrompt, les yeux fixés sur les arbres, et je retiens mon souffle.

— Ou du moins, n'importe quel tiers l'aurait cru.

Égale, la voix, toujours, mais son accent s'est fait plus prononcé. Il ne contemple plus la Forêt, il a le regard lointain, comme s'il cherchait des images, des souvenirs.

— C'est une décision du roi qui nous a séparés. Fream était l'aîné, et en tant que tel, il devait accéder au trône. Mais il était trop individualiste, il ne pensait pas à la nation dans son ensemble. Le roi, mon père, a supposé qu'il serait incapable d'occuper le trône dans l'intérêt du peuple. Il a fait voter par le conseil la destitution de Fream comme héritier présomptif. Le peuple a approuvé la sentence. Dès lors, quelque chose a changé.

J'ai l'impression de voir son visage s'ouvrir. Ou plutôt de le voir s'éclaircir, comme une vitre dont on essuie la buée. Sous les traits toujours impassibles, il y a de la peine. Et une profonde incompréhension.

— Il ne parlait plus de la même manière, il se montrait plus réservé. Mais nos rapports restaient cordiaux. Lorsqu'il a demandé au roi de l'envoyer à Cytari comme représentant des elfes au Conseil de l'Union, il a pu compter sur mon soutien.

Une inspiration plus profonde que les autres.

— Cinq jours après avoir quitté Piroê, il a abattu tous les membres de son escorte avant de partir vers le territoire de la meute du Nord pour en assassiner le Dominant. Il a trahi son peuple.

Melion tourne la tête vers moi et plante ses yeux dans les miens.

— Vous demandiez pourquoi vous n'aviez pas connaissance de ces faits, murmure-t-il après quelques secondes. Posez-vous la question. Si la personne qui vous était la plus chère foulait au pied votre confiance, en feriez-vous étalage ?

Son regard m'agrippe, avide de réponse. Ce regard qui dépèce si bien les autres. Sauf le seul qui comptait. Fou, comme le marbre peut exprimer la souffrance, soudain.

J'ouvre la bouche.

— Je ne sais p...

C'est faux, je sais. Je sais et lui peut comprendre, aussi étrange que cela soit, parce qu'il sait aussi, il l'a vécu. Perdre ce qui était le plus cher.

Je redresse les épaules.

— Il n'y a qu'une personne qui ait revêtue une telle importance pour moi, et elle est morte il y a six ans.

Les mots sonnent dissonants à mes oreilles, comme de vieux instruments désaccordés. L'elfe ne me lâche pas des yeux.

— Elle s'appelait Hélène, c'était... c'était mon mentor, une élémentaire... et la meilleure personne que j'aie jamais connue. Quand je suis arrivée chez les Neighians, elle m'a entraînée, elle m'a appris à contrôler ma magie, elle a fait de moi une combattante.

Elle a fait tellement plus. J'entends encore sa voix, je l'entends résonner contre les murs de pierre de la salle où elle m'enseignait les armes.

"Si je pensais que tu ne pouvais pas le faire, je ne te l'aurais pas demandé. Alors relève-toi et continue."

Et ses gestes, toujours précis, toujours gracieux. La manière qu'elle avait de me sourire, le coin droit de la bouche plus relevé, les yeux rieurs. Son bras autour de mes épaules.

Ma gorge se serre.

Je croise le regard de Melion. Il me fixe avec intensité. Je sais ce qu'il va demander.

— Elle est morte lors de l'attaque d'une petite ville, dis-je, à une lieue à peine de Cytari. D'ordinaire, les pillards n'osent pas s'approcher de la capitale, alors les bourgs alentours ne sont que peu fortifiés. Lorsque les gardes sur les remparts ont remarqué la fumée qui s'élevait au-dessus de la campagne, ils ont aussitôt envoyé prévenir Beren. Celui-ci a demandé à Hélène de prendre un détachement de Neighians avec elle et d'aller voir. Nous avons suivi les ordres. Nous sommes allés voir. Mais les pillards nous attendaient.

Je prends une profonde inspiration et ferme les yeux, pour tenter d'effacer les images qui se bousculent sous mon crâne.

— Ce... ç'a été un massacre. Ils étaient beaucoup plus nombreux, ils nous avaient encerclés... Hélène m'a ordonné d'aller chercher des renforts, j'ai commencé par refuser, bien sûr, mais... elle m'a hurlé de partir. Je l'ai fait.

"Je reviendrai à temps !"

Et la douleur qui me déchire la poitrine. Curieux, comme toutes les lames s'émoussent sauf celle de la culpabilité.

— Je suis revenue avec des renforts.

Les cadavres autour de moi, les maisons en flammes. Et au bout de la rue, la fontaine.

— Trop tard.

Le monde se dérobe une nouvelle fois sous mes pieds. Une boule des larmes que je n'ai pas versées, du hurlement de rage qui n'a jamais franchi mes lèvres, m'étouffe.

Je déglutis.

— Quand... quand j'ai vu son corps, au milieu d'une mare d'eau rouge, au milieu des cadavres projetés un peu partout, quand j'ai ressenti ce vide, ce putain de vide...

Mes genoux qui heurtent le sol. Les flammes qui se déchaînent.

Je baisse les yeux sur mes mains. Ce qu'il y a sur ma peau... qu'importe, il les a déjà vues de toute manière.

Avec des gestes lents, les dents serrées sur la douleur, je remonte ma manche gauche, pour dévoiler les immondes cicatrices boursouflées qui courent comme des serpents sur mon avant-bras.

— J'ai perdu le contrôle. Le feu a explosé autour de moi, il a détruit la place, les corps, la fontaine, il a arraché ma chair. Mais il ne l'a pas ramenée.

Non. Son corps est resté là, intact, immobile. Et mon cœur a éclaté. Quelque chose du choc sourd se répercute encore dans ma poitrine aujourd'hui.

Je regarde les arbres, le sol, les feuilles. Je ne les vois pas. Juste le sang, la mort, la fontaine. Je m'entends hurler.

— "Vous vous recroquevillez derrière vos frontières en priant pour quen tous, ils crèvent à votre place".

Je tourne la tête vers Melion.

— C'est bien pour cette raison que vous détestez les elfes, n'est-ce pas ? poursuit-il. Vous pensez que si nous étions entrés en guerre, la mort de votre mentor aurait pu être évitée.

Quoi ?! Bien sûr que non, je...

Melion détourne le regard avant que j'aie pu ouvrir la bouche.

— Allez dormir, Heltia. Vous avez fini votre tour de garde.

Je lui jette un regard. La lueur du feu mourant découpe son profil sur l'obscurité de la Forêt.

— Hors de question.

Il se tourne vers moi.

— Je ne vous laisserai pas l'occasion d'être sympathique.

Une brève expression de surprise passe sur le visage de l'elfe, puis il ouvre la bouche, hésite, la referme. Enfin :

— Allez vous faire foutre.

J'en reste sur les fesses.

Par Tharsio Silvia, se décoincerait-il un peu ?!

— Surveillez votre langage, par Thrasio Silvia ! Que diraient les vôtres ?

Melion ôte d'une main une feuille égarée sur son pantalon.

— Vous parlez trop vite. Certains elfes jurent comme des casseurs de pierre.

— Vraiment ? m'étonné-je. Et qui sont-ils, ces rebelles ?

Temps.

— Des casseurs de pierre.

Ah.

Je le dévisage un instant.

— S'agissait-il d'une tentative d'humour ?

— Non. De faits.

— Je me disais aussi.

Et le silence retombe. L'elfe fixe les arbres, la lueur des braises derrière lui jette des éclats rouges dans ses cheveux. Sa frange en paraît noire.

— Si je vous demandais d'où viennent les cicatrices, sur votre front, vous me répondriez ?

Il ne tourne pas la tête.

— Non.

Bon. Je reporte mon regard sur les arbres, moi aussi. Les minutes passent, l'elfe ne fait pas mine de bouger. Après tout, qu'il prenne la garde si cela lui chante. Je me lève, secouant ma cape pour en faire tomber les feuilles.

— Heltia.

Je baisse les yeux. Melion me fixe. Une seconde, il semble vouloir dire quelque chose, puis finit par hocher la tête.

Un léger sourire étire mes lèvres.

— À vous aussi, Melion, lâché-je en me détournant. »

Hey,

Comme quoi, il est capable d'éprouver autre chose qu'une attention fixe et dérangeante, notre cher Melion. Heureuse nouvelle ! Et il semblerait que l'intégration d'Heltia au sein des Neighians ait été marquée par quelques événements sombres. Au moins, entre l'elfe et elle, c'est en voie d'amélioration. Pas sûr que ça compense, mais c'est déjà mieux que rien.

Je suis navrée pour ce retard de publication, petits soucis techniques. J'espère que ce chapitre vous a plu, que vous allez bien, et je vous dis à la semaine prochaine pour la suite !

Une santé de licorne et un sourire de cochon d'Inde

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro