Chapitre 4
16 Août 2015
J’émerge doucement et tente de me relever. Un peu de lumière parcourt la pièce. Mes yeux tentent de s’habituer et découvrent ce qui m’entoure. Il semble que je sois dans un grenier à la forme du plafond. De larges lattes en chêne poussiéreuses sont au sol. Il n’y a aucun meuble si ce n’est un matelas. Jusque là, rien d’alarmant. Je soupire et continue de regarder. Seulement je me mets à m’inquiéter à la vue de chaînes métalliques accrochées au mur. Les délires sadomasochistes à la sauce Christian Grey, ce n’est pas mon truc du tout. J’essaie de ne pas paniquer, mais je réalise bien vite ce qui se trame. Enfermée dans un taudis avec des engins de torture, j’ai vu bien trop d’épisodes d’esprits criminels pour comprendre…
– Non, non, non !
Je hurle à m’en déchirer la voix. Je ne veux pas rester là. J’essaie de me lever, mais ma douleur à l’abdomen me rappelle subitement à l’ordre. Hors de question de céder. Je me redresse et me dirige vers l’unique sortie.
– Charles, s’il te plaît, laisse-moi partir ! tambouriné-je. Charles ! Charles !
Je n’ai pas le temps d’en dire plus, que le battant en bois s’ouvre sur moi, me faisant tomber de nouveau sur le dos. Je sens rapidement un poids lourd me tomber dessus. Charles m’observe, attendant ma réaction, mais je tente de ne pas montrer mon angoisse. Il guette le moindre signe et je ne veux pas lui donner ce plaisir. Il finit par refermer la porte en m’adressant un grand sourire. En essayant de bouger, je découvre que je ne suis plus seule. Ce fameux poids n’est ni plus ni moins qu’un corps. Je me dégage tant bien que mal de l’homme qui est sur moi. Une fois à ses côtés, j’hésite à l’approcher. Il semble vraiment mal en point. Je dégage une mèche brune de son visage et découvre l’étendue des dégâts. Son arcade sourcilière gauche et sa lèvre sont entaillées. Je ne comprends rien à la situation, mais je ne peux pas le laisser ainsi. Je me relève douloureusement et pars donc à la recherche de quelque chose pour éponger son sang. Au fond de la pièce, je remarque une boîte métallique vissée au sol avec des bouts de tissus. Je prends le moins sale et prie pour que cela fasse l’affaire. Je m’assois silencieusement près de sa tête. Il semble endormi. Alors que je commence à tapoter son sourcil, l’homme se met à grogner. Ses doigts arrêtent les miens dans les airs seulement je n’ai pas fini.
– Pardon, je veux juste t’aider.
Je me sens stupide, comme une enfant prise la main dans le sac en train de faire une bêtise. J’attends sa colère pourtant rien ne vient. En observant de plus près, son regard bleu me dit quelque chose. Je cherche dans tous les sens, mais rien ne me vient. Je connais ce garçon, je suis persuadée de l’avoir déjà vu, mais où ? Comment ?
Il se relève doucement pour s’asseoir et se positionne face à moi. Il semble grand, bien plus que moi, mais très aminci. Qui est-il ? Depuis quand est-il là ? Comment Charles a réussi à le piéger ? Tant de questions et aucune réponse pour l’instant.
– Désolé, je suis Joan… murmure-t-il.
– Mallet ! m’exclamé-je en plaquant ma paume sur ma bouche.
Je réalise soudainement qu’il est l’homme dont je croise le visage tous les matins dans le métro depuis plusieurs semaines. J’essaie de me rappeler tout ce que je sais sur lui. Je me concentre et tout me revient brutalement en mémoire. Il a disparu lors de la fête de la musique à Paris. Depuis, sa famille le recherche sans relâche. Presque deux mois…
Je relève la tête et croise ses yeux qui me scrutent. Il ne comprend pas que je puisse savoir qui il est.
– Tu… Tes proches… Ta photo est placardée dans tout Paris.
Le puzzle s’assemble. Il ne m’en faut pas plus pour réaliser que je vais désormais être vraiment enfermée ici avec lui pour un long moment. Je tente de ne pas paniquer. Mais les visages de mon entourage et de mes amis me broient le bide.
– Ils continuent de me chercher, chuchote-t-il.
J’acquiesce et lui adresse un sourire aussi réconfortant que possible. Mais j’ai conscience que cela ne sert à rien.
– L’espoir va les tuer. Leur Joan n’existe plus.
Le couperet tombe. Sa phrase me brise le cœur. Je n’aime pas cette sensation. Elle fait si mal. J’espère ne jamais dire ces mots, ne jamais ressentir cela… Je me promets intérieurement de me battre pour deux. Je ne sais pas de quoi l’avenir est fait, mais je ne veux pas baisser les bras. Ni pour moi ni pour lui.
– Je suis pas Hulk, ni Wonderwoman, ni un autre shooté aux superpouvoirs ou aux amphet. Je suis juste Constance, sûrement une gamine naïve, mais il est hors de question que toi et moi mourrions ici. S’il le faut, je me battrai pour deux !
Je refuse de voir cet homme se plier sous le poids de l’horreur humaine. Je ne suis ni idéaliste ni rêveuse. Mais je ne veux pas mourir dans cet endroit. Je suis trop jeune. J’ai beaucoup trop de projets. Je dois voyager. Je dois aimer. Je dois avoir le cœur brisé une fois ou deux. Je dois me payer une maison et qui sait avoir des enfants. Je me lève et me dirige vers la porte.
– Je veux sortir ! À l’aide ! Au secours ! Vous ne pouvez pas nous retenir ici !
Mes poings frappent contre le bois. Je suis à bout, mais je ne lâcherai rien. Comment quelqu’un peut-il nous retenir dans cette maison ? C’est pas possible, c’est un putain de cauchemar.
– Bordel de merde, mais laissez-nous sortir !
À force de crier, des voisins vont finir par nous entendre. Mais je suis soudainement coupée dans mon élan. Des bras enserrent ma taille, me soulèvent doucement et un souffle s’échoue sur ma nuque.
– Constance, calme-toi. Tu ne risques qu’une chose, c’est de le faire revenir bien plus vite que prévu…
Sa voix rauque m’apaise immédiatement, mais je réalise l’étendue de ses propos dans l’intonation de sa phrase. Il semble le craindre. Il saisit mon poignet et nous guide vers notre lit de fortune. Pour la première fois depuis mon arrivée dans cet enfer, je lâche une larme, une seule et unique. Il n’y en aura pas d’autres, je refuse. D’un revers de la main, je l’essuie et lève le regard. Assis face à moi, Joan m’observe silencieusement. J’ai tellement d’interrogations, tellement d’angoisses…
– Dis-moi ce qu’il se passe ici s’il te plaît…
Je sens dans ses yeux qu’il y a des choses qui doivent rester secrètes. Mais j’ai besoin de réponses.
– Je crois que tu as très bien compris ce qu’il se trame. Ne lui pose aucune question, accepte toute la nourriture qu’il nous donnera, dors autant que possible, ne lutte pas… Plus tu te battras, plus sa colère sera terrible…
Je déglutis et encaisse ses propos. Je sens qu’il n’ose pas tout me dire. Il veut me préserver. J’ai peur. J’ai cette boule au fond du bide qui commence à se faire sentir. Je ne sais pas comment ça va se passer. Je ne sais pas gérer ce genre de situation. Je suis une fille banale à qui il est censé arriver des trucs ordinaires. La chose la plus difficile que j’ai eu à gérer a été le divorce de mes parents. Mais ça, ça dépasse l’entendement. Ça n’arrive que dans les films. Je me sens perdue. Je ne suis qu’une gamine.
– Tu devrais dormir un peu, je pense qu’on ne va pas tarder à avoir de la visite… souffle-t-il en s’allongeant.
Je prends place à ses côtés. Machinalement, je me mets à chantonner. C’est un vieux tic qui me suit depuis la séparation familiale. À chaque moment d’angoisse, de doutes, de peur, cette chanson m’apaise. J’entends encore la voix de mon père me la murmurer avant de dormir…
— She calls out to the man on the street
“Sir, can you help me?
It’s cold and I’ve nowhere to sleep
Is there somewhere you can tell me?
He walks on, doesn’t look back
He pretends he can’t hear her
Starts to whistle as he crosses the street
Seems embarrassed to be there”
Dos à lui, je m’enferme dans une bulle. Je veux oublier, ne pas songer.
Allongée sur le matelas, j’ouvre les yeux doucement. Rien n’a bougé depuis mon arrivée. Les volets de la seule fenêtre semblent fermés. En fait, je ne sais pas si ce ne sont pas simplement des planches clouées. J’entends de faibles bruits provenant d’en dessous. Je suis certaine que c’est Charles et ça m’angoisse. Je tourne mon visage et fixe mon ultime objectif ici. Je n’arrive pas à détacher mon regard de notre unique porte de sortie. J’aimerais trouver une astuce, une solution pour fuir.
– Constance, repose-toi, cette porte ne disparaîtra pas en la fix –
Joan n’a pas le temps de finir sa phrase qu’un vacarme sourd retentit. Charles apparaît soudainement dans l’embrasure avec un grand sourire. Je comprends vite que ce n’est pas le même homme que j’ai rencontré. Il semble plus timide, plus jovial.
– Hugo ! Hugo ! Tu as vu Charles, il nous a apporté une nouvelle copine, s’exclame-t-il en s’approchant de nous.
Surprise par le prénom choisi, je me tourne vers Joan ne comprenant rien à la situation. Il m’adresse un coup de tête et me fait signe de ne pas le regarder.
– Ne dis rien et accepte, murmure-t-il.
Je me retourne et observe notre bourreau. Il a troqué sa chemise blanche contre un sweat bleu et son jean brut contre un jogging noir. Il sautille presque d’excitation sur place. Son visage est détendu et ses yeux pétillent. Je suis perdue par rapport à tout ce qui se passe. Mais je n’ai pas le temps d’analyser davantage que Charles se positionne face à moi et me tend sa paume avec un grand sourire.
– Salut, Clara, je m’appelle Mathis !
Je suis sans voix. Je ne comprends rien à la situation. Je suis complètement surprise. Charles a un jumeau qui s’appelle Mathis. Mais je ne suis pas Clara et Joan n’est pas Hugo. Je ne sais pas comment réagir.
– Clara, t’es pas polie, tu dois me serrer la main !
– Je m’appelle Constan –
Je n’ai pas le temps de finir qu’il me coupe soudainement la parole en tapant du pied.
– Non ! Tu t’appelles Clara ! C’est moi qui décide et si t’es méchante, je le dis à Papa Jean !
Je sursaute. Son ton est sans appel. Je me plie à son exigence de me renommer, même si je me sens véritablement dépassée. Dans ma tête, j’essaie d’enregistrer les noms qu’il me donne. Charles, Mathis et un certain Jean qui a l’air plus vieux. Trop peu d’informations pour envisager quoi que ce soit.
Il s’éclipse enfin. J’ai l’impression de respirer de nouveau. Mais c’est de courte durée. Il revient avec une malle usée en cuir marron. Il s’installe en plein milieu de la pièce et m’attend. Je mets quelques secondes à réagir avant de m’asseoir face à lui. Il en sort un vieux jeu de cartes et me le donne.
– Pendant que Hugo fait la sieste, toi tu vas jouer avec moi à la bataille.
Je me sens complètement dépassée par l’individu qui est face à moi. Il semble se comporter comme un enfant. Ses réactions, sa posture et ses mimiques lui donnent l’air d’un gamin de huit ans maximum. Ses sourcils se froncent et je réalise que je n’ai toujours pas pris le tas qu’il me tend.
– Je distribue ? demandé-je le plus calmement possible.
Il hoche la tête et je commence à battre les cartes pour nous les donner. J’essaie de rester concentrée sur cette activité mais l’angoisse monte. Je ne sais pas ce qu’il est capable de faire. La bataille est un jeu de hasard et je ne veux pas voir sa colère si jamais il perd. Je jette un dernier regard vers Joan qui me fixe. Je lui adresse un sourire réconfortant et me retourne. Je souffle un bon coup et donne le paquet. Chacun montre sa carte sur le parquet poussiéreux : un sept de pique pour lui et un as de cœur pour moi.
– Trop de chance ! J’espère que je vais en avoir plein, moi des as !
J’espère aussi. Si j’étais croyante, je réciterais le Notre Père pour espérer qu’il gagne. Il me tend mon gain et enchaîne. Pas de perte de temps. On continue durant plusieurs tours. Le jeu est plutôt en sa faveur. Enfin jusqu’à ce que je présente un autre as. Le second de la partie.
– Je joue plus ! Je suis sur t’as triché !
Son regard s’assombrit et ses poings se serrent.
Mais non, putain, j’ai pas triché. Mais je m’abstiens, je ne veux pas le fâcher encore plus. J’ai peur de sa réaction.
– Mathis, tu sais que la bataille c’est du hasard. Clara a distribué devant toi donc tu sais qu’elle n’a pas vu les cartes… intervient mon compagnon d’enfermement.
La voix de Joan est douce, posée, presque paternelle. Il essaie d’arrondir les angles pour me protéger. J’ai presque envie de l’embrasser pour le remercier.
– Oui, mais c’est nul ce jeu.
Il ramasse rapidement tout ce qui se trouve devant nous et le remet dans la malle. Il en sort un paquet de gâteaux. Soudainement mon estomac se réveille et mon cerveau fonctionne à mille à l’heure. Je ne me souviens plus de mon dernier repas. Certainement la vieille. Les paroles de Joan me reviennent en mémoire : « accepte toute la nourriture qu’il nous donnera ». Je prie intérieurement pour que ce soit le cas. Un peu de sucre pour lui et moi.
– Je peux te dire un secret, mais tu promets tu dis pas à Charles.
J’acquiesce sans vraiment dans quoi je m’engage.
– Je l’ai volé pour faire la fête, car t’es arrivée ! clame-t-il fier de lui en brandissant son trophée.
Il l’ouvre vite et nous en donne deux chacun. Je n’ai jamais été aussi heureuse de manger des petits écoliers qu’en cet instant. Je jette un coup d’œil vers Joan. Il semble rempli d’espoir. Je sais que c’est une pause dans son calvaire, une douce parenthèse. Je réalise alors dans son regard toute la portée du cauchemar qui nous attend…
Je croque délicatement dans le biscuit pour n’en perdre aucune miette. Je veux savourer. Je veux prendre le temps. À peine ai-je avalé trois gorgées que mon estomac se met à tonner. Mathis le remarque et je crains sa réaction. Je ne veux pas qu’il me retire les gâteaux. J’ai besoin de force pour partir. Alors que je lève les yeux vers lui, je suis surprise. Il se lève et me tend le paquet. Je ne me fais pas prier.
– Merci, Mathis, c’est très gentil, soufflé-je en le récupérant.
Il m’adresse un franc sourire fier de lui. Il range ses affaires dans la malle et se tourne vers moi.
– Clara, je dois partir, mais tu te rappelles de notre secret, faut pas le dire à Charles et Jean.
Il pose le doigt sur sa bouche avant de glousser. La pression redescend et je m’écroule de fatigue sur le matelas lorsque notre hôte quitte la pièce. Joan lui me regarde, il sait ce qui l’attend. J’ai besoin de réponses, où sommes nous, qui sont ces gens. Il y a beaucoup trop d’inconnus pour moi…
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