3. Les secondes
Petite note introductive : plus loin dans ce chapitre, je cite et parle d'une chanson. Vous n'êtes absolument pas obligés de l'enclencher au moment où elle apparaît, mais je la mets tout de même ici. Ne vous spoilez pas non plus en la lançant dès le départ mdrrrr.
Il s'agit de Clarity (version piano) de Foxes (vous pouvez la trouver sur Spotify ou Apple).
Je vous rappelle aussi que ce chapitre est du point de vue de Taehyung (et c'est le plus long ... sorry vraiment).
Bonne lecture et bonne découverte de ce point de vue ! :)
✿
Esclave.
Mes pensées n'arrêtent pas de revenir à ce mot.
Esclave. Bien sûr que je le suis. Je l'ai toujours été, en vérité.
La première fois que j'ai vu Jungkook, je l'ai trouvé adorable, avec ses joues toutes rondes, son sourire de lapin et ses grands yeux naïfs. Il avait une façon d'être si naturelle, si fraîche et plaisante, comme s'il nous appelait sans cesse. Et Jimin accourait toujours. Au début ça m'a agacé, parce que je ne pouvais pas croire qu'il était aussi inconscient de son charme. Ce garçon était forcément un manipulateur de génie.
Alors, naturellement, j'ai fini par le voir comme une menace, comme celui qui allait me voler mon meilleur ami. Et ça n'a pas manqué. Jimin est devenu dingue de lui, il n'arrêtait pas de parler de Jungkook, même lorsque nous n'étions qu'à deux, titillant mon exaspération qui n'arrêtait pas de croître. Petit à petit, ces deux-là sont devenus inséparables. Ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille, cette tendance à s'enfermer. À s'accrocher à une personne.
J'étais amical avec Jungkook, mais sans plus. En fait, je me forçais à mettre une certaine distance, ce qui l'a certainement blessé, car j'étais plus naturel avec les autres membres. Plus accessible. À cette époque, je ne réalisais pas que j'essayais de trouver une explication rationnelle à ça. Moi qui perds mes moyens, pour la toute première fois, devant un gosse de 16 ans.
J'avais l'impression qu'il était comme mon reflet : appliqué, discret, travailleur, en demande de reconnaissance, taquin à ses heures perdues... Mais son image s'est petit à petit effritée, éloignée de moi, et je l'ai détesté pour ça, sans comprendre. Il avait une façon d'être trop innocente.
Trop séduisante.
Plus jeune, j'ai eu une relation amoureuse et charnelle. J'ai déjà ressenti de l'attirance. Mais jamais personne ne m'avait fait autant d'effet que Jeon Jungkook.
Quand Jimin et lui ont déconné, j'ai paniqué pour mon meilleur ami. Parce que Jimin va toujours bien. C'est impressionnant de voir quelqu'un de sa trempe s'effondrer comme il l'a fait.
J'ai vu rouge. Aveuglé par la peur, par cette ombre qui s'était emparée des yeux de mon ami, j'ai blâmé Jungkook. Et je crois que mon cœur en a profité, pour se venger, de cette drôle d'attirance, de tout ce qu'il me faisait ressentir, là, à l'intérieur. Yoongi m'a détesté pour ce gouffre, que je ne cessais de creuser entre le plus jeune et moi-même.
Alors j'ai fini par céder. Je suis tombé. Pour son regard de biche. Pour ses sourires désarmants. Pour ses adorables fossettes. Pour ses « hyungs », si naturels. Pour sa voix, si mélodieuse. Pour sa maladresse, si touchante.
Pour ses secrets aussi.
Parce que, quoi qu'on en dise, Jungkook a tout d'un labyrinthe. Et je n'arrête pas de m'y perdre.
J'ai passé avec lui deux années de pur bonheur. Plongé dans son corps et dans son cœur. Dans ses yeux, dans sa bouche... Je voulais tout de lui, et il me le donnait volontiers. Les seules choses que je parvenais difficilement à lui arracher étaient ses peurs.
Il y en avait trop.
Peur de ne pas être aimé.
Peur d'être moqué.
Peur d'être seul.
Peur de se tromper.
Et soudain, la réalité m'a frappé en pleine face.
Il était trop fragile.
Petit à petit, j'ai compris que son plus grand ennemi était lui-même. Et je n'y pouvais rien. Mon attention et ma présence ont certes apaisé la blessure, mais elles ne pouvaient pas la résorber. L'empêcher d'atteindre le soleil. Quelque part, j'ai vu sa chute d'Icare se profiler, comme un passage inévitable. Et je voulais tant lui épargner cela. Mais je ne pouvais pas le sauver de lui-même. Cette constatation a jeté une nuit sans fin dans mon esprit. Étonnamment, ces ténèbres m'ont permis d'y voir plus clair dans notre relation, car j'ai réalisé que je l'avais tout simplement...
...isolé.
Comme s'il était ma chose. Je le voulais tellement. Trop.
Jungkook avait trouvé en moi sa nouvelle ancre. Il ne voyait rien, absolument rien d'autre que moi. Il devenait dépendant. Mais comme Jimin, je suis un humain, habité par mes propres faiblesses. J'ai vu mes défauts commencer à le salir. Comme un nuage de ténèbres sur ce cœur pur.
Il est devenu caractériel, plus lunatique, plus comédien. Insaisissable. Alors c'était cela l'effet que je lui faisais ?
Évidemment, notre carrière a joué son rôle dans l'équation. Mais j'avais l'impression que Jungkook avait besoin du monde. Ce même monde duquel je l'avais soustrait. Par égoïsme. Par jalousie. Je ne savais plus.
Je crois que les managers ont tout de suite su, qui était réellement esclave de qui, dans cette relation. Parce qu'ils n'ont pas fait pression sur Jungkook. Pourtant ils auraient pu. Il était jeune à l'époque, un peu trop naïf par moments, même s'il détenait une sagesse impressionnante pour son âge. C'était de l'immaturité sentimentale. Parce qu'il avait cette folle soif d'amour.
Parce que j'étais son premier.
Son innocence m'est monté à la tête, comme un alcool qui ne descend jamais. J'étais ivre de lui, de sa jeunesse, de son corps inexploré, de son cœur amoureux.
Il était à moi.
Et si Jungkook tentait de défaire nos liens, j'aurais tôt fait de revenir à lui. Personne ne pouvait m'arrêter. Moi seul était en mesure de sonner la fin. Et ça, tout le monde l'a très bien saisi. Sauf le principal concerné, comme toujours.
Alors j'ai cédé : je me suis barricadé de lui, et je l'ai quitté, persuadé du bien fondé de cette décision. Je l'ai quitté comme s'il n'était qu'un passe-temps pour moi. Comme s'il me dérangeait. Usant d'excuses plus pathétiques les unes que les autres.
Ça a été la chose la plus difficile à faire de toute mon existence.
Il a éclaté devant mes yeux en mille morceaux. Et savoir que j'étais incapable de le réparer, parce que je n'avais plus de raison d'être près de lui, m'a, à mon tour, brisé de l'intérieur. Et je ne pouvais pas lui montrer ma souffrance.
Je l'ai ignoré.
Pourtant, son regard, lui, m'appelait sans cesse. Comme un petit animal qu'on a abandonné et qui ne sait plus où se réfugier. C'était terriblement douloureux de le voir ainsi, de mesurer l'ampleur de cette dépendance, mais d'un autre côté, ça me confortait : il ne pouvait plus continuer comme cela, seul, obnubilé par moi. Rompre était la meilleure solution. Alors, je l'ai poussé dans un espace qui ne m'appartenait plus, le regardant comme on observe sa créature quitter son bocal pour en rejoindre un autre. Impuissant.
Le temps a passé. Jungkook devenait de plus en plus beau. Il dansait comme jamais il n'avait dansé, chantait comme jamais il n'avait chanté.
Il faisait tout ce que j'attendais de lui : s'ouvrir au monde, aux autres, se faire des amis. Vivre sa vie.
S'échapper de moi.
Malgré cela, j'ai vu son regard se durcir et s'assombrir davantage, son corps se dérober sous des vêtements sombres, toujours plus larges, ses repas n'exister que devant la caméra, sa bouche se fermer comme un cadenas.
Je n'arrivais plus à lire son visage, comme lui ne semblait plus être en mesure de lire le mien.
C'est comme si un voile s'était jeté sur nos yeux, nos orbes désespérés de se retrouver.
Mon cœur le suppliait en silence de revenir.
Mais je déteste donner la parole à mon cœur.
– Hyung ?
La voix claire de Jungkook me tire de mes pensées. Je prends soudain conscience de son corps avachi contre moi. Mes yeux se baissent pour se poser sur ses mains croisées, sur le haut de mon torse. Ses doigts de fées, l'une toute gribouillée, comme un enfant facétieux qui ne sait plus où dessiner. À cette vue, mes doigts se resserrent sur l'arrière de ses cuisses, ils remontent plus haut, jusque sous ses fesses. Bon sang, ce jean le moule à la perfection. Et même s'il a maigri, je reconnais le dessin, timide, de ses muscles...
Puis je sens ses mèches folles se mêler aux miennes.
J'adore ses cheveux.
Ils sont noirs, comme de l'encre de chine.
Et sa joue, si douce, si rebondie, se pose contre mon cou. J'ai envie de l'embrasser.
– Tu peux me reposer...
Sa voix me tire de ma rêverie inappropriée. Alors je desserre mes mains et me baisse légèrement pour le laisser s'enfuir. Son torse se coulait si bien dans mon dos.
Sans trop de mal, il s'installe à côté d'Hoseok. Distraitement, je fais mine de ne pas trop faire attention aux places restantes quand, en réalité, j'ai la mienne en ligne de mire. C'est le siège juste en face de Jungkook.
Je veux profiter du fait que nous sommes tous réunis pour l'observer sans le mettre mal à l'aise. Jimin s'installe d'ailleurs à sa gauche, exauçant mes prières : il monopolisera complètement l'attention du plus jeune, me laissant tout le loisir de le sonder comme je le souhaite.
Par moments, je me fais presque pitié. C'est comme si cet examen visuel me permettait de tenir.
Le repas est délicieux. Jungkook prend des petites bouchées, mais son bol est presque vide et il semble heureux. C'est l'essentiel.
Ces derniers temps, il s'entraîne davantage et saute quelques repas. Encore cette mauvaise habitude qui ressurgit et qu'il a appris à camoufler... Cette volonté de plaire, qui n'a toujours pas libéré ses pensées. Notre dernière tournée a été un désastre habituel pour nous tous, et nos corps en ont, comme d'habitude, pris un sacré coup. Mais le cas de Jungkook est toujours le pire. Il travaille beaucoup trop, persuadé de ne pas être assez. Je le vois dans ses danses endiablées, dans la déception de lui-même qui l'étreint à chaque fin de concert et son mutisme lorsque nous discutons de nos performances.
Tout en lui nous crie : suis-je assez bien pour vous ?
Et à chaque fois qu'il profère cette question, j'ai envie de le serrer contre moi, et de ne jamais le laisser partir.
Mais je ne peux pas.
Je me le suis interdit.
Malgré tout, même s'il ne s'en doute pas toujours, je le regarde, de loin. Un peu comme une ombre qui veille sur lui. Et je vois tout. Ses regards à la dérobée, ses mouvements avortés, ses dents qui retiennent sur ses lèvres des inquiétudes toujours plus grandes. Et surtout, je vois l'air qui se floute autour de lui.
C'est comme s'il voulait disparaître dans ses immenses vêtements informes. Qu'est-ce qu'il croit au juste en faisant ça ? Que personne ne remarque sa perte de poids ? Ou ses cernes, toujours plus grands ?
Quand je le vois ce soir, je réalise que mes inquiétudes n'étaient pas infondées.
Je repense à ses jambes, si fines, comme sa taille.
Je pourrais la briser tant elle me semble étroite.
Quand je repense à lui, mardi, abandonné sur son canapé...
Je soupire et tente de m'extraire de mes pensées moroses. Quand je reviens à moi, je remarque qu'on passe au dessert. Jungkook recule sa chaise, pour aider à débarrasser, mais Jimin pose ses mains sur ses épaules et le rassure d'une caresse sur la joue :
– Reste tranquille toi, j'arrive avec mon dessert !
Et il s'enfuit aussitôt, telle une fée du logis. Je ricane doucement en attrapant mon verre de vin. J'en prends une petite gorgée, conscient du fait que je vais devoir conduire d'ici peu pour rentrer. Pendant que Jimin et Hobi sont partis chercher le dessert, Namjoon, Jin et Yoongi discutent entre eux, mais je suis davantage intéressé par le brun en face de moi.
– J'ai trop bu, soupire Jungkook en laissant tomber son front contre ses mains.
Effectivement, il a vidé verre sur verre sans manger suffisamment. J'imagine le mal de tête qu'il endure à cet instant.
– Tu es venu seul ? je demande en reposant mon verre.
– Mmmh... Je suis garé dehors... souffle-t-il.
Quand il relève la tête, il a les yeux fermés. Alors je me sens libre de l'examiner en détails. Je vois le rouge sur son visage, et ses lèvres briller comme des joyaux. Si le baume qu'il portait en début de soirée a eu le temps de s'estomper, le vin qu'il a bu a déposé un léger filtre soyeux sur sa bouche. Jungkook repose son dos contre le dossier de sa chaise et commence à déboutonner sa chemise. Déjà large, le vêtement s'ouvre jusqu'au milieu de son torse, laissant voir les chaînes d'or qu'il porte à même sa peau de nacre.
Je ne peux pas m'empêcher de loucher sur le jeu de lumière qui me fait face. Entre son épiderme immaculé, l'or des bijoux et le rouge sombre de son vêtement, il offre un tableau bien trop sensuel.
Quand je relève les yeux, je constate qu'il me regarde d'un air absent.
Ce regard...
– Si tu veux, je te ramène chez toi.
– On verra... ça va se calmer, répond-t-il en détournant les yeux d'un air gêné.
– Tu ne prends pas le volant dans cet état, je te préviens, j'insiste d'un ton plus dur.
– Oui, oui...
Il m'écoute à peine, secouant sa chemise pour s'aérer le torse. Et le mouvement me laisse voir son téton gauche. Un petit bouton de fleur rose. Bordel...
Je n'arrive même pas à participer à la conversation qui se tient, trop absorbé par le spectacle ensorcelant que m'offre le plus jeune, inconscient de sa beauté, comme d'habitude.
Jimin revient avec un magnifique gâteau au chocolat et aux framboises, décoré de fleurs. Il s'est vraiment cru dans un show culinaire, son enthousiasme a quelque chose de vraiment rafraîchissant. Je suis content qu'il existe, parce qu'il apporte toujours de la gaieté, avec Hobi, dans le groupe.
Le gâteau est divin et je ne manque pas de complimenter mon meilleur ami, qui rougit de plaisir. Jungkook de son côté, remue sa nourriture d'un air absent, les joues roses comme les rares framboises qui trouvent grâce à ces yeux et embrassent sa bouche. Je ne comprends pas comment il fait. Il est toujours affamé quand il boit trop en plus.
– Tu ne finis pas ton gâteau ? je lui demande au bout d'un moment.
– C'était bon, mais j'en veux plus...
– Tu ne devrais pas massacrer la nourriture comme ça.
– Oh, le retour de papa Tae, se moque Jin.
Ce genre de taquinerie m'exaspère toujours alors je ne réagis pas. Cette fois ne fait pas exception : je garde mes yeux, que je sais plutôt intimidants par moments, rivés sur ma cible brune éméchée.
– Je massacre...
Son discours devient nébuleux. Je décide de ne pas insister. Et puis Jimin attrape un morceau avec sa cuillère et la tend vers Jungkook.
– Allez, ouvre la bouche... lui dit-il, penché sur lui.
– Non... Je vais vomir, j'ai trop mangé... marmonne le brun en gardant obstinément les lèvres scellées quand Jimin retente une approche.
– Parce que tu penses que c'est la nourriture que tu as mangé ce soir qui va te faire vomir ? je réfute aussitôt. Tu as trop bu, idiot.
Jungkook fronce les sourcils avant de lever les yeux sur moi.
– Non... Je te dis que j'ai trop mangé.
– Tu veux aller t'allonger sur le canapé ? lui demande Jimin.
Il glisse une main dans les cheveux emmêlés de Jungkook, qui ressemblent à une petite fourrure de peluche toute douce. Un peu comme Yeontan quand il était encore un chiot.
Le brun acquiesce d'un air endormi, fait racler sa chaise sur le sol puis s'avance vers le canapé d'une démarche un peu incertaine.
L'observer ainsi fait image sur ce que je lui ai fait.
Je l'ai poussé dans ce monde, désarmé et seul.
– Tu pourras le raccompagner chez lui ? me demande Jimin quand le plus jeune s'est éloigné.
– C'est prévu, ne t'inquiète pas.
Jimin acquiesce tandis que Namjoon m'interpelle à propos d'une séance de sport qu'on a prévu de faire ensemble la semaine prochaine. Je délaisse du regard Jungkook et tente comme je peux de suivre la discussion des garçons.
Nous échangeons encore une trentaine de minutes. Il est presque minuit maintenant.
Namjoon se lève le premier en baillant.
– Bon, les gars... Mon lit me manque trop...
Hobi, Jin et Jimin ricanent tandis que Yoongi et moi acquiesçons. Le leader s'éloigne vers le canapé pour prendre sa veste tandis que nous félicitons Jin et Jimin pour ce délicieux repas. La prochaine fois, il faudra que je les invite chez moi...
Je reconnais la petite silhouette de Hoseok courbée vers l'emplacement où Jungkook se repose. Il reste un instant dans cette position, et je me demande s'il lui parle ou l'observe simplement. En se relevant, mon regard capte aussitôt celui de mon hyung. Que pense-t-il ?
Je décide d'aider Jin à débarrasser tandis que Yoongi et Jimin enfilent à leur tour leurs manteaux puis leurs chaussures. On se dit au revoir, et il ne reste plus que Jin, Jungkook et moi. Les autres sont tous partis. Une fois que tout est rangé, je pars vérifier que le plus jeune n'est pas endormi. Près de lui, je m'accroupis pour mieux l'observer.
Allongé sur le flanc droit, son dos contre le dossier, il est en position fœtale. Quand je perçois ses traits détendus, je réalise que ça fait trop longtemps que je ne l'ai pas vu dans une telle position de faiblesse. Ses cils reposent sur l'arrondi de ses joues et son menton est tout froncé par sa bouche, qui ressort légèrement. Il a l'air si pur... Je soupire à l'idée de le réveiller. Ça va prendre des heures pour le sortir du sommeil.
Mes doigts se fourrent dans ses cheveux, attirés malgré eux. Comme je l'imaginais, ils sont doux comme de la soie. Je dégage doucement son front en poussant sa frange en arrière.
– Jungkook... je l'appelle doucement.
Autant parler à un mur.
Sans pouvoir m'en empêcher, je fixe ses lèvres. Elles brillent d'un petit éclat grenat et leur dessin me semble toujours aussi parfait. Cette courbe, cet arc de cupidon, ce petit grain de beauté, juste sous sa lèvre inférieure... Quand je vois une trace de chocolat juste au coin de sa bouche, je passe naturellement un coup de langue sur mon pouce pour venir le nettoyer. La pulpe de mes doigts caresse sa bouche, trop douce. Et soudain, son visage d'ange se trouble. Ses paupières frémissent légèrement tandis que son petit nez rond se fronce.
Comment peut-on être aussi adorable, juste en dormant... ?
– Jungkook, je dis plus fort, perdant patience.
J'ai surtout peur de faire une bêtise.
Sa bouche remue contre mes doigts et ce mouvement me fait aussitôt retirer ma main. Comme si j'avais touché le fruit défendu. Ses sourcils se froncent avant que ses yeux papillonnent. Puis il se tortille pour étirer son corps. Sa chemise, restée ouverte, laisse échapper de sa peau quelques chaînes d'or qui attrapent la lumière. Il se cambre en arrière, et le vêtement expose au moins la moitié de son torse, que je ne peux m'empêcher de regarder.
Il est si beau.
Le creux formé par son dos manque de me faire défaillir.
– Dépêche-toi, on doit y aller, dis-je en me relevant.
Ma voix était peut-être un peu trop dure.
– Hein... ? marmonne-t-il en passant une main sur son visage.
Brusquement il laisse son dos retomber, soupirant de fatigue. On dirait qu'il s'abandonne à moi, étalé sous mes yeux comme une tentation à laquelle je ne peux jamais résister bien longtemps.
Qu'est-ce qui lui a pris de mettre cette chemise, bon sang ?
– On rentre ensemble, tu n'es pas en état de conduire.
– Mais si... murmure-t-il avant de se tourner sur le côté gauche, enfouissant sa tête dans le dos du canapé.
Je rêve, il va se rendormir ?
– Bon, ça suffit, lève-toi.
Et je ne perds rien pour attendre. Je fais glisser ma main entre son ventre et le dossier du canapé pour le tirer en arrière, ignorant sciemment ses protestations étouffées.
– Noooooon !
Quand je colle mes lèvres contre son oreille il se fige aussitôt.
– Tu as cinq minutes pour mettre ton manteau et tes chaussures.
Puis, comme si c'était purement instinctif, je l'embrasse juste sous le lobe, le sachant trop sensible à cet endroit. Et ça ne manque pas : il laisse échapper un petit cri surpris.
Parfait. Au moins, il est réveillé.
Je m'éloigne aussitôt et enfile ma veste tandis que Jin revient vers nous.
– C'est bon, la marmotte s'en va, s'exclame-t-il en observant Jungkook rouler au bord du canapé pour se laisser tomber sur le tapis.
Mais quel déchet...
Le plus jeune ne répond rien et se relève avec maladresse. Je lui tends son manteau qu'il attrape sans même me remercier, puis je file directement dans l'entrée.
– Tu m'envoies un message quand vous arrivez ? me demande Seokjin en me suivant.
– Oui.
