32. Mélina
Média: All Time Low - Jon Bellion.
Lundi 5 Octobre.
Il pleut des cordes, ce matin, et je n'hésite pas à prendre mon parapluie pour aller au lycée. J'envoie un bisou au poster de Robert Pattinson et je fais un dernier câlin à Sparadrap avant de partir à pied. Le temps est très nuageux, comme s'il présageait quelque chose d'horrible. Je ne suis pas d'humeur à réfléchir, en faite. Sur le chemin, je croise des camions de pompiers, et je mets un certain temps avant de m'apercevoir qu'ils foncent tous en direction de ma destination. Je hausse un sourcil en pensant qu'un accident s'est surement produit, puis je cesse enfin de penser pour ne pas trop m'inquiéter. Lorsque j'arrive devant le lycée, je vois des sirènes bleues et rouges de partout et des petits groupes de personnes, la tête levée. Un gigantesque drap est étendu par quelques secouristes, et je trouve ça louche, même si je sais parfaitement ce qui se passe. Je le devine assez aisément, d'ailleurs. Et malheureusement, je ne me trompe pas. Quand je me décide enfin à lever la tête moi aussi, j'aperçois Adrien sur le toit du lycée, les mains dans les poches et les yeux rivés vers le sol, un peu comme s'il n'allait pas sauter et qu'il se contentait simplement d'admirer le paysage. Je plaque mes deux mains sur ma bouche en pensant être l'unique responsable de ses idées suicidaires. Je cours jusqu'à l'escalier le plus proche, sentant les larmes me monter. Je perçois même le cri de Léonie qui part dans les aigus lorsqu'elle me voit rejoindre le toit à mon tour. Je monte les marches quatre à quatre, murmurant en boucle le prénom d'Adrien. Lorsque j'arrive au sommet, les dents et les poings serrés, je le vois. Il est de dos à moi, ses pieds s'approchent nerveusement du vide et son corps tremble, comme s'il n'était plus vraiment lui à ce moment là. Je l'appelle:
- Adrien !!!
Il se fige entièrement à l'entente de son prénom, puis tourne légèrement la tête sans pour autant me faire face. Je reste à ma place, guettant ses moindres gestes et redoutant son saut.
- Adrien mais... mais qu'est ce que tu es en train de faire ??!!!
Il ne bouge toujours pas, et je sens un trou béant dans ma poitrine, comme s'il était déjà mort.
- Dis-moi que tu ne vas pas sauter, je t'en prie...
Je commence à faire quelques pas lents, en rythme avec mes longues inspirations. Cette fois, il se retourne complètement, et je remarque que ses yeux sont presque devenus gris. La pluie s'accentue, et mes larmes ne se voient plus. Il a un sourire désespéré, un peu comme s'il n'était plus lui-même.
- Tu ne peux pas m'en empêcher, Mélina. C'est trop tard maintenant. Il n'y a plus aucun espoir.
Je ne suis plus qu'à quelques petits mètres de lui.
- Comment tu peux dire ça ? Ce n'est pas toi qui m'a sauvée du suicide en disant qu'il fait avoir une raison valable pour sauter ?
- Peut-être. Mais là, tu ne peux rien faire. Et tu ne connais pas ma raison valable.
Face à mon air pensif, il sourit un peu plus. Je ne le comprends plus.
- Mais dis-moi, Anderson: qui, je dis bien qui est capable de sourire au moment de mourir ? Tu ne sauteras jamais.
- Tu ne me connais pas si bien que ça.
Je fais un dernier pas avant de me retrouver un peu trop proche de lui, nos visage se frôlant presque. Je sens son souffle glacial, et il me dévisage de son regard devenu gris clair.
- OK, je veux bien admettre que tu caches encore pas mal de mystères. Mais je voulais juste te dire quelque chose que je n'ai pas su t'avouer hier soir, parce que j'avais peur de me faire passer pour une idiote devant toi. Je me rends compte que... enfin... j'espère juste que je te ferai changer d'avis.
- Essaye toujours.
Je cligne des yeux en faisant comme si la pluie m'aveuglait. Mes cheveux sont littéralement trempés, et mon maquillage de ce matin est fichu. D'en haut, je peux voir des tas de personnes que je connais. Léonie, Valentin, Cédric, Gaëtan... qui se ronge les ongles, d'ailleurs. J'aperçois aussi le psychologue d'Adrien, je crois que c'est un certain Monsieur Millet. Il y a plusieurs professeurs, notamment celui de sport qui n'arrête pas de hurler pour que nous redescendions. Tous ces gens sont là, espérant peut-être que notre vie sera sauvée. Peut-être. Je détourne le regard vers le visage tout pâle d'Adrien.
- Je sais que c'est de ma faute si tu es ici. À cause de ce que je t'ai dit hier. Comprends-moi, je n'ai pas trop l'habitude d'avouer mes sentiments pour quelqu'un. Et... et je veux me rattraper...
Un sourire se trace progressivement, ce qui m'encourage à poursuivre.
- Adrien, je... je t'aime et je...
Il ne me laisse pas le temps de finir ma phrase. Il s'approche lentement vers moi, la tête penchée sur la gauche. Mon cœur s'emballe lorsque je me rends compte qu'il est sur le point de m'embrasser. Je ne sais plus exactement quoi faire et, les yeux écarquillés, ma tête se penche également sur la gauche. Il se recule avec une grimace.
- Attends, ça ne va pas marcher, tu veux pencher ta tête de quel côté ? Je demande en alternant la droite et la gauche.
- Euh... le côté où les filles penchent généralement la tête, c'est lequel ?
Je me mets à réfléchir. Cette décision est capitale si je veux me souvenir de ce baiser à vie...
- Je n'en sais rien, moi. Gaëtan, lui, il le savait !
- Bon, je vais essayer la droite et toi tu essayes la gauche.
- Ta gauche ?
- Non, ta gauche.
- Ah, merci. Du coup on recommence ?
- On recommence. Mais euh... on va à quelle vitesse exactement ? Lentement, rapidement, ...
- On fera comme on le sent.
- Cool.
Je m'autorise un petit gloussement de rire. Je pose délicatement mes mains sur ses épaules, tandis qu'il me prend dans ses bras en me serrant de toutes ses forces et m'embrasse. En penchant sa tête sur la droite. C'est le meilleur moment de toute ma vie. Le bruit des sirènes des camions de pompier s'estompe petit à petit à mes oreilles, comme dans un rêve, et il n'y a plus que lui et moi. J'agrippe mes bras autour de ses épaules comme si je ne voulais pas qu'il ne s'échappe. Le temps s'arrête, et je ne sens presque plus la pluie tomber. Ses lèvres, bien que glaciales, me réchauffent et je suis complètement et irrévocablement amoureuse de lui. Au début, nous sommes juste bouche contre bouche, mais lorsque sa langue vient s'enrouler autour de la mienne, mon cerveau n'arrive même pas à interpréter si cela est dégoûtant ou pas. Alors qu'avec Gaëtan, je passais en mode alerte. Je crois que je n'ai jamais autant aimé quelqu'un. Et mon dieu, je l'aime mais que je l'aime... je veux le serrer encore et encore dans mes bras jusqu'à me demander lequel de nos deux corps est le mien. Il interrompt soudain notre baiser pour me regarder droit dans les yeux, une main en dessous de mon menton. Il me dit à voix basse:
- Mélina ?
Je me perds dans son regard, et le timbre de sa voix grave me réveille. Comme si je sortais d'un très long sommeil...
- Hein ? Quoi ?
- Tu m'aimes vraiment ?
Cette question me parait tellement stupide, à présent. Je lui souris d'un air encore endormi.
- Bah oui espèce d'idiot, pourquoi ?
- Alors saute avec moi.
Il m'en a déjà demandé, des choses stupides, mais là ça dépasse toutes mes attentes. Je m'écarte de lui avec une moue indignée. Il m'a réveillé bien trop tôt.
- Quoi ?!
- Saute avec moi. Si toi et moi, on veut vraiment quitter ce monde, alors mieux vaut qu'on le fasse ensemble et maintenant, pas séparés et plus tard.
Il n'a pas tort, mais l'idée de me suicider est un peu étrange pour moi. Je n'imaginais pas ma mort ainsi.
- Mais enfin Adrien, si je suis venue ici c'était bien pour t'enlever cette idée de sauter ! Pas pour sauter avec toi !
- Tu ne pourras pas m'enlever cette idée, Mélina. Je ne veux pas non plus que tu meurs. Mais si nous mourrons ensemble, on sera ensemble pour la vie, pas vrai ?
Je le fixe pour m'assurer qu'il est bel est bien sérieux. Je meurs d'envie de mourir, main dans la main avec lui moi aussi.
- Mais... imagine que ça ne marche pas ! Imagine que toi tu meurs et pas moi, ou l'inverse...
- Je ne veux pas imaginer. Je veux juste que le monde entier sache que toi et moi, nous nous aimions plus que tout. Et que nous vivions l'éternité ensemble. Et puis, j'ai toujours rêver de mourir avec toi. Ce serait la plus belle mort qu'on ait pu m'offrir. Tu n'as pas envie de mourir, toi ?
Il me déstabilise avec son regard qui attend toujours une réponse positive. Et moi, j'ai peur de faire une bêtise en lui répondant négativement.
- Euh... si, c'est vrai que...
C'est vrai que c'est tentant. Il est peut-être un peu bancal dans son esprit, mais j'en ai assez de vivre. Assez d'être la petite fille incomprise. Je veux être avec la personne que j'aime plus que tout. Et c'est une belle occasion.
- Mais Mélina, promets-moi une chose: si je meurs et pas toi, je veux que tu continues à vivre tu comprends ? Je me trouve déjà assez égoiste d'être le responsable de ta mort une fois, mais deux, je ne le supporterai pas.
Je trouve ça louche de l'entendre dire ça, mais je n'ai vraiment pas envie de réfléchir. J'ai juste envie qu'il me guide, lui. Il me prend la main et se tourne face au vide. Son contact est encore plus froid que ce que je pensais, et un frisson monte le long de mon échine en même temps que mon stress..Je m'exécute en même temps et mon regard louche sur le drap étendu par les pompiers. Je me demande par quel côté il compte sauter, mais lorsque je tourne la tête vers lui en croisant son regard à présent éclatant de joie, je sais que je n'ai rien à craindre. Je serre sa main, et un coup de tonnerre retentit avant que nous ne sautions. J'ai senti mes pieds se décoller du sol un peu au ralenti. J'ai senti que je volais. J'ai senti que c'était la fin de tout. Que Mélina Allard ne serait plus qu'un mauvais souvenir dans les esprits. Les gouttes de pluie se figeaient, et le temps ralentissaient. Les pompiers tentaient de nous viser avec leur drap, mais j'ai également senti la main d'Adrien me lâcher. Mon coeur s'était alors serré lorsque j'ai été propulsée sur la droite. Je l'ai vu me lancer un dernier regard bienveillant avant de s'évanouir dans le brouillard. Il était beau. Et il n'avait pas peur de la mort. C'est là que j'ai compris qu'il allait mourir et me laisser là, toute seule, sur cette planète où je me sens si mal.
Je me souviendrai toujours de cette dernière image. La dernière où j'ai vu Adrien Anderson vivant.
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