— Chan ? Chan !

Le susnommé leva la tête de ses papiers presque dans un sursaut. Changbin le fixait depuis l’autre côté du bureau, il attendait visiblement une réponse.

— Désolé, j’étais dans la lune, s’excusa le directeur en passant une main dans ses cheveux.

— J’ai vu ça oui… grommela le noiraud. Si t’es pas d’humeur on peut remettre ça à plus tard.

— Non, non, c’est bon. Je suis juste un peu tendu à cause de mon rendez-vous de ce soir.

— Pour la filiale japonaise ?

— Ouais… je dois rencontrer le fondateur d’une chaîne et voir s’il veut s’associer à nous, du moins pour ses restaurants à implanter en Corée.

— Il est pas chaud ? tiqua Changbin.

— Si, enfin avec les échanges qu’on a déjà eu il a l’air plutôt emballé par l’idée, mais… je sais pas, on ne sait jamais.

— Si les échanges se sont déjà bien passés alors je vois pas pourquoi un dîner se passerait mal ? S’il a accepté d’aller jusque là, je suis certain que c’est pour signer. Puis faut pas oublier que vous allez manger et surtout boire… 

— Hum, tu as raison… je panique pour rien je suppose.

— Oui, tu l’emmènes dans un de nos meilleurs resto et il est déjà convaincu pour signer avec nous alors tout va bien se passer.  

— Ouais… j’ai jamais vraiment eu l’habitude de ce genre de rendez-vous. En plus il m’a dit qu’il viendrait accompagné. Enfin il a dit qu’il amenait de la compagnie.

Changbin eut un petit rire.

— Ça ça veut dire une femme. Tu n’as jamais fait de dîners d’affaires de ce genre dans tes anciennes boîtes ? 

Chan secoua la tête. 

— Non, à l’époque je n’étais pas assez haut placé pour m’en occuper. Et en Australie ça n’est pas vraiment comme ça que ça se passe. 

— Tu veux que j’y aille à ta place ? proposa le noiraud. Ou que je t’y accompagne ?

— C’est gentil mais non… Il va bien falloir que je m’y habitue. Et puis je ne veux pas donner l’air de vouloir me débiner. 

Son ami pinça les lèvres.

— Quoi ? fit Chan en haussant un sourcil.

— Non rien, mais oui tu as raison, et il faut que les collaborateurs apprennent à te connaître, c’est toujours mieux pour faire tourner les affaires. 

Ils échangèrent un sourire et le directeur se permit de soupirer un bon coup. 

— Merci Changbin, je suis vraiment content de t’avoir dans les parages. Ça me soulage vraiment de savoir que je peux compter sur toi.

***

Chan avait enfilé le plus beau costume dont il disposait mais maintenant qu’il attendait devant le restaurant, il avait peur d’être trop endimanché, ou au contraire, pas assez classe. Le lieu qu’il avait choisi était plutôt huppé alors il valait peut-être l’être trop que pas assez. Il entra après avoir reçu un message de son rendez-vous qui lui avait dit arriver bientôt.

Le serveur, après avoir vérifié sa réservation, conduisit Chan à sa table. Le directeur se remémora ce que son ami lui avait dit, il n’y avait pas de raisons pour que ça ne se passe pas bien. C’était presque comme si les négociations avaient déjà été menées à bien, au final ce repas n’était que l’officialisation de leur contrat. 

En y pensant, il se sentit un peu plus détendu, il n'avait qu'à profiter de la soirée et du repas, de plus Kato Shigeaki, le japonais avec qui il avait rendez-vous, lui avait paru très sympathique lors de leurs échanges par mail et téléphone, alors tout irait bien. 

Le jeune homme n'eut pas à attendre bien longtemps, une dizaine de minutes après s'être installé à sa table, un serveur s'approcha, il guidait un couple. 

— Bang Chan ? fit l'homme aux cheveux bruns et au sourire impeccable.

— Oui, Kato Shigeaki je suppose ? dit-il en se levant pour le saluer.

— Je vous en prie, appelez-moi Shige.

— Chan dans ce cas.

— Parfait.

Ils allèrent jusqu'à se serrer la main jusqu'à ce que le japonais ne se décale pour indiquer la jeune femme qui l'accompagnait. Chan manqua de s'étouffer avec sa salive en reconnaissant parfaitement la jolie blonde en robe noire qui se tenait là. Celle-ci flancha à peine mais le directeur crut bien voir ses yeux changer d'expression avant qu'elle ne reprenne contenance. 

— Chan, je vous présente Mina, je me suis dit qu'une présence féminine serait la bienvenue, fit Shige visiblement ravi de l'effet que la beauté de son invitée avait produit sur le directeur.

— Et vous avez eu bien raison, répondit son vis-à-vis en essayant de ne pas rire nerveusement. Enchanté Mina.

— Enchantée, fit la blonde en feignant de le rencontrer elle aussi pour la première fois.

Ils s’installèrent à table et Chan dût se concentrer pour ne pas se pincer. Il avait l’impression d’être dans un mauvais rêve et avec un peu de chance il allait bientôt se réveiller. Heureusement pour lui, Shige était assez sympathique et faisait la conversation, expliquant pourquoi il voulait s’implanter en Corée, pourquoi il avait voulu s’associer à l’entreprise de Chan et à quel point il avait hâte d’officialiser cette union.

Bien que réussissant à suivre la conversation et à y participer, Chan ne pouvait s’empêcher de se demander quelle était la nature de la relation que Mina entretenait avec cet homme. Il jetait parfois de petits regards à sa secrétaire qui restait impassible, comme si cette situation était tout à fait normale. De temps à autre, pour lui demander son avis, Shige posait la main sur celle de Mina, ou parfois sous la table. Chan supposait qu’il touchait alors sa cuisse, impliquant que ses deux vis-à-vis devaient entretenir une relation plutôt intime. Pourtant la jeune femme n’avait pas l’air très ravie dans ces cas-là, peut-être n’avait-elle pas envie de se donner en spectacle devant son patron, ce qui était plutôt compréhensible. 

Pourtant, après plusieurs fois, Mina donna une tape plutôt sèche sur la main de son voisin avant de le fusiller du regard.

— Ça fait trois fois, tu sais ce que ça veut dire. Tu sais ce qui t’attend.

Contrairement à Chan, le japonais n’eut pas l’air surpris par cette remarque, bien au contraire, il en eut même l’air ravi.

— Un jour de plus, dit la blonde en jouant avec la clé qu’elle portait en pendentif.

Chan ne l’avait jamais vue auparavant, c’était une petite clé dorée un peu ouvragée, un peu comme celle que l’on pouvait trouver sur certains cadenas, mais en plus raffinée. 

Shige afficha un petit sourire en coin à cette remarque.

— Oui ma reine.

Le coréen haussa un sourcil “ma reine” ? c’était original comme surnom mais pourquoi pas… Ça pouvait justifier pourquoi Mina était aussi peu respectueuse de l’autorité au travail si son petit ami la surnommait de la sorte. 

Ils mangèrent en parlant affaires dans la bonne humeur, Mina ne parlait pas beaucoup contrairement à Shige et Chan, elle semblait plutôt les analyser.

— Il faut que j’aille me repoudrer le nez, dit-elle en se levant alors que le serveur venait de débarrasser leurs assiettes. 

Elle frôla l’épaule du japonais d’un délicat geste de main et celui-ci en eut un frisson. 

— Vous auriez dû me dire que vous viendriez avec votre compagne, fit Chan en lui servant un verre de bière, je lui aurais ramené quelque chose.

— Oh, fit Shige en riant, Mina n’est pas ma compagne.

Ses yeux se mirent à pétiller et il se pencha un peu sur la table comme pour rendre leur conversation plus privée.

— C’est mon escort girl, dit-il un ton plus bas, et je fais régulièrement appel à ses services un peu… particuliers.

Le coréen manqua de s’étouffer avec sa bière ce qui fit beaucoup rire son interlocuteur.

— Ça n’est pas courant ici de venir à des repas d’affaires en ce genre de compagnie ?

Chan se racla la gorge.

— Si, si bien sûr ! C’est juste que je… enfin… Des services particuliers vous dites ?

— Oui, très particuliers…

Le directeur ne voyait pas vraiment ce que “particuliers” pouvait signifier là. Il était déjà question d’une escort girl alors il estimait que son travail était déjà plutôt spécial. 

— De quel genre ? osa-t-il demander en voyant la blonde sortir des sanitaires à l’autre bout de la pièce.

Son vis-à-vis lui accorda un sourire plein de sous-entendus.

— Disons simplement qu’elle aime prendre les choses en main.

Il changea de sujet aussitôt la jeune femme à leur hauteur et Chan tenta de suivre du mieux possible. Il ne pouvait détacher ses yeux de la jolie blonde et ne pouvait s’empêcher de se répéter que sa secrétaire était une escort girl.