Chapitre 27
6 février 2021
Je me détache et l’observe attentivement, comme si je la découvrais pour la première fois depuis longtemps. Ses doigts posées sur mes joues, elle me détaille aussi. Ses yeux humides trahissent son émotion. Elle essaie de se cacher, mais c’est peine perdue.
— Je sais que je n’ai pas le droit de débarquer comme ça, mais après l’appel d’Arnaud, je n’ai pas voulu perdre une minute de plus.
Je saisis sa paume et nous guide vers le salon. La tension est palpable. Je ne sais pas si je dois prendre la parole ou si je dois la laisser parler c’est difficile.
Je m’installe dans le canapé et l’invite à se joindre à moi. Je lui propose un café qu’elle accepte, ce qui me laisse quelques minutes seul dans la cuisine pour souffler. J’ai peur parce que je ne maîtrise pas la situation et que je n’ai aucune réponse sur sa présence ici. J’essaie de faire le vide et de ne pas m’inquiéter. Les boissons chaudes préparées je reviens avec les deux tasses dans la main et trouve la première femme que j’ai aimée, debout dans mon univers. Elle observe quelques-uns de mes croquis puis se retourne.
— Je crois que tu tiens ça de moi, murmure-t-elle, en reposant les feuilles. J’ai beaucoup de choses à te dire si tu l’acceptes, viens.
J’acquiesce et me poste à nouveau à ses côtés. Je ne veux pas d’excuse, ça ne changerait rien à tout ce qui s’est passé depuis cinq ans. Mais je suis prêt à écouter tout ce qu’elle a à me dire, les confidences qu’elle garde au fond d’elle.
— Je me souviens parfaitement du jour de ta disparition. J’entends encore ta façon de m’annoncer que tu vas à un super concert sur la place de la République à Paris. On a dîné tranquillement ce soir-là avec papa, comme d’habitude. Je me souviens de mes appels le lendemain, de ton répondeur qui tournait en boucle. L’annonce de ton père résonne toujours et cette phrase…
Sa voix se brise et emporte avec elle mon cœur. J’aimerais la rassurer, trouver les mots justes, mais j’en suis incapable parce que rien de ce que j’ai vécu à ce moment-là ne pourra la réconforter.
— Il a disparu. Tu n’étais plus là. On s’est battu. Arnaud a fait des affiches qu’on a mises partout. On nous a dit que les premières quarante-huit heures étaient primordiales alors on a tout fait, mais tu n’étais nulle part, introuvable. Le temps passait et on n’avait aucune nouvelle. On dépérissait tous et notre espoir s’envolait. On a fait tout ce qu’on a pu enfin j’espère. C’était un cauchemar. C’était un enfer de ne pas savoir ce que tu devenais. Une semaine est passée, puis deux, puis trois, un mois, puis deux… Et cet appel. C’était un don du ciel, un miracle. Ce jour-là, j’ai eu l’impression de revivre, mais je n’avais jamais songé à l’après. Quand nous sommes venus à l’hôpital, ton père a été bouleversé, il a eu du mal à te reconnaître. Quant à moi, je n’ai pas su t’accompagner comme je l’aurais dû. J’étais effrayée par tout ce que tu avais pu subir. Ton corps était tellement différent et ton regard était éteint. Pardonne-moi…
Je ne sais pas quoi lui dire. Bien évidemment que je n’étais plus le jeune homme qu’ils avaient connu. Mais j’ai essayé les premiers mois de faire de mon mieux. J’aurais aimé qu’ils me laissent plus de temps, j’aurais aimé qu’ils soient moins intrusifs, j’aurais aimé qu’ils ne me jugent pas… Elle a fait un premier pas et je ne veux pas la rejeter. Je cherche les mots justes, je ne veux pas lui faire de mal.
— Je ne vous en veux pas. Je ne sais simplement plus comment gérer tout ça. Je sais que je vous ai déçus, mais si vous saviez comme c’est dur. Ces quatre mois là-bas ont été un véritable calvaire. Je ne peux même pas vous raconter ce que j’ai vécu, c’est bien trop difficile. J’étais au fond du gouffre, prêt à abandonner quand Constance est arrivée. Elle était si jeune, si positive, elle m’a offert un second souffle. Et maintenant, depuis cinq, j’ai l’impression d’étouffer. Je manque d’oxygène sans elle. J’ai la sensation de mourir à petit feu, avoué-je, honteux. Maman, j’ai besoin d’elle.
Elle me prend dans ses bras et nous lâchons tout ce que nous avons gardé depuis des années. Elle brise la douleur de ma disparition et je libère la souffrance de son absence.
Je retrouve mes six ans, blotti contre celle qui me berçait pendant des heures.
Nous sommes restés ainsi pendant plus d’une heure, échangeant sur des banalités, mais sur nos regrets respectifs. Je lui fais part de mes blessures psychologiques, mais aussi de nos mauvais moments en famille. J’aimerais qu’elle sache que l’attitude de mon père m’a profondément blessé et que je ne souhaite plus voir mes grands-parents paternels tant que je n’aurais pas réussi à me reconstruire de façon plus solide. Elle promet de me soutenir durant ce long chemin et remettre à sa place quiconque qui pourrait me faire du mal. J’ai l’impression de retrouver la femme protectrice et bienveillante qui m’a élevé.
Au moment des au revoir, je lui certifie que je lui donnerai des nouvelles, ce qui semble la réjouir. Je la serre dans mes bras avant de la voir quitter mon appartement. Je réalise que depuis que j’ai emménagé il y a deux ans, elle n’était jamais venue. Je me pose tranquillement dans le canapé et envoie rapidement un message à mon frère.
× Merci Arnaud ×
J’ai conscience que je lui dois beaucoup de choses. Il a mis en contact Malik et Justine, il a permis ma réconciliation avec notre mère et m’offre le plus beau rôle de ma vie, celui de parrain…
Sans lui, je ne serais sûrement plus sur terre.
Je suis là dans la salle d’attente à patienter depuis des heures. Je repense au texto de Arnaud.
× C’est pour aujourd’hui, maternité Port-Royal ×
C’est un texto efficace et direct, sûrement à l’image de la réactivité dont il a dû faire preuve. J’essaie d’imaginer tout ce qu’il doit ressentir, mais c’est impossible. Cette pièce est franchement morose et mon moral commence à lui ressembler fortement. Cela commence à devenir très long et le fait de ne pas pouvoir maîtriser la situation m’angoisse.
Et si quelque chose se passait mal ? Et si Jeanne rencontrait un problème ? Ou si c’était cet être encore fragile ? Et si jamais Arnaud et Jeanne changeaient d’avis ? Et si ce petit ne m’aimait pas ? Tant de questions auxquelles je n’ai pas de réponses. Tant de doutes qui m’assaillent au moment où je devrais être un soutien pour mon frère.
— Joan ! C’est un mec, un beau garçon ! Je suis papa ! me crie-t-il en enlevant son masque depuis l’autre bout du couloir.
Sa joie est indescriptible, ses yeux sont humides et son sourire communicatif. Je n’ai jamais vu mon ainé aussi heureux qu’en cet instant. À coups de grandes enjambées, je le rejoins et le prends contre moi. Je le serre et tente tant bien que mal de cacher mon émotion. Je suis très ému, j’attendais ça avec tellement d’impatience. Je suis parrain, c’est un nouveau rôle, une nouvelle mission que je compte prendre très au sérieux. Je lui murmure un « félicitation » et le questionne sur ce petit garçon qui vient d’entrer dans notre monde.
— 3kg100 pour 49 cm. Il est parfait, il est beau. C’est fou, il est si minuscule. Et Jeanne, tu aurais dû la voir, c’est une guerrière. Je suis tellement fier.
Il a de quoi l’être. Sa vie est une véritable réussite, c’est incroyable de voir tout le chemin qu’il a parcouru.
— Tu n’oublies pas de me donner un léger détail ?
En effet, comme ils avaient fait le choix de ne pas savoir le sexe, ils n’avaient pas bon plus indiqué de prénoms. C’est donc une surprise complète pour cette naissance.
— Oh, si pardon. Ton filleul s’appelle Raphaël.
Raphaël. Mon filleul, ce mot résonne comme un cadeau du ciel, je me sens réellement chanceux d’avoir ce rôle-là. J’ai hâte de pouvoir faire sa rencontre et de le tenir dans mes bras, même si je ne suis pas certain de savoir comment m’y prendre.
Il m’explique qu’ils vont monter dans une chambre et que malheureusement avec le covid, je ne pourrais pas le voir tout de suite. J’accepte et lui promets de passer les voir dès la sortie de la maternité.
Il me montre une photo qu’il m’envoie aussitôt pour la garder en mémoire. Il a raison, il est magnifique.
C’est sûrement avec un air niais que je repars de la clinique. Je me fiche de ce que les gens peuvent penser. Pour la première fois depuis très longtemps, je me sens heureux, ce vrai sentiment de bonheur.
Cette arrivée est un véritable cadeau pour ma famille. Depuis sa visite le mois dernier, j’essaie de rester en contact avec ma mère. Je décide d’ailleurs de l’appeler, elle qui attendait ça depuis une éternité. Sa voix trahit son émotion et je suis ravi d’être celui qui lui apporte cette nouvelle.
Assise dans le canapé, Jeanne est là, radieuse. Elle vient de donner naissance et pourtant elle semble aussi en forme qu’avant sa grossesse. Lorsqu’elle m’aperçoit, elle se lève difficilement et se déplace délicatement.
— Et oui Joan, j’ai l’air d’une vieille mamie, rit-elle en avançant vers moi.
— Tu es magnifique !
Elle me donne une tape sur l’épaule avant de me serrer contre elle. Je la relâche et lui murmure un merci, parce que je n’ai jamais eu de véritable occasion de le faire.
Elle me propose de faire connaissance avec celui sur qui je dois désormais veiller, plus que sur ma propre vie. Elle me guide et je découvre la chambre couleur crème et blanche. Tout semble léger, doux et très cocooning, tout ce qu’il faut pour élever un bébé dans la tranquillité. Le berceau trône au milieu de la pièce et j’aperçois la paume de mon filleul posée sur le matelas. J’avance à pas de loup et espère ne pas le réveiller. Je suis impressionné par sa petite taille, il est minuscule et paraît si fragile. Avant tout contact, je préviens Jeanne que je souhaiterais éviter de lui transmettre des microbes. Je fais donc demi-tour et pars me laver les mains, hors de questions de lui refiler quoi que ce soit. Une fois propre, je reviens dans la salle et je m’approche. Du bout des doigts, j’ose caresser sa petite poigne.
— Il est si beau, murmuré-je.
Jeanne me remercie et me propose de le prendre, mais je ne me sens pas du tout capable de le porter sans le blesser. Je suis brusque, maladroit et incompétent, c’est sur. Finalement, elle le soulève et me le dépose délicatement dans les bras. J’en ai le souffle coupé, je ne sais pas du tout comment m’y prendre. Elle me fait reculer pour m’installer dans le fauteuil installé dans un coin de sa chambre. Je reste là sans un mot à admirer ce minuscule être que la vie a mis sur ma route.
Il a un léger duvet blond sur le crâne en guise de cheveux et j’ai hâte de découvrir les mêmes yeux bleus que sur les portraits, même si je sais qu’ils ont le temps de changer. Je laisse le silence nous envelopper et je savoure ce moment.
— Joan ? Je peux vous prendre en photo ?
J’acquiesce, incapable d’aligner une phrase complète. Je suis ébahi par cet instant de pureté.
Alors que Jeanne finit de nous mitrailler, Raphaël décide d’ouvrir les paupières et de se mettre à pleurer. Un petit cri perçant qui m’inquiète immédiatement. Est-ce que je lui ai fait mal ou alors il n’aime pas la position ? Est-ce que c’est mon odeur ou ma trop forte respiration ?
— Ne t’inquiète pas, c’est l’alerte pour les repas, me taquine Arnaud en voyant ma tête se décomposer. Ne bouge pas, je vais lui chercher son biberon.
Jeanne récupère Raphaël et s’occupe de le changer. Elle le manipule avec une telle facilité qu’on a la sensation qu’elle a fait ça toute sa vie. Tandis que mon frère prépare l’unique alimentation de son fils.
Les deux me confient la tâche de nourrir leur progéniture et je me sens beaucoup moins à l’aise qu’eux, je n’ai pas eu la formation pour. Arnaud me montre comment me positionner et comment le caler contre moi. Il m’encourage et je me sens en sécurité avec sa présence et ses conseils. Je penche le biberon et mets la tétine dans sa bouche, j’ai l’impression de faire un travail de précision.
— Tu fais ça à merveille Joan.
La validation de ma belle-sœur soulage mon angoisse et j’observe chaque détail pour le garder en mémoire. Repas, rot et dodo, il a une véritable vie de rêve.
Une fois profondément endormi, je dépose un baiser sur son front et le rallonge dans son lit. Il se met à sourire pas à moi, mais juste dans son sommeil. J’ai envie d’y voir un signe, celui d’un encouragement, d’une promesse d’un avenir meilleur pour moi.
J’espère pouvoir lui présenter la femme qui a changé ma vie, qui l’a sauvé et qui lui a donné un sens nouveau.
— Un jour, je viendrais avec elle, il faut que tu rencontres un ange…
Mon ange…
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