Réveillé par un cri strident, je me redresse en sursaut dans mon lit et regarde partout dans ma chambre, comme si la personne qui venait de crier se trouvait juste à côté de moi. Ce qui ne m'aurait pas étonné vu la force du cri. Lorsque je me rends compte que je suis seul, je lâche un imperceptible soupir de soulagement. Personne n'est mort dans ma chambre car j'en suis sûr, c'était le cri de Katell, la banshee qui vient de Mytgia. J'ai déjà eu à faire à un cri de banshee adulte et mes points d'auditions perdus s'en souviennent encore. Torse-nu et en caleçon, je me lève et enfile un tee-shirt qui traîne par terre avant de sortir de ma chambre pour aller voir ce qu'il se passe. Un des vieux diplomates de la soirée d'hier a dû mourir d'une overdose de champagne ou un truc dans le genre. Refermant la porte, je me rends compte que je ne sais même pas où chercher quand des bruits de talons hauts se font entendre. Ma Cristalia surgit alors à côté de moi, fraiche comme si elle était réveillée depuis des heures alors que je suis prêt à parier ma nageoire que c'est le cri qui l'a sorti du sommeil.

— C'était quoi ce cri ? me demande-t-elle d'une voix ensommeillée qui confirme qu'elle est debout depuis pas longtemps.

— La banshee, je réponds en passant mon bras autour de ses épaules. Cependant je ne sais pas où s'est passé le drame.

Une petite moue vient froncer les traits de son visage avant qu'elle n'accoste un serviteur qui passe à côté de nous. L'air extrêmement pressé et une missive dans les mains, il s'arrête à contre-coeur avant de se tourner vers Isalys avec un regard vide d'expression. Les pouvoirs de la sirène ont frappés.

— Que se passe-t-il ? l'interroge-t-elle, une note de magie dans la voix.

— Tu ne crois pas que tu pourrais lui demander sans user de tes pouvoirs ?

Lâchant le jeune homme du regard, elle tourne la tête vers moi pour m'incendier de ses yeux bleus azurs, me faisant comprendre que ma remarque est totalement stupide.Ses yeux glissent quelques secnodes derrière moi avant de revenir sur le domestique.

Et pourquoi ne pas renier ma nature de sirène ? tonne sa voix dans ma boîte crânienne.

— Parle, ordonne-t-elle à l'homme.

— Un corps sans vie vient d'être trouvé en bas des escaliers menant aux appartements des membres du Conseil des Planètes, nous apprend-il.

— Qui est mort ? intervient une voix derrière moi.

Surprise par cette intrusion, Isalys rompt son emprise sur le jeune serviteur qui part sans demander son reste pendant que nous nous tournons vers le nouvel arrivé. Il s'agit du futur Professeur d'Epsilon, Connor je crois. Ses cheveux gris sont ébouriffés comme s'il venait lui aussi de se réveiller et ses lunettes pendent de travers sur son nez. Lunettes que je trouve très étranges puisqu'elles semblent contenir une quelconque technologie espienne, des lignes remplies de chiffres et de lettres apparaissant de temps en temps sur le verre droit. Il les fixent quelques instants puis fronce les sourcils avant d'appuyer sur le côté de l'objet et que les lignes disparaissent. Il me semble bien que c'est la première fois que je l'entends parler depuis que nous sommes arrivés. Il m'a l'air tellement timide que je me demande même comment il va bien pouvoir faire pour diriger une planète.

— La recherche que je viens d'effectuer n'a rien donnée, ajoute celui-ci en me regardant, prenant bien soin d'éviter le regard de sa cavalière de la veille.

Ce sont donc des lunettes à moteur de recherche. Cela dit, ça ne m'étonne pas qu'il n'ait rien trouvé, si le drame est vraiment arrivé ce matin, les informations planétaires ne peuvent pas déjà être au courant, surtout que tout ce qui se passe à l'Ambassade est gardé secret.

— On ne sait pas non plus, je réponds quand il devient évident qu'Isalys ne le fera pas. On sait juste que ça a eu lieu vers les appartements des membres du Conseil des Planètes.

— Il le sait déjà, je l'ai entendu arriver dans le couloir au moment où j'interceptais le serviteur.

Le visage du garçon devient rouge écarlate quand il croise le regard d'Isalys, ce qui me fait me demander ce qu'elle a bien pu lui dire hier soir. Un sourire satisfait sur les lèvres, ma Cristalia attend que Connor baisse les yeux pour reprendre la parole.

— Je suppose qu'au vu de ton QI exceptionnel tu peux nous conduire là-bas ?

L'adolescent murmure un petit "suivez-moi" un peine perceptible et pars devant nous comme s'il voulait nous fuir.

Je peux savoir ce que tu lui as fait pour qu'il ait peur de toi comme ça ? lui demandé-je mentalement.

Surprise que je m'adresse à elle de cette façon, elle ne le laisse néanmoins pas paraître très longtemps et un nouveau sourire étire ses lèvres avant qu'elle ne me réponde de la même façon.

J'ai voulu faire de lui un homme, si tu vois ce que je veux dire.

Je grimace en comprenant le sens de la phrase et cela la fait sourire encore plus avant qu'elle ne fasse la moue.

Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi il a refusé.

Depuis quand tu leur laisse le choix ? D'habitude tu te contente de chanter pour les entraîner dans ton lit.

Alors que j'attends une réponse, aucune voix ne résonne dans ma tête puisque nous venons d'arriver sur place. Une foule est rassemblée en bas des escaliers menant à la chambre de l'eclysien faisant parti du conseil et même en jouant des coudes, je n'arrive pas à rejoindre les quatre autres futurs dirigeants qui sont déjà arrivés. Posant la main sur mon épaule, Isalys doit forcer le passage avec ses talents de sirène puisque les gens s'écartent pour nous laisser passer. Elle se fraie un passage et c'est bientôt Ebony et la Successeur qui s'écartent pour que nous puissions voir ce qu'il est arrivé. Je pousse malgré moi un hoquet de surprise en découvrant la princesse milésienne accroupie près du corps sans vie et pense un instant que ça doit être l'une des jumelles qui est morte avant de les voir juste derrière leur future dictatrice. C'est une fille svelte à la chevelure blonde et en robe de soirée déchirée qui est allongée par terre, le corps étendu dans une position peu naturelle et le cou tourné dans un angle encore plus improbable pour une personne vivante. Une flaque de sang s'est formée sur le sol, juste sous son ventre. En se relevant et comme si elle avait une quelconque autorité ici, Nova fait signe à l'un des gardes pour qu'il retourne le corps et c'est alors que je reconnais la jeune femme.

Les poings serrés, la brune regarde le corps sans vie de la directrice du Conseil des Planètes et membre de son royaume, l'air déterminé à la venger. De mon côté, je réprime un haut-le-cœur en apercevant la blessure d'où s'écoule tout le sang sur le sol. La peau du ventre de Karleya Stone a été entaillée à l'aide d'un objet tranchant et la blessure a la forme d'une pyramide. La princesse milésienne et les deux jumelles qui l'accompagnent sont les seules à ne pas montrer de dégoût à la vue du corps de la jeune fille.

— On dirait qu'elle a quelque chose dans la main, intervient Ebony, rompant le silence.

Regardant dans la direction qu'elle indique, j'aperçois que l'une des mains est serrée sur une feuille. En tournant la tête vers la louve-garou, je me rends compte qu'elle fait la grimace, comme si la vue et l'odeur du sang rendait son côté animal difficile à contrôler. À côté d'elle, la banshee regarde le corps sans aucune émotion, comme si elle avait l'habitude de voir des cadavres. Ce qui est peut-être le cas. L'une des jumelles milésienne se penche vers le poing serré de la victime et l'ouvre avec difficulté avant de donner un bout de papier à sa princesse et cela me donne une raison pour arrêter de fixer le corps qui me donne de plus en plus de nausée.

Le visage vengeur de la princesse devient pâle quand elle lit ce qu'il y a de marqué dessus et je suis beaucoup trop loin pour pouvoir déchiffrer les mots écrits dessus. Lorsque les jumelles le lisent, elles deviennent également blanches comme un fantôme et elles se mettent à murmurer entre elles. Se rendant compte qu'il y a encore foule près du corps de la pauvre petite, Nova lance un regard assassin tout autour d'elle et sans qu'elle n'ait à prononcer un mot, toutes les personnes qui ne sont pas des futurs dirigeants quittent le couloir en chuchotant entre eux. S'éloignant enfin du corps, la future dictatrice s'approche de l'Apprenti d'Eclysia et les habitants des deux planètes partent ensemble, sous le regard curieux de tous ceux qui étaient restés. C'est alors que je remarque qu'Imalia nous a rejoints pendant que nous avions tous le regard scotché sur Karleya. Dès qu'elle s'en aperçoit, Isalys lui pose la main sur les yeux pour que la petite sirène ne puisse pas voir le cadavre plus longtemps et la prend par la main pour la faire sortir du couloir, m'intimant d'un signe de tête de la suivre. Pourquoi est-ce qu'elle lui cache le visage ? Elle a déjà vu le massacre. Suivant la Cristalia et sa cousine, je commence alors à me demander qui a bien pu tuer la milésienne. En plus d'être la fille d'un grand général de guerre milésien, elle était crainte par grand nombre de personnes et je pense qu'il faut vraiment être suicidaire pour tuer un milésien alors que la dictatrice que leur sert de princesse est ici. Ma réflexion est interrompue par Isalys qui assène une gifle monumentale à Imalia. Celle-là, j'aurais pas aimé me la prendre.

— Je peux savoir ce qu'il t'as pris de venir voir ça ? interroge-t-elle sa cousine en criant.

— Je voulais montrer que j'étais grande !

Je ne suis pas sûr que regarder un cadavre alors qu'elle a treize ans en années de sirènes soit une bonne idée. La petite sirène me fusille du regard, signe qu'elle a lu dans mes pensées avant de se tourner vers Isalys et de m'ignorer parfaitement. Un sourire vainqueur étire ses lèvres alors que la Cristalia est encore en train de la disputer.

— Sinon ça t'intéresserait de savoir ce qu'il y avait d'écrit sur le bout de papier que tenait la morte ? demande alors la petite aux yeux gris.

— Comment est-ce que tu pourrais savoir ça ?

— J'ai visité les pensées d'une des jumelles milésiennes quand je les ai vu pâlir.

Même si je déteste quand elle lit dans mes pensées sans mon autorisation, je dois bien avouer que la petite est plutôt futée quand il s'agit de découvrir des choses que personne ne sait. La fierté remplace bientôt les traits énervés d'Isalys qui arrive même à grimacer en voyant la marque de sa main sur la joue de sa cousine.

— Alors ?

— Alors je suis presque certaine que les affaires de Milésis ne te regardent pas Isalys, répond une voix féminine que je connais bien.

Lorsque je me retourne, je souris en voyant arriver la représentante d'Atlantia au Conseil des Planètes et accessoirement, ma meilleure amie. Triturant son collier amulette, comme à chaque fois qu'elle est stressée, elle s'avance vers nous, le bruit de ses talons étouffés par l'épais tapis recouvrant le sol. Je comprends instantanément que la mort de sa camarade la touche quand je la vois cligner rapidement des paupières pour en chasser les larmes. Elle fait une rapide révérence à sa future souveraine et se tourne vers moi pour m'ébouriffer les cheveux.

— T'es mignon en tant qu'humain.

— Et toi tu serais presque aussi belle qu'Isalys. Ne me regarde pas comme ça, j'ai dis presque, j'ajoute quand je vois ma Cristalia me fusiller du regard.

— Heureusement pour toi. Nymphéa, je suis sûre que tu sais quelque chose à propos de ce qu'il s'est passé ce matin.

Les bras croisés sur la poitrine, la sirène aux cheveux lavande regarde ma meilleure amie, lui faisant comprendre que sa supposition n'en est pas une et qu'elle attend une réponse positive ainsi que des explications. Nymphéa, la seule sirène de toute la galaxie à ne pas être impressionnée par notre princesse, joue avec ses cheveux bordeau, semblant réfléchir à la possibilité de répondre à l'ordre de sa future dirigeante.

— Ne me fais pas attendre Nymphéa. Cela serait dommage que je doive utiliser Kevran pour te faire parler.

Et ça recommence. Levant les yeux au ciel, je regarde les deux sirènes se battre en un duel de regard et lance un regard ennuyé à Imalia. Ce duel est interrompu par une sonnerie qui résonne dans toute l'Ambassade et qui fait soupirer la fille aux cheveux bordeau.

— Suivez-moi tous les trois. Vous allez assister à votre première réunion du Conseil des Planètes.