Appuyé contre la paroi de l’ascenseur, Chan jouait avec la petite carte de visite entre ses doigts. Il avait dû commencer à l’user à force de la triturer dans tous les sens depuis plusieurs jours. Il ne comprenait même pas pourquoi il la gardait à portée de main, il aurait tout aussi bien pu la laisser chez lui, ou même la mettre à la poubelle. Après tout ça n’était pas comme s’il allait vraiment contacter Mina… Pourtant, c’était ce qu’il avait beau se répéter depuis plusieurs jours, il n’avait pas pu s’empêcher d’y penser, ni même d’y réfléchir.

Le plus étrange dans tout cela était le comportement de Mina. Malgré toute cette histoire, la jeune femme continuait d’agir comme si de rien n’était. Chan aurait d’ailleurs dû trouver cela plus simple pour lui, et pourtant ça ne l’était pas du tout. Il avait même fini par croire qu’il avait imaginé toute cette histoire et que cette carte n’avait rien à voir avec sa secrétaire.

La jeune femme se comportait comme avant, et son supérieur ne savait pas quoi en penser. Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent et Chan replaça la carte de visite dans la poche intérieure de sa veste. Il salua ses subordonnés en se dirigeant vers son bureau et inspira profondément avant de faire face à la jolie blonde.

— Bonjour, lança-t-il en passant devant elle.

— Bonjour, Monsieur Kato a appelé, les derniers documents vont nous être faxés dans la journée, vous n’aurez plus qu’à les signer et le contrat sera officiellement effectif.

— Bonne nouvelle. Oh ! Et est-ce que Monsieur Kim a renvoyé le contrat ? J’en ai besoin pour la semaine prochaine.

Mina attrapa quelques feuilles agrafées jusque là posées sur son bureau et les tendit à Chan.

— Ce matin, mais vous allez devoir le rappeler, il a ajouté quelques annotations qui ne vont pas vous plaire.

Le jeune homme se saisit des documents et commença à les parcourir tout en se dirigeant vers son bureau. Il s’arrêta une fois la porte passée et se tourna vers sa secrétaire.

— Oui ? demanda-t-elle en haussant un sourcil.

— Non rien, je me demandais juste si… Non rien, laissez tomber.

Il fit aussitôt volte-face et ferma la porte derrière lui. Il avait envie de se mettre une claque, était-il vraiment sur le point de parler du métier d’escort de Mina au bureau alors que n’importe qui pouvait surprendre leur conversation ? S’il voulait lui en toucher un mot, il valait mieux attendre qu’ils soient seuls.

Changbin passa le voir en fin de matinée afin de faire le point sur l’un des projets en cours avant la future réunion d’équipe. Les deux hommes étaient installés au bureau de Chan, parcourant un à un les documents composant le dossier.

Le directeur-adjoint s'était absenté quelques minutes et était revenu avec deux tasses de café, indiquant à son ami qu’il était l’heure de faire une petite pause. Ils s’installèrent tous les deux dans les fauteuils, et Changbin soupira en consultant son portable.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— Bof, rien de bien passionnant, j’ai sympathisé avec une fille du service compta. On s’est vus plusieurs fois mais… j’sais pas, elle insiste beaucoup pour me voir.

Chan haussa un sourcil.

— Tu lui plais c’est tout.

— Oui merci, ça j’avais compris. Mais je sais pas, on est plusieurs fois allé boire des verres ensemble, elle est sympa, c’est pas le soucis mais y’a rien quoi. Enfin elle, elle pense qu’il y a quelque chose visiblement.

— Pourquoi tu ne lui dis pas simplement que tu préfères en rester là ?

Changbin but une gorgée de café tout en fixant son ami.

— Quoi ?

— Parce qu’on a couché ensemble, voilà pourquoi, s’exclama le noiraud. On a couché ensemble dès le premier soir et maintenant j’ai l’impression que je vais passer pour un gros con si je lui annonce que je ne veux plus la voir.

Chan ne put s’empêcher de rire, pourtant il comprenait la situation de son adjoint.

— C’est sûr que ça fait pas très gentleman…

— Non, et je veux pas qu’elle se dise que j’abuse de mon statut pour me taper des employés alors que c’est pas le cas, on travaille même pas dans le même service !

Le directeur ne put s’empêcher de jeter un regard en direction du bureau de Mina, il n’avait pas pensé à cela, qu’il était son supérieur.

— Dis Changbin.

— Hum ?

— Puisqu’on parle de femmes… et de travail, tu… Enfin justement, si une de tes subordonnées te faisait des propositions, qu’est-ce que… enfin quelle serait ta réaction ?

Le noiraud ne sembla pas chercher plus loin et réfléchit.

— Ça dépend de qui, enfin je veux dire que ça dépend si cette potentielle relation peut venir gêner le boulot, s’il y a conflit d'intérêt par exemple. Pourquoi ? Tu as des vues sur quelqu’un ?

— Non ! Non non pas du tout ! Je me posais juste la question par rapport à ta situation.

— Oh, et bien comme je viens de te le dire, ça dépend vraiment de la personne. Je n’aimerais pas que ça complique mon quotidien au boulot tu vois ?

— Oui, ça me parait logique...

Le reste de la journée fut plutôt calme, une bonne partie des employés étaient de sortie pour diverses réunions en extérieur ou des rendez-vous. Après avoir longuement hésité, Chan se décida finalement à approcher sa secrétaire.

— Mina ? Je peux vous voir un instant dans mon bureau s'il vous plaît ?

— Maintenant ?

— Oui.

La jeune femme sembla perplexe mais obtempéra, elle se leva et entra dans la pièce, fermant la porte derrière elle comme si elle avait deviné que son supérieur n’allait pas lui parler de travail.

— Je… j’ai beaucoup réfléchi à notre conversation de la fois dernière, quand vous m’avez donné cette carte.

Il sortit le petit objet cartonné de sa poche et Mina eut un petit rire.

— Vous la gardez toujours sur vous ?

Les oreilles de Chan se mirent à chauffer et il toussota l’air de rien.

— Bref, je dois dire que… Je suis plutôt intrigué par toute cette histoire.

La jeune femme rit à nouveau.

— Intrigué ? Mais si ça vous intrigue tant que ça, vous pouvez toujours essayer. Ça ne vous engage à rien. Je me ferais un plaisir de vous faire découvrir tout cela et, si jamais ça ne vous plaisait pas, vous pourrez toujours m’arrêter.

Elle s’était un peu rapprochée de lui, les yeux désormais pétillants malgré son air froid habituel. Chan planta son regard dans le sien, toujours autant intrigué par sa subordonnée. Il déglutit, elle avait vraiment un étrange pouvoir sur lui, comme s’il était inéluctablement attiré vers elle.

— Vous souriez beaucoup, dit-il dans un murmure, c’est si amusant que ça de me torturer l’esprit ?

Mina pouffa en haussant les épaules.

— Je n’ai même pas encore commencé… Mais je dois avouer que c’est plutôt amusant de vous voir perdre vos moyens alors qu’il ne s’est strictement rien passé. Je ne cherche pas à vous forcer à quoi que ce soit. Je vous ai simplement donné ma carte, si ça vous intéresse, contactez-moi, sinon, oubliez simplement que nous avons eu cette conversation.

Elle lui prit la carte de visite des mains et fit demi-tour pour retourner vers son bureau, laissant son supérieur totalement perdu. Son cerveau tournait à cent à l’heure, qu’était-il censé faire ? Mina avait raison, elle ne le forçait à rien, alors pourquoi avait-il autant de mal à simplement lui dire qu’il n’était pas intéressé ? Peut-être parce qu’il l’était justement…

— Attendez, s’entendit-il dire avant qu’elle ne sorte de la pièce. Et si… si je voulais juste essayer, juste pour voir.

Il avait envie de se mettre une gifle, pourquoi fallait-il qu’il cède ? À quoi pensait-il ?

La jolie blonde fit volte-face, elle lui adressa un sourire et posa la carte juste à côté de la porte.

— Dans ce cas, je vous attends mercredi à vingt heures, bonne journée.