J'enfile mes chaussures distraitement. Quand j'ai fini, je vois l'hôte de la soirée se retourne vers Jungkook, qui se débat encore avec son manteau, dans le salon. Profitant de notre intimité, Seokjin laisse enfin transparaître une expression inquiète.
– Tu l'emmènes chez lui ?
Je me retiens tout juste de lever les yeux au ciel. Pour qui me prend-t-il au juste ?
– Non, chez moi pour le violer, je réponds sérieusement, l'humour grinçant.
– Arrête Tae...
Je vois bien qu'il est désolé. Sauf que je commence à en avoir assez de sa curiosité mal placée. Quand j'y repense, il est le seul à ne pas regretter notre séparation. Même Namjoon a reconnu son erreur. Je comprends qu'il s'inquiète pour Jungkook, c'est notre cas à tous. Mais Seokjin l'a toujours trop infantilisé.
– Non, toi tu arrêtes ! je réponds. Tu n'as qu'à sortir avec lui ou l'adopter, toi qui sait mieux que personne ce dont il a besoin.
– Je n'ai jamais... !
Mais il s'interrompt quand Jungkook arrive en se frottant les yeux.
– Bisou... lâche-t-il sans regarder Jin.
Et il part. En chaussettes.
Je souffle d'exaspération en prenant ses chaussures, remerciant rapidement Jin une dernière fois avant de claquer la porte. En sortant, je reconnais la silhouette de Jungkook, un peu plus loin, sur la petite allée qui conduit à nos voitures.
– Tu as oublié tes chaussures ! je l'interpelle.
Mais il ne se retourne même pas.
– Pas grave !
J'accélère le pas pour le rejoindre et l'attrape par le bras, le retournant vers moi. Ses yeux louchent sur mon visage.
– Viens, je te ramène.
– Non, non, je conduis.
Il est presque une heure du matin et je n'ai pas la force de débattre de ça avec lui, alors je décide de resserrer ma prise pour le traîner derrière moi.
– Hey !
Il tire comme il peut son bras pour se dégager mais c'est sans espoir : je profite de sa faiblesse et il doit bien se douter que cela ne sert à rien de me résister. Je sors mes clefs de voiture et la déverrouille efficacement. Puis j'ouvre la porte passagère. Là, je pousse le brun à l'intérieur avant de lui jeter sur les genoux sa paire de chaussures.
Mes mains se posent sur le toit et je m'abaisse à son niveau, approchant mon visage du sien. Jungkook cligne des yeux, certainement déstabilisé par cette soudaine proximité.
– Quoi ? je demande.
Il écarquille les yeux, étonné que je prenne le temps de lui répondre j'imagine. Je pense que je l'ai trop peu habitué à mon attention ces derniers temps.
– Rien...
J'insiste.
– Dis-moi.
– Ben, c'est juste que ma voiture doit rentrer chez elle aussi... dit-il en me fixant d'un air inquiet, ses grands yeux bruns plongés dans les miens.
Je rigole doucement.
– Quoi, c'est juste ça qui t'inquiète ?
La lueur taquine qui doit habiter mon regard le déstabilise certainement car il gonfle les joues en détournant le regard. Et je me noie dans ses lèvres qui ressortent en une moue des plus adorables.
– Comment je vais faire pour la récupérer... ?
– Je viendrais te chercher et on ira chez Jin demain. Ça te va ?
Il fronce les sourcils, comme s'il devait se concentrer pour étudier ma proposition. Son regard fixé sur la boîte à gants, il se grignote la lèvre inférieure d'un air absent, m'exposant son profil doux, que je scrute en silence.
– O.K....
Quand il souffle sa réponse, je claque doucement sa porte puis fais le tour du véhicule pour prendre place derrière le volant. De chez lui, Seokjin nous ouvre le portail automatique et je le remercie d'un appel de phare.
Jungkook met sa ceinture tandis que je l'imite avant de faire marche arrière.
Cela fait cinq minutes que nous roulons dans le silence quand le brun prend la parole d'une petite voix :
– Tu me ramènes chez moi ?
– Hum.
Silence. Je l'entends remuer sur son siège et remarque du coin de l'œil ses mains se tripoter, signe qu'il est mal à l'aise et que quelque chose le tracasse, sans doute. Alors je décide de lui laisser le temps de me dire de quoi il s'agit. Il lui faut trois minutes supplémentaires pour lâcher le morceau.
– Et après tu rentres ?
– Oui.
Pourquoi cette question ?
– Il y a... Yeontan à la maison ?
« À la maison ».
Pas « chez toi ». Ces mots dans sa bouche me font l'effet d'une décharge électrique. Parce que l'espace d'une seconde, j'imagine qu'on rentre ensemble. Chez nous.
– Oui, je finis par répondre après un long silence.
– D'accord.
Il ne dit plus rien, et je ne sais pas pourquoi, mais soudainement, j'ai l'impression que je n'ai qu'à faire un pas pour m'approcher de lui.
– Tu veux venir voir ton bébé ? je finis par demander.
Il appelait toujours Tannie comme ça avant. « Mon bébé. » Ça m'a toujours fait rire, cette dévotion et cet amour sans limite qu'il avait pour ce chien, que j'ai pris avant tout pour lui. Et comme s'il le sentait, mon petit spitz se réjouit toujours trop quand il voit Jungkook. Dans ces moments, j'ai l'impression que l'animal lui exprime tout ce que je renferme, tout ce que je refuse de lui dire...
– Quoi, maintenant ? demande-t-il d'une voix étonnée.
J'essaie d'adopter une attitude désinvolte en haussant les épaules.
– Oui, maintenant. Tu dors à la maison, et demain on va chercher ta voiture.
– Oh... Je sais pas trop...
Il va falloir faire un choix, parce que je vais bientôt devoir sortir de cette route pour aller chez lui.
– Oups... on a dépassé ta sortie... je murmure, troublant le silence.
– Hein ? Oh mince, tu peux sortir à la prochaine sinon, il y a un autre che-
– Non. Pas envie.
Je tourne rapidement la tête vers lui et remarque qu'il m'observe d'un air troublé, comme s'il ne comprenait pas. J'avais oublié qu'avec l'alcool, sa vivacité s'endormait autant. D'un ton pince-sans-rire, je lui dévoile :
– Je rigolais. J'ai délibérément manqué ta sortie. Je suis trop fatigué, et puis ce sera plus pratique pour ta voiture demain.
Jungkook acquiesce vivement.
– O.K.
– Tu n'as pas trop mal au crâne au fait ?
– Si... un peu.
Lorsque nous arrivons, je ne me gare pas très loin dans la cour, puisque demain je devrai ressortir avec Jungkook. Le jeune brun défait sa ceinture en même temps que moi et me suit vers la porte d'entrée de la maison.
Ça me fait si étrange qu'il soit là avec moi. On est juste tous les deux. Il fait nuit. C'est comme un secret.
J'ouvre la porte d'entrée et allume la lumière. Aussitôt Tannie apparaît pour me faire la fête. Et quand il reconnaît Jungkook, son excitation grandit, m'arrachant un sourire bienveillant. Je découvre le brun agenouillé sur le tapis en train de le couvrir de caresses et de rires ensoleillés.
Il rayonne.
J'aime le voir ici. C'est sa maison. La nôtre.
Débarrassé de mes affaires, je décide d'aller lui chercher de l'aspirine, pour sa tête. Les effets de l'alcool se sont certes estompés, mais il n'est pas à l'abri d'une petite mine le lendemain... En revenant de la salle de bain, je découvre Jungkook et Tannie dans la cuisine. Le chien déguste un petit pâté dans sa gamelle sous le regard nébuleux du plus jeune, accroupi à ses côtés, sa main tatouée dans la fourrure douce. Quand il m'aperçoit, il se relève aussitôt.
– Je l'ai nourri avant de partir, tu sais, je dis.
J'ai l'impression qu'il est plus à l'aise que d'ordinaire, plus naturel. L'alcool sûrement. Je fronce vaguement les sourcils en repensant à son comportement avant le début du repas, quand il s'intéressait à ce que je faisais sur mon téléphone.
C'est agréable, de le voir ainsi. Dans son élément.
– J'avais envie de lui faire plaisir... admet Jungkook d'un air coupable. Désolé, je ne t'ai pas demandé. Tu ranges toujours sa nourriture dans le même placard.
– Ta venue lui fait déjà plaisir, idiot. Si mon chien devient obèse par ta faute... je menace, et son rire joyeux s'élève dans la pièce.
Puis je passe derrière lui pour lui préparer un verre d'eau.
– J'ai de l'aspirine pour toi.
Il m'adresse un petit sourire avant de réceptionner son verre et le cachet que je lui tends, en s'inclinant légèrement. Cette marque de respect le rend davantage adorable.
Et dangereux.
– Tu vas vouloir te doucher ?
– Si ça ne te dérange pas.
– Du tout. Tu peux utiliser la salle de bain de ma chambre, j'ai des serviettes et de quoi te laver. Je vais te prêter des affaires pour dormir et te préparer une chambre.
Il acquiesce aussitôt et me suit. Je le laisse s'aventurer dans la salle de bain, qu'il connaît très bien, tandis que je lui sors un de mes caleçons, noir, et un grand t-shirt jaune vif, je sais qu'il aime dormir les jambes nues. Je manque de ricaner en l'imaginant tel un poussin ébouriffé au sortir de sa douche.
Quand je le rejoins discrètement, je remarque qu'il a retiré les chaînes d'or qui habillaient son torse et complètement ouvert sa chemise.
– Tiens.
Je m'avance et pose les vêtements sur le bord du lavabo.
– Tu n'as besoin de rien ?
– Non...
– D'accord, je vais chercher des draps prop-
– Tae, tu sais, t'es pas obligé de me préparer une chambre.
Silence. Je le fixe.
– Tu veux dormir avec moi ?
Il rougit aussitôt de gêne en agitant ses mains devant lui, tandis que ses mèches remuent autour de son visage d'ange.
– N-non, je veux dire, je peux dormir sur le canapé...
– N'importe quoi. Tannie va te harceler toute la nuit en plus si tu fais ça.
– Je ne veux pas t'embêter, c'est juste pour dormir... Tu as l'air si fatigué... J'aurais pas dû-
– Hey, stop les regrets, je le coupe, sentant venir son petit laïus.
Puis je me force à lui admettre :
– Ça me fait plaisir que tu sois là.
Il me lance un sourire en coin avant de se détourner, signe qu'il va prendre sa douche. Quand je m'éloigne, il m'interpelle.
– Quand même... Ça ne me dérange pas si on dort ensemble... Alors, c'est comme tu veux.
À nouveau, son attitude, à l'opposé de tout ce qu'il m'a fait voir récemment, me sidère.
Je n'arrive pas à croire qu'il a osé...
Quand Jungkook revient je pars aussitôt dans la salle de bain. Des effluves de mon gel douche m'envahissent, et je sens un drôle de pincement dans mon cœur quand j'imagine cette odeur sur sa peau, à lui.
Ma douche est courte et efficace. Je suis trop fatigué pour la faire durer de toutes manières.
Je le découvre dans mon lit, à la place qu'il a toujours occupée. Sa frimousse dépasse à peine de la couette, visiblement pris par le sommeil. Cette vision réchauffe mon cœur et j'ai l'impression que cette putain de rupture n'a jamais eu lieu.
Il est à des secondes de moi.
Quand je soulève la couette, il frissonne légèrement, m'indiquant qu'il n'est pas complètement dans les bras de Morphée. J'ai le temps d'apercevoir ses jambes nues, et ce grand t-shirt jaune, qui lui va à ravir, quoi qu'on en dise, avant de le rejoindre au chaud.
Je décide de lui laisser son petit espace, même si je crève d'envie d'attraper cette taille étroite et familière pour le serrer contre moi.
– Merci Taehyung, murmure Jungkook quand j'éteins la lumière.
– Bonne nuit.
– Hum... bonne nuit.
Je l'entends remuer contre les draps, sûrement pour mieux se caler, peut-être sur le ventre, je sais qu'il affectionne cette position, ou peut-être qu'il me tourne le dos, parce qu'il trouve cette situation tout de même gênante.
J'aimerais savoir à quoi il pense.
Après un long silence, pendant lequel je me sens doucement m'endormir, j'entends soudainement Jungkook soupirer puis gigoter bruyamment.
– Tu pourrais la mettre en veilleuse ? je finis par lui demander, exaspéré.
– Pardon...
Mais son manège continue, ce qui ne manque pas d'élever mon niveau de colère. Bon sang, mais qu'est-ce qu'il fiche ?!
N'ayant plus la patience de supporter ses incessants mouvements et soupirs à peine plus hauts qu'un passage de troupeau d'éléphants, je tends la main et tente d'attraper un morceau de peau, n'importe quoi qui l'immobilise.
Mes doigts saisissent son biceps, le figeant aussitôt.
– Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as trop chaud ? Le lit n'est pas assez confortable ?
– Si, tout va bien.
– Alors pourquoi tu bouges comme ça ? Tu m'empêches de dormir.
– Pardon... J'arrive pas à m'endormir... Je pense trop.
Je ricane soudainement, abandonnant son bras.
– Parce que tu penses, toi ?
Son rire indigné me rejoint aussitôt tandis qu'il s'approche un peu pour me frapper le bras. Sauf que ce dernier était étendu au-dessus de ma tête, et c'est sur mon torse que sa main s'abat.
– Respecte ton hyung, pauvre tache.
– Tache, toi-même, renchérit-il.
Je ne réponds rien et me mets sur le dos, en attente. Mais de quoi ? Face à son mutisme, je décide d'ouvrir la bouche, car je sais qu'il est réveillé, je sens ses yeux posés sur moi.
– Tu veux aller dormir ailleurs ?
– Quoi ? Non !
Je le sens se relever légèrement, visiblement perturbé par ma proposition. Ça faisait bien longtemps que je ne l'avais pas vu aussi déterminé. C'est incroyable, on dirait que ma visite chez lui, mardi dernier, l'a métamorphosé...
– On peut dormir ensemble, je ferai moins de bruit.
– O.K.
Il se rallonge correctement.
– Tu fais souvent des insomnies ? je demande au bout d'un moment, alors que je l'entends jouer avec la couette.
– Quelquefois.
Ça veut dire souvent, dans son langage. Je me sens affreusement coupable parce que, d'une certaine manière, je suis responsable de son état. Et je m'en veux. Tellement. L'obscurité me donne le courage d'aborder ce sujet épineux, que je ne cesse de fuir. Parce que je déteste m'ouvrir aux autres en pleine lumière.
– Je n'aurais pas dû te quitter comme je l'ai fait.
Je crois qu'il ne s'attendait pas à ce que je parle de ça, car je le sens se figer, ses doigts cessant de jouer avec le tissu. Même sa respiration semble être sur arrêt.
Je décide de ne rien ajouter, le laissant libre de me répondre ou pas. Mais j'espère, qu'il saisit le sous-texte.
– Tu... Je suis passé au-dessus. J'ai fait du chemin depuis, et j'ai tourné la page, murmure-t-il soudainement.
Cette confession semble transpirer de sincérité et d'une tristesse résolue, je l'entends rien qu'à sa voix, un peu fragile mais sûre. Posée. Les effets de l'alcool n'opèrent plus, je le sens. C'est vraiment lui qui me parle. Et je réalise que, plus que jamais, c'est fini entre nous.
S'il décide de passer à autre chose...
– Alors, j'aimerais qu'on redevienne amis. Je suis désolé de m'être comporté comme un sale petit con.
Un sale petit con ? Mais bon sang.
Je repense à ce SMS qu'il m'a envoyé.
« Je ne sais plus quoi faire pour que vous soyez contents de moi. »
« Aujourd'hui je n'arrive même pas à me définir. »
Putain. Je ne sais même pas quoi lui répondre tant j'ai à lui dire.
– Bonne nuit, hyung.
Son murmure me tire de mes pensées, paralysantes. Je l'entends me tourner le dos, et je sens que la conversation est close.
Il a dit « hyung ».
Il a tourné la page.
Il est à des secondes de moi. Mais elles me semblent infranchissables.
Maintenant, c'est moi qui ne trouve plus le sommeil.
✿
Je suis réveillé par un bruit de musique étouffée. Quand je tourne la tête sur le côté, je constate que Jungkook s'est levé. Instinctivement je cherche son oreiller, et enfouit mon visage dans le tissu contre lequel il a dormi. Des effluves de mon gel douche et de sa peau se mêlent délicatement. Mes narines s'en repaissent et cette fragrance addictive m'envoie comme un électrochoc.
J'aimerais le serrer dans mes bras, parce que les réveils sont les moments intimes que je préfère avec lui.
« Préférais », je me corrige intérieurement.
Et comme une pellicule accélérée, je me repasse la soirée d'hier. Je revois ses sourires, ses prunelles curieuses, temporairement désertées par la mélancolie, ses lèvres brillantes, sa chemise, ses jambes, l'alcool, puis sa confession...
Il a tourné la page.
Je soupire, sentant le mal de crâne pointer du nez. J'aurais dû prendre une aspirine, moi aussi. Quand je remonte les volets, une lumière grisâtre envahit la pièce, m'arrachant un soupir défait. Ce printemps commence sur les chapeaux de roues.
Je décide de quitter la pièce et suit la musique, qui semble provenir de la cuisine.
Et je le vois. Tannie le suit, attentif et curieux, passant entre ses chevilles, déposant des petits coups de langue sur ses talons d'Achille, à la finesse déconcertante. Jungkook, de son côté s'affaire au-dessus d'une poêle. Une délicieuse odeur embaume la pièce.
Cette scène est si chaleureuse, si réconfortante, que je n'ose pas l'interrompre.
Mais Tannie finit par me remarquer, il s'élance vers moi, et Jungkook doit se douter de ma présence car il se retourne d'un air curieux.
Accoudé au plan de travail, il m'observe de ses grands yeux bruns tandis que je m'abaisse pour caresser le petit chien. Je décide de le laisser et me relève, remontant sur les délicates chevilles, les mollets tendres et les cuisses un peu amaigries mais toujours musclées de mon cadet, qui a croisé les jambes.
J'ai envie de lui arracher ce grand t-shirt.
La voix un peu chantante, il me tire de mes pensées.
– Bonjour ! Tu as bien dormi ? Je ne t'ai pas réveillé ?
Wow, il est sacrément matinal.
– Ça va. Mal à la tête.
– Oh... Tu as encore de l'aspirine ? Je vais voir attends !
– Non, laisse, je dois passer à la salle de bain de toute façon.
Jungkook recule aussitôt et retourne à sa préparation. J'en profite pour m'approcher sans bruit de lui. Arrivé à sa hauteur, je ne peux m'empêcher d'observer sa figure, penchée sur le contenu de la poêle, une omelette aux légumes.
– J'ai fait du pajeon, ça te va ? demande-t-il sans détourner les yeux de la poêle, car il est occupé à retourner l'omelette. Il reste du riz dans le cuiseur aussi.
– C'est parfait, je réponds distraitement.
J'observe ses fossettes, qui ressortent légèrement tandis qu'il se concentre. S'il était encore mien, je me serais collé à lui, encerclant sa taille, et j'aurais couvert sa nuque et ses joues rondes de baisers chauds. Puis il aurait rigolé nerveusement en essayant de se défaire de mon emprise, parce que je l'empêche de se concentrer.
Quand je l'entends renifler doucement, je remarque son nez se froncer légèrement tandis qu'il ferme les yeux. Puis il se tourne soudainement vers moi et enfouit son visage contre mon torse pour éternuer juste sur ma peau. Son souffle et la texture de ses lèvres à même mon épiderme envoie toute une décharge à l'intérieur de moi. Un peu sonné, il reste juste une fraction de seconde contre moi avant de s'écarter, les joues rouges.
– Pardon, je ne voulais pas éternuer sur la nourriture.
– Pas grave, je souffle en glissant ma main sur sa nuque, jouant avec les mèches ébènes qui la caresse.
Il se laisse faire sous mes petites caresses, les joues moins rouges que tout à l'heure. Un délicat silence s'installe autour de nous.
– Je vais à la salle de bain, j'annonce en lâchant soudain sa nuque, et j'ai comme l'impression de le voir frissonner.
Il acquiesce sans un mot.
Quand je reviens, je vois qu'il a dressé la table, et laissé un bout de riz avec des morceaux de jambon dans la gamelle de Tannie. Je le remercie en m'installant. Ses longues jambes nacrées traversent la pièce une dernière fois pour chercher une carafe d'eau. Il me sert un verre puis s'installe en face de moi. On se souhaite un bon appétit, et j'ai l'impression d'être filmé, tant cet instant me semble tout propre et tout mignon.
– Il est quelle heure ? je demande après avoir entamé mon plat.
– Presque midi... répond Jungkook la bouche pleine.
J'avale l'omelette et lui souris pour le féliciter de sa cuisine.
– On s'habille et je t'emmène chercher ta voiture ?
– Oui, d'accord, merci beaucoup !
Et quand il baisse les yeux sur son bol, je le regarde en silence, encore. Toujours. Il a l'air d'avoir assez faim, sa bouche mâche la nourriture avec un certain enthousiasme. Soudain, il se penche sous la table et je vois que c'est Tannie qui s'approche. Jungkook l'attrape entre ses mains et revient à ses baguettes, abandonnées sur la table.
– Tu veux du pajeon, mon bébé ?
Le chien se contente de gigoter entre ses bras pour tenter de s'approcher de son bol. Mais le plus jeune utilise aussitôt un ton moralisateur.
– Non ! Tu te calmes, je vais te faire goûter...
Comme s'il avait compris, Yeontan se calme aussitôt, il attend sagement en observant Jungkook qui découpe d'une main, avec ses baguettes un bout de l'omelette.
– Je peux lui donner ? me demande-t-il en relevant la tête vers moi.
– Tu lui a déjà proposé alors...
Il sourit d'un air désolé puis approche la nourriture de la gueule du petit chien, qui a laissé sa langue pendre, en attente de ce délicieux mets. Puis il dépose le petit chien au sol, qui semble triste et délaissé tout à coup.
Nous l'ignorons et entamons une discussion sur le nouvel album. Plus à l'aise au fur et à mesure que les minutes passent, Jungkook remonte sa jambe, posant son pied sur sa chaise, me laissant voir un bout de son tibia.
Je ne veux pas qu'il m'oublie.
✿
J'ai ramené Jungkook chez Seokjin. On a discuté à peine dix minutes tous les trois avant que le plus jeune ne reparte chez lui de son côté, me remerciant une dernière fois.
Ce soir-là, j'ai dormi sur le coussin qu'il avait emprunté, le t-shirt jaune serré contre moi.
Il me manque.
✿
– Putain, ils cassent les couilles...
Je relève les yeux de mon téléphone, surpris par les paroles de Jimin. Nous sommes au studio d'enregistrement, pour écouter Friends, enfin terminé. J'ai vraiment eu peur que le morceau soit raté puisque les 90 % de l'enregistrement se sont faits séparément.
Je repense à la seule fois où nous nous sommes vus, Jimin et moi, quand nous avons déjeuné avec Jungkook, il y a maintenant trois semaines. J'avais spécialement annulé un rendez-vous pour être là et vérifier que notre jeune chanteur allait bien, un peu inquiet pour lui... Quand il nous a confié qu'il allait rendre visite à ses parents pour le week-end, je n'ai pas été surpris.
Le matin même, j'avais reçu une notification sur mon téléphone, m'indiquant que c'était l'anniversaire de sa mère. Et cela m'a rassuré. Voir sa famille était probablement tout ce dont il avait besoin à cet instant. Même si j'imagine qu'il s'est passé quelque chose, vu la fin de notre appel téléphonique lorsqu'il était là-bas... Peut-être avec son frère.
À ma connaissance, Jungkook n'a rencontré personne d'autre depuis qu'on a rompu. Et même si sa vie amoureuse ne me regarde pas, je suis constamment sur le qui-vive. Je veux savoir ce qu'il fait et avec qui il est.
Je n'ai pas vu le maknae depuis une bonne semaine maintenant.
– Nan mais...!
– Quoi ? je demande à mon meilleur ami, assis sur une table, les jambes pendantes dans le vide.
Il soupire avant de passer une main sur son visage.
– Encore une sale rumeur sur Jungkook...
Je fronce aussitôt les sourcils.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
– Une fille qui l'accuse de viol... une mineure en plus...
Je lève les yeux au ciel, excédé par toutes ces sales rumeurs, qui n'en finissent jamais. Ces horreurs balancées en continu sur nous ne nous font même plus réagir, tant nous sommes habitués. Ça n'a rien de normal.
– BigHit va contacter nos avocats pour lancer une procédure de toute façon. C'est dingue, je ne comprends pas l'intérêt de nous pourrir autant...
J'acquiesce silencieusement. Jungkook est toujours la cible principale des attaques, peut-être parce qu'il est le plus jeune, le plus ouvert d'une certaine façon. Vu de l'extérieur, il a l'air accessible. Ses sourires et sa dévotion envers les fans en font un bouc émissaire tout désigné.
– Il sait ? je demande.
– Qui ?
– Kook.
Jimin acquiesce.
– Oui, c'est lui qui vient de m'écrire. Je voulais l'appeler, mais il n'est pas dispo.
Je fronce les sourcils.
– Il fait quoi ?
– Je crois qu'il s'entraîne avec Hobi.
J'espère qu'il ne nous a pas menti et qu'il ne s'entraîne pas tout seul. Il faut que j'arrête de le materner autant, je me fais penser à Seokjin. Jungkook n'a pas envie qu'on soit derrière lui. Plus que jamais, je crois qu'il a besoin de notre confiance en lui, parce que j'ose espérer qu'il a appris de ses erreurs.
– Dis, Tae... Ça va mieux entre vous ?
À ces mots, je me ferme immédiatement. J'ai beau m'être davantage confié à Jimin sur notre histoire, à Jungkook et moi, il y a certaines choses dont je n'ai pas envie de parler, avec lui ou qui que ce soit d'autre.
– Oui.
– O.K. Je l'ai vu cette semaine, et il avait l'air plus... apaisé.
J'acquiesce silencieusement et retourne à mon téléphone.
« J'ai tourné la page ». Je ne supporte plus d'entendre ces mots en continu dans ma tête, comme une menace. Je n'ai pas envie qu'il tourne la page.
Alors, comme l'esclave que je suis, je lui écris, pour prendre de ses nouvelles.
Moi à 16 h 46
Ça va ?
Quand il me répond, je sors à peine de ma douche, chez moi. Jimin et moi n'avons pas trop traîné parce qu'il avait des choses à faire. Quand je termine d'enfiler un pantalon noir fluide, dans lequel je me sens à l'aise, et une chemise émeraude, je vois les notifications des messages de Jungkook sur mon téléphone.
Jungkookie à 18 h 12
Oui. Et toi ?
Jungkookie à 18 h 13
En fait je m'ennuie :(
Je souris légèrement en m'installant sur mon lit, Yeontan, près de moi sur le matelas. Quand il s'approche du t-shirt que portait Jungkook la dernière fois, je le pousse et pose le tissu jaune sur mon oreiller, lui indiquant que ceci est à moi. Et peut-être pour me faire pardonner, j'égare distraitement une main dans sa fourrure tandis qu'il s'allonge contre ma cuisse.
Moi à 18 h 43
Tu veux que je vienne chez toi ?
Jungkookie à 18 h 43
Pour faire quoi ?
Je ricane devant mon écran. Il a vraiment des réactions d'enfant par moments.
Moi à 18 h 44
Dîner ensemble, regarder un film, jouer à un jeu... ce que tu veux.
Jungkookie
En train d'écrire...
Il s'arrête. J'attends un long moment, mais rien ne vient. Déçu, je finis par poser mon téléphone sur l'oreiller en soupirant. Puis je laisse Tannie sur le lit : il s'est endormi. Qu'elle est belle la vie de chien...
Je range quelques affaires dans mon armoire quand le bruit d'un nouveau message me parvient aux oreilles.
Jungkookie à 18 h 57
En fait ça te dérange si c'est moi qui vient plutôt ? Je ne veux plus voir mon appartement...
Moi à 18 h 58
Pourquoi ? Tu peux venir. On mange quoi ?
Jungkookie à 18 h 58
Je ne l'aime plus :( Je te laisse décider, moi je m'occupe du dessert !
Moi à 18 h 59
Pourquoi tu ne l'aimes plus ? Qu'est-ce qu'il t'a fait ? O.K. pour le dessert.
Jungkookie à 19 h 01
Il est menaçant je trouve.
Je l'imagine fixer ses murs d'un air haineux et suspicieux. Cette vision m'arrache un rire amusé.
Moi à 19 h 03
Idiot. Viens, je t'attends.
Il me répond d'un pouce levé et j'imagine qu'il se prépare pour me rejoindre. Je suis secrètement flatté qu'il préfère venir chez moi que l'inverse. Cette maison est tellement symbolique pour nous deux. Il la connaît, parce qu'il y a vécu comme s'il en était le propriétaire. Et puis il y a Tannie ici.
Il y a moi.
Ces derniers temps, il a évité ces lieux comme la peste, ce que je peux comprendre... Notre rupture s'est déroulée entre ces murs, et ça me serre le cœur rien que d'y penser. J'imagine qu'il en est de même pour lui, d'autant qu'il a du se sentir terriblement humilié par mon attitude. J'essaie de chasser ce douloureux souvenir de ma mémoire.
Jungkook arrive 50 minutes plus tard, un sourire timide sur les traits et le regard légèrement fuyant. Il sent aussi l'amande douce et la fleur de coton, son shampoing et son gel douche du moment j'imagine. Je le laisse rentrer et le débarrasse d'un sac en carton et de sa veste noire. Il porte un jean clair près du corps, déchiré aux genoux, et un pull blanc assez fin. La ceinture passée autour de son pantalon marque sa taille à merveille.
– Pas de vêtements larges aujourd'hui ? je le taquine en me dirigeant vers la cuisine pour poser son sac.
Je reconnais l'enseigne d'un restaurant de la capitale, connu pour ses gyeongdan, de délicieuses pâtisseries de riz glutineux, fourrées aux marrons. Il n'a pas oublié que j'adore ça.
– Non, j'ai fais un effort, rigole-t-il dans l'entrée. Où est Tannie ?
– Il dort dans ma chambre, je réponds en vérifiant que le bulgogi que je prépare ne crame pas. Et tu portes ce que tu veux Kook.
Si j'ai longtemps dédaigné ses vêtements un peu emo, je dois reconnaître qu'ils lui donnent un petit air sexy.
– Je sais, je sais... chantonne-t-il.
Sa bonne humeur jette une bouffée d'air frais sur moi et l'endroit. Je l'entends s'éloigner vers ma chambre, sûrement curieux de voir le petit chien endormi entre les draps.
Merde.
Le t-shirt.
Il va le voir...
Jungkook revient deux minutes plus tard sans rien dire. J'imagine qu'il n'a pas voulu réveiller Yeontan. Je lui jette un regard à la dérobée tandis qu'il s'accoude au comptoir, dans l'espace du salon, juste en face de moi pour observer ce que je prépare. Son expression me semble naturelle, quoique ses joues sont un peu rouges. Je me racle la gorge et décide de lancer la conversation.
– Tu as passé une belle journée ?
– Ça va... Je me suis entraîné avec Hobi. La chorégraphie de ON va être pas mal je pense.
– Jimin m'a dit, oui, j'acquiesce.
Un petit silence s'installe tandis que Jungkook me demande si j'ai besoin d'aide, mais je lui dis que non.
– Il m'a prévenu aussi pour la rumeur...
– Oh... ça.
Je cherche son regard pour vérifier que tout va bien. Je sais qu'il est habitué, maintenant, à toutes ces sales histoires, ces scandales, et la folie des grandeurs qui secoue parfois nos fans, mais je sais comme ça doit lui faire mal à chaque fois.
– C'est rien. Les avocats vont s'en charger. Je n'ai rien fait à cette fille.
– Bien sûr que tu n'as rien fait, je réponds d'un ton sec.
Il sourit tristement.
– Je n'ai pas envie d'en parler. C'est toujours la même rengaine...
J'hoche simplement la tête en poursuivant mes affaires dans la cuisine tandis qu'il m'observe.
– Oh, tu es bien habillé, dis donc, je n'avais pas fait attention.
– C'est juste un pantalon et une chemise, je ricane.
– Rah, pourquoi tout te va si bien, se lamente-t-il.
Je lève les yeux au ciel et me retient de lui retourner le compliment.
– Et toi, ta journée ?
Je lui raconte mon après-midi avec Jimin au studio d'enregistrement. Il a l'air de se réjouir pour notre morceau et me promet qu'il l'écoutera demain. J'appréhende beaucoup son avis. Déjà parce qu'il est mon collègue, et une personne que j'admire beaucoup pour son talent et ses compositions. Ensuite, à cause de notre histoire. Je crains peut-être sa jalousie, parce qu'on a jamais fait de musique tous les deux.
« J'ai tourné la page ». Encore ces mots.
Quand le repas est prêt, je laisse Jungkook mettre la table tandis que je me rends aux toilettes. En revenant, je le vois penché sur mon enceinte, dans le salon, mettre un peu de musique, sûrement pour l'ambiance. Je reconnais aussitôt la playlist qu'il écoute pendant nos voyages en avion et j'acquiesce pour lui manifester mon accord.
Cette soirée se passe comme dans un rêve. J'ai l'impression d'être plongé dans une bulle, coupé de tout. Je ne peux pas détourner les yeux de lui, et je vois bien qu'il est parfois mal à l'aise, face à mon regard pénétrant. Mais c'est plus fort que moi. Ses mimiques, sa façon de parler, ou même de manger, la playlist qu'il a choisie, son odeur, que je perçois vaguement et qui envahit mon espace vital... Tout est trop.
Quand vient l'heure du dessert, je ramène les gâteaux qu'il a apporté avec un peu de soju. Il refuse l'alcool alors je lui propose du lait de fraise, qu'il accepte poliment. Comme si Tannie avait senti les petites pâtisseries, il apparaît soudain. Jungkook l'accueille avec sa joie et son émerveillement habituels, jouant un peu avec le petit chien, qui lui aussi semble ravi.
Les gyeongdan sont délicieux, ils fondent sous mon palais et nous les savourons dans un silence uniquement troublé par Paper hearts de Tori Kelly en arrière-plan, l'une des chansons dont il a fait la cover.
Une fois repus, je lui propose de migrer vers la petite salle de musique que j'ai fait aménager, non loin de ma chambre. Elle est plutôt modeste, mais je l'adore. Je m'installe sur un fauteuil tandis que Jungkook s'approche du piano. Je l'observe glisser ses doigts sur les touches, hésitant. Puis je finis par le rejoindre et m'installe sur le banc tandis que lui est resté debout.
– Assieds-toi, je l'invite.
Il s'exécute et je commence aussitôt à jouer quelques accords pour l'amuser. Quand j'entonne la fameuse mélodie d'une cérémonie de mariage, il explose de rire échouant sa tête contre mon épaule, et je ne peux m'empêcher de le suivre dans son fou-rire.
Cette façon qu'il a de rigoler, insouciante et trop communicative, m'avait terriblement manqué. Quand il se calme, Jungkook s'éloigne un peu de moi.
– Il y a une chanson que j'ai appris à jouer hyung, tu veux écouter ?
J'acquiesce aussitôt, curieux, et me décale pour le laisser s'installer vers la gamme qui lui convient. Il prend le temps de bien se positionner et tente quelques accords. Je vois bien qu'il n'est pas très à l'aise avec l'instrument, plus habitué à la guitare, mais je ne dis rien et profite de sa concentration pour le détailler.
– C'est ma prochaine cover... il murmure.
Quand les premières notes s'élèvent, je ne reconnais pas la chanson. Peu m'importe, j'adore qu'il me fasse découvrir de nouvelles choses, parce qu'il est si curieux de tout.
Je ne manque pas de noter son manque de fluidité mais ne l'interrompt pas. Tant qu'il ne fait pas de fausses notes, j'arrive à suivre.
High dive into frozen waves
Where the past comes back to life
Je plonge dans des vagues de glace
Là où le passé revient à la vie
Quand sa voix s'élève, je sens un frisson me parcourir la peau.
Il a ce timbre, si fragile, si délicat. C'est comme un écrin qui s'ouvre sur lui, comme un secret qu'il ose me chanter. La mélodie me pénètre soudain, et je sens, au plus profond de moi, que ce moment est important pour lui.
Et j'outrepasse soudain la maladresse de ses notes pour me plonger dans ces paroles. Certes, je ne comprends pas tout, mais certains mots ne trompent pas.
Cause you are the piece of me, I wish I didn't need
Chasing relentlessly, still fine and I don't know why
Parce que tu es la partie de moi dont j'aimerais pouvoir me séparer
On se chasse sans cesse, tout le temps et j'ignore pourquoi
J'ai l'impression qu'il va fondre en larmes.
If our love is tragedy, why are you my remedy?
If our love's insanity, why are you my clarity?
Si notre amour est tragique, pourquoi es-tu mon remède ?
Si notre amour est absurde, pourquoi es-tu ma clarté ?
Jungkook...
Je suis hypnotisé.
Mon amour pour lui m'explose à la figure.
J'ai si mal.
Je n'arrive même plus à suivre, mon regard dévisage ses mains, qui tremblent très légèrement. Il a le trac, j'imagine. La musique se termine, mais je n'arrive pas à réagir, je suis comme sonné. Endormi. Mon cœur pourtant, lui, bat la chamade.
– Alors ? demande-t-il au bout d'un moment, quand le silence devient insupportable pour lui j'imagine.
Mais que veux-tu que je te réponde Jungkook ?
– Je... C'est beau.
– Merci. Bon, évidemment, je ne jouerai pas la partition mais-
– Tu... je l'interromps.
Il s'arrête et me fixe, attentif, tandis que je reste bloqué sur ses mains, qu'il a posé sur ses cuisses et qu'il tripote nerveusement. Je cherche mes mots, mais cette chanson me rend soudain muet.
Parce qu'il n'y a rien d'assez fort. Mon cœur déborde, et je ne veux pas gâcher cet instant avec des mots vides et creux.
Alors je fais la seule chose qui me paraît indispensable. Je lève les yeux et j'avance ma main, pour attraper la coupe de son visage. Mon pouce effleure sa joue, ronde et douce. Cette peau que j'adore. Je m'approche de lui, nos visages ne sont plus qu'à quelques centimètres. Son souffle devient plus fort, butant contre mes lèvres, tandis que ses yeux s'écarquillent de stupeur.
Mon autre main glisse sur sa nuque, pour le retenir. Il est hors de question qu'il s'échappe de moi.
Je me penche davantage, et mon nez frôle le sien, en douceur. Il sent le lait, le sel et la liberté.
J'ai tellement envie de lui.
Nos yeux se cherchent, s'attrapent et se jettent sur les lèvres de l'autres. Mon pouce s'approche de cette bouche purpurine, qu'il caresse tendrement. Quand il revient à sa joue, je n'hésite plus. Je plonge droit sur lui pour l'embrasser. Aussitôt, je le sens s'accrocher à moi, comme s'il abandonnait la bataille et perdait toute retenue. Ses bras s'enroulent autour de ma nuque tandis qu'il se rapproche davantage avec un désespoir qui me bouleverse.
Une simple pression. C'est trop. Beaucoup trop.
Ses lippes bougent et s'appuient contre les miennes avec en lenteur attendrissante. Ce toucher allume un feu en moi, sème des frissons sur ma peau et dans mon cœur. Il me foudroie. Et je veux qu'il ressente la même chose : cette impression que le sol se dérobe sous nos pieds, que le temps s'arrête et qu'il n'y a plus rien qui nous sépare désormais.
Je suis si pris de désir que j'aventure ma langue entre ses lèvres, légèrement entrouvertes. Réinvestir sa bouche est comme vivifiant pour moi, j'ai l'impression de renaître. Et je ne me contrôle plus. Mes mains glissent de sa joue et de sa nuque, de cette peau si douce et tendre, à son cou, que j'enserre brièvement, à ses épaules, son dos, légèrement cambré vers moi, cette taille que je ne peux m'empêcher d'encercler avec vigueur.
Ce geste brusque le rapproche de moi et nous sépare un instant. Le temps pour lui d'ouvrir les yeux, essoufflé et de se réfugier, à nouveau, contre ma bouche. Ses paupières sont presque fermées, abandonné qu'il est.
Moi aussi je replonge vers lui, avide de lui montrer comme il est tout pour moi.
Dans un état second, Jungkook se laisse faire. Sa langue s'enroule autour de la mienne. Ses soupirs se confondent avec les miens. Quand mes dents attrapent sa lèvre inférieure, il semble pourtant sortir de cette transe, qui s'est emparée de nous.
– Non, attends... Tae...
Ses mots me stoppent brusquement, et je redoute le pire.
J'ai tout gâché.
Maladroitement, il se lève, le souffle court, et mes yeux cherchent son regard qui m'évite clairement. Non...
Ne t'en vas pas, je t'en supplie.
Mais son cœur n'entend pas le mien. Il se lève, maladroit, me tourne le dos. Il sort de la pièce et je finis par comprendre qu'il veut partir. Non.
Aussitôt, je me lève. J'ai l'impression d'entendre mon cœur lui hurler de ne pas s'en aller.
Pourtant, quand j'arrive dans le salon, je ne le vois pas. Son portable n'a pas bougé, posé sur l'enceinte. Ses chaussures sont dans l'entrée, de même que sa veste. Le silence est pourtant là, bel et bien pesant... Je rebrousse chemin, le cœur affolé mais les yeux froids. Comme toujours, je suis maître de moi.
Et puis je le vois. Dans ma chambre. Allongé sur le ventre, le visage dans mon oreiller. Les mouvements de son dos me laissent deviner qu'il est en train de pleurer. Ce ne sont pas des sanglots, plutôt une mélancolie résolue et silencieuse. Je m'approche et monte sur le lit, guidé par mon instinct.
Puis je m'allonge sur lui. L'écraser de tout mon poids me fait du bien. Son odeur, ses cheveux, sa présence, la courbe de son dos qui épouse mon torse, toujours à merveille... Mes lèvres se posent ensuite tout doucement sur sa nuque, elles effleurent ses cheveux d'encre.
Et je chuchote, tout contre sa peau.
– Mon ange...
– Non... il gémit dans le tissu.
À cette réponse, mon cœur se glace d'effroi.
– Tu n'as plus le droit... plus le droit de m'appeler comme ça... Je ne suis plus à toi. Tu ne veux plus...
Soudain, c'est comme s'il avait appuyé sur le bouton. Je ne contrôle plus mes paroles, car je le coupe pour me confier.
– Je l'ai toujours voulu.
Il ne répond rien, tandis que mes mains viennent chercher les siennes, près de son visage. Nos doigts s'entremêlent et se caressent timidement. Le fait qu'il réponde à ce geste, que j'initie, m'encourage. Puis, à nouveau, sa voix, étouffée par l'oreiller, profère ces mots :
– A-alors pourquoi tu...
Il ne termine pas, ou peut-être que je ne l'entends pas.
Pourtant notre scène de rupture me revient en mémoire, et comme si je voulais lui faire comprendre à quel point ce souvenir me pèse, je serre plus fort ses mains quand je murmure contre son oreille.
– C'était...une erreur. La pire des erreurs.
Il accueille cette confession dans le silence. Je suis si proche de lui, que je sens les sanglots se tarir, sa respiration se calmer. Puis son visage, quitte sa prison de tissu et m'apparaît de profil. Ses cils, un peu humides, papillonnent sur ses orbes bruns, perdus sur nos mains entrelacées, tout près de sa figure.
Et puis, sans que je ne m'y attende, il baise mes doigts, avec une tendresse si dévouée que je veux l'embrasser moi aussi. Partout. Pire encore : je veux lui dire. Son souffle caresse mes phalanges quand il s'exprime d'une voix éteinte.
– Je crois que... Je crois que tu seras toujours... Tu auras toujours cette place, dans mon cœur. Je t'aimerai pour toujours Taehyung. Mais maintenant, je dois continuer sans toi. Tu l'as dit...
– Non !
J'enfouis aussitôt mon visage dans ses cheveux tandis que j'appuie de tout mon poids sur lui, comme s'il allait me repousser pour s'enfuir loin de moi.
– Je ne veux pas... Je ne veux plus qu'on se sépare, je confesse d'une voix grave.
« Vous êtes déjà séparés », ricane ma conscience. Tais-toi.
Je le sens remuer contre moi, sa main tente de m'échapper, mais je la retiens de toutes mes forces, j'appuie contre son dos, et je me fiche de lui faire mal. Parce qu'il ne peut pas me laisser. Je le refuse.
– Tae, arrête... proteste-t-il.
– Non, s'il te plaît... Jungkook...
– Je veux juste me retourner... Je veux te voir...
Je ne réponds rien, humant ses cheveux. J'essaie de reprendre le contrôle, d'adopter une expression froide, de ne pas craquer. D'être fort. Intérieurement, je sais que c'est peine perdue. Je n'ai jamais été aussi fragile devant lui... Et je ne veux pas qu'il le voit.
Délicatement je le défais de mon emprise, me positionnant à quatre pattes. Il se retourne alors sur le dos, sans chercher à m'échapper. Quand ses yeux brillants rencontrent les miens, ils s'humidifient davantage. Je ne peux pas supporter cette vision. Je ne veux pas pleurer.
– Pourquoi tu me fais ça...
Il ferme les yeux, comme si me regarder était trop douloureux pour lui. Touché par cette vision, je caresse sa joue avec la paume de ma main.
– Mon amour...
À ces mots, les yeux du plus jeune se rouvrent et me dévisagent, incrédules.
– Quoi ?
Je fronce aussitôt les sourcils et examine ses traits, habités par la surprise.
– Tu...
Quand je comprends enfin, mon corps se penche vers le sien. Ma main quitte sa joue tandis que j'encadre sa tête de mes deux avant-bras, posés sur le matelas. Ses yeux cherchent quelque chose dans les miens, et je le laisse explorer mes prunelles noires en silence, son souffle court butant contre mes lèvres.
– Ça n'a jamais été clair pour toi ? je susurre.
Ma bouche frôle la sienne à ces mots, provoquant en moi une violente montée de désir pour lui.
– Je... De quoi ?
Je vois bien qu'il a compris de quoi je parlais, mais il a trop peur de s'aventurer sur ce terrain-là. Celui de mes sentiments. Alors je dépose un baiser chaste sur sa jolie bouche et je réponds d'un simple murmure, contre sa joue, mon nez sur sa tempe.
– Que je t'aime ?
Je ne peux pas voir ses yeux, à cet instant, car j'en suis incapable.
Mais je tais la peur qui m'envahit quand je resserre mes jambes autour des siennes, et je plonge mon visage contre sa gorge, que j'embrasse avec tout l'amour que je lui porte.
Je veux l'enfermer, le retenir prisonnier, le recouvrir tout entier. L'engloutir.
Il est mon monde.
– Depuis toujours. Depuis le début, c'est toi, Jungkook.
Je m'allonge soudain sur lui, l'écrasant à nouveau de toutes parts, mais il ne semble pas s'en plaindre. Et soudain, je sens ses bras m'étreindre avec une force qui me fait mal. J'adore le fait qu'il ne dise rien, parce ses gestes et ce silence sont tout ce dont j'ai besoin pour continuer.
Quand je poursuis, mon nez frôle tendrement sa pomme d'Adam.
– Je n'aurais jamais dû te quitter... Je voulais le meilleur pour toi... Les autres me disaient que tu m'aimais trop, que tu vivais à mes crochets. Que notre histoire n'avait rien de sain.
Je tremble de colère rien qu'au souvenir de ces discours moralisateurs qui m'ont lavé le cerveau. Oui, bien sûr qu'il y avait une part de vérité. Mais cette solution, qu'on m'a forcé à considérer, n'avait, elle non plus, rien de sain.
– Peut-être qu'ils avaient raison, souffle Jungkook.
Je m'accroche encore plus à lui à ces mots, car je ne veux pas qu'il se convainque de la même chose. Je ne veux plus retomber dans ce piège. Quand je réponds, je sens ma voix trahir l'émotion qui m'étreint.
– Peut-être oui. Mais c'était nous. C'était juste nous. Tu étais tout ce que je désirais. Toi, et le groupe. C'était parfait Jungkook. Et moi, je me suis mis dans la tête qu'il te fallait autre chose. J'ai décidé pour toi.
Ma mâchoire se contracte, parce que je suis soudain en colère contre moi-même.
– Je t'ai brisé, bordel Jungkook...
J'embrasse sa peau, dans une tentative désespérée de lui exprimer mes regrets et ma culpabilité. Sa voix s'élève, caresse mes cheveux, quand elle s'exprime enfin :
– Mais tu avais raison... C'était stupide, de m'accrocher autant à toi. Je devenais un poids pour toi, et ça me rendait si triste que je suis devenu insupportable...
– Ne dis pas ça s'il te plaît Jungkook...
– Si. Il faut le dire. Pardonne-moi... J'ai changé tu sais. J'ai compris.
Il est si adorable. Si merveilleux, que je ne peux retenir ma demande, urgente :
– Je sais. Laisse-moi te montrer... Je veux te faire l'amour, te montrer comme je te vois...
Un silence me répond, mais j'attends, car je sais qu'il doit tout de même être chamboulé par ma confidence et cet abandon de moi-même, entre ses bras. Mon cœur cogne violemment contre ma cage thoracique, comme s'il voulait rejoindre le sien. J'imagine son organe vital me répondre quand son buste se soulève frénétiquement.
– Je... Ne me laisse pas, s'il te plaît.
Aussitôt, je me redresse légèrement et plonge dans ses yeux qui me dévoilent toute son angoisse. Il poursuit :
– Je n'ai jamais... jamais fait ça. Si tu me laisses après... je ne sais pas si je m'en remettrai.
– Mon amour...
Je ne peux résister plus longtemps et plonge vers ses lèvres douces. Leur chaleur m'avait tant manqué. Mon ardeur semble le surprendre mais il y répond avec force, un brin de désespoir et d'abandon, mais surtout, une confiance aveugle. Une telle capitulation m'émeut tant que je saisis son visage entre mes mains.
Mes yeux captent les siens, hésitants, sincères. Qu'est-ce qu'il est beau.
– Jamais. Je ne peux plus te laisser.
Une lumière particulière envahit son regard, m'hypnotisant pendant quelques secondes. Ses cheveux noirs, étalés autour de sa tête, lui font comme une couronne de nuit sans étoiles. Puis il souffle simplement :
– Fais-le alors... J'ai besoin de toi.
Notre prochain baiser est dévastateur. Il allume un véritable brasier en moi.
Je ne retiens plus rien.
Affamé de sa peau, de son odeur, de ses traits... Je l'aide à retirer son haut et contemple son torse aux muscles saillants, peu à peu révélé. Quelques tatouages cheminent tout le long de son bras droit, jusqu'à son épaule. J'ai envie de les embrasser, tous.
– Tu es si pâle... je souffle en posant mes lèvres contre ses clavicules.
Il frissonne sous moi, je le sens. Sans même retenir mon élan, mes baisers dérivent vers l'encre noire, la rondeur de son biceps, le creux du coude jusqu'à son poignet retourné vers moi.
C'est comme lui jurer allégeance.
Je veux qu'il sache.
Je suis à lui. Et il est à moi.
L'une de ses mains caresse mes cheveux, elle descend sur ma nuque.
– Tae... susurre-t-il.
À ce faible appel, je tourne la tête et tombe face à ses côtes, marquées, tourbillonnant vers le bas plus étroitement.
– J'ai toujours adoré ta taille, bon sang... je murmure.
Mes lèvres rejoignent ce bout de peau, mon nez la hume et je m'enivre de cette odeur si masculine et capiteuse. Pourquoi ne pourrais-je pas rester ainsi à jamais, blotti contre lui ?
Soudain, ses mains gravissent mon dos pour tirer sur ma chemise avec empressement. Ma rêverie interrompue, je caresse une dernière fois de mes lèvres sa taille avant de m'écarter. Là, je finis d'ôter mon vêtement. Il m'observe silencieusement. Son mutisme me frustre.
Je claque un baiser sur ses lèvres, fiévreuses, avant de les dévorer, sans vergogne. Le contact de nos lippes, puis de sa langue m'enflamme de l'intérieur. Je me sens dévasté par cet amas de sensations. Son corps réfugié là, contre moi. La chair de ses lèvres tremblantes. Celle de nos épidermes, électrifiés dès qu'ils se rencontrent. Nos nez qui s'effleurent.
Mes mains remontent de ses épaules à sa nuque tandis que les siennes s'accrochent à mes omoplates, elles ripent sur ma peau.
– Ne me lâche pas, je souffle.
Il me fait vivre.
– Plus jamais... Mon amour.
Sa réponse me rend fébrile.
Il me bouleverse.
Ces mots me font un tel effet que je ne peux m'empêcher de me serrer plus fort contre lui, tandis que nos langues se câlinent et que nos bouches laissent échapper des soupirs enfiévrés.
Mes lèvres embrassent une dernière fois les siennes, brièvement, avant de dériver sous son oreille, là où je sais qu'il perd les pédales. Et ça ne manque pas. Car quand je baise puis mordille la fameuse zone, il s'abandonne complètement, délaissant notre étreinte. Sa voix faiblit.
Son excitation grandit elle aussi, alors je défais sa ceinture et laisse glisser son jean sur ses hanches. Lui chasse mes doigts hésitants pour les enserrer tandis que j'égare un baiser rieur sur son nez.
– Impatient... il souffle dans mon oreille.
Tout va si vite soudain, parce que je suis nu et essoufflé.
Jungkook a inversé nos positions, il me contemple de haut avec une passion qui m'émeut tant que je ne trouve rien à dire. Ses yeux brillent comme l'univers tout entier. Calé contre les oreillers, je le vois s'éloigner, descendre, descendre vers ma virilité. J'observe son jean, glisser plus bas encore sur ses cuisses.
– T'es pas obligé Kook... je souffle, les yeux voilés par le désir.
Mais lui ne répond rien. Allongé entre mes jambes, il me laisse admirer sa chevelure brune, cascade si douce qui encadre son visage d'ange.
– Je sais... J'ai envie, c'est tout, confie-t-il.
Je sens ses lèvres baiser mon ventre. Puis la peau délicate de sa gorge vient frôler mon entrejambe. À cette sensation, je tressaillis. Bon sang, c'est déjà trop pour moi... Ses dents viennent ensuite mordiller ma hanche, avant que sa langue ne passe sur le dessus.
Il descend davantage. Je me mords aussitôt la lèvre quand je le sens déposer un baiser chaste sur le bout de mon intimité, avec une innocence et une dévotion qui me fendent l'âme. Cette simple vision...
Il va me rendre fou.
Le reste n'a plus le moindre sens pour moi. J'ai l'impression de sombrer dans une déferlante. Est-ce même possible ? Je n'arrive plus à penser clair, à voir clair.
– A-attends... je finis par souffler.
Il s'interrompt aussitôt, redressant son visage auparavant perdu entre mes jambes. Ses mèches folles, légèrement transpirantes, encadrent son visage rougissant. Et ses lèvres brillent d'un rose si soutenu que j'ai envie de mordre dedans. Entrouvertes, elles laissent échapper une respiration désordonnée.
– Ça te plaît pas ?
Si je n'étais pas dans un état second, j'éclaterais de rire tant sa question me paraît stupide.
– Retire ton jean.
J'ai tendance à devenir plus sec et expéditif quand le désir prend possession de moi. Mais il l'a toujours su, de même que ça n'a jamais semblé lui déplaire. Pour preuve, il s'exécute.
L'éclat nacré de sa peau ressort plus clair encore dans la pénombre. Je ne peux m'empêcher de caresser chaque parcelle exposée. Ses jambes m'ont toujours fasciné, avec leurs muscles saillants et leur galbe si voluptueux.
Subrepticement, j'ai comme un flash, de lui, de moi.
De nous, avant.
J'entretenais un souvenir de lui plus timide et réservé, en retrait.
Ce Jungkook...
– Viens...
Ce Jungkook sait ce qu'il veut.
Alors tel un serpent qui fond sur sa proie, je me jette sur ses lèvres.
Mais lui aussi est serpent, parce qu'il me ceinture de ses jambes pour le maintenir contre lui.
La suite se précipite. Nos instincts deviennent plus primaires et sauvages. Ils nous emportent dans un ravin de souvenirs. L'exaltation me rend possédé ; j'embrasse tout de lui, ses reins, ses fesses, ses chevilles, et il embrasse tout de moi, mon torse, mon dos, mon visage.
Puis je commence à le marquer, à l'entraîner plus loin, avec moi.
– Doucement... s'il te plaît...
– Mon cœur...
J'embrasse sa nuque, fait couler mon corps contre le sien.
Longtemps, j'ai rêvé de ce moment, de celui où l'on se confondrait, celui où je n'aurais plus besoin d'aucun mots pour lui faire comprendre ; les mots sont si fades, ils ne suffisent jamais, et je ne pense pas les maîtriser assez de toute manière.
Mon amour est de ceux qui s'expriment dans le silence.
Alors je prends le temps de tout ressentir, de le ressentir, lui, autour de moi.
Ma main cherche la sienne, elle finit par l'attraper. Il entremêle nos doigts, un simple geste qui me rassure.
Bon sang, je l'aime tellement...
Et je me sens comme au bord d'une falaise, prêt à tomber, tomber tout en bas. Juste pour lui. C'est déjà le cas de toute manière.
Il pourrait exiger n'importe quoi de moi.
Je veux l'aimer tous les jours. Je veux qu'on s'aime tous les jours.
Il commence à bouger vivement contre moi pour accélérer notre union. Pris par l'action, je l'immobilise sur le ventre sans cesser de lui faire l'amour. Tout devient brut et essentiel. Nos corps s'entremêlent tandis que je soupire de plaisir contre sa joue, mon bras posé au-dessus de sa tête.
Soudain, j'ai l'impression de m'échapper d'ici.
Et peu importe où je suis à présent, je le sens me rejoindre. Je ne veux plus le lâcher. Il est mien.
Mes lèvres s'échouent contre sa joue tandis que lui respire de manière saccadée, sans même chercher à s'écarter de moi. Il semble épuisé. Je me redresse légèrement pour le laisser reprendre son souffle, et ses esprits par la même occasion.
Après l'intimité de notre union, je ne peux m'empêcher de le contempler, retraçant dans ma mémoire chacun de ses traits détendus. Je caresse ses cheveux. Lui, exhale doucement, les paupières closes.
Il ressemble à un ange.
– Viens près de moi... m'appelle-t-il alors en ouvrant les yeux.
Aussitôt, je l'attrape par la taille et le cale contre moi. Jungkook gémit d'un air plaintif contre ma gorge, ce qui me donnerait presque envie de recommencer.
Puis je tire un bout de couette propre sur nos corps fatigués et nus.
– Merci...dit-il avant de s'endormir. Merci de ne pas me laisser.
Comment le pourrais-je seulement, maintenant ?
✿
Quand je me réveille le lendemain, Jungkook dort à poings fermés contre moi, toujours dans la même position. Décidément, notre nuit ensemble lui a ôté toutes ses forces.
Je décide de prendre une douche rapide et enfile un peignoir pour rejoindre la cuisine. Tannie a soif, alors je lui sers de l'eau dans sa gamelle et ses croquettes matinales. Puis je décide de cuisiner des pancakes.
Quand tout est enfin prêt, je pars le réveiller.
– Kook... Lève-toi bébé...
Il remue et plonge son nez dans mon oreiller tandis que j'ébouriffe sa touffe de cheveux d'une main. Il n'a jamais été du matin, ce qui m'amuse ou m'agace, en fonction des jours. Aujourd'hui, je trouve cela adorable. Surtout quand il finit par s'étirer sur le ventre, m'exposant son dos, le tissu de la couette ayant glissé dessus, et qu'il laisse échapper un lourd soupir.
– Je t'apporte le petit déjeuner au lit.
Mais il me répond d'un petit gémissement endormi.
– Non... c'est bon... Donne-moi une minute...
Une minute, tu parles. Plutôt 30 oui... Je lui rappelle que le petit déjeuner va refroidir avant de m'éclipser de la pièce.
Jungkook me rejoint au bout d'une dizaine de minutes, vêtu d'un long sweat rouge qui m'appartient, un peu grand. Quand il se penche près de l'évier pour se laver les mains, je me noie sur le tracé de ses jambes nues, aux muscles fins et tendres.
Il se retourne ensuite, après s'être essuyé les mains, et s'assoit difficilement sur la chaise en face de moi. Alors, je lui tends une assiette de pancakes avec de la confiture de fraises, sa préférée, et bien sûr, un grand verre de lait.
– Oh, merci, il sourit de plaisir en salivant devant les petites crêpes.
Nous dégustons ce petit déjeuner dans un silence bienfaiteur. Nos regards s'attrapent et je le sens timide, peut-être un peu gêné de notre nuit passée ensemble.
– Au fait... Je me posais une petite question, à propos de ta musique avec Nam... Jetlag ? je tente.
– Oh, oui ! On l'a renommée My Time finalement, me répond-t-il, surpris que j'aborde ce sujet peut-être.
– J'ai vu que Nam hyung avait déposé la version instrumentale sur le drive, et je me suis permis de l'écouter...
Jungkook plante aussitôt son regard curieux dans le mien.
– Ça a l'air super... j'avoue en le fixant intensément. De quoi ça parle ?
Le plus jeune déglutit légèrement avant qu'un léger voile sombre n'envahisse ses yeux. Il repose le bout du pancake qu'il déchiquetait entre ses doigts.
– De moi... Enfin...
Je le laisse chercher ses mots tandis qu'il se mord la lèvre en fronçant les sourcils.
– Quand j'ai commencé comme trainee, j'avais 15 ans, j'étais naïf et stupide, et puis tout est allé si vite... J'ai l'impression que ces sept dernières années ne m'appartiennent pas vraiment, d'une certaine manière. Et, aujourd'hui, j'ai du mal à comprendre qui je suis... J'ai l'impression d'avoir débuté hier...
Aussitôt, je repense à ce fameux SMS. « Je n'arrive pas à me définir. »
– J'ai l'impression de sans cesse courir après le temps... mais je ne sais pas si je cours après le futur ou le passé... C'est comme si le présent était difficile à vivre, à accepter... Comme si je vivais sur un fuseau horaire différent, poursuit-il.
Il s'interrompt et bois une gorgée de lait, son regard toujours fixé sur la table.
– Donc... ça parle de mon évolution et de comment je dis au revoir au Jungkook de 15 ans...
Quand il termine, ses yeux rejoignent les miens, qui n'ont cessés de le dévisager.
– Quoi ? marmonne-t-il, gêné.
– Rien, je réponds en continuant de le fixer.
– Tu me mets mal à l'aise...
Je détourne aussitôt le regard et entame un pancake, faisant mine de le laisser tranquille.
– Dis-moi... insiste-t-il d'une petite voix.
– C'est juste que... c'est peut-être ce qu'il te fallait. Pour avancer définitivement.
Je le laisse intégrer mes paroles.
– Ça m'a aidé à exorciser certaines choses, c'est sûr.
Peut-être bien que c'est l'âge finalement, son problème. Sa jeunesse, à l'origine de toutes ses peurs. D'un autre côté, j'ai toujours trouvé que cette fougue, cette audace et cette innocence qu'il avait en lui étaient une force indéniable.
Je décide de m'ouvrir à lui.
– Tu sais... tu n'as jamais vraiment perçu ton talent. Tu veux toujours faire plus. Parfois, ça nous fait peur, parce qu'on ne veut pas te perdre.
Jungkook ricane aussitôt.
– Mon seul talent, c'est la volonté, Taehyung. Oui, je m'entraîne beaucoup, mais plus que vous tous, j'en ai besoin.
– Non, arrête. Tu n'as pas besoin de te donner autant ! Pourquoi tu récoltes toujours des louanges, hein ? Tu crois qu'on te fait des faveurs depuis sept ans ? Tu as presque 24 ans, Jungkook, tu comprends ? Et tu n'arrives toujours pas à te voir. Enfin... Pas complètement.
Le brun me fixe silencieusement, je sais que j'ai toute son attention.
– Si tu veux voir ta vie par le prisme du temps...
Il fronce les sourcils en attente, tandis que je prends le temps de préparer mes mots.
– Laisse-moi me régler sur ton cadran.
Je le sens habité par la surprise quand il comprend mes mots et ce qu'ils représentent réellement. Ses grands yeux me dévisagent et je plonge mon regard dans le sien, parce que je veux lui faire comprendre que je ne dis pas ça à la légère.
– Je veux que nos aiguilles se rencontrent. Être avec toi, dans les bons comme les mauvais moments. Je ne pourrai plus supporter de rester loin de toi. On a qu'à vivre dans notre propre temps. Tu n'es plus tout seul.
– Tae...
Je le sens soudainement ému, ses yeux me contemplent avec tant de tendresse que je me demande si je mérite son amour. Alors je me lève, m'approche de sa chaise. Quand je le prends dans mes bras, égarant mes lèvres sur sa nuque, il attrape mon cou et m'enlace.
Il est là, juste contre moi.
Et il n'y a ni heures, ni minutes, ni secondes qui nous séparent.
Parce que sa place est ici, à mes côtés.
Je le sais.
Quelque part, je l'ai toujours su.
_____________
NDA
Voilà c'est fini : emballé c'est pesé lol. Non, je rigole, il reste un petit épilogue parce que je trouve que cette fin n'est pas forcément la meilleure... Mais bon, le chapitre est déjà beaucoup trop long, donc je me calme...
En tout cas, j'espère que vous avez apprécié le point de vue Taehyung.
Forlasas
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