Chapitre 15 - Honor
Le lendemain matin, la porte de l'appartement a à peine claqué derrière Val que je bondis du tabouret sur lequel je m'attardais à terminer mon petit déjeuner.
J'ai un dauphin à impressionner...
Je file droit à l'armoire dans un coin du salon que j'ai colonisée pour y ranger mes affaires, armée de la chaise pliante dont je m'empare au passage près de la porte vitrée donnant sur le balcon, et je grimpe dessus pour accéder à l'étagère la plus haute – avec mon mètre cinquante-cinq, inutile d'espérer m'en sortir sans. Je me fends d'un large sourire lorsque je constate que ce que je suis venue chercher est pile là où je le pensais.
Mes pompons de cheerleading...
Argentés, ils sont striés de fils bleus et oranges : les couleurs du lycée de Danbury où j'étudiais l'an dernier – qui sont, par chance, aussi celles de la WestConn. À ma rentrée de terminale, fraîchement débarquée dans le Connecticut, j'ai passé les essais pour rejoindre l'équipe : avec mon background en danse, je les ai réussis haut la main. J'aurais pu tenter de reprendre la moderne, ou même m'essayer à un autre style... mais j'avais envie de changer d'activité. D'un nouveau départ, aussi largement que possible. Je ne regrette pas mon choix une seule seconde : au cheerleading, je me suis éclatée, et c'est comme ça que j'ai rencontré Amelia. Avec notre entrée à la fac, nous avons raccroché nos pompons, parce qu'avec nos études, nous craignions de manquer de temps. Ils vont cependant reprendre du service ce matin, pour un show très particulier...
Mon matériel récupéré, je descends de mon perchoir et entreprend de caler mon téléphone sur la table basse, contre une pile de livres – contrairement à Theo, je n'ai pas de trépied, moi. J'ai besoin de m'y reprendre à plusieurs fois pour obtenir un cadrage satisfaisant, sans contre-plongée peu flatteuse ni arrière-plan douteux. Enfin, j'en suis satisfaite... et il me reste à passer à l'étape cruciale.
Me dénuder.
C'est étonnant. Je retire mes vêtements tous les jours dans ce salon, sans arrière-pensée – pour me mettre en pyjama, ou me préparer pour la journée. Au-delà de ça, me déshabiller face à mes plans culs est une étape que je n'appréhende plus depuis bien longtemps. Je suis à l'aise avec mon corps, et je le montre facilement, sans la moindre pudeur.
Pourtant, ce matin, alors que je suis seule dans la pièce, qu'il n'y a personne pour m'observer... je me sens fébrile. Lorsque je saisis le bas de mon t-shirt de nuit pour le passer par-dessus ma tête, j'ai l'impression de sentir précisément chaque parcelle de tissu en contact avec ma peau. Les fenêtres ont beau être fermées, je ressens un courant d'air sur ma poitrine, qui se couvre de chair de poule tandis que mes tétons se tendent.
C'est comme si le regard de Theo était déjà là, sur moi. Intense, brûlant – autant que sur sa photo d'hier. Que ces coulisses du shooting que je prépare, c'était déjà un show rien que pour lui. Au moins, je me mets dans l'ambiance, c'est clair. J'ai la sensation que le silence dans l'appartement se fait plus lourd, chargé de son désir avec lequel je m'apprête à jouer, du mien que je transforme en arme de séduction.
Au vu du plan que j'envisage, je pourrais garder mon pantalon – personne ne s'en rendrait compte. Mais moi non plus, je ne suis pas une tricheuse. Ce que j'entreprends, c'est toujours à fond. Alors je fais glisser mon jogging sur mes jambes, puis ma culotte. La caresse de la dentelle sur mes cuisses m'enflamme encore un peu plus.
Et voilà, je suis fin prête. Nue. Je m'agenouille face à mon portable, allume l'appareil photo. Comme je l'avais calculé tout à l'heure, il me capture à partir de la taille. J'attrape mes pompons et les croise devant ma poitrine ; ils sont largement assez gros pour dissimuler entièrement mes seins. J'évalue l'image que j'offre : mes cheveux blonds viennent caresser la peau de mes épaules, mon dos se cambre, comme saisi en plein mouvement, et ma bouche que j'entrouvre semble prête à susurrer un scandaleux secret...
Oui, je suis à la hauteur du défi que m'a lancé Theo. Avec exultation, je lance plusieurs rafales, et prends ensuite plusieurs minutes pour choisir mon image préférée parmi les résultats. Elle est parfaite, sensuelle et tentatrice.
Je suis prête à parier que dans quelques minutes, ce sera à son tour d'être consumé par l'envie. Il ne pourra s'en prendre qu'à lui-même : ce jeu entre nous, c'est lui qui a tenu à l'initier. Il ne veut pas lâcher l'affaire : qu'il en paye les conséquences. Je n'ai jamais prétendu être autre chose qu'un soleil auprès duquel il se brûlera les ailes.
J'ouvre Instagram et tape rapidement une légende. Quelques secondes plus tard, ma photo est postée.
@hnr.wrd : Un plan B, moi ? Jamais... #abc #CàTonTour
J'aimerais poser mon téléphone ensuite, attendre patiemment la réaction de Theo... mais je n'y parviens pas. À la place, je reste là, mon portable en main, agenouillée sans songer à me redresser ou à me rhabiller. Et tout mon corps vibre quand il s'agite dans ma paume... sauf que si c'est bien ma photo qui fait parler d'elle, ce n'est pas le nageur qui m'écrit : c'est le groupe WhatsApp de mes anciennes coéquipières du cheerleading qui démarre au quart de tour.
@robyn.ogson : Honor ! Ces pauvres pompons n'avaient rien demandé.
@purpleely : Si le directeur était tombé là-dessus l'an dernier, tu aurais été bonne pour te faire exclure du lycée au moins une semaine.
@hnr.wrd : Une chance que je sois partie à l'université, du coup, non ?
Robyn comme Lily ajoutent un pouce à mon message – preuve que ma photo les amuse plus qu'autre chose. Pour ma part, je surenchéris avec un emoji angélique, et ajoute :
@hnr.wrd : Je veux juste soutenir les sportifs de ma nouvelle fac comme il se doit !
@purpleely : Et tu en as soutenu combien, comme ça, depuis la rentrée ?
@hnr.wrd : Juste un.
@hnr.wrd : Les autres n'étaient pas dans les programmes athlétiques...
@robyn.ogson : Eh ben, certaines choses ne changeront jamais...
@ameliarichmont : Honor est trop forte. Elle a emballé le troisième année le plus canon de la WestConn dès la première soirée de fraternité.
@hnr.wrd : En même temps, ce n'est pas comme s'il avait été difficile à convaincre...
Robyn et Lily s'emballent, posant question sur question pour en apprendre davantage – Amelia et moi sommes les seules à être parties à la WestConn : elles ont rejoint d'autres universités à travers le pays, et nous étions de toute façon moins proches à l'origine. Nous échangeons ponctuellement des nouvelles depuis la rentrée, mais elles sont loin de suivre nos vies en détail – pas plus que moi les leurs. Voilà l'occasion d'en prendre, et elles la saisissent, bientôt imitées par Clarissa, Courtney et Michelle à mesure qu'elles se connectent.
Moi, je me désintéresse de la discussion dès qu'une notification m'apprend que j'ai reçu un nouveau message privé sur Instagram. J'appuie dessus trop vite, sans réaliser qu'il ne vient pas de Theo.
@eagleshark08 : Espèce de pute. Tu devrais avoir honte, salope.
Pas de photo de profil, pas d'abonnés ni d'abonnements. Un compte anonyme.
Très courageux, ça.
Je supprime la conversation sans me laisser atteindre. Des insultes de ce genre, ce n'est pas la première fois que j'en reçois, et je suis prête à parier que ce ne sera pas la dernière. Et s'il m'est impossible de deviner qui exactement est derrière ce profil, je suis quasiment certaine que si je pouvais en localiser l'IP, j'obtiendrais une adresse à Clarksville, Texas. Presque tous ceux que j'ai laissés derrière moi sont des suspects potentiels – même ceux que j'appréciais à l'époque, je suis assez désabusée pour en être convaincue. Ça pourrait être Charles, le copain si parfait de Prudence. Je n'ai jamais oublié ses yeux si pleins de haine quand je me suis levée ce jour-là, en pleine église. Ou bien Emma, ma meilleure amie d'enfance, qui a enfoncé ses doigts dans mon bras à m'en faire mal, tirant pour que je me rassoie sur le banc à côté d'elle, sifflant que ma sœur ne voudrait pas que je fasse un scandale. Ça pourrait être Elijah, son frère, avec qui je n'ai jamais voulu sortir, et qui a été l'un des premiers à me cracher aux pieds lorsque je me suis retrouvée sur le parvis. Ça pourrait être Alfie, Greg, Bessie... Ça pourrait même être mon père, pour ce que j'en sais – en fait, je crois que ce qui me surprendrait le plus si je le découvrais, c'est qu'il ait appris à se servir d'Instagram.
Oui, ça pourrait être n'importe lequel de ceux face à qui je n'ai plus pu supporter la trame de mensonges qu'ils tissaient comme linceul de la vérité. Face à qui j'ai explosé, tout exposé. Eux que je voulais secouer, et qui ont repris leur petite vie exactement comme si rien n'avait changé une fois que je n'ai plus été là pour leur coller le nez dans leur cloaque. Je le sais : parfois, moi aussi, couverte par l'anonymat qu'offre Internet, je fais un tour sur leurs comptes, voir ce qu'ils deviennent – même si je prétends que je n'en ai plus rien à faire, il arrive que quelque chose en moi se scandalise. Que je me dise qu'ils ne peuvent pas y arriver, maintenir sur tout ça un couvercle hermétique pour étouffer ce qui ne leur plaît pas et prétendre que leur monde tourne toujours sur la même orbite.
Les photos de Charles, un bras autour de l'épaule d'une Emma souriante, me prouvent que si. Ou encore le ventre arrondi de Bessie, agrémenté de messages célébrant « le plus grand bonheur qu'une femme puisse connaître ».
Mais sous le vernis, je sais la crasse qu'ils dissimulent, tous autant qu'ils sont. Ces insultes venimeuses, crachées depuis l'obscurité, cela leur ressemble bien.
Qui qu'en soit l'auteur, il ne réalise pas qu'elles le salissent bien plus que moi.
Il n'empêche que d'un coup, je frissonne – ce qui me décide à me rhabiller. Mine de rien, nous sommes le 30 septembre, et il commence à faire un peu froid. Je récupère ma culotte, mon jogging, mon t-shirt ; vais ranger mes pompons en haut de leur armoire.
Comme pour me récompenser, lorsque je reviens à la table basse, le message que j'attends est là.
Theo m'a écrit.
@the.theo.dwight : Avec une photo comme ça, ne t'inquiète pas, tu ne seras jamais mon plan B. Il n'y a que deux lettres qui t'aillent.
C'est un appât, je le sens. J'y mords quand même.
@hnr.wrd : Deux ? Lesquelles ?
@the.theo.dwight : A... et Q.
Je pouffe, ce qui lui laisse le temps d'ajouter :
@the.theo.dwight : Blague à part, tu es magnifique. Non que j'aie eu le moindre doute à ce sujet.
Lui ne cherche pas à dissimuler ses compliments ; pas comme moi qui face à sa photo d'hier n'ai su que trouver des manières de jouer avec son ego. Parce que passer au premier degré, ce serait faire un pas de trop vers l'avant, sans doute. Je flirte déjà avec mes principes en acceptant ce jeu : je ne suis pas prête à accepter ce qui ressemblerait à un début d'attachement. Mais de la part de Theo... sa remarque appréciatrice me fait sourire.
Mine de rien, après les insultes anonymes d'@eagleshark08, elle est la bienvenue.
@hnr.wrd : La balle est dans ton camp, maintenant. Tu as déjà prévu ton prochain coup ?
@the.theo.dwight : Évidemment. Ne t'inquiète pas, tu ne m'auras pas à l'usure. Je répliquerai autant de temps qu'il le faudra.
@hnr.wrd : Attention, l'alphabet n'a que 26 lettres.
@the.theo.dwight : Heureusement que j'ai fait une initiation au chinois en seconde, alors. Avec tous les idéogrammes, je devrais avoir de la réserve.
Le pire, c'est que je le crois tout à fait capable de s'accrocher aussi longtemps... et d'imaginer toutes les photos que cela signifierait recevoir, me voilà soudain à saliver.
***
Theo a peut-être de l'endurance... moi pas. Résister à la tentation que ce challenge entre nous représente devient un peu plus difficile à chaque jour qui passe.
Dès le lendemain soir, il poste son C sur Instagram. Il est assis, de dos, sur ce qui ressemble à un toit de l'un des bâtiments du campus ; un plaid autour de sa taille couvre ses fesses – même s'il tombe bas sur ses reins –, me permettant cependant d'admirer ses muscles puissants. Lui a le regard tourné vers le ciel, ce à quoi sa légende fait écho : « J'attends que la nuit s'illumine d'une étoile ».
Ce qui est certain, c'est que cela nous donne encore l'occasion d'échanger des messages emplis de sous-entendus, qui font monter sans mal ma température intérieure. J'ai besoin d'aller prendre une douche froide pour la faire redescendre, et me répéter que j'ai décidé que je ne craquerais pas pour une deuxième nuit – bien que les arguments qui me semblaient autrefois inébranlables me paraissent de moins en moins convaincants.
Au moins, cela me donne une idée pour le D, photo du lendemain. Il y a une baignoire dans la salle de bains de ma tante ; après les cours, je m'y enferme et fais couler de l'eau avec du savon jusqu'à disposer d'une bonne quantité de mousse. Ensuite, je me glisse à l'intérieur et la ressemble devant mon corps. L'image atterrit sur mon profil assortie d'un simple « Toute mouillée ».
Theo n'a pas à chercher très loin pour rebondir de manière salace.
La journée du vendredi, je la passe pantelante. Les symptômes sont clairs : avec l'excitation que nos échanges ont fait monter en moi, je suis en manque de sexe. Pendant un cours de chimie organique particulièrement soporifique, j'ai bien du mal à recentrer mon esprit pour qu'il cesse de se perdre en images bien plus attrayantes. Je sais que les photos de Theo m'arrivent le soir : je compte les heures qui m'en séparent. Et alors que la nuit tombe, le temps me paraît s'écouler de plus en plus lentement.
Enfin, le voilà, son E. Il est chez lui, en train d'étudier dans son lit ; c'est son manuel ouvert qui se charge de préserver sa pudeur. Il porte des lunettes à monture épaisse que je ne lui connaissais pas, et qui lui donnent un air intellectuel en total contraste avec sa pose lascive. « Tant de choses à apprendre... », voilà ce qu'il a écrit pour l'accompagner.
Mon esprit bouillonne d'idées pour ma prochaine manche. D'autres manières de me montrer aussi séductrice que lui, de le mettre à mes genoux. Des courbes dévoilées, des regards de braise, des soupirs muets capturés dans une brume de pixels. Sauf que tout cela, c'est une autre pensée qui les court-circuite.
Je n'en peux plus. Je n'y tiens plus.
Tant pis. J'admets ma défaite.
A, B, C, D, E... Fuck.
Avant d'avoir pu y réfléchir, j'ouvre notre conversation privée et j'envoie :
@hnr.wrd : Tu es chez toi ?
@the.theo.dwight : En train de potasser mes cours comme l'étudiant parfaitement sérieux que je suis, tu viens d'en avoir la preuve.
@hnr.wrd : OK. Reste exactement comme ça, parce que j'arrive dans dix minutes.
Sur ce, je prends tout juste le temps de me changer – malgré tout, je veux réserver à Theo une dernière surprise – puis je me mets en route, aiguillonnée par le désir qui a réussi son coup d'état sur mon être.
***
Salut à tous ! Retrouver Theo et Honor pour un seul chapitre, ce n'était pas assez : en voici un deuxième pour rester un peu plus longtemps dans leur dynamique avant que je ne me replonge dans mes plans sur le tome 3 de Réseau Royal !
Finalement, la résolution d'Honor s'effrite... Pensiez-vous qu'elle résisterait plus longtemps ? Qu'avez-vous pensé de cette séquence de challenge entre eux ? J'ai beaucoup ri de mon côté en tout cas !
Mais bon, tout ça, ce n'est que du charnel pour l'instant... Avez-vous des idées de la manière dont leur relation pourra évoluer ?
J'espère aussi que Theo en tant que héros principal est à la hauteur de ce qu'il vous avait laissé entrevoir dans les tomes précédents !
Rendez-vous dès que possible pour la suite 💙
Camille Versi
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro