Chan avait revu Mina en privé une ou deux fois après ce fameux repas chez ses parents. Ce soir-là, la jeune femme lui avait donné rendez-vous un peu plus tard que d’ordinaire car elle avait un autre client à voir avant lui. Son supérieur avait encore un peu de mal avec ça, non pas qu’il était jaloux, mais savoir que sa secrétaire avait ce genre de rapports avec d'autres hommes avant ou après lui lui paraissait bizarre. 

Il avait terminé tard ce soir-là et était passé chez lui avant de se rendre à l’appartement de Mina. Il prit l’escalier histoire d’avoir quelque chose à faire au lieu d’avoir le temps de se torturer l’esprit dans l’ascenseur, et fut surpris en arrivant sur le palier de constater que la porte de l’appartement était entrouverte.

Intrigué, Chan toqua néanmoins avant d’entrer.

— Mina ? Vous êtes là ? appela-t-il en voyant que personne ne venait l’accueillir.

C’était étrange, sa secrétaire ne laissait jamais la porte ouverte, elle était au contraire toujours fermée à double tour et elle mettait toujours un point d’honneur à accueillir ses clients dès leur arrivée. 

Chan traversa le couloir après avoir fermé la porte derrière lui, il ne semblait y avoir personne à l’intérieur. 

— Mina ?

La porte de la chambre était elle aussi ouverte et il aurait presque eu peur de tomber sur un autre client si la situation n’avait pas été aussi étrange. 

Il n’y avait pas un bruit alors Chan se permit d’entrer. Il parcourut la pièce des yeux avant d’apercevoir la jeune femme recroquevillé sur le sol dans un coin à côté du lit.

Chan accourut aussitôt près d’elle. Elle semblait choquée et se tenait la joue.

— Mina ? Est-ce que tout va bien ?

Elle ne répondit pas et garda la tête basse. Son supérieur put constater qu’elle avait pleuré. Il hésita quelques instants avant de poser délicatement les mains sur ses épaules. Il y exerça une légère pression afin de l’aider à se lever. Mina se laissa docilement faire et Chan la fit asseoir sur le lit. 

— Je vais vous chercher un verre d’eau, dit-il en se levant pour disparaître dans l’autre pièce.

Il revint avec un verre plein qu’il lui tendit.

— Merci, marmonna-t-elle avant d’en boire quelques gorgées.

— Est-ce que vous voulez m’expliquer ce qui s’est passé ?

La jeune femme posa son verre sur la table de chevet et monta complétement sur le lit pour s’installer contre les coussins. Son supérieur l’imita. Il retira sa veste et la posa sur les épaules de sa secrétaire en voyant qu’elle tremblait légèrement. Il se doutait que c’était plus à cause du stress que du froid mais il cherchait à bien faire. Il se tenait à une distance raisonnable. Il n’avait pas envie de la brusquer ni qu’elle se sente oppressée et en même temps, il voulait qu’elle sache qu’il était là pour l’aider.

Les minutes passèrent sans qu’aucun mot ne soit prononcé. Mina s’était un peu rapprochée de Chan et leurs épaules se touchaient désormais comme si elle cherchait à avoir un minimum de contact avec lui pour se rassurer. Elle finit par expirer tout l’air de ses poumons avant de prendre la parole.

— Ça s'est mal passé avec un nouveau client.

— Mal passé ? 

— Hum, je crois qu’il n’a pas compris le principe de venir chez une dominatrice, expliqua-t-elle à voix basse. Il a voulu jouer les macho et a dit qu’il n’allait pas se laisser mater par une femme. Quand j’ai vu que ça dégénérait, je lui ai ordonné de partir. C’est là qu’il m’a giflée…

Elle renifla, encore sous le choc de ce qui était arrivé. Chan se leva et alla chercher un linge humide dans la salle de bain. Il l’approcha doucement de son visage et le tamponna.

— Avec un peu de chance ça ne laissera pas de marque, dit-il comme pour essayer de la rassurer.

— Merci…

— Est-ce que ça va aller ?

Mina prit le linge et le colla elle-même contre son visage avant de le détourner de son supérieur. Ses yeux s’étaient remplis de larmes et elle n’avait aucunement envie qu’il la voit dans cet état, c’était déjà bien assez embarrassant comme ça. 

— Peut-être que vous devriez éviter de prendre de nouveaux clients pendant un temps ? 

— C’est ce que je comptais faire, répondit sa secrétaire toujours sans le regarder. 

Le silence se fit dans la pièce avant que Mina ne se racle la gorge comme pour se ressaisir.

— Je suis désolée mais… je ne me sens pas vraiment d’humeur pour une séance, j’espère que vous ne m’en voulez pas.

— Quoi ? Bien sûr que non, je comprends tout à fait. Ça n’est pas grave, le principal c’est que vous alliez mieux.

Chan lui pressa doucement l’épaule et la jeune femme se laissa tomber dans ses bras. Réclamant indirectement une étreinte rassurante que son supérieur lui offrit sans broncher.

— Mais maintenant que je suis là, dit-il calmement, autant que je vous tienne compagnie jusqu’à ce que vous vous sentiez mieux, hum ?

Mina se contenta d’hocher la tête, toujours blottie contre le torse de Chan. 

— Je peux vous poser une question ? demanda-t-il après un temps.

Il n’avait cessé de lui caresser gentiment le bras afin de la rassurer et, à sa grande surprise, la jeune femme s’était laissée faire.

— Ça dépend. Dites toujours.

— Je me demandais simplement comment vous en étiez arrivée à devenir une dominatrice ? C’est un genre de vocation ou quelque chose comme ça ?

Il avait pris un ton plus léger pour détendre l’atmosphère et Mina eut un petit gloussement.

— Si je vous le dis vous serez la première personne à le savoir. Je ne sais pas si vous êtes prêt à assumer une telle responsabilité.

— Dites toujours.

Cette fois Mina se tourna pour lui jeter un coup d'œil amusé. Elle avait beau jouer les dures, elle devait avouer beaucoup apprécier la compagnie de Chan, que ça soit au travail ou en dehors. Son supérieur était quelqu’un de droit et de profondément gentil, et son côté soumis avait quelque chose d’attachant au final.

— Vous allez trouver ça ridicule… souffla-t-elle en reportant son attention sur ses genoux.

— Vu toutes les choses que vous m’avez faites, si quelqu’un devait avoir l’air ridicule ici c’est moi.

C’eût le mérite d’arracher un petit rire à la jeune femme.

— Il est vrai que vu sous cet angle…

— Mais si vous ne voulez pas en parler je peux comprendre, ne vous en faites pas.

— C’est… Ça remonte à un moment, commença-t-elle néanmoins, je crois que c’était avec un de mes premiers petits copains sérieux. Enfin ça a commencé quand c’est devenu vraiment sérieux entre lui et moi. J’ai vite réalisé que tout tournait autour de son propre désir, ou plus généralement autour du désir des hommes. Et moi, simple femme, j’étais juste là pour assouvir ses désirs lorsqu’il en avait envie. Et quand j’ai dit non, Monsieur a estimé que j'exagérais et nous avons fini par rompre. Et en discutant avec des amies, nous avons commencé à plaisanter à propos des femmes dominatrices. Je me suis lancée après ça et je dois avouer y avoir pris goût.

Chan papillonna des yeux, il ne s’était pas vraiment attendu à ce genre d’histoires. Non pas qu’il trouvait cela ridicule ou quoi que ce soit de ce genre, il était simplement surpris.

— Maintenant c’est moi qui décide et qui contrôle le désir et le plaisir de mes clients, conclue-t-elle. 

— Et ça vous plait ?

— Oui, j’apprécie la plupart de mes clients, et le reste me laisse simplement indifférente, alors oui, ça me plaît. C’était la première fois aujourd’hui que je tombais sur quelqu’un de mal intentionné…

— J’espère pour vous que c’était la dernière.

— Oui… je vais éviter les nouveaux clients et me contenter des anciens. Encore désolée de ne pas avoir pu honorer notre séance d’aujourd’hui.

— Non, le principal c’est que vous alliez bien.

Mina soupira.

— Vous étiez mon dernier rendez-vous de la soirée, dit-elle après un temps.

Chan jeta un œil à sa montre, il s’était écoulé presque une heure depuis son arrivée et il était tard. Il observa un moment la jeune femme dans ses bras, il ne pouvait décemment pas la laisser seule après ce qui venait de lui arriver. Surtout si l’autre macho décidait de revenir maintenant qu’il avait l’adresse. Il devait au moins s’assurer qu’elle quittait les lieux sans encombre. 

— Il est tard, dit-il en se redressant doucement, on pourrait peut-être aller manger un morceau quelque part ? Ça vous changerait les idées.

— C’est un rendez-vous ? demanda Mina en esquissant l’ombre d’un sourire. 

— Je veux juste m’assurer que vous allez bien. On pourrait aller manger quelque part et je pourrais ensuite vous conduire chez vos parents, je suis venu en voiture, ça vous éviterait le métro ? Et puis, dans la mesure où vous avez annulé mon rendez-vous, vous pouvez bien faire ça pour moi, non ?

Sa secrétaire écarquilla les yeux avant de les détourner de lui. 

— Je dois avouer ne pas être contre un peu de compagnie après tout ça… Mais à une seule condition.

— Laquelle ?

— Vous me laissez choisir le restaurant.

Chan lui sourit avant de se lever du lit.

— Si ça n’est que ça alors pas de problème.

Il laissa Mina se changer dans la chambre et jeta un oeil à sa joue lorsqu’elle eut terminé.

— On dirait que ça n’a pas laissé de marque, lui dit-il soulagé.

Elle se contenta d’hocher la tête et enfila sa veste. Son supérieur sortit de l’appartement et attendit qu’elle ferme la porte à clé pour l’accompagner jusqu’à l’ascenseur.

— Chan ? appela-t-elle une fois qu’ils furent enfermés dans la cage de métal.

Il haussa un sourcil, surpris qu’elle l’appelle par son prénom.

— Hum ?

— Je voulais vous remercier pour ce soir, de vous être occupé de moi. Merci.

— Mais c’est normal.

— Hum.

— Vous avez choisi un restaurant ? demanda Chan pour changer de sujet.

Cette fois, sa secrétaire lui adressa un sourire malicieux.

— Oui ! J’ai très envie d’aller dans le restaurant de monsieur Kato…

Son supérieur ne put retenir un petit rire bien que brièvement choqué par son choix.

— C’est pour me faire tourner en bourrique ?

— Non je n’oserais pas… minauda-t-elle. Disons que c’est plutôt pour vous rappeler de bons souvenirs.

Chan pouffa, finalement ça lui faisait plaisir de voir que Mina allait assez bien pour vouloir le taquiner. Et il espérait ne plus jamais avoir à la consoler après un incident comme celui de ce jour-là.