
Chapitre XXXIII : Trop beau - Lomepal
Ethan
Will fixe le magnétophone sans bouger durant un long moment. Je viens de lui faire écouter l'entièreté de son contenu, de ma première interaction avec Enola jusqu'à la confrontation avec ma sœur. Tout ce que j'ai pu enregistrer d'utile à l'enquête est dans cet objet. J'ai pris un gros risque en révélant tout cela à mon collègue et ami. Cela inclut la vérité sur Enola, la complicité de Joeffrey qui savait, de Juline, la mienne ajoutée au fait que je lui ai carrément demandé de l'aide malgré la décision du juge et la clôture du dossier, les aveux d'Iris. Je ne me leurre pas, je sais que cette dernière risque au pire une grosse amende car au vu de ses contacts, elle arrivera à s'en tirer. Mais pour Enola, c'est une autre histoire. C'est la peine de mort qui lui pend au nez. De même que pour Jo et Juline qui écoperont d'une peine d'emprisonnement à perpétuité. Mais j'ai confiance en la droiture et l'humanité de mon collègue. Et je ne peux plus gérer ça seul. J'ai besoin d'aide et de conseils.
Je lui ai expliqué tout notre raisonnement, excluant juste le fait que nous avons réussi à sauver un Naufrageur et mentant en disant que nous avons mis en déroute l'attaque. Je viens d'achever mon exposé et attends qu'il y réagisse. Qu'il me dise ce qu'il est possible de faire, ce qu'il faut faire. Son visage est passé par bien des émotions mais il s'est pour le moment garder de tout jugement.
— Donc si je résume bien... finit-il par dire. Tu as demandé à ton ex qui faisait partie des Naufrageurs de t'aider à retrouver celui qui a tué ton père pour sauver ta mère ? Vous avez réussi à trouver un terrain d'entente en marchandant la vie d'un seul et des chefs contre la dissociation de la confrérie ?
J'acquiesce, la gorge nouée. C'est bien résumé, effectivement.
— Enola pense que tu es la cible de ce complot et qu'un chef se trouve dans ton entourage. Mais tu as creusé et n'a rien trouvé pour le moment hormis le fait que ta sœur a commandité le meurtre de ton père.
Je hoche la tête à nouveau en me balançant sur la chaise. Il me reste encore potentiellement Aaron à interroger, mais...
— Et actuellement, Enola est en train de mourir et va te ramener d'ici ce soir le nom du Naufrageur qui a tué ton père car elle aura repris une dose de dilitírio. Et comment comptes-tu prouver que c'est lui ? C'était il y a huit ans Ethan, difficile de marcher à l'alibi...
Je baisse les yeux. À dire vrai, je comptais falsifier des preuves, mais hors de question de l'avouer devant lui.
— J'aurais des preuves, lui assuré-je.
— Des preuves... répéte-t-il d'un air entendu qui me laisse entendre clairement qu'il n'est pas dupe. Mais ça ne résout pas un problème. Comment le journal a-t-il été déposé dans votre grenier ? Tu as eu l'aveu de ta sœur et de ta tante que ce n'était pas elles.
Mes épaules s'affaissent. Putain, les évènements de la journée sont allés tellement vites que je n'ai pas pris le temps de me poser sur ces questions... Mais effectivement, Will a raison. Mon collègue doit sentir mon dépit.
— Cela dit, je suis d'accord avec toi. Ta mère a été piégée. Ça ne peut pas être elle si elle était en conférence ce jour-là. Avec cet enregistrement, tu as de quoi éventuellement l'innocenter. Mais tu sais aussi bien que moi que ça ne suffira pas.
Non... Car même si ils ne l'avouent pas, le gouvernement est bien arrangé par la dissolution de ma famille. Mes parents sont des nuisibles avec des appuis. S'ils peuvent les détruire légalement, ils ne vont pas hésiter. Je ne peux pas me contenter de l'innocenter. Je dois apporter le vrai coupable et les mettre devant le fait accompli. Il me faut le nom du Naufrageur et des preuves concrètes de sa culpabilité que je n'hésiterais pas à falsifier. C'est la première fois que je bénis la régression de la technologie grâce auquel cela ne devrait pas me poser trop de problème.
— Dis Ethan... Est-ce qu'Enola connaissait le code de chez toi ?
Je redresse vivement la tête et rencontre son regard interrogatif et concentré. Mes yeux le mitraillent instinctivement.
— Qu'est-ce que tu insinues ? Enola venait de les quitter...
— Réponds-moi juste.
Je creuse ma mémoire. Nous sommes allés chez moi à deux reprises pour fouiller le grenier. Je ne lui ai jamais donné franchement le code mais il n'est pas impossible qu'elle l'ait vu car je ne me suis pas caché pour le taper. Mon cœur loupe un battement. Et elle savait aussi où se trouvait la clé du grenier. Je blêmis. Will lève les mains en signe d'apaisement.
— Attends, attends, je ne dis pas qu'elle est responsable mais si j'ai bien compris ce que tu m'as expliqué, il y a un faisceau d'indices concordants laissant à penser que vous vous êtes trompés.
Je lève un sourcil mais ne l'interromps pas. Will baigne dans les affaires de meurtres depuis plus de trente ans. Il étudie les assassinats de la confrérie depuis plus longtemps que moi. Son avis est forcément bon à prendre.
— Arrête moi si je me trompe, mais vous êtes persuadé que l'arrestation de ta mère était un avertissement pour quelqu'un, toi, d'après vos spéculations, énonce-t-il. Ils ne t'auraient pas tué par attachement si un des chefs vient de ton entourage ou simplement parce qu'ils aiment jouer en sachant qu'ils vont gagner, comme lors de votre altercation avec le Naufrageur. Jusque-là, je suis dans le juste ?
J'acquiesce, même si je ne vois pas encore où il veut en venir.
— Puis vous vous êtes interrogés sur le fait de faire potentiellement une pierre, deux coups, car ta mère travaillait sur un remède au dilitírio. Ce qui appuyait l'hypothèse d'un chef dans ta famille où tout le monde la déteste. Mais elle n'était pas la seule à s'approcher de l'antidote, n'est-ce pas ?
Il se dandine sur son siège et cherche mon regard comme s'il essayait de me faire réaliser quelque chose.
— Enola aussi, approuvé-je. Et donc ?
Will soupire.
— Et donc Ethan, qu'est-ce qui innocente Enola du meurtre de ton père ?
Je le fixe. Il est devenu Alzheimer ? Je lui ai expliqué il n'y a pas cinq minutes !
— Elle ne faisait que des poisons et pas d'assassinats, elle les a quitté juste avant la mort de mon père et elle était déjà à l'hôpital à cause de son agression quand il est mort, énuméré-je. Comme je te l'ai dit il y a quelques instants, je me suis assuré que ce n'était pas elle avant de lui demander son aide !
— Elle était à l'hôpital la nuit du meurtre, certes... mais seulement si on considère que celui-ci a eu lieu 10. Or d'après vos calculs, il a eu lieu le 8 au soir.
La nuit où Enola a été agressée... Le peu de sang qu'il restait au niveau de mon visage déserte et je sens mon estomac se retourner. Non, non, c'est impossible. Et pourtant... Elle a été poignardée. L'affaire a été classée sans suite. Mon père maniait très bien les couteaux. J'ai passé des années à chercher des gens blessés ou portant des cicatrices d'armes blanches alors qu'elle boitait sous mon nez. Je tremble. Non, le dilitírio l'aurait soigné. Sauf si une atteinte de la moelle épinière dépasse la limite de ses compétences... Mon cœur s'emballe dans ma poitrine.
— Pour tout te dire, je pense qu'elle est la plus grande victime de cette affaire, poursuit Will d'une voix plus douce devant ma détresse. Tu m'as dit qu'elle voulait les quitter. Je ne pense pas que ça ait grandement plu aux chefs des Naufrageurs que leur chimiste qui sait absolument tout d'eux veuille se libérer de ses chaînes. Alors si j'étais eux, je me serais aménagé une porte de sortie au cas où...
— Ils ne pouvaient pas la tuer car ils espéraient la récupérer... réalisé-je. Mais ils pouvaient poser une grenade en elle qu'ils n'auraient qu'à dégoupiller si besoin.
Will hoche la tête, l'air grave. Le catalyseur...
— Le meurtre de ton père a toujours été une énigme. Revendiqué sans aucune raison apparente. Un responsable apparaît huit ans plus tard avec une preuve aussi implacable, pile alors que Enola était à deux doigts de trouver le remède au dilitírio ?
— Mais pourquoi ne pas l'avoir tué dans ce cas ? Directement ?
Mon collègue hausse les épaules.
— Pour s'amuser ? Pour faire une pierre, plusieurs coups ? Regarde autour de toi, ils ont semé un chaos sans nom. Ils ont sans doute pris le pari que tu ne dénoncerais pas Enola. Alors ta mère mourra et emportera avec elle ses propres recherches sur l'antidote. La réputation de ta famille sera ternie à jamais. Tu aura beau travailler d'arrache-pied pour trouver les chefs de la confrérie, qui te croira alors que tu as défendu ta Naufrageuse de mère jusqu'au bout ? L'esprit humain n'a pas besoin qu'on lui prenne la main pour emprunter de lui-même les raccourcis qu'il l'arrange. Tu seras écarté à jamais.
Le poids de ces révélations pèse sur tout mon corps tremblant déjà ébranlé par la journée infernale qu'il vient de subir. Tel Atlas, j'ai l'impression de porter le monde à mains nues.
— Ils ont envoyé Enola tuer mon père, ont revendiqué le meurtre et lui ont extorqué toutes les informations sur ma maison pour pouvoir mettre en place leur plan si besoin. Ils savaient que le dilitírio finirait par la tuer sans remède. J'ignore comment ils ont su pour l'antidote et peu importe, mais en découvrant qu'Enola touchait au but, ils ont accusé ma mère... Ils devaient se douter que j'irai demander son aide. Ils nous ont acculé avec leurs attaques pour nous presser, nous pousser à la faute. Car lorsqu'Enola découvrira que c'est elle...
— La culpabilité l'achèvera, achève Will en posant la main sur mon bras en signe de soutien. Et au vu de ce que tu me dis, même si le choc de la révélation ne la tue pas, elle sera morte dans les prochaines semaines...
Mais elle doit rejoindre le QG des Naufrageurs ce soir ! Je l'ai laissée, Juline lui injectait du dilitírio dilué dans sa perfusion. Combien de temps avant qu'elle ne se réveille ? Juline... Peut-elle l'avoir trahi ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Non, pourquoi aurait-elle été au bout de l'antidote sinon ? Ce n'est pas elle. Ce n'est pas Joeffrey, non plus. Impossible. Non ? Si ? Quelqu'un les a forcément averti sur l'avancée de leur expérience. Enfin peu importe, à l'heure actuelle, ce qui compte, c'est Enola ne quitte pas le laboratoire. Je me lève d'un bond et compose le numéro de leur fixe.
— Allez Juline, réponds...
Répondeur. Je jure et réessaie une nouvelle fois pour le même résultat. Je bascule sur le numéro de Jo et prends mon manteau pour partir au laboratoire sous le regard inquiet de Will. Heureusement, Jo décroche à deuxième sonnerie. Le soulagement m'envahit.
— Je t'en prie, dis-moi que tu es avec Juline et Enola et qu'elle n'est pas déjà partie pour le QG des Naufrageurs ! Elle ne doit surtout pas bouger, ok ? Elle...
— Tu comprends trop tard, Eden...
Je me fige. Ce n'est pas la voix de Joeffrey. C'est une voix masculine que j'ai déjà entendue... dans le téléphone que portait le Naufrageur. Une sueur froide me descend le long du dos. Le donneur d'ordre... Je raccroche sans plus attendre et me tourne vers Will qui s'est levé d'un bond devant mon expression. Je prends un papier et un crayon sur le bureau.
— Envoie tout de suite une équipe à cette adresse ! Jo est là-bas avec un Naufrageur guéri et ils viennent sûrement de se faire attaquer par un chef ! Tiens-moi au courant !
Je reprends mon magnétophone que je fourre dans ma poche, attrape les clés d'une voiture de service et suis presque parti quand Will me hèle.
— Tu vas où, toi ? Que je sache où t'envoyer des renforts si tu ne reviens pas !
— Au laboratoire d'aromathérapie. Le seul de la ville.
En moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, je suis dans le véhicule, j'allume les gyrophares et sirènes avant de mettre le contact. Je me rue vers le laboratoire pour sauver mon amour d'enfance... en sachant pertinemment qu'il me faudra faire un choix à un moment ou à un autre... Mais à l'heure actuelle, il m'est juste inconcevable de la laisser tomber dans ce piège fatal.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro