Chapitre 2 - Entretien
Il voulait que je parle de moi. Il n'avait pas une question encore plus vague et vaste en réserve ? Comment pouvais-je y répondre justement ? Je me serais presque cru en entretien d'embauche et non dans un enrôlement militaire.
J'observai les visages de mes cinq scrutateurs. À gauche du roux se trouvait une femme aux cheveux noirs très courts et aux yeux d'onyx. Son regard charbonneux semblait ardent, émanant sa confiance en elle par chacun de ses pores.
Je ne remarquai même pas tout de suite le vieil homme à ses côtés, les sourcils broussailleux, qui transpirait la bonhommie. Son air humble le fit paraître immédiatement bienveillant à mon égard. Je réussis tout juste à détacher mon regard de ses yeux verts hypnotisants, et ce fut avec beaucoup de peine.
- Vous ne retirez pas votre capuche ? demanda l'asiatique aux cheveux courts.
- Oh, j'avais oublié.
Je la rabattis en arrière, dévoilant un peu plus mon visage. L'avantage d'être sous l'ombre d'un capuchon, c'était de passer inaperçu. Mes cheveux blancs toujours coincés dans un étroit chignon, je clignais des yeux sous la vive lumière des néons.
Mon œil bleu mit deux fois plus longtemps à s'accoutumer à la clarté ambiante, tandis que le rouge avait déjà fait la mise au point. Heureusement pour moi, personne ne voyait cette difformité. Je portais, comme d'ordinaire, une lentille bleue qui camouflait mon iris de droite qui effrayait les gens.
Comme si je n'étais pas déjà suffisamment étrange. Je n'aimais pas ressentir le sentiment de peur qui émanait des inconnus quand ils m'observaient. Déjà qu'ils étaient intrigués par ma chevelure blanche, je ne voulais pas ajouter à cela mon œil rubis.
- Que voulez-vous savoir, exactement ? demandai-je avec une pointe d'agacement dans la voix.
Je réalisais que je m'adressais uniquement au rouquin, sans même prêter attention aux autres. Je fis l'effort de les regarder, de paraître un peu moins sauvage et distante. Mais leurs expressions intriguées, voire carrément choquées de mon apparence, me dissuadait de paraître plus courtoise. Je n'étais pas sûre qu'ils méritent ma considération. À leur effigie, je les détaillais sans m'en cacher. Je jaugeais ce qu'ils dégageaient.
Tout comme les trois autres membres, ceux qui trônaient sur la droite attiraient également l'attention. Un blond aux allures de surfeur affichait un regard en coin, avec un air concupiscent qui me dégoûta aussitôt. À ses côtés, se trouvait la seconde femme du jury, arborant une chevelure rousse aux boucles rebondies. Ses joues rondes étaient tachetées de son et dans ses yeux marrons pétillaient la malice de l'enfance. Cette fille avait un visage de poupon, des traits fins et juvéniles, mais son expression sérieuse trahissait son âge, qui devait atteindre la trentaine.
- Vous devez simplement vous présenter. Votre prénom, votre âge, ce que vous faites dans la vie, si vous avez un don...
Je frottais la semelle de ma botte contre le linoléum du sol, bien consciente que je devais répondre sans plus tarder.
- Je m'appelle Elvilyre, j'ai vingt-trois ans et je suis ergonome. Quant à ma capacité... je suis du type Tactile.
- Si tu es tactile, on va bien s'entendre tous les deux, minauda l'homme au regard concupiscent.
Je lui jetai un regard sombre avant de reporter mon attention sur les autres jurys. Je pouvais toutefois encore sentir ses sales yeux me détailler, comme s'ils cherchaient à percer le voile de mes vêtements. Mal à l'aise, je croisais les bras sur ma poitrine, espérant qu'il n'avait pas une vision aux rayons x.
- Vous êtes... ergonome ? C'est... ceux qui testent les allergies des gens ? demanda la jolie rouquine, détournant mon attention du pervers.
- Mais non crétine, ça c'est allergologue ! râla la femme aux courts cheveux noirs.
- Mon métier consiste à aider les entreprises pour améliorer les conditions de travail du personnel... du moins c'est un très bref résumé de mes tâches, expliquai-je patiemment.
La poupée humaine émit un long « ah » avant de se reprendre en hochant distraitement la tête. Son comportement était conforme à son apparence : enfantin. Mais ses yeux étaient toujours marqués de ce je-ne-sais-quoi de mature.
- Quel est votre don, exactement ? demanda le roux avec une expression indescriptible.
- Heu... c'est compliqué.
- Alors expliquez-nous.
- Disons que... je peux tuer des gens, rien qu'en les touchant. Non que je le veuille, je ne le contrôle pas.
À présent, ils me fixaient comme si j'étais le diable personnifié. Du moins, en imaginant qu'ils étaient tous satanistes. Leurs yeux brillaient d'avidité.
- Mais... comment faites-vous, au quotidien ? Vos contacts avec les gens...
- Je n'en ai pas.
- Jamais ?
- Jamais.
La poupée rousse avait une mine désolée, comme si elle souhaitait compatir avec moi. On aurait pu entendre une mouche voler, jusqu'à ce que le rire solitaire du blond vienne emplir la salle. Je l'ignorais superbement, les sourcils froncés.
- Quand vous étiez jeune, vous avez eu des problèmes avec votre capacité ? Je veux dire... avant que vous ne soyez dépistée à vos vingt-ans.
- Non, aucun. J'ignorais même que j'avais cette capacité avant cela. Et depuis, je n'ai évidemment jamais essayé de la mettre en pratique.
Je les vis se consulter du regard avant de me fixer de nouveau. Ils semblaient un peu embêtés, cela ne me disait rien qui vaille.
- Normalement, avant de vous recruter, nous devons tester vos capacités.
- Vous voulez que je tue quelqu'un, là maintenant ?
Je restai faussement imperturbable, alors que sa phrase avait déclenché un terrible frisson dans ma colonne vertébrale. Le roux haussa un sourcil épais, étonné que l'idée ne me semble pas impensable, mais simplement saugrenue.
Le vieil homme se leva et sortit de la pièce après avoir discuté avec les jurys à voix basse. Son absence me perturba énormément, sans que je puisse comprendre pourquoi. Pourtant, depuis que ses yeux verts avaient cessé de me fixer avec insistance, je me sentis subitement libérée d'une emprise jusque-là invisible.
J'ignorais la capacité du vieil homme, pourtant j'aurais juré que cela avait un rapport avec le psychique.
- Nous avons une personne qui ne craindra pas votre capacité, mais qui pourra attester de son pouvoir.
Indignée, je reculai de deux pas. Allaient-ils réellement me faire passer ce test ? J'allais devoir toucher un parfait inconnu ? Mais je n'eus pas le temps d'établir un plan qui consistait plus en moins à partir en courant, car le vieil homme était déjà de retour et derrière lui, un métis d'une quarantaine d'années, à la peau et à la chevelure brune, entra et me fit face.
- Vous m'avez fait venir pour elle ? demanda-t-il en me désignant.
- Je ne peux pas vous toucher, niai-je.
- Tout va bien, j'annihile les dons de chacun à leur contact, je ne craindrai pas votre pouvoir.
Embêtée qu'il insiste, je mordis ma langue, refusant de dialoguer. Il avança d'un pas, me faisant immédiatement reculer de deux.
- Ne m'approchez pas, geignis-je.
Il cessa d'avancer et jeta un coup d'œil au jury, qui nous observait mornement, comme lassés par notre manège.
- Vous ne voulez pas le toucher parce que vous avez peur de le blesser ? demanda doucement le rouquin.
- Non, dis-je tout bas, ce n'est pas seulement ça. Je n'ai touché personne depuis mes vingt ans, pourquoi le ferai-je maintenant ?
Je sentais une crise de panique enserrer ma poitrine dans son cruel étau. Je ne voulais pas le toucher, je ne voulais même pas l'imaginer. L'homme à la chevelure de feu semblait avoir sentit ma détresse car il se leva et marcha dans ma direction, me faisant ressentir une angoisse supplémentaire.
- Qu'y a-t-il ? s'affola-t-il, comme s'il ressentait mon affolement croissant, alors qu'il cherchait à m'aider.
- Je ne veux juste pas être touchée, dis-je avec un regard courroucé, qui devait tout de même trahir mon effroi.
- De quoi avez-vous peur ?
Il avait utilisé une voix douce et rassurante, mais cela ne me calma qu'à moitié.
- Ce n'est pas que je ne peux pas. Mais je ne veux pas. Ce n'est pas contre lui, je ne veux toucher personne. Je ne veux rien toucher. J'avais ce problème bien avant d'avoir ce don, je n'y peux rien, ne m'y obligez pas !
- Nous ne comprendrons pas le problème sans que vous nous parliez.
Le voilà. Ce moment où la franchise avait son utilité. Je ne suis pas asociale, je ne suis pas impolie. J'ai simplement un trouble, qui ne veut pas se soigner. Je ne suis pas mauvaise. Je suis...
- Je suis mysophobe, leur avouai-je à mi-voix.
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