Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Chapitre 13

 « Et il a été arrêté ! Pourtant, il avait une tête tout ce qu'il y a de plus innocent, malgré la dizaine de poignards dissimulée dans sa cape... Faut dire qu'il avait une très grande cape. Les gens sautent toujours aux conclusions !

Je lève les yeux de mon assiette.

Depuis combien de temps ce garnum parle-t-il ainsi, sans reprendre son souffle ? À croire qu'il n'a pas besoin de respirer. Ni d'être écouté, d'ailleurs. Assis en face de moi, les mains sans cesse en mouvement, les coins de la bouche relevés en un sourire... inqualifiable, il ne se préoccupe pas le moins du monde de l'indifférence dans laquelle il déblatère. Sa voix fluide résonne dans l'immense salle à manger et couvre le ronflement du feu comme le tintement des couverts.

— Mais bon, on est quand même plus à l'abri avec ces contrôles. Plus facile d'esquiver une fourchette qu'une rapière, non ? Quoique...

Je reporte mon attention sur mon repas. Un repas à peine entamé, sans viande, par égard pour le garnum. Ma main gauche repose sur la nappe, inerte, lancinante. Pitoyable.

Le feu gronde dans la cheminée.

Je ne peux même pas saisir mon couteau.

— Et en plus, ça nous fait patienter des heures à l'entrée de chaque ville. Enfin, ça permet de rencontrer des gens intéressants. Z'avez déjà pensé à cacher une lame dans votre chignon, vous ? »

Le Primazp non plus ne mange pas. Un poing massif refermé sur le manche de sa fourchette, il contemple le vide, assis au haut bout de la table. À peine a-t-il paru surpris lorsque j'ai demandé qu'on m'amène du sirop d'érable.

« Les endi'es 'iennent de Breniagne. »

Et c'est tout, marmonné d'un air absent, mécanique tandis que le feu s'agitait, que je renversais d'un coup la bouteille sur mes légumes et que Gaëtan lançait une remarque à propos de... gneffiers ? gnessiers ? Ce même Gaëtan dont les doigts virevoltent partout, sauf au-dessus de l'assiette. Légers.

— Dingue de se dire qu'on manque sans arrête d'équipement de qualité alors qu'en général, l'équipement en question n'a pas le temps de s'user !

Ses mains volent, elles caressent l'air, elles se courbent et dansent comme des herbes folles, si souples...

Une sensation désagréable oppresse ma poitrine, malgré le ronronnement du feu, malgré le bavardage incessant de Gaëtan qui repousse le poids du silence. La douleur de ma main se fait plus vive.

Le Primazp... il jette de fréquents regards aux bandages blancs... non ? Et Melion, les couverts alignés avec les bords de l'assiette, les mains posées à plats sur la table ? Ses yeux, en balayant la salle, s'attardent dessus.

Ils la regardent...

— Enfin rien de tel qu'un bon repas pour engager la conversation et...

Ils la regardent tous !

— Nous quitterons la ville dès que les portes s'ouvriront, demain, lancé-je au Primazp en repoussant ma chaise. Si nous pouvons laisser nos chevaux ici, nous irons demander asile à la base neighiane de Tonoka.

Le troll cligne des yeux, l'air de sortir d'une profonde réflexion, puis se tourne vers moi.

— 'ous pou'ez dorgnir ici, si 'ous le souhaitez, articule-t-il d'une voix lente. Cela facilitera 'otre départ.

Les tapisseries, les tableaux, les fauteuils ouvragés, les couverts précieux, les plats d'argent.

Dans la cheminée, le feu s'épanche un bref instant.

— Et ça justifiera aussi les chambres et les provisions préparées pour vous, ajoute Gaëtan d'un ton léger.

Mon refus meurt sur mes lèvres.

Plus tôt nous partirons, mieux cela vaudra. Alors si tout est déjà préparé...

Je redresse les épaules.

— Soit.

