Chào các bạn! Vì nhiều lý do từ nay Truyen2U chính thức đổi tên là Truyen247.Pro. Mong các bạn tiếp tục ủng hộ truy cập tên miền mới này nhé! Mãi yêu... ♥

Entretien

12 décembre 2014

Une pluie fine et glacée, une de celles qui vous gèlent jusqu'à l'os si vous avez la malchance de vous retrouver dehors, arrose Portland depuis des jours. Il y a de la brume partout, il fait sombre et froid. Un temps à rester couché. J'ai hâte que la journée se termine pour pouvoir apprécier une soirée tranquille avec une bonne bière devant la télé. Avant ça, j'ai encore un entretien à faire passer. Le cabinet d'avocats d'affaires pour lequel je travaille, qui est accessoirement l'empire bâti par ma mère, recrute un nouvel associé censé travailler en étroite collaboration avec moi. Comme je suis du genre à être ridiculement exigeant, le département des ressources humaines a préféré me laisser conduire les entretiens moi-même. J'ai déjà reçu sept des huit candidats à qui on a gracieusement proposé un entretien. Tous étaient des gamins arrogants que je renverrais volontiers à la fac à cause les conneries qu'ils m'ont débité. J'ai besoin de quelqu'un d'opérationnel, pas de quelqu'un qui me fera rouler des yeux à longueur de journée.

D'ailleurs, la dernière candidate de la journée et seule femme du lot promet d'être un sacré numéro en matière de roulage des yeux. Sa lettre est peut-être impeccablement écrite, convaincante même, son parcours est pour le moins... atypique. Elle s'est lancée dans le droit tardivement après des errements en tant que commerciale, puis bibliothécaire dans un trou perdu du Wyoming que j'ai dû situer sur une carte pour m'assurer qu'elle ne l'avait pas inventé. Outre son expérience limitée en tant que juriste, elle n'a même pas son diplôme d'avocat. Pourquoi les RH ont décidé de me faire perdre mon temps de cette façon, je l'ignore. Sans doute leur manière un peu tordue de se venger de moi après que je leur ai fait réécrire la fiche de poste une bonne vingtaine de fois. De toute façon, je compte conclure l'interview en moins d'un quart d'heure.

Je suis encore planté devant les grandes baies vitrées de la salle de réunion, les mains dans les poches de mon pantalon avec Portland à mes pieds lorsque ma secrétaire fait entrer Caitlin Callaghan. Je pivote, et je suis sidéré sur place en la découvrant.

La jeune femme qui se tient face à moi n'a rien de la vagabonde un peu louche que j'ai imaginée en lisant son CV. Elle porte des escarpins aux talons vertigineux avec une robe couleur crème, qui moule son corps tout en courbes élégantes, et qui s'arrête juste un peu au-dessus de ses genoux. Des signes indéniables de son audace et de son assurance vu le temps qu'il fait. Sa chevelure rousse flamboyante tombe en cascades ondulées sur ses épaules. Je suis englouti par ses grands yeux vert émeraude, soulignés par du maquillage. L'aura qu'elle dégage est quasi féérique, en tout cas envoûtante. Et lorsque ses lèvres peintes en rouge framboise s'étirent en un sourire chaleureux et sincère, je bande. Mes narines frémissent d'agacement. Je déteste être à la merci d'une femme de cette façon, en particulier dans le cadre professionnel. Ça renforce ma détermination à écourter au maximum notre entrevue.

— Caitlin Callaghan, se présente-t-elle avec un accent irlandais prononcé. Je suis ravie de faire enfin votre connaissance, monsieur Evans.

— Je vous en prie, installez-vous, je dis contrit en désignant de la main le siège qui fait face au mien.

La grande table en verre ne m'a jamais parue si petite. J'ai l'impression que je peux tendre la main et toucher cette femme. Sans se départir de son sourire, elle s'assoit et sort un petit calepin et un stylo à bille de marque de son sac à main. Je me laisse tomber dans ma chaise en retenant un soupir. Avec mon érection, il me faut quelques secondes qui me paraissent des heures avant de trouver une position confortable. Pour me donner un peu de temps supplémentaire, je rassemble les documents devant moi et fais semblant d'étudier le CV que je connais déjà presque par cœur.

— Bien. Mademoiselle Callaghan...

— Kate, me corrige-t-elle.

Je relève les yeux vers elle, dérouté par son attitude ouverte, sympathique. Dans le monde froid et impersonnel dans lequel j'ai grandi, il n'y a pas la place pour les sourires radieux comme le sien, ni pour son calme à un entretien de ce niveau. Qu'est-ce qu'elle fout là, bon sang ?!

— Kate, je répète au ralenti, savourant au passage son prénom sur ma langue. Je ne vous cache pas que je suis curieux de savoir ce qui vous amène ici. Vous avez travaillé dans l'hôtellerie, puis dans le commerce, et enfin vous avez été bibliothécaire...

— C'est votre question ? réplique-t-elle. Qu'est-ce que je peux bien faire ici ?

Frustré, je ferme les yeux l'espace d'une seconde. Je viens de lui donner l'avantage : c'est elle qui mène la discussion.

— Oui.

— Je suis arrivée aux États-Unis à dix-neuf ans, m'explique-t-elle sans se laisser démonter. J'ai suivi mon petit-ami de l'époque, que j'ai rencontré à Dublin dans l'hôtel où je travaillais en tant que réceptionniste, et où il séjournait. Je suis tombée sous son charme : à la fin de l'été, je suis partie avec lui contre l'avis de ma mère. Par fierté, je ne suis pas rentrée chez moi lorsque nous avons rompu quatre mois plus tard. Je me suis débrouillée comme j'ai pu pour survivre, d'où mon passé dans le commerce et à la bibliothèque de Cody.

— Pourquoi le droit des affaires ? Vous n'étiez pas heureuse à Cody, à ranger les trois livres en leur possession ?

Son sourire ne disparaît pas. Malgré mon hostilité, elle répond avec le même naturel que depuis le début.

— J'ai fait ce que j'avais à faire pour payer mes factures et avoir de quoi manger, monsieur Evans.

— Et vous étiez tellement bien payée que vous avez même pu financer vos études à l'Université de Chicago, classée cinquième parmi les meilleures facs de droit du pays..., j'ironise.

À mon attaque, ses traits se figent juste assez pour que je m'en rende compte, mais elle reste calme et ouverte. Je l'admire. À sa place, j'aurais déjà perdu patience et foutu le camp. Mes yeux descendent sur ses mains, posées devant elle. Je suis persuadé que si je touche ses doigts, ils seront glacés. Malgré moi, je remarque qu'elle ne porte aucun bijou, pas même une montre. Elle n'a qu'un collier en perles autour du cou, et des boucles d'oreilles assorties.

— Le comment me regarde, monsieur Evans. Ce qui vous concerne, c'est mon diplôme, peu importe la façon dont je l'ai obtenu.

— Vous voulez vraiment ce boulot, n'est-ce pas ? je lâche au moment où je parviens à cette conclusion.

Ma question est stupide ! Non seulement elle a répondu à l'annonce, mais en plus elle s'est présentée à l'entretien et continue à répondre poliment à mes interrogations déplacées.

— Oui, reconnaît Caitlin en soutenant mon regard.

À son aveu honnête, je fais un effort pour me montrer plus professionnel. Je lui pose la même série de questions qu'aux autres candidats, et j'écoute ses réponses avec intérêt. Elle connaît bien notre firme, ses clients les plus importants, notre politique. Lorsque je donne des précisions sur le poste, les dossiers en cours et les principaux associés avec lesquels je travaille, la jeune femme prend des notes avec un grand soin. Elle pourrait faire l'affaire, mais elle manque d'expérience. De plus, je ne suis toujours pas convaincue par son parcours et ses motivations. Elle semble le percevoir car au moment où je m'apprête à conclure l'entretien, elle reprend la parole :

— Monsieur Evans, je sais que tout dans mon parcours vous crie que je n'appartiens pas à votre univers, et c'est vrai, je ne le cache pas. J'ai aussi beaucoup à apprendre, mais je peux vous assurer qu'en attendant d'arriver à votre niveau, je fournirai un travail irréprochable. Je connais votre réputation, la réputation de votre firme. Je suis là pour apprendre du meilleur dans la profession. Vous pouvez être certain qu'en retour, vous aurez le meilleur de moi.

— Arriver à mon niveau ? je répète amusé. Qu'est-ce qui vous fait croire que vous parviendrez à m'égaler un jour ?

— Je le sais, c'est tout. Tout ce dont j'ai besoin, c'est d'un peu de temps et d'une chance de vous le montrer.

— Le temps de vous former est justement ce que je n'ai pas, mademoiselle Callaghan. Au cas où vous auriez mal lu l'annonce, nous voulons quelqu'un d'expérimenté, et d'immédiatement prêt à travailler. Si vous estimez que vous avez encore des choses à apprendre, les stages sont faits pour ça.

Ses grands yeux s'assombrissent, un frisson lui parcourt l'échine. Une beauté brute émane de son visage, m'hypnotise un peu plus.

— Vous m'avez mal comprise, monsieur Evans. Vous voulez quelqu'un d'opérationnel ? Je le suis. Je peux faire le travail que vous demandez aussi bien que la moyenne des autres juristes à ce niveau, peut-être mieux. Mais je ne veux pas me contenter de bien travailler : je veux exceller. Et pour cela, je souhaite apprendre avec les meilleurs. L'entreprise pour laquelle j'ai travaillé ces neuf derniers mois ne vous dit vraiment rien, n'est-ce pas ? ajoute-t-elle.

— Ça devrait ? je rétorque avec arrogance.

Pris d'un doute, je baisse les yeux sur son CV, et je note ce que j'ai loupé jusqu'à présent. Elle a travaillé chez Simons & Co, une boîte pionnière dans les nanotechnologies. Un client que j'ai perdu il y a moins de deux mois à cause de failles juridiques repérées par leur juriste qui ont failli leur faire perdre plusieurs brevets, et un procès pour la paternité d'une découverte majeure. C'est ce qui a valu le renvoi de mon précédent associé.

Lorsque je soutiens à nouveau le regard de Caitlin Callaghan, ses yeux brillent de satisfaction. C'était elle la juriste. Un élément qui me fait entièrement revoir mes critiques à son égard.

— C'était vous, je dis choqué.

— A votre décharge, les points qui vous ont échappés étaient tellement techniques que n'importe qui les aurait ignorés. J'ai eu la chance de baigner dans ce jargon scientifique pendant des mois, voilà pourquoi j'ai vu ce que vous avez manqué.

— Je ne suis pas n'importe qui, je lui rappelle sèchement.

— Je le sais, répond-elle d'un ton maîtrisé, sans insolence. C'est pour cela que je suis là aujourd'hui. Cette anecdote ne vous indique rien ?

— Si : que vous êtes probablement une chieuse hors-pair, qui retiendra le moindre de mes faux-pas contre moi.

— Pourquoi pas... Je pensais plutôt à quelque chose comme polyvalente et méticuleuse, mais allons-y pour chieuse hors-pair.

Je ne sais pas à quoi cette femme joue – je suis incapable d'interpréter l'éclat dans ses yeux d'émeraude ou même le rose sur ses pommettes – mais je sais qu'il faut que je mette fin à cette mascarade. Je me lève comme si j'étais monté sur ressort. Elle est surprise, mais elle ne dit rien. Elle attend que je m'explique.

— Merci d'avoir pris le temps de venir aujourd'hui, nous reviendrons vers vous dans les meilleurs délais pour vous faire connaître l'issue de la sélection, j'annonce comme à tous les autres.

— Merci à vous, monsieur Evans, répond-elle en se levant après avoir rangé ses affaires dans son sac.

Elle me tend une carte professionnelle et ajoute :

— Je suis joignable à ce numéro et/ou par email s'il y a des points que vous aimeriez clarifier.

Ça ne sera pas nécessaire, je lui assure sans prendre la carte.

Si ma froideur l'affecte, elle ne le montre pas. Elle m'offre un nouveau sourire qui vient du cœur, un de ceux qui contaminent les yeux. J'ai l'impression que quoi que je dise à cette femme, elle ne se mettra jamais en colère, elle ne se laissera pas atteindre. J'ignore si c'est parce qu'elle n'en a plus rien à foutre à ce stade, ou si c'est parce qu'elle est si confiante en ses atouts que mon attitude ne la blesse pas. Ou peut-être qu'elle a vu tellement pire que mon comportement n'est rien en comparaison. Je tends la main. Caitlin la serre sans hésiter avec la même chaleur que son sourire. Contrairement à ce que je pensais, ses doigts sont tièdes, sa peau douce. Quelque chose qui m'ébranle bien plus que je ne l'aurais imaginé.

— Au revoir, monsieur Evans.

— Au revoir, mademoiselle Callaghan.

Je lui tiens la porte, mais je ne la raccompagne pas aux ascenseurs. J'en suis incapable. Ce je-ne-sais-quoi qu'elle dégage a parasité les cellules de mon corps, autant éviter de rester exposé plus qu'il ne le faut.

Seul dans la salle de réunion, je passe les mains dans mes cheveux en me sentant à la fois épuisé et submergé par l'intensité de ma rencontre avec Caitlin. J'essaye de faire le point pour me construire une opinion sur elle, mais à part le fait qu'elle ait agréablement flatté mon ego, et que j'ai été séduit par son assurance sans fioritures, je ne me fais pas confiance sur le reste. Je me sers un verre d'eau, prenant conscience au passage que je ne lui ai même pas proposé à boire.

Frustré, je me rends dans le bureau de ma mère et y déboule sans être invité. Elle lève les yeux de son écran avec une expression de surprise. Pour m'empêcher d'aller vers son placard à alcool, je me laisse tomber dans le sofa rouge pétant.

— Comment je peux t'aider, James ? ironise-t-elle.

Ses yeux, gris acier, sont aussi froids que le métal et me transpercent lorsqu'ils se posent sur moi. J'ai les mêmes qu'elle, mais j'aime prétendre qu'ils sont un peu plus expressifs et chaleureux.

— Commence par m'expliquer pourquoi j'ai passé ma journée à interviewer des incompétents.

— Tu exagères, James...

— Tu veux que l'on parle de la réceptionniste/commerciale/bibliothécaire irlandaise ? je demande avec mauvaise foi.

— Pour info, chacun des candidats que tu as reçus a passé un test de compétence. Les RH n'ont sélectionné que ceux qui ont obtenu un score supérieur à 95%. Ta réceptionniste/commerciale/bibliothécaire irlandaise a eu le score le plus élevé : 98%.

Je marmonne d'agacement en roulant des yeux. Ce résultat confirme que Caitlin est la candidate la plus apte pour le poste. Ça ne me plaît pas. Elle est bien trop sexy pour que je puisse collaborer sereinement avec elle.

— Je m'en tape, je conclus. Je veux un deuxième round.

— James Grayson Evans ! Je t'ai élevé mieux que ça, s'impatiente ma mère.

Un petit rire m'échappe. Katherine Evans ne m'a pas élevé : elle m'a mis au monde, puis est retournée au bureau dix jours après. J'ai conscience d'être un enfoiré, mais le peu de bien qu'il y a en moi, je le dois à Marta Welander, notre gouvernante, la femme qui m'a élevé.

— Tu vas devoir faire avec les huit candidats que nous t'avons proposés, poursuit-elle. Nous n'avons ni le temps, ni l'argent pour un second processus de recrutement. De plus, à quelques nuances près, tu auras le même type de profils.

Oui, mais peut-être que dans le lot, il n'y aura pas cette Irlandaise charmante, qui est aussi la candidate la plus crédible. Comment je suis censé me concentrer si je bande du matin au soir en sa présence ? À nouveau, je grogne pour montrer mon mécontentement en me levant.

— James, me retient ma mère au moment où je m'apprête à quitter son bureau. Je me fous de qui tu choisis, lundi à neuf heures trente tapantes, je veux que tu me présentes ton nouvel associé.

J'ai envie de lui dire d'aller se faire voir, mais je m'abstiens. À la place, je récupère mes affaires dans la salle de réunion, je préviens Paula, mon assistante, que je pars, et je vais directement au bar à deux rues du bureau. Cette fois encore, je résiste à l'envie de me bourrer la gueule. Si je veux donner une réponse à l'un des clowns que j'ai vus aujourd'hui, il faut que je reste sobre.

— Une limonade, je demande au barman après m'être assis sur un tabouret.

Il me connaît. Il lève un sourcil surpris, mais ne fait pas de commentaires. Je ressors mes huit dossiers, je les étudie dans l'ordre une énième fois. Trois des candidats que j'ai reçus sont issus d'anciennes et riches familles de la ville. L'un est le fils du patron du cabinet d'avocats rival. Le père du second est à la tête du parc immobilier le plus grand de l'Oregon. Le troisième est nul autre que le fils d'une ancienne sénatrice. Les quatre candidats suivants, comme les précédents, sont passés par Yale et Harvard, ont fait leurs armes à New York et Washington. Tous ont un parcours classique, prédictible. Rien ne les distingue. La seule chose qui pourrait m'aider à trancher est leur personnalité, mais même dans ce domaine, ils se sont montrés identiques. Je n'ai pas la patience de contempler au quotidien un reflet de moi-même à leur âge.

Puis il y a Caitlin Callaghan. Immigrée irlandaise, sans attaches dans le pays. Elle a sans doute enchaîné les petits boulots estivaux dont la moitié n'est pas détaillée sur son CV au lieu d'avoir passé ses étés dans les Hampton à se saouler et à baiser à droite et à gauche. J'ai aussi vérifié auprès de ses références académiques, elle a fait un sans-faute. Elle m'a montré qu'elle est déterminée, passionnée, consciencieuse.

Pour être moi-même issu d'une vieille et riche famille, je sais que contrairement aux autres, elle n'a reçu aucune aide pour se hisser à ce niveau : tout le mérite lui revient à elle seule. Lui donner ce poste serait comme couronner tous ses efforts. Si je ne lui laisse pas sa chance, il est probable qu'aucun autre cabinet ne le fasse. Les autres petits cons que j'ai interviewés pourront quant à eux compter sur leurs parents et leur réseau de contacts bien placés pour décrocher un boulot.

J'avale une gorgée de limonade puis me masse les paupières du pouce et de l'index. Je pense à Marta. A tout l'amour, à la bonté et la bienveillance que j'ai reçus d'elle. D'une façon, Caitlin me rappelle ma tutrice. Marta est une immigrée suédoise, venue elle aussi par amour pour un homme qui l'a ensuite trompée et laissée sans rien. Je suis surpris de me rendre compte que l'histoire de ces deux femmes est peut-être bien plus commune que ce que je croyais. Marta a dédié sa vie à mon éducation et à celle de mes frères aînés, Ryan et Alden. C'était tout ce qu'elle pouvait faire avec ses compétences limitées. Caitlin, elle, aspire à plus, à mieux. Ce serait injuste de ma part de la punir parce qu'elle n'entre pas dans les clous.

— Une Guinness, commande une cliente qui s'installe à côté de moi.

Je ne suis pas du genre à croire aux coïncidences, mais en l'occurrence, le karma se fout bien de ma gueule. Je reconnais la voix, l'accent. La demande est typique. Si j'étais elle, moi aussi je voudrais un peu de réconfort en provenance de mon pays. Je la salue sans bouger :

— Mademoiselle Callaghan.

— C'est pas vrai, ça ! rétorque-t-elle. Vous êtes partout.

Je ris, prends une nouvelle gorgée de limonade et pivote vers elle. Depuis tout à l'heure, elle s'est changée. Je réalise alors qu'elle doit habiter dans le coin. Elle porte un jean et un chemisier blanc cassé très simple. Son visage est entièrement démaquillé. Ses cheveux sont tirés en arrière en une queue de cheval qui lui donne un côté farouche, bizarrement accentué par toutes les taches de rousseur sur sa figure.

— J'allais vous appeler, je dis.

— Pourquoi ? Pour m'humilier un peu plus ? demande-t-elle les yeux dans les miens avec aplomb.

— Je ne vous ai pas...

— Si, me coupe-t-elle. J'ai travaillé pour des ordures, mais jamais dans ma vie je n'ai été humiliée comme je l'ai été dans votre salle de réunion.

Gêné par son accusation, je ne fais pas le malin. Je réponds honnêtement :

— Je voulais vous proposer le poste. Si vous en voulez toujours...

Prise de court, ses yeux deviennent brillants. Elle détourne le regard avant que je voie ses larmes. Sa bière est servie. Elle en descend une bonne partie en quelques longues gorgées.

— Est-ce que je vais le regretter ? finit par demander Caitlin. Je préfère terminer ma vie comme bibliothécaire que d'être ridiculisée et rabaissée en permanence.

— Si vous êtes aussi bonne que vous l'avez dit, on devrait bien s'entendre, je soutiens.

Elle hésite, et je ne peux pas lui en vouloir. Je me suis comporté comme un connard arrogant, je le sais. En silence, je finis ma boisson pendant qu'elle sirote le reste de la sienne. Comme elle ne semble toujours pas décidée, je me lève, paye pour nos deux consommations.

— Si vous pensez pouvoir me donner ma chance de vous montrer que je ne suis pas aussi con que j'en ai l'air, soyez là à neuf heures lundi. Passées neuf heures quinze, j'appellerai le suivant sur la liste.

Je pars, et pour la première fois de ma vie, je ne suis sûr de rien. J'ignore si Caitlin Callaghan se présentera au bureau lundi matin. J'ai le sentiment que cette femme causera ma perte, et ça ne me plaît pas. J'ai déjà connu ça. Souvent, j'ai la stupidité et la naïveté de croire que je m'en suis remis, mais c'est faux. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ma tâche accomplie, je change de bar, enchaîne plusieurs verres de bourbon le temps de repérer une brune qui me laisse docilement la baiser par derrière dans les toilettes du bar, puis qui me suce avec tout autant de ferveur. Tout le long, j'ai l'image d'une rousse aux grands yeux verts imprimée sur la rétine.

Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro