Chapitre XXXVII : Le Vide - Slimane
« Je vais trouver un antidote. Je n'ai pas le choix. Il y a quelques mois, je me serais dit mériter la mort. Mais maintenant que nous avons découvert que Lilou était liée à moi, il n'en est pas question. Je refuse qu'une nouvelle innocente paye mes erreurs. »
Extrait du journal d'Enola sous dilitírio
À peine arrivée, on m'abandonne dans une cellule avec pour seul mobilier un banc en pierre. Je m'assieds dessus, toutes forces au plus bas et attends. Attends. Attends je-ne-sais combien de temps. Des heures peut-être. J'espérais voir Calie, mais je suppose que les visites me sont interdites en tant que Naufrageuse suspectée. Même pour les avocats. Ce n'est pas grave... Je préfère la savoir avec Lilou... Oh Lilou... J'espère réellement avoir au moins réussi à la préserver de cette arrestation... À défaut du reste... J'aurais tellement aimé que ça se passe autrement. Mais elle est sauvée et c'est tout ce qui compte.
J'ai été fouillée et on m'a retiré toutes mes herbes et fioles. Une médecin légiste est venue me faire une prise de sang avant de repartir et c'est à cet instant que j'ai compris que j'étais réellement fichue. Mon état de santé n'est absolument pas compatible avec une garde à vue et pourtant personne ne s'en préoccupe.
Pour la première fois depuis des années, je me sens seule. Le silence résonne autour de moi. Je... Je me surprends à espérer entendre la voix de Laurie. Après des centaines de supplications pour que son fantôme me laisse en paix, je la regrette. Elle peuplait mes moments de solitude. Elle était là avec moi, toujours près... Je... me rends compte que je ne suis pas prête à la laisser partir. Je ne lui ai même pas dit au revoir... réalisé-je. Enola. Elle est morte, il y a huit ans. Tout ce que tu entendais, voyais, était une hallucination de ton esprit malade et empoisonné. L'absence de bruit m'oppresse. Je me recroqueville et instinctivement commence à fredonner. La première mélodie qui me vient à l'esprit.
— Sonne le clairon...
Pour moi, s'il te plaît.
Au fil des saisons,
N'oublie jamais...
Comment j'étais.
Pour moi, c'est la fin.
Je suis fatiguée.
Je ne suis plus rien.
Rien qu'un cœur blessé.
Rien qu'un soldat
Qui a livré son ultime combat,
Jusqu'au dernier soupir.
Emmène-moi...
Ou laisse-moi mourrir.
Sonne le clairon.
Dis-leur que je pars.
Mais les chemins d'antan
Ne mènent plus nul part.
Et sans lumière, j'ai
Peur de tomber,
Au coeur de la nuit,
D'abandonner la vie,
De m'en aller.
Mais loin, là-bas,
Quelque part, dans le ciel,
Une voix m'appelle:
"N'oublie pas qui tu es!"
"Si tu perds espoir,
Ton courage va retomber.
Relève-toi ce soir,
N'oublie pas qui tu es."
Oui
Lève-toi, soldat!
Il reste encore un combat!
Et tu dois... gagner!
Oui! Pour la liberté!"Sonne le clairon...
Pour moi, s'il te plaît.
Au fil des saisons,
N'oublie jamais...
Comment j'étais.
Pour moi, c'est la fin.
Je suis fatiguée.
Je ne suis plus rien.
Rien qu'un cœur blessé.
Rien qu'un soldat
Qui a livré son ultime combat,
Jusqu'au dernier soupir.
Emmène-moi...
Ou laisse-moi mourrir.
Sonne le clairon.
Dis-leur que je pars.
Mais les chemins d'antan
Ne mènent plus nul part.
Et sans lumière, j'ai
Peur de tomber,
Au coeur de la nuit,
D'abandonner la vie,
De m'en aller.
Mais loin, là-bas,
Quelque part, dans le ciel,
Une voix m'appelle:
"N'oublie pas qui tu es!"
"Si tu perds espoir,
Ton courage va retomber.
Relève-toi ce soir,
N'oublie pas qui tu es."
Oui
"Lève-toi, soldat!
Il reste encore un combat!
Et tu dois... gagner!
Oui! Pour la liberté!"
Toutes ses paroles que j'avais appris par cœur pour les diverses auditions et épreuves me reviennent naturellement et je les chante pour ne plus penser à autre chose. Sur certaines, mes mains se surprennent même à connaître encore la partition. Personne ne me somme de me taire alors je continue. Je continue jusqu'à ce qu'une clé soit introduite dans la serrure et que ma porte s'ouvre. Je m'interromps.
— Venez avec moi.
Je reconnais cette voix, c'est celle de la jeune femme présente à mon interpellation. La si simple... Elle s'approche avec néanmoins moins de méfiance que tout à l'heure. Je tends les mains en entendant le cliquetis des menottes. Elle me les passe aux poignets et m'aide à m'installer sur un fauteuil roulant. La policière s'accroupit face à moi et m'attache les pieds à la chaise également. Puis au moment de se redresser, pose quelque chose entre mes doigts.
— Au signal, enflammez votre cellule, souffle-t-elle.
Je serre le sachet dans ma main et fais mine de m'essuyer le nez pour en humer le contenu. Kiros et Orgi. Mercedes... Je bénis à cet instant la dealeuse du clan Camers et je crois que si je n'étais pas si épuisée, j'en aurais pleuré de joie. Je vais peut-être m'en sortir finalement...
On me fait entrer dans une nouvelle pièce qui sent le renfermé et l'obscurité. Les ténèbres ont parfois cette odeur moite que je n'ai jamais remarquée avant de perdre la vue. Le fauteuil s'arrête et la porte se ferme. Quelqu'un s'installe face à moi et deux personnes se postent dans mon dos. Je manque de ricaner. Bien des précautions pour la pauvre aveugle et infirme que je suis...
— Enola Gramps, je présume ? me demande un homme d'un âge mûr face à moi.
Et si je leur maintenais qu'il y a erreur sur la personne ? J'avais espéré avoir le collègue d'Ethan face à moi pour décharger ma colère sur un de ses proches, mais il faut croire qu'ils ont été prudents...
— Elle-même, soupiré-je.
— Vous avez une très belle voix, commente-t-il. C'est la première fois en vingt ans de carrière que je vois des gardiens laisser parler un détenu.
Je déglutis. Détenue... Voilà ce que je suis. La couleur est on ne peut plus annoncée. Ai-je la moindre chance de me défendre ?
— Merci.
— J'ai des nouvelles de votre mari. Il ne s'est toujours pas réveillé mais il est désormais officiellement stabilisé. Votre fille est partie chez votre avocate, Calie Porta. Nous sommes navrés que l'interpellation ait dû se faire dans ses conditions.
J'esquisse un sourire tremblant. Heureuse que Jo soit tiré d'affaire. Contente que Lilou soit chez Calie et non chez une assistante sociale. Ou pire, chez son père... Le flic a l'air sincère dans ses excuses mais je ne suis pas dupe. Tu crois que je ne te vois pas venir avec ton ton doucereux ? Je suis aveugle, pas stupide. Je me garde bien de lui partager ma pensée. Autant ne pas le braquer si je veux avoir une chance de... Une chance de quoi, Enola ?
— Vous savez pourquoi vous êtes là, Madame Gramps ?
Je souffle, penchant rapidement le pour et le contre. Vu mes talents de menteuse, mieux vaut jouer la carte de la vérité le plus longtemps possible.
— Car Ethan m'a dénoncée. Qu'il affirme que je suis une Naufrageuse.
— Et c'est vrai ?
— Plus depuis huit ans maintenant, avoué-je dans un soupir.
— Mais vous ne niez pas en avoir été une ?
— À quoi cela servirait ?
Si je suis ici, c'est qu'Ethan a réussi à les convaincre. Il a sûrement dû falsifier des preuves. Je n'ai aucun alibi pour le meurtre de Pierre Thierness, une réputation désastreuse et s'ils ont fouillé le laboratoire, ils ont découvert mes relations avec les dealers. Alors à quoi bon nier ?
