Chapitre 2
15 août 2015
– Putain, t'abuse Quentin ! À ce rythme-là, on sera jamais à l'heure et Charlotte va me tuer !
Comme toujours, mon petit-ami est en retard. Un an que je subis son besoin d'être sur son trente-et-un pour n'importe quelle occasion. Il est pire que moi. Je suis coquette, mais sans passer des heures dans la salle de bain. Ce n'est pas mon truc. En attendant, je regarde une dernière fois mon reflet et suis plutôt contente du résultat. Mes longs cheveux blonds et bouclés ont fini par s'éclaircir avec ce soleil d'août et s'accordent parfaitement avec ma petite robe jaune. Tenue un brin moulante, mais je veux être jolie pour lui. Mes yeux noisette me paraissent bien fades, mais je n'arrive jamais à les mettre en valeur.
Je suis interrompue dans ma contemplation lorsque Quentin sort enfin de la salle d'eau. Il est beau, c'est un fait. Il est même canon et je réalise que j'ai beaucoup de chances. Sa carrure de sportif, sa crinière châtain et son regard charbon ont raison de moi et de ma colère. Je me souviens encore de notre rencontre. Il est entré dans mon amphi à la fac et je pense que toutes les filles ont eu la même réaction que moi. Nous bavions devant cet apollon. Il avait tout l'attirail pour faire fondre les demoiselles et encore aujourd'hui je suis surprise qu'il m'ait choisie.
– Tu es parfait, soufflé-je en déposant un baiser sur sa joue.
Il m'adresse un large sourire avant de me prendre la main. Nous quittons son appartement et rejoignons les rues parisiennes. En ce mois d'août, la capitale est déserte. Les Parisiens sont partis et les touristes ne se bousculent pas en ce jour d'août. Pourtant les regards féminins n'arrêtent pas de se poser sur l'homme qui m'accompagne. Je comprends l'attrait de mon compagnon. Il a un physique à se damner, mais j'ai du mal à gérer cette nouvelle vague de jalousie qui monte en moi. Par chance, nous arrivons avant que mon envie de crever des yeux n'atteigne le point de non-retour. Charlotte, une amie d'enfance, a choisi un petit club qu'elle a privatisé pour fêter son anniversaire. Comme à chaque fois, il y aura bien trop d'invités, l'alcool coulera à flots et la musique nous percera les tympans, mais ça lui plaît...
– Bon anniversaire Cha ! crié-je en arrivant près d'elle.
Sans attendre, elle me saute dans les bras et me remercie. Nous avons choisi des chemins opposés à l'adolescence et faisons des études différentes, mais nous sommes restées très proches. Elle salue rapidement Quentin avant de lui tourner le dos. Je sais qu'elle ne l'aime pas. Elle ne lui fait pas confiance, et tout cela sans raison. Toutefois je décide de ne pas lui en tenir rigueur. Ma copine est entière et il est toujours difficile de trouver grâce à ses yeux.
– Faut que je te présente une pote !
crie-t-elle en me tirant par le poignet.
Je me retrouve ballottée entre tous les invités et attrape la main de Quentin à la volée.
Tout s'enchaîne très vite, nous faisons la connaissance de ses amies de fac, nous trinquons, nous dansons. J'observe la foule autour de moi et malheureusement je ne me sens pas à ma place. Ses camarades rentrent parfaitement dans la catégorie poufiasse pétée de fric et c'est tout ce que je déteste. Je finis par m'asseoir sur un des canapés présents dans le bar. Je détaille le lieu, l'atmosphère, la décoration et les gens. Moi qui aime la simplicité, ce bar est bien loin de l'image que je me fais d'une soirée d'anniversaire.
– Je sais ce que tu penses, mon double.
Je n'ai pas besoin de lever les yeux. Charlotte lit en moi, comme dans un livre ouvert. Je ne peux rien lui cacher et je ne cherche plus à le faire. Ses pupilles noirs se posent sur moi attendant que la vérité sorte de ma bouche. Mais je ne veux pas me battre avec elle ce soir. Je lui lance un signe de tête pour la laisser déballer son monologue.
– Tu sais que c'est pas moi non plus, mais je suis fatiguée de ne jamais rentrer dans le moule, j'ai besoin de faire partie d'un tout, que l'on remarque par son rayonnement. J'aime qu'on me voie, j'ai enfin l'impression de vivre, souffle-t-elle.
Je comprends où elle veut en venir. Elle veut être au centre d'un groupe alors que moi, je veux être transparente. Je ne peux pas lui en vouloir, mais j'aimais notre amitié comme elle était avant.
– Et Constance ? m'interpelle-t-elle. Quentin est exactement comme ça, sauf que c'est sa nature profonde... Tu mérites mieux que quelqu'un d'aussi superficiel.
