Chapitre 29
16 mars
À mon réveil, tout ressurgit, mes angoisses ne me laissent aucun répit. Je vérifie trois fois que j’ai bien fermé la porte en partant de chez moi, je lisse les pans de ma veste inlassablement et pour couronner le tout, je passe mon temps à me retourner et m’assurer que personne ne me suit. Mon rendez-vous de ce matin peut changer la donne. Si Soraya a réussi, je peux envisager d’entrevoir une lueur au bout du tunnel.
Je regarde une nouvelle fois et le constat commence à me rendre aigri. Cela fait plus de vingt minutes que je l’attends assis à ce restaurant. Arrivé en avance était la plus mauvaise des idées. Mon pied tapote nerveusement le sol et mes phalanges ont craqué bien plus de fois qu’il ne le faudrait.
— Vous désirez un autre café ? me propose la serveuse qui est apparue soudainement dans mon champ de vision.
Je ne suis pas certain qu’une troisième boisson soit le meilleur remède pour apaiser le mal qui me ronge en cet instant.
Je vais finir par mourir d’une crise cardiaque liée à cette attente. La patience n’est clairement pas mon fort, pourtant il faut que je me contrôle davantage. C’est pour moi, pour elle, pour nous. Je me mets à envisager les différentes réponses que la sœur de Malik va pouvoir m’apporter. Elle va m’annoncer que Constance va bien, qu’elle souhaite qu’on se revoie, que ça fait peut-être plusieurs mois qu’elle me cherche. J’imagine mon ange, souriante avec cette lueur que j’aimais tant.
— Salut Joan !
Je suis immédiatement ramené sur terre. Je lève la tête et me retrouve nez à nez avec Soraya. Elle enlève son masque afin qu’on puisse discuter librement. J’ai beau la connaître depuis plus d’un an, je suis toujours fasciné par son charme naturel. Elle a un charisme qui impressionne dès le premier regard.
Sa chevelure ébène encadre avec douceur son visage rond et ses yeux noirs sont mis en valeur avec un léger maquillage. Elle enlève sa veste et s’installe directement face à moi.
— Je ne vais pas te demander si tu vas bien ni épiloguer sur ta vie en ce moment parce que je pense que tu attends que j’aille dans le vif du sujet.
J’opine de la tête. J’aimerais beaucoup parler avec elle, mais j’avoue que je suis bien plus obnubilé par Constance que mon boulot ou tout autre aspect quelconque de mon existence.
— Alors, aux dernières nouvelles, elle vit en Bretagne, dans le Morbihan. On a très peu de contacts avec elle pour ce dossier donc pas évident de te donner plus d’infos. J’ai essayé de pousser les recherches, mais cette affaire est si compliquée. D’ailleurs tu vas sûrement être contacté bientôt concernant les récentes découvertes. Pour en revenir à Constance, je n’ai pas ses coordonnées à elle, mais je sais que pour les besoins de l’enquête, nous avons le numéro de sa meilleure amie. J’ai réussi à le récupérer, mais s’il te plaît soit discret et ne me mentionne pas.
Fébrile, je saisis le bout de papier qu’elle me tend. Je l’ouvre doucement et remarque l’écriture appliquée de Soraya : un prénom et cinq paires de nombres. Tout d’un coup, le monde semble rayonner de nouveau. On vient de m’offrir un second souffle, une opportunité inespérée, une promesse d’un avenir plus facile.
Nous échangeons quelques banalités, mais mon esprit est focalisé sur le trésor que je tiens entre les mains. Je prends sur moi pour ne pas rentrer chez moi en courant et appeler celle qui veille sur mon ange. J’ai tellement de questions qu’il va falloir que je me prépare avant pour ne pas gâcher la moindre chance de parler à Constance.
Cependant, je crois que mon impatience se lit sur mon visage.
— Je vais te laisser tranquille, je crois qu’il y a des choses bien plus importantes qui t’attendent.
Je ne me fais pas prier plus longtemps, je replie le document et le range dans la poche intérieure de mon manteau, comme une sorte de mise en sécurité. Je renfile mon masque et quitte enfin le café. Pressant le pas, je me dirige rapidement vers mon appartement.
Assis depuis une heure devant ce bout de papier, je n’arrive pas à me lancer. J’imagine tous les scénarios possibles et mon corps commence à se tendre. Finalement, je retiens le prénom inscrit et décide de taper cette suite de dix chiffres. Je ne veux plus rien laisser au hasard, il faut que je sache, la torture a assez duré.
Angoissé et crispé, j’appuie sur cette icône verte, comme le dernier espoir qui me reste. La sonnerie retentit une fois, puis deux, puis trois, quand soudain une féminine répond.
— Allô Charlotte ? laissé-je sans y croire.
Le silence s’installe et je relâche le souffle que je retenais jusque-là. Son mutisme confirme que c’est bien elle et je me dépêche de prendre la parole. Je veux pouvoir tenter ma chance.
— Je suis Joan. On ne se connaît pas, mais je suis sûr que tu sais qui je suis. Je ne veux pas que tu aies d’ennuis, mais il faut que je te parle. J’ai vraiment besoin de la voir s’il te plaît.
L’unique bruit des tintements de verre ponctue mes déclarations et me pousse à continuer. Je donne tout ce que j’ai pour qu’elle m’écoute.
— Charlotte, tu es attendue en cuisine ! crie une voix en arrière-fond.
Sans me laisser le temps d’assimiler parfaitement les propos, l’angoisse monte. Il faut qu’elle me réponde, elle ne peut pas me laisser ainsi. Mes mains se mettent à trembler et mon cœur semble vouloir sortir de ma cage thoracique. Le moment avance bien trop lentement. J’ai peur.
— Promis, je te rappelle après mon service.
Elle raccroche et mon organe vital tombe au creux de mon ventre. Je n’ai le temps de réagir que mon fessier rencontre mon canapé. J’ai l’impression que mon monde s’éteint, c’était ma seule chance de pouvoir revoir Constance. Je sais très bien que Charlotte ne me rappellera jamais. Je ne suis qu’un lointain souvenir pour sa meilleure amie.
Je me roule en boule sur mon divan et lâche les vannes. C’est fini. Tout espoir est mort. Son visage hante mon esprit, le ronge, me dévore. Et comme une madeleine de Proust qui m’apaise, je me mets à chantonner :
— She calls out to the man on the street
“Sir, can you help me?
It’s cold and I’ve nowhere to sleep
Is there somewhere you can tell me?
He walks on, doesn’t look back
He pretends he can’t hear her
Starts to whistle as he crosses the street
Seems embarrassed to be there”
Les larmes finissent par se tarir et mon regard se perd sur cette horloge. Les secondes s’écoulent, les minutes défilent, les heures s’égrainent. Mon esprit s’enfonce dans les plus noirs recoins de mon âme…
Un bruit strident me tire de mes cauchemars et je mets plusieurs secondes à réaliser qu’il s’agit de la sonnerie de mon téléphone. Abruptement, je le saisis et décroche aussitôt. Mon palpitant a repris sa folle chevauchée que cela en devient presque douloureux.
— Joan ?
Charlotte a tenu sa promesse. L’air que je gardais condensé au creux de mon être se vide soudainement. Mon avenir se redessine lentement à la lueur de l’étincelle qui vient de se rallumer. Je finis par acquiescer et espère qu’elle engage la conversation, car je semble clairement submergé par l’émotion.
— Je suis désolée, je sais qu’il est tard, mais ton appel ce n’est pas rien.
Elle a raison.
— Je ne sais pas si c’est bon pour toi ni les véritables conséquences que ça peut avoir pour elle.
Elle est en vie.
— Mais la page n’est pas vraiment tournée.
Pour moi non plus.
— J’ai besoin de savoir ce que tu lui veux vraiment ?
Ce que je veux ? Elle, juste elle.
— Je veux la voir, m’assurer qu’elle avance, qu’elle vit sereinement. C’est vital pour moi.
C’est le cas. Il faut que je sois certain qu’elle aille bien pour pouvoir à mon tour essayer de me reconstruire entièrement. Le silence revient à nouveau et j’ai peur. Je sais que ma demande est complexe, je sais ce que j’ai vécu en cinq ans alors je n’ose imaginer pour elle, mais je dois essayer.
— Je vais être honnête, je sais pas si c’est une bonne idée. J’ai besoin d’y réfléchir pour te donner ma réponse…
La boule refait son apparition et je ne sais pas comment faire pour la retenir. Cette fille tient notre avenir entre ses mains. J’ai peur, je ne veux pas la perdre une nouvelle fois.
— Je l’aime.
Je lâche cette phrase, comme le plus précieux secret. Je me rends compte que je n’avais jamais osé le dire aussi clairement.
— Oh, lâche-t-elle surprise. Je… C’est… En fait, je pensais que tu avais tourné la page…
Tourner la page, je n’ai jamais pu. Je ne peux pas faire une croix sur elle, parce qu’au premier regard, elle m’a sauvé. Au premier baiser, elle m’a donné envie de construire quelque chose avec elle. Au premier je t’aime, elle a pris tout mon être pour le garder avec elle.
— Laisse-moi un petit mois pour organiser ta venue, si ça te va et vérifier qu’elle peut essayer de gérer ça au mieux.
Bien sûr que ça me va. Je serais prêt à traverser un océan, à gravir des montagnes pour être à ses côtés.
— Juste, promets-moi de ne pas la brusquer et de respecter ses choix, me confie-t-elle avant de raccrocher.
Je lui confirme mon seul désir de faire ce qu’il y a de meilleur pour elle. Elle raccroche et je sens que je viens de faire un pas gigantesque vers un nouvel avenir.
Cela fait une semaine que j’ai contacté Charlotte. Sept jours d’attente, sept nuits d’insomnie. Je sais qu’elle m’a parlé d’un mois, mais dans mon esprit légèrement négatif, je les image déménager, changer de numéro et de nom pour ne pas que je les retrouve. Je sais que c’est ridicule, mais je ne peux m’empêcher d’y songer. Alors pour soulager cette angoisse et me changer les idées, j’ai décidé d’inviter Justine à la maison. Depuis ma prise de décision, nous n’avons pas pu beaucoup nous voir, c’est une grosse période de travail pour elle.
Encore sous la douche, j’entends la porte de l’appartement s’ouvrir. Justine me crie sa présence depuis l’entrée, ce qui m’oblige à me dépêcher. Je sors rapidement, enfile un tee-shirt et un jean, simple et efficace. J’arrive dans le salon et trouve Justine en train de se dandiner pendant qu’elle se fume une cigarette sur le balcon.
— T’as repris depuis quand ?
Je suis surpris de la voir le tube blanc à la bouche. Elle m’avait expliqué qu’elle avait arrêté juste avant de me rencontrer. Je sais que ça peut lui arriver en soirée avec un peu d’alcool, mais jamais devant moi…
— Désolée j’ai passé une journée de merde, ma mère m’a pris la tête, j’ai dû annuler mon week-end à Disney, car je dois aller chercher une nouvelle voiture.
Je m’avance jusqu’à elle, la prends dans mes bras et saisis sa clope pour l’écraser.
— Viens, je suis mieux que la nicotine.
Je nous fais rentrer et pars en cuisine chercher une bouteille de Montbazillac, rien de meilleur qu’un verre pour se détendre. Installée dans le canapé, elle m’explique les problèmes qu’elle rencontre au travail. Elle enchaîne avec sa maman qui a décidé de déménager pour s’installer sur la côte basque. La nouvelle a du mal à passer et je le comprends. Elle sait qu’elle va perdre l’ultime lieu où son père a vécu, elle va devoir laisser ses souvenirs et ce qu’elle ne dit pas c’est l’angoisse qu’elle a de ne plus avoir sa génitrice près d’elle.
— Tu sais, c’est cinq heures de train et ça te fait un endroit de vacances pas cher. Mais honnêtement, lui en as-tu parlé ? Est-ce que tu lui as dit que t’avais besoin d’elle ?
Elle secoue la tête, elle ne lui avouera jamais.
— Assez parlé de moi, où ça en est cette rencontre ?
Je lui livre tout dans les moindres détails. Je veux qu’elle sache tout ce que je vais accomplir grâce à son aide.
J’ai conscience que si tout se déroule comme je l’espère, c’est certainement une des dernières soirées que je passe seul avec elle. Alors je savoure et profite de sa présence, je veux aussi la rassurer et lui confirmer que je serai toujours là pour elle.
Après avoir vidé la bouteille, je lui propose qu’elle prenne mon lit tandis que je dormirais sur le canapé, ce qu’elle accepte avec grand plaisir.
La tête dans le brouillard, je jette un œil à mon téléphone et constate un sms non lu d’un numéro inconnu. Je le repose avant de le reprendre très vite. J’appuie sur l’empreinte digitale et accède à ma messagerie. C’est elle. Charlotte m’a recontacté. Elle m’indique avoir récupéré une liste de petit appartement en location pour ma venue. Elle me donne également des dates me précisant que durant ces jours-là, Constance est disponible. Son texto est bref et concis, mais il a une importance cruciale pour la suite de nos retrouvailles.
Ça me laisse un peu plus de deux semaines pour m’organiser, poser mes congés et réserver.
Je me dépêche de retrouver ma meilleure amie pour lui confier cette nouvelle. Tout comme moi, elle se réjouit de l’avancée. Je suis enfin prêt à me lancer, c’est le début d’une nouvelle vie qui commence.
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