De retour au bureau le lundi suivant, Chan n’avait que ses dossiers en tête. Il avait croisé le PDG en arrivant dans le bâtiment qui lui avait dit avoir de grandes attentes puisqu’il lui avait été chaudement recommandé. Cela n’avait fait que mettre encore plus la pression au nouveau directeur qui s’était contenté d’acquiescer, il allait devoir encore plus mettre les bouchées doubles. Il avait réussi à mémoriser le planning que Mina lui avait fait pour la semaine et avait presque parcouru la totalité des documents que son prédécesseur lui avait laissés. Pourtant, il ressentait le besoin de tout lire à nouveau, comme un lycéen la veille de ses examens.

Ce jour-là il n’avait que deux petits coups de téléphone à passer ainsi qu’un appel en visio à faire, il allait s’en sortir. Il devait s’en sortir. Il prit les escaliers plutôt que l’ascenseur histoire de se vider la tête en grimpant les marches. Ça, plus le fait d'avoir papoté un peu avec le PDG, lui avait fait prendre du retard et, une fois au bon étage, il avait dépassé l’heure d’une vingtaine de minutes. Heureusement qu’il était le directeur, personne n’aurait rien à lui dire. Il passa en trombe dans l’open space, lança un bonjour général avant de se hâter vers son bureau. Il salua sa secrétaire à la va-vite, oubliant totalement leur conversation du vendredi avant de s’arrêter net pour lui jeter un coup d’oeil dans l'entrebâillement de la porte.

— Apportez-moi un café s’il vous plaît, dit-il simplement avant de disparaître aussi rapidement qu’il était arrivé.

Il n’avait pas laissé le temps à Mina de réagir et se dirigea vers son bureau pour consulter son ordinateur, il avait encore quelques points à revoir avant de passer ses coups de fil et il tenait absolument à être au point. Chan retira sa veste et l’accrocha au porte-manteau avant de se mettre au travail. Il ne releva les yeux de son écran qu’une quinzaine de minutes plus tard, lorsque trois petits coups retentirent sur la porte.

— Votre café, fit Mina en s’avançant, un gobelet à la main.

En la voyant ainsi, le directeur se rappela de leur conversation du vendredi, visiblement la jeune femme avait compris et avait décidé de se montrer un peu plus docile. Le sourire n’y était toujours pas mais c’était toujours un sacré pas en avant. Il tendit la main pour attraper son café et lui offrit un petit rictus.

— Vous voyez que vous êtes capable de m’obéir, lui lança-t-il en se remémorant son pic du vendredi.

La blonde se figea et Chan aurait pu jurer que son regard s’était assombri d’un coup et elle aurait presque pu se mettre à lui lancer des éclairs. Mina reprit le gobelet et l’approcha de ses lèvres sans quitter son supérieur des yeux. Sans rien dire ni sans ciller, elle cracha dans le café avant de le tendre à nouveau à son vis-à-vis. Ce dernier, bouche bée, prit la boisson tandis que sa secrétaire tournait les talons pour quitter la pièce sans demander son reste.

Choqué, Chan contempla quelques instants son gobelet avant de le poser sur son bureau. Avait-il bien vu ce qu’il venait de voir ? Il battit des cils plusieurs fois, inspira puis expira un bon coup avant de réaliser ce qui venait d’arriver. Sa secrétaire venait de cracher dans son café, devant ses yeux, avant de lui donner. Si un collègue lui avait raconté ça, il ne l’aurait jamais cru, c’était tellement improbable. Est-ce que Mina s’était vengée pour la remarque qu’il lui avait faite la fois précédente ? Il n’avait rien fait de mal pourtant, il n’avait fait que la remettre à sa place pour l’attitude déplacée qu’elle avait eu avec lui depuis son arrivée. Il était directeur que diable ! Il avait tout de même le droit d'exiger un peu de respect ! Demander un café à sa secrétaire, ça n’était pas dépasser les bornes quand même !

Le brun fixait sa subordonnée au travers de la fenêtre, elle était retournée travailler comme si de rien n’était alors que lui était là à cogiter. La situation allait finir par le rendre fou et il n’était même pas dix heures du matin. Il secoua la tête en consultant son ordinateur, il devait se ressaisir, il avait du travail.

***

Chan avait été un peu trop occupé pour repenser à tout cela, il s’était contenté de vider le contenu de son gobelet dans une des plantes de son bureau avant d’aller le jeter dans le bac de recyclage. Il avait profité que Mina soit partie aux toilettes pour aller chercher un autre café lui-même cette fois. Il n’avait certainement pas envie de revivre la même scène que celle du matin et pour cela, il valait mieux qu’il se débrouille. En chemin, il croisa Changbin, un dossier à la main. Le noiraud avait desserré sa cravate et ne portait pas sa veste comme s’il n’avait fait que courir partout depuis un moment. 

— J’ai un coup de fil urgent à passer, dit-il en se dépêchant, et après je passe dans ton bureau, faut qu’on fasse le point pour la réunion de demain.

Chan se contenta d’acquiescer et attrapa sa boisson qui venait d’être servie par la machine avant de retourner à son bureau. Il sursauta presque en voyant que Mina était de retour à son poste. Elle leva les yeux de son écran lorsqu’elle le vit arriver et eut un petit sourire en coin en voyant le gobelet qu’il tenait dans la main.

— Oh, vous auriez dû me le dire si vous vouliez un autre café, je serais allée vous le chercher, je vous aurais volontiers obéi.

Pris de court par la remarque de la jeune femme, Chan se contenta de passer devant elle pour rejoindre son bureau et il ferma la porte derrière lui. Pourquoi n’avait-il rien dit ? Il aurait pu la réprimander, lui faire remarquer à quel point son comportement était intolérable et qu’il allait vraiment falloir qu’elle arrête si elle ne voulait pas avoir de problèmes. Mais au lieu de ça, il avait presque peur de soutenir son regard et n’osait même pas lui tenir tête. Il était directeur, il avait de l’autorité, alors pourquoi était-il incapable d’en faire usage devant sa secrétaire ?

Il se laissa tomber dans l’un des fauteuils et expira tout l’air de ses poumons en fixant le plafond. C’était comme si Mina avait un drôle de pouvoir sur lui et qu’il avait beau y réfléchir, il ne pouvait pas lutter.

Il ne prêta pas vraiment attention à l’heure et sursauta lorsque Changbin toqua à la porte. Son ami se redressa d’un bond et manqua d’en renverser son café. 

— Désolé, s’excusa le noiraud, ça a pris plus de temps que prévu. Je te dérange ?

— Non, non du tout, installe-toi, je prenais une pause café avant de me remettre au boulot…

— Tu dois être débordé… En plus ça doit te faire beaucoup d’info à emmagasiner en peu de temps.

— Je ne vais pas te mentir, soupira Chan, c’est vrai que c’est du boulot…

— Bon, fit Changbin en lui tapotant le genou, petite pause et on s’y met ?

Son supérieur sourit.

— Volontiers.

— À part le boulot, tu t’habitues bien ? Ça fait juste une semaine mais tu prends tes marques ? 

— Oui, on va dire que ça va. Mais… je me posais une question.

Le noiraud haussa un sourcil.

— Oui ?

— Est-ce que c’est… courant de se faire bizuter quand on vient d’arriver ?

C’était tout ce que Chan avait trouvé comme explication : il était nouveau alors Mina devait être en train de le bizuter, ça devait être une sorte de rite de passage ou quelque chose comme ça. Changbin eut une drôle d’expression.

— Bizuter ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui te fait croire que tu es bizuté ? Il s’est passé quelque chose ?

Son ami se racla la gorge et hésita longuement. On lui avait attribué le poste de directeur, cela voulait dire qu’on croyait en ses compétences et qu’on avait confiance en ses capacités de leader. S’il disait ouvertement que sa secrétaire lui en faisait voir de toutes les couleurs, il allait très probablement perdre toute crédibilité et il n’avait aucunement envie de perdre sa place. Mina était sa subalterne, il allait très certainement réussir à gérer cette situation seul, il n’avait pas besoin d'alerter tout le bureau. Et s’il ne s’en sortait pas et que le comportement de la jeune femme devenait vraiment trop gênant, alors dans ce cas il en référerait directement au PDG par le biais d’un rapport. 

— Non, rien, fit-il finalement au noiraud. Je me demandais juste si je devais m’attendre à quelque chose, je sais que les nouveaux se font parfois bizuter en arrivant dans leur nouvelle entreprise. C’était plutôt courant en Australie alors je voulais savoir si je devais rester sur mes gardes.

— Oh ! Je ne savais pas que ça existait dans le monde du travail ! s’étonna Changbin. Je pensais que c’était réservé aux universités des séries américaines.

Ils se mirent à rire et Chan osa finalement tremper ses lèvres dans son gobelet de café qu’il n’avait jusque-là pas encore touché. Après cette conversation avec son ami, il ne savait pas s’il devait se sentir rassuré ou au contraire avoir peur. Visiblement Mina agissait ainsi de son plein gré...