Sa phrase me blesse. C'est bête, mais j'aimerais qu'elle approuve ce choix. J'ai envie que mon amie d'enfance apprécie le garçon que j'aime. Je ne dis rien et accepte son avis. Elle dépose un bisou sur ma joue et passe sa main dans mes cheveux avant de s'éclipser.
Évidemment mon partenaire avait rapidement réussi à trouver des personnes avec qui parler. Il est plus sociable que moi. Je finis par m'ennuyer et décide de sortir devant quelques minutes. Je fais un léger signe de tête à Quentin et sors de cet endroit bruyant. J'ai besoin de prendre l'air. Sur le trottoir, je regarde les gens passer. Je ne suis définitivement pas au bon endroit, au bon moment...
– Putain, mais il est canon ce mec. S'il ne sait pas quoi faire ce soir, je veux bien lui faire visiter mon appartement, glousse une dinde qui vient de sortir du lieu de la fête.
Vu les garçons présents, il ne faut pas être devin pour savoir qu'elle parle de mon petit-ami. Je fais demi-tour et me dépêche de rentrer. Hors de question qu'une de ces filles s'imagine avec lui. Je passe les portes du bar et commence à rechercher mon compagnon. Je fais rapidement le tour et n'arrive pas à le trouver.
– Quentin ? Quentin ?
J'appelle en vain. Je déteste quand il me fait ces plans-là. Il se barre sans rien dire, vit sa vie et se souvient soudainement que j'existe. Je descends une dernière fois les escaliers afin de vérifier s'il n'a pas décidé de se mettre au frais dans cette espèce de grotte. L'air froid me parvient et un frisson me parcourt l'échine, comme un avertissement. Mais lorsque je relève les yeux, je tombe nez à nez avec lui, ou plutôt avec son profil. Ma respiration se coupe. Mon monde s'écroule.
Calé contre un mur, sa langue est dans la bouche d'une blonde peroxydée. Ses mains découvrent chaque centimètre de sa peau dénudée et moi je reste figée à les regarder.
L'expression avoir le cœur brisé prend soudainement tout son sens, j'ai l'horrible sensation que l'on vient de me l'arracher, de le jeter au sol et de le piétiner. Sans ménagement, sans douceur, sans pitié.
Le choc laisse place à la colère. La fureur coule dans mes veines. Mes pieds franchissent les derniers mètres qui me séparent d'eux. Je tire violemment en arrière l'espèce de poufiasse qui m'insulte de tous les noms. Quentin me regarde incrédule et pour la première fois de notre relation, je ne le vois plus comme un dieu. Il n'est qu'une sombre merde. Un pauvre crétin infidèle. Un Don Juan de pacotille. Un collectionneur de bas étage. Sans réfléchir, ma chaussure trouve immédiatement refuge dans son entrejambe et je prends plaisir à voir son visage se tordre de douleur.
– Tu n'es qu'un sale type sans morale et sans valeur. Baise-la autant que tu veux ! Tu es à vomir ! dis-je en lui crachant à la figure.
Je n'attends pas sa réponse et remonte tout de suite à l'étage. Je me faufile entre les invités et me réfugie à l'extérieur. Portée par l'adrénaline, je me mets à courir pour m'écarter de ce putain de lieu. Je veux fuir. J'ai mal. Rapidement, je trouve mon futur refuge. J'escalade le petit portillon et trouve asile dans un minuscule parc parisien. Assise sur un banc, la pression retombe. Je me rends compte qu'en plus de ma dignité, j'ai aussi oublié mon gilet. Je m'insulte intérieurement pour ma connerie et mon impulsivité. Je suis complètement paumée. Je suis triste, en colère, déprimée. Même si je comprends qu'il veuille mieux, son attitude me rend malade. Je réalise qu'il vient de jeter un an de relation dans les bras d'une autre. Signe de ma détresse, les larmes commencent à dévaler mes joues. Je suis vraiment pathétique. Comment un garçon aussi beau pouvait — il s'intéresser à une fille comme moi ? Je hurle de rage avant d'éclater en sanglots.
– Sale petit con ! Brûle en enfer !
– Oh ! Ce n'est pas vraiment sympathique de parler comme ça à un inconnu.
Je sursaute et manque de me casser la tronche par terre. Je lève les yeux et remarque un jeune homme. Si je n'avais pas si mal, je l'aurais sûrement trouvé beau. Mais là, tout de suite, je me demande simplement ce qu'il fait ici.
– Ça va ? m'interroge-t-il en penchant sa tête sur le côté. En fait, je t'ai vu sauter la grille...
J'ai le cœur brisé par un bel abruti et je me cache pour chialer. Oui, dit comme ça c'est assez comique. Je ne sais plus si je dois rire ou pleurer.
– Je crois que j'ai les cornes les plus longues de Paris, soufflé-je.
C'est un fait, je suis cocue. Cette pétasse digne du bois de Boulogne n'est sûrement pas la première à visiter la bouche de mon petit-ami. Non ! Plus de petit-ami. Quentin, juste Quentin. Combien y en a-t-il eu ? Avec combien a-t-il couché ? Chez lui ? Une boule se forme dans ma gorge. Je n'arrive pas à me retenir. Je suis détruite.
– Ce garçon ne mérite sûrement pas tes larmes. Tu es une jolie fille et tu auras la chance de rencontrer un homme qui saura t'aimer à ta juste valeur, vraiment.
Ces mots sont gentils seulement ce soir je n'y crois plus. J'ai envie de me blottir sous ma couette. Hiberner des mois. Ne plus jamais aller à la fac. Ne voir personne. Ce programme est par-fait.
– Tu sais ma fiancée m'a plaqué le jour de l'annonce de notre mariage à nos familles, devant tout le monde. Elle était tombée amoureuse de mon meilleur ami. Et tu vois cinq plus tard, je suis avec une femme formidable qui me comble tous les jours. Ne perds pas espoir.
Finalement, je l'écoute sagement. Je n'ai rien d'autre à faire. Je ne suis pas prête à rentrer chez moi. Charles me parle de lui. Il est avec sa copine depuis plus de trois ans. Il me raconte leur rencontre, leurs débuts compliqués, leur envie commune de vivre ensemble. Je finis par me confier à mon tour sur celui dont on ne doit pas prononcer le nom. Merci Harry Potter. Me souvenir me fait mal pourtant ça me libère. Ma vie ne tournait pas qu'autour de cet imbécile. Je vais me relever, peut-être pas demain ni cette semaine. Mais un jour.
Je me détends et savoure notre conversation. Je me rends compte du temps qui passe lorsqu'un de ses amis le prévient de son départ. Pourtant il n'en fait rien. Il m'écoute pleurer sur mon sort. Je me plains de l'immaturité masculine. Je râle pour mon manque de confiance en moi. Charlotte avait finalement raison. Je m'en veux de ne pas l'avoir écouté. Les heures avancent, le bruit des bars à côté commence à faiblir. La fatigue me tombe dessus. Il est temps pour moi de retrouver mon appartement. J'annonce mon départ à mon compagnon de soirée.
– Tu ne vas quand même pas prendre le métro toute seule. Je te ramène, viens, propose-t-il une nouvelle fois.
– Charles, c'est très gentil, mais n'insiste pas. J'ai besoin d'être seule après cette soirée.
Je suis très mal à l'aise. Son insistance me bloque. Je ne sais plus quoi faire pour lui faire comprendre que je ne vais pas venir avec lui. Discrètement je tente de prendre mon téléphone et contacte mon dernier interlocuteur : Charlotte. Malheureusement, je n'ai pas le temps d'entendre la sonnerie, qu'il se rend immédiatement compte de ce que je fais. Il saisit mon smartphone et le jette au sol. Soudainement son regard change. Il me plaque contre un mur et sa main me masque une partie du visage. Je peine à respirer. Mon cœur s'emballe et ma vision se trouble. J'étouffe.
– Ne crie pas petite Constance, tu es désormais mienne. Nous allons vraiment beaucoup nous amuser.
Je n'arrive plus à réagir. Mes jambes flanchent. J'ai peur. Ses doigts me compriment. La dernière chose que j'aperçois est le regard de celui à qui je me confiais quelques minutes plus tôt.
Mon corps violemment projeté au sol me réveille brutalement et m'arrache un cri. Si jusque là, mon esprit avait fait un black-out, je réalise doucement ce qui se passe. Il fait à peine jour dans la pièce où je me trouve et une odeur de renfermé me pique le nez. Je tente de me redresser et me trouve à genoux face à Charles qui me sourit.
– Je n'aurais jamais espéré une aussi belle prise. J'ai tellement hâte de pouvoir jouer avec toi, murmure-t-il en enlevant une mèche de mon visage.
Le ton froid, arrogant et tordu qu'il emploie me glace le sang. Je suis soudainement prise d'un haut-le-cœur et vomis à ses pieds. Je n'ai pas le temps de relever le regard que je reçois un coup dans l'abdomen. Mon visage rencontre de nouveau le parquet froid et usé.
– Regarde-moi ce que tu nous as ramené ! Tu sais ce que je vais devoir faire pour calmer ma colère ?
J'entends un léger raclement de gorge. Cette nouvelle voix me semble à la fois familière et inconnue. Charles n'est donc pas seul. Pourtant, je ne vois que ses chaussures cirées se déplacer à l'autre bout de la pièce et porter un corps inerte. Un grognement sourd se fait entendre et retentit à l'intérieur de mon corps. Mes yeux tentent d'en voir plus. Seulement, je ne tiens plus et mon esprit sombre lentement dans ce qui sera désormais mon seul paradis...
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