— J'ai besoin d'une réponse claire.
— Non, je ne nie pas.
J'entends les gardes se replacer dans mon dos. Comme si ma confirmation avait ravivé leur méfiance.
— Pourquoi êtes-vous partie ?
— Parce que j'étais enceinte. Et que je n'avais plus rien à faire là-bas.
— Plus rien à faire là-bas ? répète-t-il.
Mon cœur accélère dans ma poitrine et ma langue devient soudain pâteuse. Je prends le temps de peser mes mots.
— J'y suis entrée parce que j'étais convaincue qu'un homme avait renversé ma sœur en voiture et jeté son corps du haut du pont avant de s'enfuir. Je voulais qu'il paye.
Des feuilles bruissent et j'imagine que l'homme est en train de jeter un œil au dossier de Laurie.
— Il n'est mention nul part de délit de fuite...
— Je sais... Mais je l'ai appris trop tard. Mes parents voulaient sans doute me protéger des conséquences de mes mots.
Je déglutis et serre mes mains qui tremblent.
— Donc vous avez quitté les Naufrageurs... Facilement ? On vous a laissé partir comme ça ?
— Non... Mais je n'étais pas une Naufrageuse à proprement parlé. J'étais chimiste. Mon statut auprès des chefs de la confrérie était différent alors j'ai pu négocier.
— Négocier ? Que vous a-t-on demandé ?
Je pince les lèvres. Mensonge ou vérité ?
— De fournir un assez grande quantité de poisons.
Semi-vérité.
— Et une dernière mission.
J'avale de travers ma salive et m'étouffe. Comment peuvent-ils savoir ça ? Une quinte de toux me secoue brusquement. Je crache mes bronches pleines de mucus au sol. On me laisse quelques minutes pour me reprendre.
— Pardon ? croassé-je.
— Vous souvenez-vous de la nuit du 8 décembre 2042 ?
— Très peu, répliqué-je. Remuez vos feuilles et vous devriez retrouver le dossier de mon agression.
— Je l'ai parcouru, oui. Un cold case intriguant...
— J'imagine qu'ils le sont tous. Autrefois, les gens étaient friands de film traitant des plus mystérieux.
L'homme se redresse face à moi et son haleine mentholée me parvient distinctement.
— Mettons... Je dis bien mettons... que vos poisons soient capables de dérégler suffisamment un organisme pour biaiser les constatations d'un légiste. Que me diriez-vous ?
J'esquisse une moue qui se veut dubitative.
— Je vous dirais que vous avez dû sécher pas mal de cours de science durant vos études.
Il soupire et remue quelques sacs plastiques contenant j'imagine des scellés. Puis il pose quelque chose face à moi. Le grésillement d'un enregistrement me fait grimacer.
— Vous avez les données ? m'entendé-je demander.
— Oui, ils ont noté 1,2 microgrammes qui tapissaient les bronches.
— Puisque les prélèvements ont été fait à environ 8 heures le temps que la PTS arrive... marmonné-je. Il était mort depuis environ 29 heures, peut-être en visant large entre 26 et 31 heures en fonction de la température de l'eau.
— Ok... dit Ethan. La nuit du 8 au 9 décembre donc. Si je me souviens bien, cela correspond à son voyage. Et maintenant ?
— Et maintenant, c'est à moi de jouer...
Le policier coupe l'enregistrement. Mon cœur est une pierre qui vient de tomber dans mon estomac. Le bâtard... Il a tout enregistré. Chacune de nos discussions, Ethan devait avoir un putain de micro sur lui. Et malgré toutes mes précautions, tous mes silences, il a réussi à choper des infos... Quel enfoiré ! Il avait particulièrement bien prévu son coup... J'entends encore Jo me prévenir, me dire de méfier de lui... À présent, c'est ma parole contre la mienne... Heureusement que je n'ai pas nié avoir été une Naufrageuse. Il avait de toute manière des preuves.
— Si je m'en tiens à vos calculs, Pierre ne serait donc pas mort le 10 décembre mais le 8 au soir, commente le flic d'un ton neutre. Le jour de votre agression.
— Et alors ? le provoqué-je de mauvaise foi. J'ai été retrouvée à des centaines de bornes du lieu de son agression. Vous croyiez que dans l'état dans lequel j'étais, je les ai fait en courant ?
— Non, mais on peut vous avoir déplacée.
— Les Naufrageurs n'ont la générosité de l'Abbé Pierre. Si l'un des leurs crève sur le trottoir, ils passeront à côté sans rien dire pour ne pas se trahir.
Sauf quand ils veulent tendre un piège. Et je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi ils ne m'ont pas laissé mourir dans ce marécage. Ils espéraient vraiment avoir l'occasion de me remettre le grappin dessus.
— Peut-être, mais vous étiez la seule Naufrageuse en mission ce soir-là... Du moins d'après le carnet retrouvé dans votre laboratoire...
Mon sang se glace dans mes veines et de la sueur froide dégouline le long de mon dos. Ils ont perquisitionné le laboratoire. Ils ont trouvé le carnet. La réponse m'apparaît sous la forme d'un prénom. Ethan... Je jure. Ils ont donc l'identité de littéralement tous les Naufrageurs... Je leur ai fourni une véritable bombe atomique.
— Reconnaissez-vous ce carnet ?
L'homme fait avancer un sac plastique vers moi. Je souffle plusieurs fois en tentant de ne pas laisser transparaître mon désespoir. Je suis désolée, Mercedes... Mais ma décision est prise.
— Il va falloir être plus précis, rétorqué-je, la voix blanche. Dois-je vous rappeler que je suis aveugle ?
— Quelque chose me dit que vous voyez parfaitement de quel carnet je veux parler. Mais il est rouge, sans couverture et visiblement usé par le temps et l'humidité.
Oui, donc ce carnet... Je tends lentement une main vers le sac plastique que je palpe. Je sens l'épée de Damoclès à travers la couverture plastique. Le sachet d'herbes est toujours dans l'autre paume, fermée, posée négligemment sur la table. Et avant que quiconque ne me repousse, je le claque un grand coup sur le carnet. Je bascule en arrière, propulsé par le souffle de la déflagration. Douleur. Brûlure. Ma main s'est transformée en torche dont le feu me dévore la peau. Je hurle. On se jette sur moi. Cris. Chaleur. Flammes. Noir.
***
Lorsque j'ai repris connaissance, j'étais dans une cellule différente, médicalisée. Et depuis cet incident, je n'en suis jamais sortie. La seule personne que je suis autorisée à voir est une infirmière qui m'apporte mes repas et me fait diverses piqûres. Je devine qu'elles ont autant pour but de me maintenir en vie que de me sédater pour être sûre que je ne pose plus aucun soucis. Dix jours que je pourris ici.
L'avantage des sédatifs est que pour la première fois depuis des années, je ne pense plus à rien. Finie la culpabilité du passé, finis Eden, Laurie et ces meurtres imaginaires qui me hantent. Mon esprit est un écran noir sur lequel plus aucun film ne déroule. Mon cœur ne souffle plus aucune réplique, ma bouche reste scellée. J'attends désormais ironiquement que les lumières de la salle de cinéma se rallume pour que je puisse sortir. J'attends qu'on m'annonce enfin ma fin, ma sentence.
Aucun dealer n'a plus tenté de me faire évader. Pas étonnant, étant donné que la jeune ayant voulu m'aider s'est sans doute faite chopper dans la foulée. Je ne vaux plus la peine de prendre le risque. J'ai gaspillé ma seule chance de m'en sortir et pourtant je ne le regrette pas. C'est moi qui ai plongé tête baissée dans le piège des chefs de la confrérie. Il n'était pas question que ceux que j'ai toujours essayés de sauver tombent par ma faute. Bravo. Alfrina, Rustid et Joan. Vous avez gagné. Je m'incline.
Une clé est introduite dans ma porte. Je ne tourne même pas la tête. Cela doit être l'infirmière venue m'assommer avec ces aiguilles.
— Eh, Eno...
Je me redresse la tête. Jo... Non, c'est impossible... J'hallucine forcément. La personne s'approche doucement et vient s'asseoir sur le matelas qu'on a daigné me donner. Je reconnaîtrais entre mille son odeur musquée. Il saisit ma main doucement.
— Comment tu vas ?
— Je pète le feu, raillé-je d'une voix rocailleuse et éteinte.
Puis je me souviens son agression.
— Et toi ?
— Je ne courrai pas un marathon, mais ça va...
Il souffle et je le sens trembler. Je déglutis. Sa présence ne peut signifier qu'une chose.
— La sentence est tombée, c'est ça ?
Sa main serre la mienne à m'en faire mal. Je grimace et laisse ma tête retomber dans mes oreillers. Alors ça y est, c'est fini.
— Vu la condition urgente et exceptionnelle de la situation, ils ont tenu un procès immédiatement. Calie t'a défendue en tant qu'avocat mais...
— C'était perdu d'avance, lâché-je.
— Nous avons tous témoigné pour essayer de t'aider. Moi, tes parents, Juline... Mais les preuves qu'Ethan a fabriquées et celle qu'il avait déjà sont irréfutables. Même si tu en as détruit une partie.
Je remue les doigts à travers les bandages qui enveloppent mon bras jusqu'au coude.
— Est-ce qu'ils avaient mémorisé les noms des Naufrageurs ?
— Ils n'en avaient pas eu le temps... À part deux ou trois qu'ils avaient retenus, mais maintenant, il n'y a plus de preuves à charge contre eux...
Je soupire de soulagement. J'aurai au moins réussi ça. Je n'ai même plus les larmes pour pleurer mon sort inévitable. Je suis trop épuisée pour cela.
— Comment va Lilou ? chuchoté-je.
— Bien... Juline lui fait des prises de sang tous les jours, le dilitirio en est complètement absent. L'antidote fait son job.
Je hoche la tête, rassurée. Elle vivra. Même si je meurs, elle vivra.
— Promets-moi que tu prendras soin de Lilou... murmuré-je.
— Je te le jure, souffle-t-il, la voix rauque.
— Et promets-moi que tu ne laisseras pas Ethan récupérer sa garde entière...
Sa poigne se resserre sur mes doigts froids.
— Tu sais que... Je ne pourrai rien faire. Il a les droits d'un point de vue légal si un test de paternité vient l'appuyer...
— Demande de l'aide à Calie. Elle vous défendra. Bats-toi, je t'en prie, Jo... Ne le laisse pas l'arracher à tout son quotidien. C'est toi, son pilier désormais...
Et ne le laisse pas pourrir l'image que Lilou aura de moi... Je refuse que ma fille grandisse en pensant que je suis un monstre... Je veux qu'elle garde nos souvenirs précieusement...
— Je te jure que je vais essayer...
J'acquiesce, la gorge nouée.
— Enola, il faut que tu lui dise au revoir...
Mon coeur sursaute. Au revoir... Ou adieu... Moi qui n'ai jamais été croyante, j'espère pour la première fois qu'il existe bel et bien un lieu où nous nous retrouvons tous à notre mort... Un lieu d'où je verrai voir ma petite Lilou grandir... Les larmes me montent aux yeux.
— Elle était chez Calie et ne va pas tarder à arriver, ajoute Jo. Cela fait dix jours qu'elle pleure sa maman, tu ne peux pas partir et la laisser comme ça... Tu dois lui expliquer...
J'inspire profondément. Avant de hocher la tête. Il a raison. Si ce n'est pas moi qui le fait, cela sera Ethan. Et je ne peux pas abandonner ma petit fille ainsi... Je dois... Je dois lui dire au revoir.
— Comment dit-on au revoir à sa fille de huit ans... murmuré-je.
Jo renifle et je devine qu'il s'essuie les yeux.
— Avec des mots, j'imagine... souffle-t-il. Tes parents et Juline sont là également... Je les fais entrer ?
J'acquiesce. Je dois... Oui, je dois leur dire au revoir... Pour eux, pour moi. Mon compagnon se lève alors et marche d'un pas lourd vers la porte qu'il ouvre. Il murmure quelque chose que je n'entends pas puis quelque pénètre à son tour dans la pièce. Mon cœur se serre alors que je pousse sur mes bras pour me redresser dans les oreillers. L'odeur des produits chimiques m'indique son identité avant même que sa voix ne s'élève.
— Tu te sens comment ? s'enquiert avec douceur Juline en s'accroupissant près de moi.
— Mal... Mais apparemment, c'est bientôt fini...
Elle respire profondément et je devine qu'elle retient du mieux qu'elle peut ses sanglots.
— Ju... Promets-moi que tu vas les sauver... l'imploré-je un ton plus bas.
Je sais que Juline a fait une copie de tous les noms du carnet pendant que je récupérais du poison. Elle me l'a assuré, au cas où... Au cas où aujourd'hui. Mon amie déglutis avec difficulté. Sa main vient serrer la mienne.
— Je te le promets... chuchote-t-elle avant de se redresser d'un bond.
J'inspire profondément pour contenir mes larmes et tente un sourire tremblant.
— Prends soin de toi, Ju. Et continue d'éviter les bars, la plaisanté-je sans succès.
Mon amie acquiesce avant de partir à grands pas. Je mords la lèvre en songeant qu'elle a sans doute raison. Les adieux les moins douloureux sont ceux qui ne s'éternisent pas. De nouvelles personnes entrent dans la pièce et se précipitent vers mon lit. Mes parents... Je reconnaîtrais leurs odeurs entre mille... Je n'ose pas ouvrir la bouche et j'entends Jo s'éclipser sans un mot. Nous restons là un instant dans le silence. Et à cet instant, je bénis mes ténèbres. Je crois que je n'aurais pas supporté de voir leur détresse à l'idée de perdre leur deuxième enfant... Ou pire... La satisfaction dans les traits de ma mère... Je ne sais pas quoi dire, putain...
— Je suis désolée, bredouillé-je avant de fondre en larmes. Je suis tellement désolée, putain...
Et là, il se passe quelque chose que même dans mes plus beaux rêves, je n'espérais plus. Ma mère s'avance et me prend dans ses bras. Elle me serre contre elle et me berce comme si j'étais redevenue une enfant. Et je pleure tout mon saoul dans sa chemise qui sent la lessive. Mon père se rajoute à notre étreinte et nous restons un moment tous les trois à sangloter à chaudes larmes. Mon père est le premier à s'écarter.
— On t'aime, Enola. Et on t'aimera toujours quoi qu'il arrive, me murmure-t-il, la voix brisée.
Cela ne fait qu'accentuer mes larmes. Je ne lâche pas ma mère qui me caresse le bras comme pour m'apaiser. Ma mère ne s'excuse pas. Elle ne dit pas un mot. Pourtant, je sens passer dans son étreinte toutes les paroles que j'aimerais entendre. Je me décolle un peu d'elle et m'essuie les yeux.
— Passez au labo au moindre soucis de santé... Je vous en supplie, continuez de vivre... Ne laissez pas Lilou, seule...
Je les entends déglutir mais j'insiste.
— Promettez-le moi...
— Je te le promets, m'assure d'une voix grave ma mère.
Je hoche la tête, rassurée. Le silence s'installe de nouveau. J'en profite pour prendre de grandes inspirations et essayer d'endiguer l'évasion des larmes...
— Allez partez... Rien ne sert de faire durer... On se voit là-haut dans quelques dizaines d'années... On vous attendra toutes les deux...
Mon père me murmure une dernière fois qu'il m'aime avant de quitter la pièce en fuyant presque cette réalité cauchemardesque. Ma mère s'attarde un instant. J'esquisse un pâle sourire, attendant des mots qui ne viennent pas. Elle me serre une dernière fois la main... Puis s'en va sans se retourner. Je me force à me reprendre, à brider mon chagrin. Lilou ne va pas tarder à arriver et je ne veux pas que la dernière image qu'elle est de moi soit un visage dévasté. Mourir ne me fait pas peur au final. J'ai toujours su que cela se terminerait ainsi. C'est la douleur des autres qui me brise le cœur.
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