Les lèvres du garnum s'étirent en un sourire ravi - moqueur ? -, mais avant qu'il ait pu ouvrir la bouche, le Primazp repousse sa chaise et déclare :

— Parfait. Si cela 'ous con'ient, je 'ais degnander que l'on 'ous gnontre 'os quartiers et que l'on y gnonte 'os affaires. »

Un regard en direction de Melion, qui hoche la tête avec raideur, et une demi-douzaine de serviteurs surgissent pour débarrasser les plats, ôter les assiettes... D'un geste respectueux, l'un d'eux nous invite à le suivre.

La demeure du Primazp est un labyrinthe. Les couloirs, tous ornés de tableaux, tous tapissés de pourpre, tous éclairés par la lueur mouvante des torches, s'enchaînent sans que le troll qui nous guide ne me laisse le temps de me repérer. Lorsqu'il s'arrête devant une porte puis pivote vers Melion avec un « 'otre suite, gnonseigneur » pataud, impossible de dire si nous sommes à l'opposé ou juste au-dessus de la porte d'entrée. Et à peine l'elfe a-t-il pénétré dans sa "suite" que voilà le serviteur reparti, que les couloirs s'enchaînent, les tapis, les tableaux, un panneau de bois qui donne sur mes "appartements". Le serviteur s'incline, me souhaite une bonne nuit, puis s'éloigne. À peine s'est-il fondu dans les ombres du couloir pour me tourner vers Gaëtan.

— Tu attends quelque chose ?

Les lèvres du garnum s'étirent de manière presque imperceptible.

— Pourquoi pas le poing dans la figure que tu m'as promis ?

Et, avant que j'aie pu déterminer s'il était sérieux, il exécute une souple révérence. Un étrange pendentif rebondit sur sa poitrine lorsqu'il se redresse. Une bille de verre emplie de sable, passée sur un cordon. Le portait-il déjà durant le repas ?

— Dors bien, chérie.

Les torches grésillent.

— Par Tharsio Silvia, je t'ai dit de... »

Il a déjà tourné les talons. Les doigts parcourus de picotements, je le regarde s'éloigner, tandis que des ombres frénétiques inondent le couloir.

Mes appartements se composent d'un petit salon, d'une vaste chambre et d'une salle d'eau, le tout meublé dans les tons crème, en harmonie avec la couleur claire du parquet. De nombreuses chandelles éclairent l'espace. Sur le lit aux draps immaculés, on a déposé ma sacoche, ma cape et ma double lame. Il flotte dans l'air une odeur d'huile, de linge propre, de cire. Une odeur soignée.

J'ouvre en grand les fenêtres du salon et de la chambre, qui donnent sur un jardin plongé dans l'obscurité. Le parfum de Tonoka, léger et frais, emplit l'espace, fait valser la lueur des chandelles. Je saisis ma sacoche et me dirige vers la salle d'eau.

La boule de feu qui quitte mes doigts éclaire un dallage immaculé, une patère rutilante et un bac métallique rempli d'eau. Au milieu de cette atmosphère humide, propre, la crasse qui couvre mes vêtements et ma peau pèse soudain plus lourd. Je détache la dague à ma ceinture puis entreprends de me dévêtir. Aussitôt, douleur. Douleur qui me soulève le cœur, douleur qui m'arrache mon souffle, douleur qui me poignarde la poitrine. Je me mords la lèvre. Pas un son, rien ! Qu'est-ce que cela changera ?

Mes bottes, mon pantalon, rejoignent le carrelage. Le reste maintenant. Et un cri étouffé m'échappe, parce qu'il me déchire la gorge, parce que ma main est une masse déchirante ! À son tour, mon haut rejoint le sol. Je commence à retirer mon bandage. J'ai l'impression qu'on m'arrache la peau une seconde fois. Qu'on râpe la plaie, qu'on détache la chair de mes os. Je dois m'appuyer contre le mur pour ne pas tomber.

La bande blanche se détache. J'ai le goût du sang dans la bouche.

Une vapeur chuintante se répand dans la salle d'eau dès que je m'immerge dans le bac. Mon cœur s'affole, mes muscles se crispent à m'en faire mal, quelque chose d'énorme cherche à s'échapper de ma poitrine.

Un.

Je peux le faire. Je peux le faire !

Deux.

Le sang bat à mes tempes à un rythme effréné.

Trois.

Je m'extirpe de l'eau avec des gestes trop précipités pour être précis, je glisse, je me rattrape, un pic de souffrance me remonte le bras. Et j'inspire, j'inspire. Des volutes s'élèvent de ma peau tandis que les battements de mon cœur se cognent les uns aux autres.

Par Tharsio Silvia... si faible.

Je fouille dans ma sacoche pour en extirper des vêtements propre. Les enfiler requiert plusieurs minutes, et des lèvres serrées sur un cri de douleur. Lorsque la manche de mon haut glisse enfin le long de mon bras, elle dévoile ma main. Elle dévoile la peau luisante, rosée, qui a en partie recouvert la plaie. Répugnante. Un ajout forcé, une chose plantée dans mon corps, qui ne m'appartient pas, qui ne devrait pas être là, qui recouvre...

Soudé à la cicatrice, deux pattes puissantes, un bout d'aile peint en noir.

Ma gorge se serre. Une boule se loge dans mon ventre. Et une pensée insidieuse, susurrante. Je secoue la tête, je tente de serrer les doigts pour la faire disparaître. Juste de serrer les doigts. J'ai l'impression qu'on me broie la paume, le bras, l'épaule. Mes muscles tremblent. Et la boule dans mon ventre grossit.

Cette main ne m'appartient plus.

"Gloire au Nouvel Ordre".

Ma boule de feu disparaît dans une pluie d'étincelles lorsque je sors de la salle d'eau. Le temps de placer ma cape sur mes épaules, ma double lame dans mon dos, ma dague à ma ceinture, les épaules raidies à les faire craquer, et je quitte mes appartements, emportant avec moi les flammes de toutes les chandelles.

Trouver la sortie. Vite, ce palais est étouffant !

L'épais tapis du couloir étouffe le bruit de mes pas, les torches forment une haie d'honneur sur mon passage. Une intersection, une autre. Ce tableau, là, me dit quelque chose. Après ce coude il devrait y avoir un escal... Un couloir. Ce n'est pas vrai ! Alors l'escalier se trouve plus loin ?

Mais les portes défilent, les peintures aussi, sans que j'aie l'impression de rien reconnaître.

Chiasse de troll ! Pourquoi cette...

Il y a comme un souffle sur ma nuque. Derrière moi. Je fais volte-face, la main sur ma dague, et je serre les dents pour retenir un gémissement de douleur. Le couloir est désert. Pourtant, l'impression ne s'allège pas, qui hérisse un à un les cheveux sur ma nuque. Une impression reconnaissable entre toutes. On m'observe.

Mais les secondes filent, et pas un bruit, pas un mouvement. Étrange... Je finis par me retourner et poursuis ma route. Sans lâcher ma dague.

Après deux couloirs, un escalier se dessine enfin devant moi. Enfin ! Si c'est bien celui que nous avons emprunté, il devrait aboutir sur...

Pivot. Douleur. Les flammes des torches s'élancent dans un grondement. Quelqu'un me suit bel et bien ! Un troll, ou... La lumière éclatante qui repousse les ombres ne révèle aucune silhouette fondue dans l'obscurité.

Pourtant...

« Qui est là ? lancé-je à l'adresse du coude que forme le couloir.

Un. Deux. Trois. Une silhouette souple et élancée dépasse l'angle du mur pour s'avancer vers moi. J'aurais dû m'en douter.

Le visage barbouillé d'une expression allègre, Gaëtan ne paraît pas le moins du monde gêné d'avoir été en flagrant délit de filature.

— On s'est perdue, chérie ? lance-t-il avec un sourire.

Les torches crachent.

— Pourquoi me suis-tu ? rétorqué-je en tâchant d'ignorer le picotement de mes doigts.

Le garnum hausse les épaules, son corps semble onduler.

— C'est bientôt les Luminaires, répond-il sans lâcher son sourire. T'irais pas au Temple de Lumière, à tout hasard, pour implorer les Fées de combler tes petits compagnons ?

Il... il est sérieux ? Il ne peut pas vraiment penser que je... Pourtant, cela justifierait les sous-entendus en impasse qu'il lance à tort et à travers. Mais cet éclat narquois dans son regard ?

Chiasse de troll ! C'en est assez !

— Par égard pour ta santé, arrête de me suivre, maugréé-je avant de m'engager dans les escaliers.

— Les cuisines ? lance la voix du garnum dans mon dos. Curieux, moi qui croyais que tu voulais sortir...

J'inspire. J'expire. Je me retourne. Le sourire de Gaëtan m'éblouirait presque.

— Très bien, lâché-je entre mes dents. Où se trouve la sortie ?

D'un geste fluide, le garnum replace ses cheveux bruns derrière ses oreilles.

— Si je te le dis, tu me laisses t'accompagner ?

— Non.

— Ça marche : suis-moi.

Par Tharsio Silvia !

Les flammes des torches s'élancent contre les murs dans un grondement. Le garnum leur jette à peine un regard.

— Ce serait dommage que ton guide finisse carbonisé avant de t'avoir montré le chemin, tu trouves pas ? commente-t-il d'un ton léger.

Et, sans me laisser le temps de répliquer, il tourne les talons. Un instant d'hésitation, une profonde inspiration, avant que la certitude qu'il a raison ne me pousse à lui emboîter le pas.

— En fait, déclare-t-il lorsque je le rattrape, les cuisines, c'était pas une si mauvaise idée. J'ai faim.

Un couloir, puis un autre. Gaëtan se dirige sans la moindre trace d'hésitation.

Depuis combien de temps vit-il ici ?

— Faut dire que le repas était loin d'être bourratif. Mais apparemment, c'est une croyance répandue, que soigner la présentation rend le plat plus consistant.

Une nouvelle intersection.

— Ils font ça aussi, dans les maisons closes.

Que...

Le garnum me jette une expression enjouée, ou peut-être grave, impossible à dire. Le pendentif sur sa poitrine luit à la lumière des torches. Même lorsqu'il marche, ses mains s'agitent sans cesse, elles ont l'air de saisir au vol les idées qu'il énonce ensuite pêle-mêle.

— En tout cas, c'est dommage qu'ils n'aient pas de gressiers, ici. C'est pas trop le climat, tu me diras, mais qu'est-ce que c'est bon !

Enfin, l'escalier, un couloir, puis la galerie personnelle du Primazp, avec toujours la voix de Gaëtan en toile de fond. J'ai l'impression qu'il n'a pas repris son souffle une seule fois lorsque la grande porte d'entrée se dessine devant nous.

— Et voilà, chérie ! déclare le garnum en embrassant le hall d'un geste théâtral. T'es arrivée à destination. Ne me remercie pas !

Pas prévu.

— Ne me suis pas, répliqué-je en posant ma main droite sur la barre métallique qui bloque la porte de l'intérieur.

Elle tressaute lorsque je tente de la soulever. Trop lourde. Je ferme les yeux. Ma main gauche pulse. La faire glisser... ou alors peut-être qu'avec mon coude...

La barre se soulève, la porte s'ouvre. Le garnum s'incline d'un air léger. Mes épaules se raidissent.

Pathétique. Je suis pathétique.

— On va où ?

Le parfum de Tonoka sature l'air. Les rues larges, bordées de maisons régulières, accueillent encore une foule murmurante. Des chandelles enfermées sous une carapace de verre repoussent la nuit et dévoilent le visage des passants. Les marchands n'ont pas encore remballé leurs étals.

— J'ai jamais compris comment les Luminologiens arrivaient à garder leurs robes toujours propres !

Je tourne la tête.

De l'autre côté de la rue, un homme massif, aux traits carrés, discute avec un commerçant qui surveille d'un œil ses marchandises exposées. Ses cheveux noirs et lisses, rassemblés en une queue de cheval qui lui descend jusqu'au milieu du dos, contrastent avec sa robe blanche brodée de fleur. Il tient une tablette de cire et un stylet dans ses mains.

— À ton avis, lance Gaëtan, il prend un A, celui-là ?

Je détourne le regard.

— Bien sûr qu'il prend un A. Les Luminologiens de l'Encre ne quittent jamais leurs Bibliothèques.

Silence. Je jette un coup d'œil au garnum, qui me dévisage avec l'air d'attendre quelque chose.

— De l'Encre avec un E, précisé-je.

— C'était tout à fait clair, affirme Gaëtan, un sourire ironique pendu au bord des lèvres.

Il évite souplement un passant et reprend :

— N'empêche, ça répond pas à ma question. Comment les Luminologiens de l'Ancre avec un A arrivent à garder leur robe parfaitement blanche ? Ils parcourent le Continent en long, en large, en travers, ils sont toujours sur les routes et tout, et pourtant, j'en ai jamais vu un seul qui soit sale, ou seulement un peu poussiéreux. Sans doute que les Fées prennent grand soin de leurs serviteurs, hein ?

Il replace ses cheveux derrière ses oreilles, puis :

— Trop tard, je t'ai vue sourire.

— Illusion d'optique, répliqué-je en pinçant les lèvres pour contenir toute trace d'amusement intempestive.

Croit-il vraiment aux Fées, ce type, pour en parler avec une telle légèreté ?

Ses mains sont toujours en mouvement, ses yeux jetés partout à la fois jurent avec ses enjambées souples et tranquilles. Il ne tourne jamais à angle droit. Un peu comme s'il suivait la circonférence d'un immense cercle. Et il parle. Il parle.

— En fait, même sans la robe, on les reconnaîtrait. Quand ils discutent avec toi, ils mettent tellement de temps à choisir leurs mots que, quand ils finissent leur phrase, t'as déjà oublié le début.

Le parfum de Tonoka s'est fait plus puissant. L'immense ombre de la Tour aux Effluves, au sommet de laquelle dansent des reflets rougeoyants, se dresse désormais dans la nuit.

— Original, comme destination, commente le garnum. »

Une torche, fixée dans le mur de pierre, éclaire l'unique porte de la Tour, contre laquelle je frappe trois coups. Le choc se répercute dans mon bras. Je serre les dents. Au-dessus de moi, une lucarne s'ouvre.

— Ouais, ouais, on vient.

La fenêtre se referme, pas assez vite cependant pour étouffer un juron sonore, bientôt suivi du bruit d'un objet qui heurte le sol. Et puis, le silence. Je fronce les sourcils et tourne la tête.

Immobile, les yeux levés vers le haut de la Tour, fixés sur quelque chose d'invisible, Gaëtan se tait. Il écoute.

Des pas résonnent dans les escaliers, puis une clé qui tourne dans la serrure, et la porte s'ouvre sur un homme délié. Ses doigts fins, refermés sur l'anse d'une lanterne, se terminent par de solides griffes. Le Maître-Effluves nous dévisage à tour de rôle pendant quelques secondes, puis s'efface pour nous laisser entrer.

« J'suppose que ça pouvait pas attendre demain, grommelle-t-il en adressant à Gaëtan un geste de sa main libre.

Le garnum le lui rend avec... a-t-il assorti son mouvement d'une grimace ?!

— Vous supposez bien, lâché-je. Je souhaite envoyer un message à Cytari.

