Chapitre 4
— Salut, Alban, c'est ça ? demandé-je une fois face au comptoir.
L'homme en question continue de laver la vaisselle des derniers clients, m'ignorant totalement. Le propriétaire n'avait pas spécifié que son fils était sourd.
Je secoue donc ma main devant son visage et cette fois-ci, il relève les yeux vers moi. Son regard noir me terrifie encore plus que celui de Madeleine. Pourtant, je suis certaine de n'avoir rien fait pour mériter un tel accueil. En plus, je suis une cliente régulière, ne devrait-il pas se montrer plus aimable ? Au moins faire semblant. Parce que là, j'ai l'impression d'avoir tué son chat.
— Oui ? demande-t-il entre ses dents serrées.
Wow, si c'est lui qui reprend le business familial, ça va être une catastrophe. J'espère que Rob' a un autre fils qui pourra reprendre le flambeau, un fils plus commercial.
— J'ai une demande un peu farfelue. Je sais qu'elle peut paraître totalement loufoque, débile, intrusive, déplacée...
— J'ai compris l'idée, abrège. Par contre, nous ne ferons pas de vin mélangé au lait écrémé.
Le fait qu'il me tutoie et me parle de manière aussi froide me bloque un instant dans ma requête, mais la deuxième phrase me laisse perplexe et me fait passer outre ses mauvaises manières.
— Pardon ?
— Je ne sais pas pourquoi, mais les clients de ce café nous demandent souvent ce genre de mélange et c'est non. Nous ne vendons même pas d'alcool.
— Ce n'est pas l'objet de ma demande, marmonné-je, mal à l'aise.
S'il s'emporte autant pour un mélange vin - lait écrémé, qu'est-ce que ça va être quand je vais lui demander de jouer mon petit-ami. Ça va être la honte absolue. Je crois que je ferai mieux d'appeler la chambre funéraire avant de plonger dans le grand bain.
— Alors, quoi ? J'ai un café à faire tourner, mon père est à un rendez-vous à la banque.
— Oh ! Euh... Comme vous devez le savoir, j'écris de livres.
— Ah, c'est donc ça que tu fais à longueur de journées sur ton ordinateur. Je pensais que tu étais au chômage.
— Quoi ?
Ce type a le don de me couper la parole, de me tutoyer alors que nous ne nous connaissons pas, et d'être insultant chaque fois qu'il ouvre la bouche. Est-ce vraiment une bonne idée ? Peut-être devrais-je battre en retraite. Je dirai à Madeleine que la mission a échoué. Après tout, les fakes dating, ça n'existe que dans les livres !
Cependant, je me suis promis pas plus tard que quelques minutes plus tôt que je ferai tout pour écrire cette romance et sauver ma carrière. Peut-être n'est-ce qu'un test pour voir si je mérite bien d'être autrice. Prenons le comme ça. Ce n'est pas ce type qui va m'empêcher d'écrire mon roman ! Ou peut-être que si, s'il répond défavorablement à ma demande. Mais ça ne sert à rien de trop réfléchir, il faut juste se lancer !
Ainsi, je prends une grande inspiration pour me donner du courage et déballe d'une traite pour ne pas être interrompue :
— Je suis une autrice de science-fiction mais ma maison d'édition accepte de publier mon prochain roman qu'à la condition que ce soit une romance. Des histoires de tendances, d'argent, et tout ce que je ne gère pas du tout parce que tout ce que je sais faire, c'est mettre des mots sur une page. Enfin, c'était ce que je pensais, jusqu'à ce que je réalise que je n'y connais rien en histoire d'amour, et même après avoir fait des tonnes de recherche, mon premier jet est nul alors je me retrouve dans une impasse. C'est pour ça que j'aurais besoin de votre aide. Je reporte toute la responsabilité sur mon éditrice, mais elle a suggéré de faire semblant de sortir avec quelqu'un pour que je puisse m'en inspirer pour écrire. Elle a plus d'expériences dans l'édition, et elle m'a souvent été de bons conseils, alors je me suis dit que ça ne devrait pas être une mauvaise idée. Donc, je me retrouve là, devant vous, à vous demander si vous accepteriez d'être mon faux petit-ami le temps de l'écriture de mon roman.
Essouflée par ma longue tirade, je reprends ma respiration tandis que je continue de fixer le bout de mes converses usées. D'après la chaleur qui se répand dans tout mon visage, je dois être rouge comme une tomate et le mal aise qui me gagne ne cesse de croître au fur et à mesure que le silence s'allonge.
J'ose relever la tête et croise le regard d'Alban qui me dévisage comme si un troisième œil venait d'apparaître sur mon front.
Je savais que c'était une mauvaise idée, je l'ai dit à Madeleine, mais comme d'habitude, elle a su me convaincre et me voilà dans une position très délicate. N'aurais-je pas pu demander à queqlu'un d'autre plutôt qu'au fils du propriétaire du café dans lequel je me rends tous les jours ? Après avoir reçu l'humiliation du siècle, je n'oserai plus jamais mettre les pieds ici. Mon Dieu, dans quoi me suis-je fourrée ?
— Ton faux petit-ami ? répète-t-il, incrédule.
— Oui, Madeleine est certaine que ça m'aidera à écrire des scènes plus réalistes.
— Je ne suis pas expert, mais tu devrais plutôt t'inspirer des relations passées que tu as eues.
Je ferme les yeux, j'ai déjà eu cette discussion, et c'est déjà assez honteux d'avouer à mon éditrice que je n'ai eu aucune relation amoureuse alors que j'approche la trentaine, alors devant cet inconnu impoli, c'est bien pire.
— C'est pas vrai ! s'exclame-t-il en comprenant. Pourquoi ne pas demander à des amis, dans ce cas ?
— Je n'en ai pas, marmonné-je.
Cette fois-ci, lorsqu'il me dévisage, c'est comme si une seconde tête m'était poussée. C'est une mauvaise idée. Je n'aurais jamais dû demander une telle chose. C'est tellement absurde !
— Laisser tomber, c'était débile de ma part de vous demander ça.
Je m'apprête à faire demi-tour lorsque sa main enserre mon bras par-dessus le comptoir.
— Attends, je crois qu'on peut trouver un terrain d'entente.
— Pardon ?
Cette fois, c'est à mon tour de le dévisager. Est-il vraiment en train d'envisager que nous formions un faux couple ?
— Qu'est-ce que vous y gagneriez ? demandé-je. Hormis une dédicace dans mon livre, je n'ai pas grand chose à vous offrir.
— Mon père ne veut pas me céder le café tant que je n'aurais pas une relation stable, car selon lui, je ne devrais jamais faire passer le travail avant l'amour. Même si je pense être assez grand pour définir mes priorités, impossible de le convaincre de changer d'avis. Alors, si tu joues ma petite-amie, je pourrais reprendre les rênes du café et le modifier à mon image.
Toutes ces informations se mélangent dans ma tête. Sommes-nous réellement en train d'accepter ce deal loufoque ? Moi, j'aurais mon livre, lui, le café, et tout est bien qui finit bien.
Finalement, ce n'était pas si terrible. Je ne fais pas face à l'humiliation cuisante que j'imaginais ressentir. Au contraire, un sentiment d'excitation commence à naître dans le creux de mon ventre.
Mes yeux se posent sur les doigts qui enserrent toujours mon bras et Alban me dégage comme s'il venait de se brûler. Je continue de le dévisager quelques secondes supplémentaires, pensant le pour et le contre, comme si c'était lui qui venait de me proposer de simuler d'être en couple. Les étoiles sont peut-être avec moi à présent et je compte bien profiter un maximum de la chance qui s'offre à moi, hors de question de la laisser filer.
— Marché conclu ? demande-t-il en me tenant sa main.
— Marché conclu, approuvé-je en lui scellant notre accord d'une poignée de mains.
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