Chan jouait nerveusement avec son stylo plume. Cela faisait bien quinze bonnes minutes que Changbin monopolisait la parole pendant une réunion. Le directeur n’y avait d’abord vu aucun inconvénient, jusqu’au moment où il s’était rendu compte qu’il semblait faire cela afin que Chan ne puisse pas en placer une. Ce qui l’avait mis hors de lui, c’était lorsque l’un des stagiaires présents s’était adressé à Changbin comme si c’était lui qui prenait les décisions, et qu’il n’avait même pas pris la peine de corriger le jeune homme alors que Chan se trouvait dans la même pièce. Il était temps qu’il mette les choses au point avec lui, ça ne pouvait plus durer comme ça.

Une fois la réunion terminée, Chan interpella son ami.

— Changbin, tu aurais quelques minutes s’il te plait ?

Celui-ci consulta sa montre, l’air songeur.

— Hum, oui mais vraiment pas longtemps, j’ai encore pas mal de boulot.

— Oui, je n’en doute pas, fit Chan en serrant les dents.

Son directeur adjoint s’avança et se planta devant lui d’un air nonchalant. Cette attitude avait commencé à clairement mettre Chan en rogne mais il fallait qu’il garde son calme et qu’il reste professionnel.

— Tu sais quelque chose sur Biolance Korea ?

Le visage jusque-là souriant et plein d'assurance de Changbin devint soudain penaud.

— Qu- non, hésita-t-il, pas plus que ça, pourquoi ?

— Pas plus que ça ? ironisa Chan. C’est marrant parce que ma secrétaire est en contact avec eux et il semblerait que ça soit toi qui les ai contactés sans m’en parler.

Changbin se gratta nerveusement la nuque.

— Non, il doit y avoir erreur.

— Ah oui ? Donc les fax qui t’étaient adressés de leur part, c’est une erreur aussi ? Les courriers que ta secrétaire a échangés avec eux en ton nom, c’est une erreur aussi ? Peut-être que je devrais directement voir avec mademoiselle Minatozaki, c’est peut-être elle qui a mal fait son travail.

Changbin pinça les lèvres et souffla. 

— C’est bon, j’ai compris.

— Donc tu arrêtes de nier ? On va pouvoir en discuter sérieusement ?

Ils furent interrompus par d’autres employés qui avaient besoin de la salle. Chan indiqua alors à son collègue de le suivre dans son bureau afin qu’ils puissent mener à bien cette conversation. Il accepta à contrecœur, n’ayant pas vraiment le choix. Mina resta bouche bée en les voyant tous les deux arriver. Son petit ami lui accorda un regard et elle comprit aussitôt ce qu’il en était. Chan ferma la porte de son bureau derrière lui et indiqua à Changbin de prendre un siège, ce qu’il fit sans broncher. Il attendait visiblement de savoir à quelle sauce il allait être mangé. Chan s’installa lui aussi, un air grave toujours placardé sur le visage.

— Maintenant que nous sommes tranquilles pour discuter, commença-t-il, j’aimerais que tu m’expliques les raisons qui t’ont poussé à outrepasser ta hiérarchie et à faire tout ça dans mon dos. Tu as conscience que tu risques gros si je fais un rapport à propos de cette histoire ?

Changbin expira longuement, il se savait dans de beaux draps et, content ou pas, il savait que Chan avait raison et qu’il avait peu de chance de s’en sortir avec une simple remontrance. Il haussa les épaules sans pour autant adresser un regard à son vis-à-vis.

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ?

— J’aimerais surtout comprendre… Je croyais que nous étions amis.

Changbin rit jaune.

— C’est le cas, mais il y a plusieurs choses que j’ai eu du mal à accepter. Ça n’est pas par rapport à toi particulièrement, ça aurait pu être n’importe qui à ta place, j’aurais agi de la même manière. 

— Tu m’expliques ?

Le directeur-adjoint s’affala sur son siège et souffla un coup avant de prendre la parole d’une façon plutôt nonchalante. 

— J’ai trouvé injuste que le poste te revienne plutôt qu’à moi. Je suis dans cette boîte depuis plus longtemps que toi, j’ai fait mes preuves, toi tu reviens d’Australie et tu obtiens le job à ma place ? J’ai eu du mal à digérer ça.

Chan gardait les sourcils froncés, c’était lui qui avait du mal à digérer quoi que ce soit à cet instant.

— Tu as conscience que je n’y suis pour rien dans tout ça ? Je ne savais même pas que tu travaillais ici, je l’ai découvert le jour de mon arrivée. 

— Je sais, c’est pour ça que je t’ai dit que ça n’avait rien de personnel. J’ai simplement cherché à faire mes preuves de mon côté. Si j’avais réussi à mener ce projet à bien sans que tu t’en mêles, alors j’aurais pu en récolter tous les lauriers et probablement gagner les faveurs de nos supérieurs. 

— Pourtant tu sais que si je fais remonter cette histoire dans ces conditions tu risques de prendre la porte directement ? 

— J’en ai bien conscience, soupira Changbin, mais j’accepterais ma sentence, j’ai joué et j’ai perdu, tant pis pour moi.

Chan avait du mal à comprendre comment son collègue pouvait se montrer aussi détaché alors que la situation était grave. Il pouvait concevoir que Changbin avait été déçu d’apprendre que le poste de directeur ne lui était pas proposé, mais de là à vouloir monter un projet de toute pièce dans le dos de son supérieur, non vraiment c’était difficile à comprendre. 

— Je te faisais confiance, dit Chan d’une voix basse, j’avais confiance en toi, j’étais soulagé de savoir que tu étais là à mon arrivée et qu’on allait pouvoir travailler main dans la main. Mais après tout ça, je ne pense pas que je pourrais te l’accorder à nouveau. Ça va être impossible pour moi de continuer à travailler avec toi. 

— Je comprends, et je sais que c’est un peu vache de ma part, mais je n’ai vraiment pas envie de perdre mon boulot. 

— Peut-être, alors dans ce cas, demande à changer de service, je ne veux plus avoir à travailler directement avec toi. En souvenir de notre amitié, je veux bien ne pas ébruiter l’affaire, mais je ne peux décemment pas te garder sous mes ordres.

Changbin eut un petit rire. 

— Ça me parait de bonne guerre… Je vais faire ça au plus vite.

Il se leva, il se doutait qu’ils n’avaient plus rien à ce dire. Cependant une dernière question lui trottait en tête.

— Juste une dernière chose, comment tu as découvert tout ça ? Je pensais pourtant avoir été discret.

Chan esquissa un sourire.

— J’ai une très bonne secrétaire qui fait du très bon boulot.

Son vis-à-vis arqua un sourcil.

— Vraiment ? Eh bien toi qui disais que l’entente était compliquée, on dirait que les choses se sont améliorées !

— On va dire ça, esquiva Chan.

Il n’avait aucune envie d’épiloguer à ce sujet et surtout pas avec quelqu’un en qui il n’avait plus aucune confiance. Il l’observa quitter le bureau et se leva à son tour, soupirant en fermant les yeux. Comment avait-il pu se faire berner à ce point…

Quelques petits coups frappés à la porte le firent sortir de ses pensées, Mina apparut dans l’encadrement de la porte. 

— Est-ce que tout va bien ?

— On va dire que oui… Je vais probablement avoir besoin d’un nouveau directeur-adjoint… 

Mina pouvait lire sur son visage qu’il était triste et déçu. Elle s’avança doucement et lui caressa la joue. Son petit ami soupira à nouveau.

— Est-ce que tu crois que c’est moi le problème ?

— Le problème ? Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Je dois vraiment faire du mauvais travail pour en être arrivé là…

— Arrête, ne dis pas ça, tu ne fais pas du mauvais travail, tu es peut-être simplement un peu trop gentil. Et puis… peut-être aussi que tu ne faisais pas si attention que ça à ce qui se passait autour de toi. Et ça ça doit être de ma faute. 

Chan pouffa de rire, elle n’avait pas tout à fait tort.

— C’est vrai, j’étais un peu distrait par ma très séduisante secrétaire et ses pratiques particulières. Je vais faire plus attention désormais, je n’ai pas envie que ça se reproduise avec un autre employé… 

— Je veillerais au grain, ironisa Mina, la seule personne qui a le droit d'humilier mon petit ami c’est moi et personne d’autre.

Chan fit les yeux ronds.

— Tu trouves qu’il m’a humilié ? 

Sa secrétaire leva les yeux au ciel.

— Il va vraiment falloir que tu apprennes le second degré…