Le Maître-Effluve hoche la tête, avant de jeter un regard interrogateur à Gaëtan, les doigts de sa main libre repliés sur sa paume.

— Je l'accompagne juste, répond celui-ci, et un sourire étire ses lèvres. Sur son aimable invitation.

La lanterne qui éclaire la scène émet un sifflement menaçant. Le sourire du garnum s'élargit. Après un regard méfiant à la flammèche, le Maître-Effluves tourne les talons.

— Bon bah suivez-moi, alors.

Je lui emboîte le pas, suivie de Gaëtan, dans l'escalier étroit qui monte en spirale vers le haut de la Tour. À mi-chemin entre le rez-de-chaussée et le premier palier, une porte ouverte laisse entrevoir, après une volée de marches, une pièce creusée dans l'épaisseur du mur. La lumière vacillante de la lanterne jette sur le sol l'ombre d'une petit écritoire. Dessus, des rouleaux de parchemin, une plume, un encrier et une chandelle.

— Allez-y, déclare le Maître-Effluves après avoir allumé la chandelle. Dites-moi c'que j'dois écrire.

— Inutile, répliqué-je. Je peux me débrouiller seule.

Le garnum me jette un regard surpris, mais finit par hocher la tête et se diriger vers la sortie avec un « rejoignez-moi en haut quand vous aurez fini » bougon.

— Le pauvre, commente Gaëtan, un sourire dans la voix. Non seulement tu le réveilles en pleine nuit, mais en plus tu lui refuses le plaisir de te prendre de haut. »

D'un geste, je lisse un morceau de parchemin sur l'écritoire, mon coude posé sur le bas de la feuille, saisit la plume et la trempe dans l'encrier.

Tonoka, le 35 du mois d'Artisanat 1177

Beren,

Y a-t-il quelqu'un, au Conseil, à qui la guerre entre elfes et loups pourrait profiter ? Si oui, sois sur tes gardes. Il y a trois jours, une troupe de pillards nous a attaqués, l'elfe et moi, sur la route de Tonoka. Ils étaient envoyés par un personnage influent, qui a pris contact avec eux au moyen d'un stygia, et qui leur a promis la fortune en échange de ma tête. En fin de compte, ce sont eux qui ont payé, mais ils semblaient connaître notre itinéraire. Et comme les détails de la mission devaient rester secrets, tu comprends ma surprise.

Et ce n'est pas tout. À Prek, où nous avons dû faire étape, un humain a tenté de m'assassiner, avant de se donner la mort lorsqu'il s'est vu coincé. Selon l'elfe, ses derniers mots ont été "Gloire au Nouvel Ordre". Je ne sais quel crédit on peut lui accorder, mais si jamais tu as entendu parler de ce Nouvel Ordre, méfie-toi. Il semble déterminé.

Ma plume s'immobilise un instant. L'encre bave.

Sinon, je vais bien, inutile de te ronger les sangs.

La main sur le cœur et la Lumière dans l'âme.

Heltia

La plaie sur ma main, l'absence de mon jyrkhem, me brûlent la peau. Après une rapide relecture, je plie la missive pour y inscrire le nom du destinataire.

Beren Ebleon de Cytari, dirigeant de l'ordre neighian

Ebleon. "Celui qui voit loin". L'idéal à atteindre. La route tracée par le vampire qui choisit lui-même son deuxième prénom. Une manière de "ne jamais oublier ce qui est important à nos yeux", selon Beren. Une perte de temps. Qvam Priskeon de Talek, par exemple ? A-t-il atteint son but, "celui qui regarde en arrière", puisqu'il n'a relaté que des événements survenus de son vivant, à quelques exceptions près. Pourquoi ne pas avoir choisi "celui qui rapporte", ou "celui qui observe", qui auraient mieux convenu ?

De toute manière, le nom importe peu. Il est trop facile d'en changer. Seuls les actes comptent.

« Une écriture élégante pour une femme élégante.

Pivot, dague en main. Douleur. Mes muscles se crispent. Gaëtan, légèrement penché en avant, une griffe posée sur son pendentif, un sourire accroché aux lèvres, regarde la missive avec intérêt. Ses yeux se posent sur mon arme, et son sourire s'accentue.

— Élégante et chaleureuse, rectifie-t-il.

Posée sur l'écritoire, la chandelle s'agite. Dire que nous avons besoin de lui !

— Tu n'imagines pas à quel point, grincé-je en passant devant lui. »

Je monte les escaliers, un bourgeon écarlate au creux d'une main, jusqu'à atteindre le dernier palier. Un rai de lumière dessine les contours d'une porte massive, bardée de métal. Je souffle mes flammes d'une pensée avant d'en pousser le battant.

Un coup de vent rejette aussitôt en arrière mes mèches folles et malmène les flammes des torches. Deux portes. Celle par laquelle je suis entrée, et une autre, sur ma droite, derrière laquelle résonnent des bruits d'objets que l'on déplace. Le Maître-Effluves doit préparer le mélange de Cytari.

Le parfum de Tonoka sature la pièce, une pièce vaste, semi-circulaire et haute de plafond. Les poutres qui soutiennent les voûtes de pierre se hérissent de centaines de formes immobiles. Les xuntids.

Sur un pan du mur, une carte du Continent claque sous les assauts du vent. Les fientes d'oiseau crissent sous mes pas lorsque je m'approche. Sur le parchemin élimé, les royaumes s'étalent, piqueté de noir par l'emplacement des villes. Un cercle rouge entoure celles qui possèdent une Tour aux Effluves. Des lignes grises et interrompues délimitent les Hermaz du Territoire Neutre, qui rassemblent villes et terres sous la juridiction d'une même Primaz. Un trait noir a été tracé sous le nom de chacune d'entre elles. Et en bas de la carte, Cytari, entourée, soulignée, sublimée.

Grincement derrière moi, volte-face. Ma main me lance. Le Maître-Effluves vient de sortir de son atelier, un xuntid au plumage turquoise posé sur son gant de cuir. Á la lueur des torches, le bec de l'oiseau arbore des reflets métalliques.

« Z'avez fini ? lance le garnum.

Je lui tends ma missive. Il y jette un oeil, et une expression surprise façonne ses traits creusés.

— Dites donc, commente-t-il en fixant le parchemin à la patte droite du xuntid, vous, quand vous envoyez une lettre, c'est pas au gardien d'votre habitation.

Eh bien... non. La dernière fois que je lui ai adressé la parole, c'était pour lui signifier que, si elle s'introduisait une nouvelle fois chez moi à la recherche d'herbes illicites, je ferais fondre la serrure. Depuis, elle m'espionne en cachette.

Une fois la missive attachée à la patte de l'oiseau, le Maître-Effluves s'approche d'une fenêtre. Le vent de la nuit s'engouffre dans sa chemise ouverte, et il tend la main au dehors. Après avoir ébouriffé ses plumes luisantes de poison, le xuntid prend son envol pour disparaître dans l'obscurité. Le garnum reste quelques secondes face à la nuit, les bras ballants, puis il se tourne vers moi.

— Et v'là, m'dame. Il arrivera après-demain soir au plus tard.

Un rapide coup d'œil par-dessus son épaule, puis :

— Ça f'ra une rouge.

J'extirpe la pièce d'or de ma bourse avec un signe de tête.

— C'est moi qui vous remercie, m'dame, déclare le garnum en m'enjoignant d'un geste à le précéder dans les escaliers. Mais la prochaine fois qu'vous avez besoin d'un service du genre, ce s'rait sympa de débarquer plus tôt.

— Si jamais vous recevez une réponse, transmettez-la au Primazp, répliqué-je.

Au rez-de-chaussée, je trouve Gaëtan, occupé à laisser ses yeux sauter d'un endroit à un autre.

— Satisfaite ? me lance-t-il tout en adressant une série de gestes fluides et rapides au Maître-Effluves.

Celui-ci fronce les sourcils, mais agite tout de même les mains devant son visage, formant des figures incompréhensibles.

Que...

— Parfait ! déclare Gaëtan. On y va, chérie ? J'ai encore des projets, ce soir !

Je feins de ne pas remarquer son clin d'œil entendu.

— J'vous souhaite la bonne nuit, lâche le Maître-Effluves en ouvrant la porte de la Tour.

À peine ai-je passé le seuil, Gaëtan sur les talons, que le battant se referme avec un bruit sec. Je me tourne vers le garnum.

— Qu'as-tu demandé au Maître-Effluves ?

— D'envoyer une lettre dans ton dos, pourquoi ?

Mes épaules se raidissent.

— Ou alors, continue Gaëtan d'un ton léger, je lui ai simplement demandé s'il connaissait une taverne dans laquelle les tendres serveuses réconfortent les gars accablés de solitude.

Je le regarde, il me regarde, une expression ironique modèle ses traits, il m'adresse un clin d'oeil et je détourne la tête.

— "D'autres projets pour ce soir", hein, grincé-je en rejoignant le parvis devant la Tour.

— Jalouse, ou bien ? réplique le garnum.

Un ricanement m'échappe.

Au moins, il ne manque pas de culot !

Dans les rues, les commerçants ont enfin commencé à rassembler leurs marchandises. L'un d'eux, près de son étal, beugle sur un gosse, qui se tient la joue d'une main, les yeux baissés. Un commis, sans doute.

— Faut dire qu'avec tous les aristos qui viennent ici pour prendre du bon temps, elles doivent pas chômer !

Je jette un rapide coup d'œil à Gaëtan.

De quoi parle-t-il enc... Par Tharsio Silvia, d'où sort cette tartelette ?!

Comme s'il lisait dans mes pensées, le garnum mord à pleine dent dans son larcin avant de déclarer :

— C'est pas du gressier, mais c'est bon quand même. »

Je baisse les yeux vers ma ceinture, pour m'assurer que ma bourse s'y trouve toujours pendue.

Quand ? Quand a-t-il tendu la main pour subtiliser le gâteau ?

Mais il est déjà reparti dans des propos décousus et sans lien, avec de temps à autres une pause, une bouchée de tartelette, puis à nouveau un flot de paroles. Et toujours cette expression mi-ironique, mi-amusée. Comme si tout ce que ses yeux rencontraient, les rues, le portail de la demeure du Primazp, sa galerie, les innombrables couloirs, n'était pour lui qu'une immense plaisanterie.

« Bah voilà, chérie, lance-t-il devant la porte qui donne sur mes appartements. Je sais pas si tu as dans l'idée de te coucher, mais je t'ai parlé de ma solitude alors...

Mon index enflammé qui s'agite devant son visage l'interrompt.

— Si tu tiens à tes sourcils, restes-en là.

Le visage anguleux du garnum se fend d'un sourire qui dévoile à peine ses dents.

— J'étais sûr de trouver en toi une oreille attentive !

Il ne prête pas la moindre attention au grésillement des torches lorsqu'il s'incline devant moi.

— Ça a été un plaisir, chérie. »

Il se redresse, m'adresse un sourire puis s'éloigne de sa démarche souple. Je le regarde disparaître dans le couloir. Un saoulard. Il saoule de paroles, et après...

Demain, je prendrai les offrandes sur ma selle.

Hey,

Décidément, la confiance règne ! Pauvre Gaëtan, même pas encore présenté et déjà étiqueté de la note "se méfier de". 

J'espère que ce chapitre vous a plu, tout comme le père Gaëtan, d'ailleurs, et je vous dis à la semaine prochaine pour la suite.

Une santé de licorne et un sourire de cochon d'Inde

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro