Le jeune homme poussa la porte de la taverne tard dans la soirée. Il était fourbu et ne pensa qu'à une chose: s'asseoir, puis ne plus rien faire. Sans doute pour l'éternité. Sur le moment, cette perspective lui semblait bien la meilleure qui soit.

Aussi fut-il plus agacé que d'ordinaire lorsque la serveuse qui avait paraît-il la même voix que lui vint le bombarder de questions:

- Où êtes-vous allés ? Qu'est-ce que vous avez fait ? Vous avez vraiment marché jusqu'à Versailles ? Est-ce que vous les avez trouvés, ces greniers emplis de grain ?
Et tes amis, où sont-ils ?

Amusé par tant de curiosité, il répondit tout de même:

- Nous avons marché sur Versailles. Arrivés là-bas, les premiers ont réussi à forcer le passage. Tous mes compagnons sont entrés dans la place. Moi, je suis arrivé trop tard: je n'ai pas réussi à passer la porte. Beaucoup de ceux qui ne sont pas entrés sont tout de même restés là-bas pour faire pression de l'extérieur. À l'heure qu'il est, ils campent aux portes de Versailles.
Resté seul, abandonné par mes amis, ne connaîssant personne et coincé en dehors de l'action, je me suis senti un peu idiot. Alors ne sachant pas quelle attitude prendre, j'ai fini par rebrousser chemin. De toute manière, ce n'est certainement pas ma petite personne qui aurais changé la donne au moment du dénouement final.
Alors, j'ai refait à pied et seul tout le chemin parcouru plus tôt en sens inverse.
Et... Me voilà.

Il baissa les yeux, un peu honteux.

- Pierre, si tu savais comme je t'admire ! Contrairement à moi, tu as su aller au-devant du danger, et tu n'as fait demi-tour que lorsque tu as eu vraiment tout tenté. Ne fût-ce que par ta simple présence, tu as offert aux autres la possibilité de passer la porte pour pouvoir agir de l'autre côté. Et rien que cela, c'est gigantesque.

Un pâle sourire se dessina sur les lèvres du rouquin.
Elle poursuivit:

- Mais regarde autour de toi. La force n'est pas le seul moyen de changer les choses.

Pierre suivit son conseil. Son regard se posa alors sur un vieil homme assis dans un coin de la salle.
Il voulut se retourner vers sa cousine. Elle était déjà repartie.
Alors, il se leva et se dirigea vers la table du fond.

***

-Laura, cela fait plus de quatre heures que l'Oncle Jules et Pierre parlent. Ne devrait-on pas...

-Je crois qu'exceptionnellement je vais veiller plus tard  et retarder l'heure de fermeture. Tu peux aller dormir, je comprendrais que tu sois fatiguée après pareille journée.

***

Au matin, glissée sous la porte, Jeanne trouva une feuille de journal.

Une larme roula sur sa joue. Pourtant, elle n'avait pas fait grand-chose.
Mais il avait retrouvé sa voie.