Chapitre 24 : Gwen
En tentant d'être la plus rassurante possible, je lui lançais :
- Ne t'inquiète pas.
Puis je m'engouffrais dans la grotte.
Je comprenais l'angoisse de Nawen, mais il ne m'avait fallu que quelques minutes pour céder à ma soif de connaissance et d'exploration.
Je laissais courir ma main valide sur la parois violette et rocheuse. Comme je l'avais exposé à Nawen, la mousse brillait de plus en plus, scintillant d'une lueur verte. Le couloir dans lequel je marchais s'élargissait et sa hauteur augmentait. Après quelques minutes je ne distinguais plus l'entrée de la grotte ni la lumière du jour, mais la luminescence de la mousse suffisait largement pour voir.
Je parvins alors à un embranchement. La galerie principale se scindait et créait deux chemins différents. J'hésitais un instant, Nawen m'attendait et je ne devais pas prendre trop de temps... c'est alors que je remarquais une plante singulière dans le couloir de droite. Côte à côte avec la mousse verte, un second type de lichen brillait. En m'approchant, je notais qu'il ressemblait en tous points à l'autre végétation, à l'exception que sa couleur était violette. Je l'effleurais.
La mousse se contracta soudainement et éjecta un nuage de spores. Je m'éloignais en toussant, déboussolé. Les poussières étaient rentrées dans mes yeux et mes poumons et me gênaient extrêmement. J'ignorais pendant combien de temps je restais là, à cracher mes poumons et frotter mes paupières. Finalement l'irritation disparu et je pu à nouveau voir clair et respirer sans difficultés.
La mousse autour de moi brillait d'un éclat bien plus fort qu'avant, et il me sembla que je m'étais trop enfoncée. Nawen m'attendait et si la seule propriété de cette plante était d'envoyer du pollen à la figure des gens, je ne voyais pas l'intérêt de m'attarder. Je fis demi tour et repris ma marche, dans la direction où la mousse violette était la moins présente et dont je pensais venir. Mais après quelques minutes, je du me rendre à l'évidence, le croisement que j'avais pris n'était plus là. Je retournais alors sur mes pas, après tout, je m'étais peut-être trompée de sens, embrouillée par la fumée végétale j'avais pu tourner sur moi-même.
J'accélérais le pas, soudainement pressée de retourner à l'air libre. Je courais presque, quand le couloir que je suivait déboucha sans prévenir sur une salle. Creusée dans le volcan, à même la roche, cette grotte avait été crée grossièrement, mais en imposait par sa taille.
Cependant, je n'avais d'yeux que pour ce qui se tenait au centre de la cavité. Mes hypothèses se confirmaient : je connaissais cette île. Les battements de mon cœur devinrent plus rapides, face à la majesté dont faisaient preuve ces animaux et surtout face au danger qu'ils représentaient, que ma logique ne cessait de me rappeler. C'était tout de même incroyable ! Aucun aventurier, aucun scientifique n'avait mis les pieds ici depuis des centaines d'années !
Je restais pétrifiée, fascinée devant les bêtes quand l'une d'elle se mit en mouvement. Sa large tête tourna lentement, pour finalement s'arrêter face à moi. Le temps se figea. Derrière moi ? La galerie était assez large pour qu'elle me suive. Devant ? Du suicide. A moins que... En une seconde mon regard fit le tour de la caverne et j'entrevis mon salut. Des dizaines de galeries creusées dans le volcan, dont certaines trop petites pour qu'elles entrent. La plus proche était à 100 mètres. Avais-je le temps de peser le pour et le contre ? La bête cligna des yeux.
Cours.
L'ordre résonna dans ma tête, comme une instruction indiscutable de mon corps, et je me jetais en avant. Mes jambes frappaient le sol de toutes leurs forces, pendant que derrière moi d'autres animaux se mettaient en mouvement. 80 mètres. Quelque chose heurta la parois de la grotte et des morceaux de roche violette se détachèrent. 50 mètres. Mon souffle perdait en régularité. 30 mètres. Était-ce un œil à ma droite ? 10 mètres. Un souffle chaud vint me brûler la nuque. 2 mètres. J'y étais presque ! 1 mètre. Je sentis une lame me griffer la jambe. Dans un dernier effort, je m'élançais, et me réfugiais enfin dans la galerie.
Derrière moi, ma poursuivante s'écrasa contre le mur de roche, et tout le volcan s'ébranla. Furieuse, la bête donnait des coups de tête, et je ne pu retenir un cri. Autour de moi, des monceaux de pierres couverts de mousse s'effondraient. Lorsque l'éboulement se fut calmé, l'entrée de mon couloir était bouchée. Pas moyen de faire marche arrière, j'allais devoir avancer. J'eus une pensée pour Nawen : qu'elle restait dehors à m'attendre ou qu'elle se lançait à ma recherche, dans tout les cas elle n'était pas en sécurité.
Autour de moi, tout les murs étaient recouverts de mousse, certaines vertes et d'autres violettes. Après quelques mètres dans la galerie, j'arrivais à un croisement. Je fis une croix à l'angle, avant de m'engager dans je ne sais quel dédale dont je ne sortirais jamais. Lorsque je m'accroupis, je m'éloignais précautionneusement de la mousse violette, mais cette fois-ci ce fut la verte qui éjecta son pollen sur moi. Je l'esquivais un peu mieux que la première, et ne mis que quelques secondes à m'en remettre. Puis je traçais mon repère et me relevais. Je pris le couloir de droite. Je renouvelais l'opération à l'intersection suivante, en marquant un petit 1 sous la croix. Puis à la suivante un 2. Puis un 3. Un 4. Machinalement.
Cela ne menait à rien. J'ignorais depuis combien de temps je choisissais -encore et encore- le couloir de droite. Arrivée à la trentième croix, je décidais de prendre la galerie de gauche. Mais lorsque j'arrivais à l'intersection, je me rendis compte que je l'avais déjà marqué : une croix sans chiffre, mon tout premier repère. Impossible. Depuis tout à l'heure, j'avançais pourtant, je le savais... Je revins sur mes pas, la trentième intersection avait disparu.
- Bordel.
Face à moi, il n'y avait plus qu'un long couloir. Je me mis à courir, mais plus j'avançais plus le chemin s'allongeait. Je me stoppais au milieu de la galerie sans fin. Cette saleté de labyrinthe avait décidé de ne pas me laisser sortir d'ici, soit. Si l'enchaînement de couloirs se modifiait chaque fois que je détournais les yeux, la logique ne me serait d'aucune utilité. Quant à la force... je pourrais peut être percer les murs rocheux, mais vu mon orientation actuelle il y avait une chance sur deux que je retombe sur les bêtes de tout à l'heure. Dans ce cas, que faire ? Jouer le jeu jusqu'à ce que ça s'arrête ? Si jamais cela s'arrêtait un jour...
J'étais perdue dans mes réflexions, quand un mouvement attira mon attention. Je relevais la tête. Au bout du couloir une silhouette se profilait. Silhouette qui ne m'était pas inconnue.
Le révolutionnaire de Jugjio.
- Comment est-ce-que tu t'es retrouvé ici ? Tu sais ce qui ce passe ? Pourrais-tu m'aider ?
Il ne répondit rien, et m'adressa un adorable sourire. Mes joues chauffèrent et j'eus du mal à reformuler une question cohérente.
- Je... je dois partir, est-ce-que tu... tu saurais par où est la sortie ?
Une fois de plus, il resta silencieux, mais il m'adressa un léger signe de tête et tourna au coin de la galerie. Je le suivi et constatais, soulagée, que le sol ne m'empêchais plus d'atteindre le tournant. Mais lorsque je le franchis, mon révolutionnaire avait disparu. Décontenancée face à ce couloir vide, je me précipitais au coin suivant, mais là aussi, il n'y avait plus personne. Se moquait-il de moi ? Quel était son intérêt à faire cela ? Où voulait-il me mener ?
- Gwen.
Mon cœur manqua un battement. Cette voix... c'était impossible. Comme au ralenti, je me retournais pour lui faire face.
- Je t'ai manqué ?
- Qu'est-ce-que... tu... tu ne peux pas être là... comment... ?
Au milieu du chemin se tenait Phil, tout sourire.
- Gwen, Gwen, Gwen... tu pensais vraiment qu'il m'avait achevé si facilement ?
Je plaquais une main sur ma bouche et réprimais un sanglot. Je n'arrivais pas à y croire. C'était... merveilleux ! Je l'avais cru mort, parti à jamais mais non, il était là, mon... mon père était là !
Je me précipitais vers lui et allais pour me jeter dans ses bras, des larmes dévalant mes joues. Ma respiration était irrégulière et mes pleurs incontrôlables, j'étais tellement, tellement heureuse ! Mon cœur se soulevait de joie, Phil ! Phil vivant comme avant, toujours là pour m'aider et me protéger ! J'allais me blottir contre lui, quand un affreux doute me prit.
- Mais... mais comment as-tu fais pour t'en sortir ? Tu n'avais plus de pouls et... je t'ai brûlé comme tu le souhaitais... Tu ne peux pas avoir survécu à cela...
- Oh... mince, tu as presque été assez crédule pour croire que j'étais vraiment vivant, quel dommage... quoique, ton expression d'effroi est tout de même très satisfaisante !
Sous l'effet de ses paroles je cru que mon cœur se fendait. Son sourire se transforma en un horrible rictus et je reculais.
- Tu n'es pas Phil... Qui es-tu ? Que me veux tu ?
- Mais ton bien ma petite Gwen, rien que ton bien...
Il tendit ses bras vers moi.
- Gwen regarde moi, regarde moi dans les yeux...
Je levais la tête en tremblant. Ses yeux n'étaient plus du doux vert que je lui connaissait, mais deux trous noirs au centre de sa tête. Je sentis quelque chose remuer au fond de mon ventre quand, sans prévenir, un cafard s'extirpa de son globe oculaire droit.
- Mon dieu...
Son visage se putréfiait à vue d'œil, sa peau devenant poussière et ses organes se transformant en insectes. Je réprimais un haut le cœur.
- Alors ma petite Gwen, on a peur de son papa ? Pourtant, c'est TOI qui m'a fait ça !
Il parti dans un rire monstrueux et se mit à brûler. J'étais incapable de réfléchir rationnellement, et tombais au sol en reculant.
- Non... non, non, non non NON !
Ma vue se brouilla, et ce qui avait l'apparence de Phil explosa dans un nuage de flammes.
Le silence revint, seulement troublé par mes sanglots incontrôlés. J'essuyais lentement mes larmes, plaquais ma main sans blessure sur le sol et tentais de calmer ma respiration. Seule au milieu du couloir, il n'y avait plus aucune trace de ce qui m'avait remué au plus profond de mes tripes. Ce ne pouvait pas être Phil. Il était mort et bien mort. J'avais pourtant accepté ce fait, alors pourquoi m'étais-je laissée convaincre si facilement par ce... monstre ? Ma logique me souffla que c'était probablement parce que je le souhaitais si fort... que je ne rêvais que de ça depuis des semaines... Je ne trouvais toujours pas d'explication à ce que j'avais cru voir, ce que j'avais VU.
Je me relevais, les jambes en coton. J'avançais doucement vers le tournant suivant. Si c'était vraiment Phil qui m'avais parlé, pensait il les horreurs qu'il m'avait dites ? Et QUI l'avait ramené ? Non, non, ce n'était pas lui, ça ne pouvait pas être Phil... Mais si...? Je passais le coin de la galerie, et la réponse m'apparut comme une évidence. Nonchalant, planté au milieu du chemin, il me regardait d'un air dédaigneux.
Il n'avait pas changé depuis la dernière fois que je l'avais vu. Le même uniforme de la Marine, les mêmes cheveux bleu clairs, les mêmes yeux gris, froid comme de l'acier, comme son cœur.
- Tu as trois secondes pour t'enfuir.
Il avait asséné ces mots avec une froideur inimitable. J'étais encore traumatisée par mon dialogue avec Phil et incapable de bouger d'un centimètre, il avait bien calculé son coups.
- Alors la gosse, je croyais t'avoir dit de ne jamais te représenter devant moi ? Visiblement tu es suicidaire, ça ne m'étonne pas...
Je bouillais intérieurement. Je voulais le détruire, le faire souffrir comme il m'avait fait souffrir, mais je ne réussi qu'à avancer d'un pas. Il se mit en mouvement et le temps que je cligne des yeux, il était face à moi. Il sortit un pistolet de sa veste et toute ma colère se liquéfia, pour devenir une peur brute.
- Je te l'avais promis la gosse, je t'avais promis que je te tuerai... C'est pas contre toi tu sais, tu n'avais juste pas à exister. Tu n'es qu'une erreur, et les erreurs ça salit les réputations...
J'étais pétrifiée, spectatrice muette de ma mort prochaine. Pourquoi avoir voulu faire escale ici ? J'avais causé ma propre perte. Lentement, il leva son arme et la pointa entre mes deux yeux. J'espérais que Nawen pourrait partir de cette île. Avec un léger sourire, il appuya sur la détente. Je fermais les paupières. Le bruit de la détonation résonna dans ma tête.
Rien. Pas de douleur insoutenable dans mon crâne, pas de perte de conscience, rien. Était-ce allé si vite que j'étais morte sans m'en apercevoir ? J'ouvris les yeux. Un couloir vide, dans un volcan, avec les murs couverts de mousse lumineuse. Personne. Que se passait-il à la fin ? Je passais mes mains sur mon visage et m'assenais quelques claques. D'abord l'homme de Jugjio, puis Phil et maintenant lui... Qu'est ce qui m'arrivait ? Tout cela était-il bien réel ? Ou était-ce dans ma tête ? Je me mordis le poing et donnais un coup dans la parois. Je laissais la mousse m'étouffer dans son nuage de spores et alors je commençais à comprendre : autour de moi, le décors changeait.
Je me tenais sur une plage familière, le vent marin dans les cheveux, gonflant ma robe blanche et mes poumons. Je sentis une pression dans ma main gauche, dont le bandage avait disparu et baissais la tête. Une petite fille d'à peine huit ans s'accrochait à mon bras. Ses grands yeux bleus reflétaient l'océan et ses cheveux, d'un dégradé de bleus, lui tombaient sous les épaules. Elle me demanda d'une voix douce :
- Maman est-ce-que ça va ? Tu as l'air triste...
Un éclat de rire me chatouilla la gorge. Le labyrinthe et ses mousses, ils commençaient à se rendre compte que j'avais un doute, et ils me sortaient le grand jeu ! Mais ils s'étaient trompés d'illusion, car ce souvenir je le connaissais par cœur et ce n'était pas comme cela qu'il se déroulait. Je m'agenouillais face à la fillette, mon petit reflet, et lui murmurais :
- Tu sais qu'il y a quelque chose qui cloche, n'est-ce pas Gwendolyne ? Je ne suis pas Maman, et tu n'es pas vraiment là... Un simple écho de mes souvenirs, que la végétation hors du commun de cette île manipule. Nous ne sommes pas sur la plage de Flowbä, et je dois me réveiller.
Alors l'océan disparu, le sable s'effrita sous mes pieds, et bientôt il n'eut plus que moi, tenant la petite fille par les épaules dans un couloir du volcan. Elle se dégagea et me cria :
- Ta faute, ta faute, tout est de ta faute ! Tu aurais du la protéger !
Puis elle s'enfuit dans une autre galerie. Je me remis debout, mon sang froid revenant peu à peu, le cerveau fonctionnant à plein régime. Des illusions. Ce n'était que des illusions ! Les spores qui avaient pénétré mon organisme, jusque dans mes souvenirs, et les mousses, les plantes qui les projetaient, les modifiaient... Bien sûr que tout se passait dans ma tête ! Est ce qu'aucune de ces hallucinations ne m'avait jamais vraiment touchée ? Non ! Comment ce système fonctionnait-il, il devait avoir deux parties... comme les deux types de mousse, un pour analyser mes souvenirs et un autre pour les modifier en se basant sur mes peurs et mon inconscient ! Ce pollen devait être doté d'une intelligence comme celle des plantes habituelles, mais décuplée ! Inter connecté aux particules projetées par la végétation... Oui, cela se tenait ! Si ça se trouvait, il n'y avait que deux ou trois intersections depuis le début, dans ce labyrinthe imaginaire.
Il fallait que je teste cette théorie... D'une certaine façon, les spores devaient être connectés à mon conscient et mon subconscient... Si je comprenais que j'étais dans une hallucination, est-ce-que tout s'arrêterait ?
- Mademoiselle, je peux vous aider ?
Je relevais la tête, et tombais nez à nez avec le révolutionnaire de Jugjio. Je du me répéter en boucle qu'il n'était pas réel pour réussir à calmer mon rythme cardiaque.
- Désolée mais je crois que tu ne pourras pas m'être utile... Comment t'appelles-tu ?
Il afficha un air surpris. L'illusion ne s'attendait pas à ce que je lui demande une question à laquelle elle ne pouvait pas répondre avec mes souvenirs. Je continuais, il me fallait vérifier si la végétation pouvait simuler la matière tangible.
- C'est vrai, je ne sais rien de toi... Il faut avouer que ce n'est pas commun de demander son nom à la personne que l'on vient de sauver, et pourtant tu l'as fait... T'ai-je intrigué ? Je t'ai rappelé quelqu'un peut être... Dis moi, je sais que c'est un peu prématuré, nous venons de nous rencontrer, mais puis-je prendre ta main ?
Avec un sourire, je joignis le geste à la parole et alors que j'allais le toucher, ma main passa au travers de la sienne. Aussitôt l'hallucination disparu dans un nuage de fumée. Je le savais ! Le labyrinthe ne pouvait pas nous blesser physiquement, seulement nous rendre fous ! Dans quel but... ? L'explication me vint alors : pour protéger les bêtes. Les animaux que j'avais entrevu tout à l'heure, si rares et tellement intelligents, c'était le meilleur moyen de garder leur présence sur cette île secrète ! Ceux qui les voyaient devenaient torturés mentalement, et venaient à douter de ce qu'ils avaient cru voir. Et quand bien même ils étaient persuadés de leur témoignage, personne n'accorderait de crédit aux paroles d'un fou.
Il fallait que je retourne le labyrinthe contre lui même. Qu'il me présente les illusions qu'il veule, je les déjouerais jusqu'à la sortie. C'est alors que les mousses violettes s'agitèrent, pulvérisant leur pollen dans l'air. Le couloir se volatilisa, pour laisser place à une auberge que je connaissais bien. Les plantes tentaient à nouveau de m'enfermer dans un souvenir, elles ne me contrôlaient plus. Une serveuse surexcitée s'approcha à toutes vitesses et je la coupais dans sa réplique :
- Bienvenueàl'aubergeduGrosPochtronnoussommesravisdevo...
- Nawen tais-toi ! Je ne veux rien boire j'attends quelqu'un et je ne m'assoirai pas, merci.
Elle s'éloigna, perdue, et Phil ouvrit la porte. Il avança de quelques pas avant de s'effondrer à genoux. Mais cette fois-ci, Ekraine Bachélis se tenait derrière lui, et lui planta une ronce dans la poitrine. Je serrais les dents, tout semblait tellement réel... Bachélis enroula une autre plante tel un lasso, qu'il lança dans ma direction. Je ne bougeais pas, prête à laisser l'illusion me traverser sans me blesser, quand Nawen s'interposa. Le bruit de la liane perçant son ventre me déchira les oreilles et je me concentrais pour ne pas rendre mon repas. Une hallucination, une hallucination, ce n'était qu'une hallucination... Presque malgré moi, je m'assis près d'elle, la consolant alors qu'elle se vidait de son sang. Elle n'était pas réelle, ce n'était PAS Nawen, alors pourquoi ne pouvais-je pas m'empêcher de pleurer ?! Elle sourit faiblement et ses yeux se révulsèrent. J'enfonçais mes ongles dans la paume de ma main et me retournais vers Bachélis.
- Qu'est-ce-que tu attends illusion stupide ?! Achève moi pour que je puisse sortir d'ici !
J'avais beau savoir que tout était faux, l'impression était la même que lors d'un cauchemar : on savait que l'on allait se réveiller, mais tant que l'on ne l'était pas, on souffrait.
Comme étouffée, la voix de Bachélis me parvint :
- Ttt ttt ttt, tu crois que je vais te faire ce plaisir ? Reste donc enfermée dans cette réalité.
Et sur ces mots il alla s'asseoir au fond de l'auberge. Était-ce un test ? Le labyrinthe voulait-il voir si j'avais réellement compris son fonctionnement ? Je défiais Bachélis du regard, et me dirigeait vers l'entrée. S'il pensait que j'avais oublié le moindre détail de cette journée, il se trompait. Je me souvenais du ciel. Je me souvenais toujours du ciel. Sur le pas de la porte, j'observais l'extérieur. Il pleuvait à verse, ma faute, je contrôlais mes émotions comme je pouvais, et les gouttes d'eau s'écrasaient impitoyablement sur le sol boueux. Je me retournais, le sourire de Bachélis avait disparu. Tant que mon cerveau croyais à ce qu'il voyait, j'étais piégée dans l'illusion. Mais si les sensations entraient en concurrence avec ma vision, tout disparaissait. Je sortis de l'auberge, et renversais la tête pour laisser la pluie couler le long de mon visage. Bien sûr, comme prévu, elle me passa au travers, aucune goutte ne touchait vraiment ma peau. Je ne sentais pas non plus l'odeur mouillée qui accompagnait pourtant toujours la terre gorgée d'eau. Là s'arrêtaient les ressources des hallucinations : elles dupaient la vue et l'ouïe, mais pas le toucher, le goût ou l'odorat.
Alors finalement les gouttes d'eau se teintèrent de rouge et, dans un éclair de sang, je retrouvais mon couloir rocheux. Ma respiration se répercutait contre les parois et lentement, je l'entendis se calmer. Je m'assis doucement. Mes paupières tombaient et ma cicatrice me tiraillait. J'étais épuisée. La gymnastique d'esprit pour tenter de vaincre le labyrinthe m'avait éreintée. Je m'appuyais contre le sol. J'ignorais combien de temps s'était écoulé depuis que j'étais rentrée dans la grotte mais la fatigue accumulée depuis lors me rattrapait sans prévenir. Je m'assoupis.
- Gwen ? Gwen qu'est ce que tu fais ? Gwen arrête ! S'il te plaît...
A mes pieds, Nawen suppliait. Je maintins sa tête en place, alors qu'elle ne cessait pas de se débattre. Lentement je levais ma faux au dessus d'elle.
- Gwen qu'est-ce que je t'ai fait ?
Je ne répondis rien et lui adressais un sourire cruel. J'abattis ma faucheuse et dans un son délicieusement net, la tête de Nawen roula sur le sol. Alors qu'une marre de sang se répandait autour de son corps sans vie, un rire s'échappa de ma gorge.
- Bon sang !
En sueur, assise dans un couloir, je me pinçais pour être certaine d'être réveillée. Ok bordel donc les illusions pouvaient aussi influer mes rêves. Quel cauchemar de fou... Je ne me sentais absolument pas reposée. Je me relevais, un peu déboussolée. Ma jambe droite m'abandonna et je retombais, incapable de maintenir mon équilibre avec un bras en écharpe. Mon éclat de rire nerveux éclata dans le silence du volcan et je me sentis ridicule. J'étais mal barrée, même pas apte à me relever toute seule. Je dû m'appuyer contre le mur pour réussir à me mettre debout, et à le rester.
- Madame est-ce-que ça va ?
Avec un soupir, je levais les yeux sur la petite fille aux cheveux bleus qui m'avait posé cette question. Ces hallucinations stupides ne pouvaient pas me laisser tranquille ?
- Je me porte parfaitement bien Gwendolyne, retourne voir ta mère...
J'avais le faible espoir qu'elle parte, mais au contraire, mes mots déclenchèrent ses pleurs.
- Madame... s'il vous plaît, aidez moi... Ma Maman... il y a plein d'eau rouge autour d'elle et elle ne me répond plus...
- Montre moi Gwendolyne.
Elle partit en courant, et je lui emboîtais le pas en tremblant. Si c'était bien le souvenir auquel je pensais... Mais à ma grand surprise, lorsque je tournais au coin du couloir, c'était la petite fille qui était étendue au sol et se vidait de son sang. Rechargeant son arme, il essuya le canon de son pistolet sur son uniforme de la Marine. Il parlait à une femme aux longs cheveux noirs qui, ses yeux bleus emplis de larmes, se lamentait sur le corps de la fillette.
- Tu vois Maria, je n'ai pas envie de te tuer... Ta gosse ne pouvait pas exister, mais toi à la rigueur tu peux survivre. Il faut simplement que tu te taise jusqu'à la fin de tes jours, ça me semble parfaitement possible.
- Tu es un MONSTRE. Je te hais... je te hais tu entends ?!
- Tu en fais bien toute une histoire, ce n'est qu'une petite fille, tu en auras d'autres...
J'étais stupéfaite face à cette scène, cette version de l'histoire qui n'était jamais arrivée, cette alternative imaginaire. Le voir lui, se justifier face à elle... La femme prit la fillette dans ses bras et se dressa devant le marine aux yeux froids. Elle clama :
- Tue moi ! Ne fais pas les choses à moitié enfin, toi qui déteste les témoins ! Allez, tue moi, tire !
- Allons Maria... il ne faut pas être extrême comme cela. Si tu me promet de ne jamais te représenter devant moi, je ne te tuerai pas. C'est un marché équitable, à condition de le respecter... n'est ce pas Gwendolyne ?
Sans que je m'y attende, il détourna son pistolet de la femme pour le pointer sur moi. La balle partit et à l'instant où l'illusion traversa ma poitrine, l'expression de ma mère me donna l'impression d'avoir été touchée en plein cœur.
Je chancelais. Le regard sur mes mains, je les vis se couvrir de gouttes d'eau. Pleuvait-il ? Lorsque je me rendis compte que je pleurais, et que toutes les illusions s'étaient dissoutes, je ne pu plus contenir le grondement de rage et d'impuissance qui montait dans mon ventre. Quand est-ce-que cette mascarade se terminerait-elle ?! Pourquoi ne pouvais-je pas être en paix ? J'avais accepté ces parties de ma vie, lui, elle, Phil... Pourquoi revenaient-elles, tels de faux regrets ? Au cœur du volcan de l'île perdue, je mis à hurler.
Après des heures qui me parurent des jours, à moins de ce soit des minutes qui me semblèrent des heures, je sortis la tête de mes mains. Avance, Gwen. Si tu restes ici tu vas mourir, alors que tu dois encore retrouver Nawen, porter un message à un équipage pirate, et peut-être recroiser le révolutionnaire de Jugjio, démissionner de la Guilde, découvrir les mystères de ce monde, vivre ta vie et je ne sais quelles aventures encore. Tu as encore des choses à faire, alors avance Gwen.
Dans un effort surhumain, je me remis sur pieds. Je traversais une galerie. Puis deux.
Au troisième tournant, j'aperçus quelqu'un dans l'ombre, droit devant. Je soupirais, mais j'étais prête à affronter cette nouvelle hallucination. Cette fois-ci c'était Nawen. Elle semblait enragée, grognait, et ses oreilles de chat s'agitaient dans tout les sens. Nawen leva la tête vers moi et se précipita dans ma direction. Je ne bougeais pas, j'allais laisser ses griffes me traverser, puisqu'elle tenait tant à m'attaquer. Elle lança sa main en avant.
Une douleur vive se manifesta dans mon ventre, et je passais ma main là où j'aurais dû être blessée par Nawen. Je paniquais. Sur mes doigts, mon sang brillait, écarlate. Les illusions ne pouvaient pas me toucher, elles ne pouvaient pas ! Nawen m'assena un énorme coup de pied dans la tête, et j'allais m'écraser contre le mur. Des points blancs dansèrent devant mes yeux, et je du me rendre à l'évidence : ce n'était pas une hallucination.
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