
Chapitre 28 ; Partie 2 : Gwen
[Isalyn me jeta un regard encore un peu méfiant, mais se retourna vers ses hommes et, d'un sifflement, lança l'ordre de courir à l'assaut de ces hommes qui avaient failli tout leur prendre.]
J'entrai à mon tour, et ne pu retenir un haut le cœur. L'Arène n'avait probablement jamais vu couler autant de sang, c'était dire à quel point le sable était taché de rouge. Des cadavres d'hommes dont je ne pouvais qu'approximativement donner le nombre, entre trente et soixante, s'empilaient autour d'une furie : Nawen. Elle se battait comme une panthère enragée depuis plusieurs minutes, à coup de griffes, de pieds, de queue et de fluide. Son regard n'était plus celui que je lui connaissais, sa pupille s'était réduite à une fente féline et son expression respirait la bestialité. Elle luttait comme un animal et un instant, un court instant, j'ai eu peur de l'énergie monstrueuse qui se dégageait de Nawen.
Mon amie se tourna vers nous avant que quiconque ne lui ai fait signe, comme si elle nous avait entendus avant de nous voir. Elle commença à nous rejoindre, décimant les assaillants qui arrivaient encore et toujours et se mettaient sur sa route. Durant quelques secondes, je cru qu'elle allait rugir, mais lorsqu'elle ouvrit la bouche ce fut pour parler avec sa voix habituelle, comme si elle ne remarquait aucun des changements de son corps.
- Hey Gwen ! Tout s'est bien passé ?
- Oui, on peut dire ça... Ne restons pas plus longtemps ici, il faut partir maintenant ! Rassemblez vous autour de moi !
Je fermai les yeux, le monde tournant au ralenti, j'éprouvais chaque goutte d'eau cachée dans la terre, dans l'air ambiant, dans mon propre corps... Je percevais les masses que formaient mes alliés collés à moi, et dans un grondement sourd, matérialisai l'une des plus grosses colonnes aqueuses que j'avais jamais faite. Des cris émerveillés et effrayés montaient à la limite de ma conscience, focalisée sur l'effort : les bras tremblants, les muscles tétanisés, j'élevais ma charge gigantesque à la verticale de l'Arène, traversais le plafond dont j'avais brisé le verre plus tôt, et nous déposait délicatement à l'extérieur.
Dehors, c'était la panique. Personne ne faisait vraiment attention à nous, profitant de l'occasion si belle pour semer le chaos et détrousser son voisin. Dès que nous touchâmes le sol, Isalyn émit un sifflement, et, comme un seul homme, les enfants se dispersèrent dans les rues, fuyant vers leur liberté retrouvée. Leur chef nous adressa un petit signe de tête, avant de lui aussi disparaître en sautant sur un toit.
- Eh bah tant de reconnaissance ça fait plaisir dit ! Je veux bien que leur instinct de survie dicte leur conduite, mais je croyais qu'ils nous faisaient un peu confiance...
- C'est difficile, quand tu as été trahi toute ta vie, d'accorder ta confiance comme cela, même si nous sommes honnêtes. Allez viens Nawen, partons vite de ce secteur avant que les boss remettent de l'ordre et lancent une battue pour nous retrouver.
Elle secoua la tête en signe d'assentissement, et partie d'un pas souple dans la direction opposée à cette Arène maudite.
Après quelques minutes, je peinais déjà à la suivre. Nawen aurait pourtant du être aussi fatiguée que moi, voir plus, mais non : tous ses muscles étaient tendus au maximum, elle semblait constamment sur ses gardes, ses oreilles s'agitant en tous sens, réagissant à des sons que je n'entendais pas... Quand nous fûmes arrivées non loin de la crique de Moondir, là où nous attendais Nymphéas, je demandais grâce :
- Nawen, est-ce-qu'on peu faire une pause ? Personne n'est à nos trousses, le navire est à deux pas... Moi aussi je me sentirai mieux une fois en pleine mer, mais je ne tiens plus sur mes jambes, arrêtons nous quelques instant dans une taverne, buvons un peu et partons. D'accord ?
Ses yeux, encore étrangement fendus, regardèrent fixement dans la direction d'où nous venions, puis Nawen se tourna vers moi et son être sembla se relâcher légèrement.
- Bon, ok... mais c'est toi même qui a dit que s'ils nous attrapaient on était foutues, alors même si maintenant ils sont occupés ailleurs, bientôt ce ne sera plus le cas... Donc on ne reste pas.
Puis elle fonça dans la première taverne qui vint, et s'affala devant l'une des tables. Je m'assis près d'elle, Nawen avait beau dire, elle aussi était épuisée. Nous commandâmes de quoi nous rafraîchir, et pendant que le serveur partait chercher nos boissons, je me penchais vers mon amie :
- Est ce que tu te rends compte dans quel état tu es ?
Depuis que je l'avais retrouvée, Nawen semblait se trouver dans un état second, une étrange puissance émanait d'elle, et gonflait, se préparant à je ne sais quoi... Vu les changements physiques de ma cuisinière le phénomène avait l'air lié à une évolution de son fruit du démon, mais vers quoi... ? Je l'ignorais.
- Je... c'est difficile à dire...
À cet instant le serveur revint et nous nous tûmes pour descendre d'une traite le thé glacé et le jus de fruit, dignes des grandes aventurières que nous étions. Je m'apprêtais à reposer ma question, quand une voix familière attira mon oreille.
- Vous vous rendez compte ! Un message aux arabesques d'argent, livré en deux jours seulement ! On en demande pas tant, oui vraiment c'est rare des hommes aussi doués que toi Idriss !
Un rire secoua la tablée qui écoutait ces louanges, et malgré moi je tournais la tête. Leffou, presque debout sur la table, racontait en faisant tourner sa jupe les derniers exploits d'Idriss, son supérieur. Cette messagère n'avait jamais eue sa langue dans sa poche, et avait une certaine tendance à chercher les ennuis... Cela ne m'étonnait même pas de la croiser sur Mas Andreas, même si j'aurais tellement préféré ne voir personne de la Guilde... J'avais toujours été très solitaire et évitais souvent le contact humain, par conséquent je ne m'étais jamais vraiment fait d'amis là-bas, à l'exception de Phil. Mais la présence d'Idriss et Leffou me gênait plus par rapport à ma récente désobéissance. Dans les faits, j'étais encore sur Jugjio lorsque mon supérieur m'avait ordonné d'abandonner la mission et de lui ramener le message afin qu'il soit confié à quelqu'un d'autre, cela me laissait donc entre une et deux semaines pour retourner sur l'île où la Guilde était basée, après je serait hors-la-loi. Avec un peu de chance, ils n'avaient pas encore été mis au courant et ne me forceraient pas à rentrer avec eux... car alors j'ignorais ce que je ferais. Je tentais de me reconcentrer sur Nawen, elle aussi perdue dans ses pensées.
- C'est véritablement intriguant la réaction de ton fruit du démon, je pense qu'elle doit précéder une capacité encore plus grande, mais laquelle... comment te sens-tu ?
- Je... je ne sais vraiment pas, c'est comme si ça gonflait et tout me paraît plus net... comment dire ?
Malgré toute ma bonne volonté, je ne parvenais pas à me focaliser entièrement sur elle, et laissais mon oreille traîner du côté des messagers. Un éclat de voix plus fort que les autres, le timbre rauque de l'homme poisson qu'était Idriss, m'interpella.
- Voilà il est l'heure de laisser place aux nouveaux, tous les anciens messagers se font buter les uns après les autres, ils ont fait leur temps !
Je cru avoir mal entendu, mais il continua et je n'eus plus de doutes.
- Comment, vous n'avez pas su la dernière nouvelle ? Notre bon vieux Philip a cassé sa pipe ! Il était temps, vous aviez vu son état ? Je l'aurais pété en deux en lui soufflant dessus ! Et puis toujours à regretter le temps où les messagers étaient honnêtes, où l'on respectait les civils et gnagnagna... Limite sénile quoi !
Sa tirade fut ponctuée par un rire de Leffou et je serrai les dents. Gwen tu ne voulais pas qu'ils te remarquent alors ne réagit pas, ne...
- Ouais franchement ce mec il me faisait pitié ! Il servait plus à rien ! Je me demande d'ailleurs s'il avait servi à quelque chose un jour, c'était un putain de froussard faiblard...
Je me levais brusquement dans un fracas de chaise et allait me planter à quelques centimètres du visage d'Idriss.
- Je ne te PERMET PAS d'insulter mon père ! Il était un des meilleurs messagers de la Guilde ! Je ne laisserai PERSONNE salir sa mémoire comme tu le fais ! Retire ce que tu viens de dire. Maintenant.
Les branchies d'Idriss palpitèrent un instant sous l'effet de la surprise, puis il éclata de rire.
- Tiens tiens tiens ! Mais si c'est pas notre petite Gwendolyne ! Tu veux pas qu'on dise du mal de ton papa ? Mais vas y viens te battre, si Philip était si fort que ça tu ne dois avoir aucun mal à me vaincre ! Parce que là c'est toi qui viens de me manquer de respect gamine.
Je jetai un regard à Nawen et tentait de me résonner. Il serait plus raisonnable de laisser couler ces insultes et de ficher le camp, ce n'était pas une question d'honneur, on ne pouvais pas plaire à tout le monde, il cherchait clairement à me provoquer...
- Bah alors tu dis plus rien ? Ah oui j'oubliais t'as pas de parole, comme ton père !
Il n'eut pas le temps de reprendre son souffle que je lui enfonçait mon poing dans le nez. Idriss traversa la salle, fit voler en éclat la porte boisée de la taverne et alla s'écraser à l'extérieur. Finalement, cela avait été rapide. Pendant que ma rage refluait, je fis signe à Nawen.
- Allez, on a assez traîner ici, j'ai un message à rapporter à la Guilde.
Un petit mensonge qui, avec un peu de chance, serait raconté à mes supérieurs et me laisserai quelques jours de sursis supplémentaires. A moins que je sois directement exclue pour avoir levé la main sur un autre messager, mais à cet instant je m'en fichais. Nous sortîmes de l'établissement, pour nous retrouver nez à nez cassé avec Idriss.
- Tu croyais t'en tirer aussi facilement ?!
Il cracha un peu de sang et fit rouler ses muscles. C'était un homme requin tigre, et le moins que l'on puis dire c'était qu'il était imposant. Il lança sa longue queue vers mes jambes et me faucha. Je heurtai violemment le sol et ma vision se voila. Ah oui tiens, j'avais oublié qu'il fallait que je dorme avant de combattre à nouveau. J'ouvris ma gourde et me concentrai pour expulser une dizaine de balles aqueuses sur mon ennemi.
- Karaté des hommes poisson, 4ème technique !
Idriss intercepta mon attaque et envoya les bulles s'exploser dans un mur. Bon sang ! J'avais oublié que mon fruit du démon était quasiment inefficace contre un homme poisson ! Avant que je puisse me relever, il se jeta sur moi et m'écrasa de tout son poids. Je donnais un coup de pied et tentais de me remettre debout mais il me plaqua au sol en serrant une main sur mon cou. Idriss m'assena un premier uppercut en plein visage. Puis un second. Je perdis rapidement le compte, tant la douleur était forte, j'évitai d'ouvrir les yeux car je ne voyais que du sang et les limites de ma vision devenaient de plus en plus floues. Un instant il cessa de me frapper et j'en profitai pour reprendre mon souffle. Je rassemblai mes forces dans mon bras tremblant et lui enfonçais un shuriken dans la cuisse. Je le vis tressaillir et, dans un cri de rage, il lança ses dents vers mon torse. Je crois que je hurlai un moment... puis tout devint noir.
***
J'avais froid. Le vent soufflait sur la plage de Flowbä, giflant mes joues et mes bras nus, faisant voler mes cheveux. Je serrai un peu plus fort la main de ma mère.
Ses grands yeux bleu qu'elle m'avait légué fixaient l'océan, comme vides, sa longue chevelure noire flottait derrière elle, et son corps tremblait. Son esprit, lui, était ailleurs. Maman semblait encore plus triste que d'habitude.
Dans un murmure, elle laissa échapper la prière à laquelle elle se raccrochait depuis huit ans :
- Ce n'est pas grave, il viendra demain...
J'ignorais comment elle avait eu la force d'attendre si longtemps. Au village, les grands-mères racontaient que Maman s'était faite ensorcelée et continuait à croire à une promesse stupide que n'importe qui d'autre aurait abandonné. Jusqu'à l'année dernière, je ne faisais pas attention à ces mamies et leurs bêtises, Maman et moi étions très heureuses toutes les deux, et il reviendrait bientôt nous voir, il lui avait promis... Mais «lui», ce fantôme qu'était mon père, se faisait de plus en plus attendre, et plus je grandissais plus je comprenais les anciennes de Flowbä. Lorsque j'eus sept ans et passai le rituel d'initiation du village, recevant ainsi le tatouage symbolisant mon appartenance aux miens, Maman changea de regard sur moi. Elle commença à dire que je n'étais plus un bébé, que bientôt je partirais à la ville, deviendrais une femme, quitterais l'île, et n'aurais plus aucune chance de rencontrer un jour mon père.
Alors tous les jours, un peu avant le coucher du soleil, Maman m'emmena avec elle à la plage, fixer l'horizon avec de l'espoir à revendre, comme si son grand amour reviendrait pour les beaux yeux de sa fille. Mais tous les jours nous attendions en vain, et tous les jours ma mère rentrait un peu plus vide à la maison. Elle m'avait mainte fois raconté sa rencontre avec mon père. Le jour où elle était montée à la grande ville ouverte sur le monde, à quelques heures de Flowbä notre village, et où elle s'était arrêtée devant les navires. Ce jeune marine, tout juste soldat, qui s'était approché d'elle en souriant. Cette nuit à la belle étoile qu'ils avaient passé à discuter. Puis la suivante, et celle d'après. Comme il avait aimé ma mère comme aucun homme ne l'avait jamais aimée. Et le matin déchirant où il était reparti, après l'escale d'un mois du bâtiment de la Marine. Il avait promis de revenir et il l'avait fait. Un peu moins d'un an plus tard, il était arrivé, plus sûr de lui, avec plus de grade, d'assurance, de charme... Il était resté une moitié d'année avec Maman. Puis il avait du repartir encore, appelé par la mer et son devoir, promettant monts et merveilles, disant qu'un jour il aurait une situation stable, qu'il viendrait chercher ma mère et l'emmènerait avec lui. Neuf mois plus tard, je naquît, avec cette promesse de Papa, qui ne viendrait jamais, et cette Maman si joyeuse qui attendrait son preux marin, toute la vie s'il le fallait.
Et tous les jours Maman devenait plus triste. Mais je ne comprenais pas pourquoi, pas encore. Parce que ce n'était qu'il y a quelques nuits que Torilda, la vieille tatoueuse du village, m'avait expliqué que ma mère courait naïvement après une chimère, une aventure de jeunesse sans engagement, et que mon géniteur ne reviendrait sans doute jamais.
Alors ce soir là comme tous les soirs, je répondis au murmure de Maman par notre phrase habituelle, en lui serrant un peu plus la main :
- Oui, nous reviendrons scruter l'horizon. Maintenant la nuit tombe il se fait tard, rentrons.
Il y a une époque où c'était moi qui disais avec espoir que « ce n'était pas grave, qu'il viendrait demain », et ma mère qui répondais qu'il fallait rentrer. Maintenant, du haut de mes huit ans, les rôles étaient inversés et j'avais l'impression d'être la plus réaliste, tandis que Maman vivait dans son imaginaire.
Main dans la main, nous remontâmes la plage du même nom que notre village, retournant lentement à notre petite maison. Flowbä était attaché à ses traditions, la pêche, les tatouages rituels, les ancêtres... Mais cela ne l'empêchait de s'ouvrir peu à peu, et même si notre commerce avec la ville commençais lentement à prendre forme, de nombreux enfants étaient déjà parti pour acquérir de nouvelles connaissances. Car l'une des plus importantes valeurs du village était le savoir, et sa transmission. J'aimais beaucoup Flowbä, les personnes qui y vivaient et son atmosphère. C'est là que j'avais toujours vécu, je m'y sentais chez moi. Nous nous éloignâmes du centre du village pour arriver à notre cahute.
Notre petite maison était composé de quelques pièces : une salle d'eau, une cuisine, une salle commune et une chambre, que nous partagions. Nous avions tout décoré petit à petit, plus je grandissais plus nous accrochions des tresses de tissus bleu et des ensemble de perles et d'arabesques. Il y avait aussi un mur sur lequel Maman me laissait dessiner tout ce que je voulais. Ce soir là, quand nous rentrâmes, un léger vent soufflait dans les rideaux et notre chez nous semblait mélancolique. J'allais me préparer pour dormir, mais quand je revins dans notre chambre, ma mère était assise sur son lit, en larmes, ses vieilles lettres d'amour entre les mains. Elle se tourna vers moi et murmura, un sourire aux lèvres :
- J'ai bien trop attendu...
- Qu'est ce que tu veux dire ?
- Nous allons chercher ton père.
À partir de ce soir là, j'ai su que ma vie ne serait plus jamais comme avant. Je me suis revue, un an en arrière, à la cérémonie ayant fait de moi une adolescente et une transmettrice de Flowbä. J'avais traversé le village au crépuscule, et était entrée dans l'atelier des tatoueurs. J'avais pu choisir la partie de mon corps qui recevrait notre marque, et le symbole qui l'accompagnait...
Et après m'être décidée pour la clavicule, comme je le pressentais déjà depuis longtemps, alors que les aiguilles dessinaient lentement les arabesques bleues sur ma peau, j'avais senti le changement monter en moi. Ce soir là, face à ma mère et sa décision, je sentais un sentiment similaire gonfler dans mon ventre. Mais il fut vite rattrapé par la peur de l'inconnu, de quitter mon village, mon île et sa routine, et de partir chercher notre fantôme à l'autre bout du monde. Comme si elle avait deviné mes pensées, Maman me prit dans ses bras.
- Ne t'inquiète pas, ma petite Gwendolyne... Nous irons à la ville, et nous prendrons l'un des grands bateaux, puis, nous suivrons les navires de la Marine... Je ne sais pas précisément où est ce que nous trouverons ton père, mais le monde n'est pas si grand, et en donnant son nom les soldats nous indiqueront bien vite sur quel bâtiment il se trouve... Nous ne serons pas absentes longtemps et notre vie à Flowbä ne sera pas dérangée... Je te dois un Papa, et je te promet que nous le trouverons.
J'aquiescais, un peu rassurée. Jamais je n'aurais pu deviner à quel point je détesterais cette promesse, que j'aurais tellement voulu qu'elle ne fasse jamais...
*
J'observais l'horizon, accrochée dans les cordages fouettés par l'air marin. Deux ans. Cela faisait deux ans que nous avions quitté Flowbä. Les premiers mois, j'avais détesté mon géniteur fantôme, qui avait poussé ma mère, désespérée, à partir le chercher. Mon village me manquait, les maisons, les livres, les histoires des anciennes, le rire des pêcheurs, les rideaux tressés de perles, les arabesques bleues et la plage... Mais petit à petit, j'avais appris à aimer l'océan. L'odeur des embruns, la couleur de l'eau, le doux roulis... Et puis, au fil du voyage, Maman s'était transformée. Elle avait retrouvé sa joie de vivre de mes premières années, l'étincelle au fond de ses yeux océans s'était rallumée. Ma mère me contait aussi de plus en plus d'anecdotes, me racontant de mille façons chaque facette de l'homme qu'elle aimait. Et moi qui avait ternis l'image de mon père, parce qu'il n'était jamais revenu et parce qu'on m'avait fait quitter mon monde pour lui, je recommençais à l'apprécier.
Je reportais mon regard sur les flots, où une lointaine terre venait d'apparaître. Après presque une année à passer d'île en île, de bateau en bateau, nous avions enfin trouvé des informations sur mon soldat de père. Il était monté en grade et était maintenant lieutenant, dirigeant un bâtiment patrouillant en North Blue.
Nous nous étions alors lancées, l'année suivante, dans la direction de cette mer, récoltant au passage les dernières nouvelles et localisations.
Et depuis quelques semaines, mon impatience montait. Le navire sur lequel nous étions se dirigeait vers une île, sur laquelle le bateau de mon père s'était arrêté.
Je n'avais jamais vu de port aussi agité. Je pensais qu'il n'existait rien de plus grand que celui de la ville de mon île... J'avais tors. Partout des odeurs se bousculaient, comme les gens, et toutes les couleurs des bateaux, vêtements, drapeaux, échoppes... se confondaient devant mes yeux. Le flot de personnes se déversait sur moi et j'étais bringuebalée en tous sens, tel un navire sur une mer agitée. La seule chose qui me permettait de garder pied, c'était la main de ma mère, que je serrais le plus fort que je pouvais, parce qu'elle était mon seul repère, mon phare. Elle n'avait d'ailleurs jamais semblée aussi lumineuse, plus mon père se rapprochait plus maman s'ouvrait. À cet instant, collée contre ma mère, j'eus la certitude que tant que je serais avec elle rien de mauvais ne pourrait m'arriver.
Après s'être un peu perdues dans le marché portuaire, nous retrouvâmes le quai que les marins nous avait indiqué. Le vaisseau amarré était énorme et, en nous rapprochant, il me cacha le soleil. Nous avançâmes sur le ponton qui menait à ce bateau si grand. Un soldat arriva et nous demanda à ma mère ce que nous voulions. Elle prit une grande respiration, c'était le moment qu'elle attendait depuis dix ans..., puis elle dit d'une voix tremblante :
- Nous aimerions avoir une entrevue avec le lieutenant Eric Rainlaux.
Le soldat nous dévisagea d'un drôle d'air, puis nous fis signe de le suivre. Il nous entraîna dans les profondeurs du navire jusqu'à une cabine où le nom de mon père était inscrit. Mon cœur se mit à battre plus fort et je l'entendais résonner dans ma tête. Mon ventre se tordit, j'avais si peur de le décevoir ! Après tout, s'il n'était pas revenu c'était peut être que... Mais avant que mes angoisses deviennent concrètes, le marine poussa la porte de la cabine en annonçant :
- Il y a deux petites femmes qui veulent vous voir mon lieutenant !
Il nous poussa à l'intérieur, et referma derrière nous. Au bureau, placé au centre de la salle, un homme releva la tête. Il avait des yeux gris perçant, un visage angulaire et de courts cheveux bleu clair, qui avaient donné aux miens ces pointes dégradées si particulières.
- Que puis-je pour vous mesdames ?
Le ton de sa voix était courtois, mais pas chaleureux. Maman lâcha ma main et s'avança vers lui, hors de tout contrôle.
- Eric... Eric c'est moi, Maria, tu se souviens ?
Elle pleurait de joie, tremblait, tendait les mains vers mon père. Il se leva et passa de notre côté du bureau.
- Ma... Maria ?
- Ou... oui ! Oui ! Oui c'est moi !
Ma mère, fébrile, semblait prête à se jeter dans ses bras à tout instant. Quant à moi, j'étais incapable de réagir, ne sachant que dire pour participer à cette scène qui m'apparaissait étouffée. Je n'avais d'yeux que pour mon père.
- Mais Maria, qu'est ce que tu fais là ?
Sa voix me ramena brusquement sur terre. Il avait parlé sèchement, et ses yeux étaient devenus durs. Mais Maman continuait :
- Je suis venue... venue te retrouver ! Comme tu ne revenais pas, j'ai eu peur qu'il te soit arrivé quelque chose, et puis il fallait que je te présente ta fille !
- Ma QUOI ?!
Il se raccrocha au bureau, tremblant à son tour, le visage livide. Puis il me regarda.
- Toi... Mais non, tu ne devrais pas être là, non, non, NON !
Il renversa son bureau dans un cri de rage. Les papiers volèrent dans toute la cabine et le meuble s'écrasa avec fracas. Je ne comprenais pas ce qu'il se passait, mais j'étais morte de peur. Je me précipitai vers ma Maman pour me réfugier dans ses bras, mais malheureusement elle était trop concentrée sur l'homme qui lui faisait face pour me voir.
- Eric... comment ça ? Qu'est ce qu'il y a mon amour ?
Celui qui devait être mon père, qui un instant plus tôt explosait de colère, se mit à rire lugubrement.
- Ah Maria... petite Maria, naïve Maria, n'as tu donc pas compris ? Nous nous sommes aimés quelques semaines, et c'était beau, mais cela ne voulait rien dire... ou en tout cas ne veut plus rien dire depuis longtemps ! Tu n'étais qu'une aventure le temps d'une escale, mais rien de plus... Tu aurais du le comprendre quand après plus de... d'une dizaine d'années au moins, je n'étais toujours pas revenu ! Mais tu raisonne comme une adolescente Maria, et cours après une illusion !
- N... non ... je ne peux pas te croire...
Ma mère était tombée à genoux et semblait le supplier. Et lui, lui, il continuait :
- J'ai une femme maintenant, deux enfants, un poste haut gradé, une promotion imminente...
Il s'arrêta un instant et me pointa du doigt avec hargne.
- Et ça, ça tu vois Maria c'est une erreur. Une erreur de jeunesse. Qui ne devrait pas exister. Car tu vois, ça c'est une enfant née hors mariage, née d'une pauvre pute...
- Je ne suis pas...
- T'es une paysanne, c'est du pareil au même ma chère Maria ! Tu n'es rien. Ta fille n'est rien. Mais si maintenant on apprenait que cette enfant illégitime était de moi, je serais foutu, foutu ! Toute ma carrière, tout ce pour quoi je travaille si dur depuis des années, ma respectabilité, mon intégrité, ma réputation... tout serait balayé ! Nous avons tous fait des choses stupides étant jeunes, mais elles appartiennent au passé... il faut les garder secrètes ici.
Il s'approcha de ma mère et lui attrapa le menton.
- Ce n'est pas contre toi Maria, mais tu n'aurais pas du t'accrocher désespérément à un amour éphémère. J'aime ma femme, je ne veux pas que toute ma famille me renie à cause d'une bête gamine qui n'aurais jamais du naître. Alors voilà ce qu'on va faire...
Il resserra sa main.
- Tu vas prendre TA gosse, tu vas expliquer qu'elle n'a pas et qu'elle n'a JAMAIS eu de géniteur, et vous allez disparaître de ma vue et de ma vie pour toujours.
- Non.
Il tourna la tête vers moi, stupéfait. C'était les premiers mots que je prononçais, n'en pouvant plus d'observer sans agir, je devais agir, pour ma mère.
- D'accord, Maman aurait du être plus lucide. Mais ça ne te donne pas le droit de nous traiter comme si on était pire que des chiennes, et nous chasser comme si on avait jamais existé. Oui on fait tous des « erreurs », mais elles disparaissent pas comme ça, faut les assumer.
En une fraction de seconde, il fut face à moi. Je sentis quelque chose de froid appuyer sur mon front, et compris avec terreur que c'était le canon d'un revolver. Il me cracha :
- Écoute moi bien gamine : Tu ne connais rien du monde, il ne t'est pas permis de me donner des leçons pareilles, tu n'es RIEN. Et les erreurs de la nature comme toi, elles ne mériteraient même pas de vivre...
- Éloigne cette arme de ma fille. Maintenant.
Ma mère s'était relevée et pointait elle aussi un petit pistolet sur le crâne de l'homme qui ne fut jamais mon père. Il me poussa en arrière et se retourna pour braquer son arme sur ma mère.
- Ah dès que je touche à ta progéniture, tout d'un coup tu te réveille !?
- Je t'ai laissé dépasser les bornes me concernant, mais il est hors de question que tu inculpes quoi que ce soit à Gwendoline, elle n'y est strictement pour rien, elle n'a rien demandé...
Il passa la langue sur ses lèvres, son regard devenait presque fou.
- Maria je ne le répéterai pas. Tu prends ta gosse ET TU TE CASSES ! TU DISPARAIS DE MA VIE !
Les deux mains tremblaient sur les pistolets.
- Eric tu vas assumer et...
- PUTAIN MAIS DÉGAGE !
Je ne su jamais pourquoi le coup parti. Un contraction nerveuse de la main ? Une goutte de sueur qui le fit glisser ? Un faux mouvement ? Tout ce que je su, c'est que ce fut un accident. Je l'ai compris à l'expression de son visage quand le bruit de la balle résonna. Surpris et horrifié.
- MAMAN !
Une fleur rouge naquit sur son ventre et s'entendit à toute vitesse sur le tissu de sa robe blanche. Comme au ralenti, elle s'effondra.
- MAMAN !
Je n'arrivai pas à assimiler les informations, je la secouai, sans comprendre pourquoi j'étais si paniquée.
- MAMAN !
Elle leva une dernière fois ses yeux aussi bleus que les miens, et les posa sur moi. Dans ce regard, je sentis tout son amour, tout ce qu'elle aurait voulu me dire. Puis ses paupières tombèrent.
- MA...
- La ferme !
Je m'étouffai, sa main plaquée sur ma bouche pour m'empêcher de crier. Je me débattais pendant qu'il ne cessait de jurer.
- Putain de putain de merde c'est pas possible, après la môme, l'homicide involontaire d'une civile, bordel de putain de sa mère comment je vais faire pour me sortir de ça... Et putain, merde, il n'y a qu'un seul moyen...
Il me fixa et posa son arme encore fumante entre mes yeux. Je cessais de bouger.
Nous restâmes ainsi pendant une minute qui me sembla sans fin. Puis, il soupira.
- Pfff bien sûr que t'en es incapable, lavette...
Il enleva sa main de ma bouche et enfonça son revolver à la place. Je cru que j'allais mourir, mais il me serrait le bras tellement fort que j'étais plus concentrée sur la douleur.
- Écoute moi bien petite... Gwendolyne, c'est comme ça qu'elle t'a appelé ? Tu n'as rien vu. Tu vas partir maintenant, et si jamais je te revois, JE TE BUTE, c'est bien clair ?! Je te fais subir la même chose que ta pute de mère ! On s'est bien compris ?
Je secouais la tête, avec la force du désespoir, par instinct.
- Bien.
Il enleva son pistolet de ma bouche, m'attrapa par le cou, ouvrit une porte de sa cabine donnant sur l'extérieur, et me jeta sur le ponton. La dernière vision que j'eus du bateau de la marine, fut la porte qui se refermait sur le corps baigné de rouge de ma mère.
Je ne réfléchissais pas. Je savais que j'étais en danger seule dans ce port, et que si je tombais maintenant je ne me relèverai pas. Alors j'ai marché. Mécaniquement.
Quand mes jambes ont commencé à ne plus pouvoir me porter, je me suis arrêtée devant les navires. Finalement, j'ai choisi le seul qui n'avait pas d'armes, et dont le drapeau n'était ni marine, ni pirate. Je fuyais maintenant les deux comme la peste. Discrètement, je me glissais à bord et cherchais un endroit où m'arrêter, peut être dormir, peut être manger.
Au fond d'un couloir, je trouvais une petite salle, avec quelques provisions, quelques coffres et des cylindres métalliques bizarres. J'attrapai un fruit qui était posé sur un coffre. Il était en forme de larme... et de la même couleur que les yeux de maman. Je sentis ma première barrière mentale céder.
Désespérément je voulu me concentrer sur autre chose, manger tiens, mais le fruit était dégoûtant et me laissais une étrange impression dans le ventre. Cela allait vraiment être ça ma vie maintenant ? Clandestine dans des bateaux, à manger des fruits périmés ? Maintenant que... que ma mère...
Je m'effondrai sur le sol et fondis en larmes. Elle ne pouvait pas être morte ! Pas elle ! Il n'avait pas pu la tuer ! Ce n'était pas POSSIBLE !
Ma maman... ma douce maman... je ne pouvais pas croire... je ne la verrai plus jamais... Son absence se fit soudain sentir comme un coup de couteau dans ma poitrine. Je criai. Ma conscience disparut et je ne fut plus que douleur.
Après je ne sais combien d'heures passées roulée en boule sur le sol de cette cabine, je finis par sombrer dans le sommeil, toujours en pleurs.
Dehors, l'orage grondait.
*
Le lendemain je fus réveillée par des cris.
- BON SANG mais MERDE qu'est ce qu'elle fout là !?
Je sentis quelqu'un agripper par les cheveux et me tirer à l'extérieur. Ça y est, j'étais découverte et ils allaient me jeter par dessus bord, ou me ramener au port le plus proche.
- Petite fille donne moi UNE bonne raison de pas te jeter à la flotte ?!
J'ouvris grand les yeux et observai l'homme face à moi. Les yeux verts, cheveux clairs, barbe de trois jours, la trentaine... il n'avait pas l'air méchant.
- Parce que... vous avez pas l'air méchant ?
Il fronça les sourcils.
- Tu te rends bien compte que t'as pas le droit d'être ici ? Où sont tes parents ?
Aussitôt les images de la veille me revinrent de plein fouet. Je me mis à trembler, les larmes aux yeux.
- Ah non non non me fait pas ça fillette, je supporte pas les gamins qui chialent !
Il semblait plus effrayé qu'en colère, ne sachant visiblement pas gérer un enfant.
- Tu te calmes petite, tu respire et tu réfléchis à la dernière fois que tu as vu ta maman.
Il pouvait pas savoir. Le cauchemar qui m'avait hanté toute la nuit réapparut, imprimé sur mes rétines, et je fus prise d'un haut le cœur. Je me dégageais de sa poigne pour courir au bastingage et vomir de la bile par dessus bord.
Les yeux fixés sur les vagues, je sanglotais carrément.
- Ma maman... elle... la dernière fois que je l'ai vue... elle... était couchée dans une flaque... de... rouge...
Je n'arrivais pas à dire sang.
- Et... j'ai pas de papa.
Il avait raison, je ne voulais aucun lien avec lui, il n'avait jamais été mon père et ne le serait jamais.
- Ah je... merde c'est...
L'homme tenta maladroitement de me faire un câlin, pas habitué à donner de l'affection, ni en recevoir d'ailleurs.
- Comment tu t'appelles fillette ?
- Gwen... Gwendolyne euh...
Je n'allais certainement pas utiliser son nom de famille, je n'avais après tout que toujours porté celui de ma mère.
- Gwendolyne Wave.
- Enchanté Gwen, je m'appelle Philip. Mais... tu peux m'appeler Phil.
Et à partir de ce jour, je ne le quittai plus. Au début, la cohabitation fut difficile, surtout les jours où nous passions dans des ports et où il essayait de me convaincre de rentrer sur Flowbä, ou bien ce fameux matin, une semaine après mon arrivée...
- Non, non, NON ! C'EST PAS POSSIBLE !
- Il y a un problème Phil ?
Il faisait les cents pas dans la salle des provisions où j'avais dormi le premier jour.
- Il y avait ce fruit du démon rarissime, que j'avais gagné en récompense de l'une de mes missions, j'allais en tirer des millions de berrys et il a disparu ! Viens, aide moi à le chercher, il ressemble à une goutte bleue...
Un frisson me parcourut.
- Euh... Phil ?
- Quoi ? Tu l'as trouvé ?
- Non je...
Je ne voulais pas qu'il se mette en colère, mais je pouvais pas savoir...
- Je l'ai mangé.
- Pardon ?!
- Oui le premier jour, je... j'étais pas bien et je...
- BON SANG de nom de nom tu as mangé l'aqua-fruit !
Il soupira.
- Bon, au pire, je gagne déjà très bien ma vie moi, mais est ce que tu te rends compte de ce à quoi tu t'expose maintenant ?
- Euh...
Il s'approcha et commença à me regarder sous toutes les coutures, comme si j'étais malade.
- Tu as mangé un fruit du démon, cela signifie que tu ne pourras plus jamais nager, mais aussi que tu vas développer des pouvoirs hors du commun !
- Ah... bah je... mince.
Je ne savais pas comment assimiler cette information, car j'aimais beaucoup nager et me déplacer en mer, mais ce que j'avais mangé ça s'appelait pas l'aqua-fruit ?
- Viens, je vais t'expliquer...
Il y a eu aussi toutes ces fois où Phil faillit me placer dans un accueil pour enfants perdus, pour éviter de risquer ma vie chaque fois qu'il partait en mission, mais je refusais catégoriquement. Et même si au début il avait eu du mal avec ma présence, il avait fini par s'y habituer, et il m'avait prit sous son aile lorsque j'avais intégré la Guilde.
Je n'étais retournée qu'une seule fois sur Flowbä, à mes quatorze ans. Ce fut un cauchemar. Je du expliquer et réexpliquer qu'avec ma mère nous avions poursuivi un fantôme pendant deux ans avant de devoir affronter la sanglante réalité. Et puis, tout le village me rappelai ma maman. Ici nous jouions ensemble, là nous dormions, dansions, vivions. Je n'avais jamais prévu de voyager loin de mon île – mon tatouage en témoignait – pourtant je ne pouvais pas rester ici. Les grands-mères avaient approuvé Phil et estimaient qu'il prenait soin de moi, j'avais pu repartir.
Ma vie avec lui était faite de liberté et de principes, et je serai restée dans la Guilde au moins aussi longtemps que lui. S'il n'y avait pas eu ce funeste jours sur Seeknoken, où il était venu s'éteindre dans mes bras, me confiant son ultime message et le contrôle de ma vie.
*
Je crois que je pleurais, mais je n'étais pas bien certaine de savoir pourquoi. Il y avait un goût métallique dans ma bouche et un voile rouge devant mes yeux. Sous moi, la terre était mouillée par la pluie, et dans le lointain, il me sembla entendre crier.
J'avais froid.
***
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro