Aux environs de Saint-Tropez le dix avril deux mille vingt-neuf, un homme en smoking longeait une immense piscine en fumant un cigare. Un mur de trois mètres de haut entourait la propriété de mille deux cents mètres carrés. Le propriétaire plissa les paupières pour scruter un arbre à cent mètres de sa position.

— Léonard ! s'exclama-t-il en pressant son oreillette.

— Oui, monsieur le comte ?

— La dernière vérification des caméras ne remonte-t-elle pas à dix-huit heures ?

— Si, je m'en suis moi-même occupé avec l'agent de maintenance.

Le comte expira longuement la fumée tout en approchant de l'arbre.

— N'est-ce pas vous qui avez insisté pour le voyant Spec+ au détriment du réseau direct avec le poste de sécurité.

— Affirmatif !

— Je vous attends !

Un homme trentenaire se pressa de le rejoindre en serrant sa mallette d'outillage. L'homme en smoking pointa la caméra dans l'arbre.

— Ah, le voyant est effectivement éteint. Je m'en occupe de suite, monsieur le comte.

Son employeur l'ignora aussitôt pour faire demi-tour. Le fonctionnement défaillant n'était pas un réel problème, il détestait les choses à moitié faites !

Il se dirigea vers la piscine pour approcher d'un transat où reposait en maillot de bain une jeune femme à longue chevelure noire. Elle regardait un écran cinéma sous un immense parasol. L'émission en cours concernait la navette spatiale NCH-001-D, sur l'écran apparut la photo sombre de l'astéroïde géocroiseur 99942 Apophis, anciennement nommé 2004 MN !

— ... Agence Spatiale Européenne dément fermement ces informations ! Pourtant la NASA, dans un communiqué de deux milles treize aurait annoncé que l'astéroïde géocroiseur aurait subi une cure de musculation, puisque son poids aurait augmenté de vingt milliards de tonnes à deux cents milliards. Les chercheurs de la NASA auraient indiqué une trajectoire à vingt-deux mille deux cent cinquante kilomètres de la terre. Soit plus près que l'orbite géostationnaire située à trente-cinq mille sept sent quatre-vingt-six kilomètres, sur laquelle évoluent quelque mille cent vingt satellites et autres objets spatiaux. La raison de son parcours correspondrait à une collision avec son cousin VD17. Si nous ne parvenons pas à la stopper, Apophis frôlera notre planète dans une semaine, le treize avril deux mille vingt-neuf !

Détournant son visage, elle pressa un commutateur ventouse sur sa main pour écouter un message, elle reprit aussitôt avec un léger bouleversement dans la voix.

— Le président du GNUE (Groupe des Nations Unifiées d'Europe) réclame l'antenne pour un communiqué spécial.

— Très chères membres du GNUE ! Un inquiétant molosse de deux cents milliards de tonnes parcourant notre système solaire fait route en ce moment même vers notre planète. Apophis ne doit pas vous affoler, notre nation unifiée détient une parade pour y remédier ! Le dix avril à neuf heures la navette NCH-001-D nommé Ulysse va prendre la direction du météorite. Son armement révolutionnaire permettra de stopper sa course. Pour plus de sécurité, un puissant laser implanté en orbite assurera une contre-mesure !

Le comte partit vers le bar pour se faire servir deux whisky, puis retourna rejoindre la dame.

— Tiens, Maurane !

— Merci, père.

Elle se concentra sur le reportage en replay. Un journaliste posait une question au président du GNUE.

— Quand a débuté la construction de cette navette ?

— La fabrication de la coque a commencé le vingt-huit avril deux mille vingt-cinq.

— Pourquoi cela a-t-il autant duré ?

— Nous avons dû faire face à d'incessants problèmes ! La GNUE a dû conclure une alliance, un appui financier avec l'Entreprise Des Vignes, ainsi que sa technologie pour mener à bien nos exigences.

Elle attrapa la manette pour éteindre, puis s'assit sur le transat.

— Tu as bien évidemment un certain rapport avec ce projet !

Il esquissa un sourire sans répondre. Elle prit son verre pour l'approcher de ses narines afin de sentir des notes d'eucalyptus, de noix et d'agrumes. Elle pencha le verre pour observer le whisky, puis dégusta du bout des lèvres.

— Il est équilibré, épicé ! Il y a de l' eucalyptus, agrumes, figues, pâte de coings, tabac blond. Il a vieilli en fût de sherry butt pendant au moins six décennies. C'est un Single Malt Whisky, écossais, bien évidemment... Strathisla 1953 ou 56 !

— Bravo, digne fille à son père.

— Je n'aurais jamais cru que la technologie permettrait d'avoir un vaisseau interstellaire. On s'est certes amélioré pour les décollages, les fusées qui reviennent, mais là, on dirait l'USS Enterprise !

— Interstellaire, on n'y est pas encore. Un vaisseau interstellaire est conçu pour le voyage entre les étoiles. Là, ce serait plutôt vaisseau intrasolaire.

— Tu étais au courant pour la météorite Apophis ?

— L'astéroïde géocroiseur Apophis. La corrigea-t-il. Les astéroïdes géocroiseurs sont des astéroïdes évoluant à proximité de la Terre.

— Y a-t-il une réelle différence ?

— Un astéroïde est composé de roches, de métaux et de glace, qui orbitent dans le Système solaire, la plupart entre Mars et Jupiter. Les comètes à base de roches et de glace ont des orbites très allongées les rapprochant parfois du Soleil. Quand un astéroïde ou une comète entre dans l'atmosphère terrestre, cela devient un météore. Un objet céleste qui résiste à la désintégration en rentrant dans l'atmosphère et arrive jusqu'au sol est appelé une météorite.

— J'ignorais que tu t'intéressais à l'astronomie !

Il écrasa le cigare dans sa paume, puis frotta ses mains au-dessus des plantes. Sa fille détestait l'odeur du cigare. Il venait subitement de se souvenir d'une occupation urgente devant être réglée.

Dans la cave à vins, il se dirigea vers un homme suspendu à une poutre par les pieds. Il empoignait les rebords d'un robuste saut rempli d'eau afin d'éviter de se noyer à l'intérieur.

— Alors, Régis, aurais-tu quelque chose à me dire ?

— Je... Je vais parler.

— Vas-y, je sens de la fatigue dans tes bras. C'est tout à fait normal, au bout de temps d' heures.

— On n'est pas parvenu à lire intégralement le schéma, mais suffisamment pour comprendre la fabrication du champ antigravitationnel. Il ne fonctionne qu'à quatre-vingts pour cent, mais...

Le comte approcha tout en allumant un cigare. Il s'agenouilla pour lui expirer au visage.

— Je sais comment il fonctionne, puisque j'ai traduit le diagramme à l'aide du langage universel voilà déjà une décennie. Je veux l'identité de celui à qui te l'a vendu !

— Je ne peux le dire !

— Bonne noyade, alors. Ironisa-t-il en faisant demi-tour.

— Non, attendez, revenez... Je vais vous le dire !

Le comte tapota son cigare puis approcha lentement. L'autre le dévisageait de ses yeux écarquillés tout en continuant à maintenir le seau. Le comte plia une jambe sans poser le genou à terre, puis patienta en fumant.

— J'écoute.

Lorsqu'il lui donna l'identité du vendeur, le comte n'en fut pas le moins surpris. Il saisit ses poignets pour lever son visage au niveau du sien.

— Sais-tu comment je maintiens à la perfection l'anonymat ?

— Je... je ne sais pas...

— L'illusion, il faut être prestidigitateur aguerri, maintenir une mise en scène théâtrale.

— Je... je ne dirais rien !

— Fort probable.

Il brisa les poignets de son prisonnier avant de le relâcher. Le détenu plongea le visage dans l'eau sans parvenir à se tenir à flot. Des bulles remontèrent à la surface pour éclater, puis l'eau ne bougea plus.

— Norman ! s'exclama-t-il en pressant son oreillette. Jetez-moi monsieur X aux ordures.