Duncan ne tient pas en place. Il fait tressauter sa jambe à une allure insupportable, il regarde partout autour de lui et semble monté sur un ressort.
— Arrête de stresser Duncan, qu'est-ce que tu veux que le médecin me dise de pire que ce que je sais déjà ? demandé-je d'un ton léger.
Pour toute réponse, il me fusille du regard. Il a insisté pour m'accompagner à mon rendez-vous avec le Docteur Michaels. Oui, lui. Celui qui m'a annoncé la pire nouvelle de toute ma vie.
— C'est juste une visite de courtoisie, dis-je. Il va voir l'évolution de mon état, me poser des questions, me regarder avec pitié, puis il nous serrera la main et nous dira au revoir.
— Comment tu fais pour être si calme ? me demande-t-il les yeux plissés.
Pour toute réponse j'hausse les épaules et lui adresse un sourire mutin. Une femme sort de la salle de consultation tandis que le médecin consulte son planning ; il parcourt la salle des yeux et m'adresse un sourire poli.
— Mademoiselle Hollyer ? me demande-t-il.
Je me lève et Duncan fait de même, il se lève brusquement, il n'attendait que ça de toute façon. Une fois dans la salle de consultation, le médecin nous intime de nous asseoir, ce que nous faisons avec une synchronisation impressionnante.
— Comment allez-vous depuis la dernière fois ? me demande-t-il en joignant ses mains devant lui sur son bureau.
— Ça va plutôt bien, je réponds.
— Rien à signaler ? insiste-t-il.
Il pense peut-être que je mens, mais ça n'est pas mon genre. Pour le coup, je dois dire que je vais plutôt bien. J'ai eu une petite baisse de moral dernièrement, je me suis inquiétée pour un tas de trucs, j'ai perdu mon éternelle assurance mais maintenant, ça va mieux. La terrible Charlie est de retour. Quant à mon état physique, je dois dire qu'il est plutôt bon contrairement à tout ce qui est censé m'arriver. Parfois, il m'est arrivé à me demander si j'étais réellement malade et si le médecin ne se serait pas trompé dans son diagnostic.
— Non, je réponds.
— Pas de douleurs particulières ? Des douleurs abdominales ou dorsales ?
— Non... Je devrais ?
Le docteur Michaels regarde Duncan, l'air de se retenir de parler devant lui.
— Est-ce que vous pourriez nous laisser seuls ? demande-t-il finalement à Duncan. J'aimerais m'entretenir avec ma patiente.
— Non, il peut rester, dis-je brusquement. Il n'y a rien que vous ne pouvez pas dire devant lui.
— Eh bien, si vous insistez. Charlie, comme vous le savez, votre cas est plutôt curieux et pas des plus banals. Mais si vous avez eu des douleurs quelconques, il faut me le dire.
— Vous insinuez que je suis une menteuse ? m'offusqué-je.
D'accord, je sais ce que vous vous dites. Je prétends ne jamais mentir mais je suis en train de cacher à mon médecin que j'ai eu ces douleurs atroces hier. Je ne l'ai pas encore dit à Duncan et j'espère qu'il ne prendra pas mal le fait que je lui ai menti. Enfin, c'est un mensonge par omission, est-ce que ça compte ? Je le regarde et je le vois hausser un sourcil, l'air d'attendre une réponse de ma part.
— Eh bien hier..., commencé-je. Hier, j'ai eu des douleurs au niveau du dos. J'ai pris un cachet et ça s'est un peu calmé.
— Hier quand ? s'inquiète Duncan. Oh, quand tu as mis du temps à venir ?
— Ouais...
— Mais pourquoi...
— S'il vous plait, le coupe Dr. Michaels.
Duncan fronce les sourcils et son regard passe du médecin à moi. Il a eu l'air énervé l'espace d'une seconde mais maintenant, c'est seulement son regard inquiet que je vois. Je crois y lire de la pitié, s'il y a bien une personne qui ne doit pas avoir pitié de moi, c'est lui.
— Charlie, est-ce que vos parents sont au courant de ces douleurs ? me demande le médecin.
— Eh bien, pas encore mais puisque mon père vérifie tous les jours mes plaquettes de médicaments et me demande des comptes sur ce que j'en fais, on dirait bien que mon mystère n'en restera pas un...
Il se racle bruyamment la gorge et aplatit ses mains sur le bureau.
— Écoutez, je ne peux vous forcer à rien, mais je vous conseille fortement d'être transparente envers votre entourage à propos de votre situation. Vous avez refusé l'hospitalisation et avez choisi votre manière de vivre, mais vous ne pouvez pas vous permettre de faire n'importe quoi. Est-ce que vous voudriez être suivie par un psychologue ? Sachez que je peux vous conseiller des confrères très compétents qui...
— Non, le coupé-je. Je sais qu'en tant que médecin vous êtes en train de vous inquiéter et de vous dire que je suis dans une sorte de déni mais... ce n'est pas le cas. OK, je vous comprends, la derrière fois que vous m'avez vue, j'ai fait un constat sur l'état du carrelage et je suis partie sans rien dire, ce qui peut donner de moi l'image d'une fille quelque peu... traumatisée. Mais je surmonte tout ça à ma manière et je vous assure que tout va bien.
Après mon laïus, le médecin m'a auscultée et fait passer quelques tests, m'a posé des questions, m'a donné des conseils et m'a prescrit d'autres médicaments. Duncan s'est senti très impliqué dans tout ça, il avait même l'air plus impliqué que moi. Et dire que je comptais rester dans ma chambre à m'enfiler des pots de glace sans voir personne. Et dire que j'ai désespérément tenté de m'éloigner de ce garçon, j'ai essayé en vain de le tenir le plus éloigné de moi possible. Mais aujourd'hui, je veux plus que tout qu'il soit près de moi.
Alors que nous tournons à un coin de rue près d'un parc, Duncan me prend par la main et je reste bloquée quelques secondes sur ce geste pas si anodin. Emily m'a déjà pris la main, ainsi que Blake et mes parents ou mon frère - dont les mains sont toujours sales et collantes. Mais la main de Duncan elle, me provoque un tout autre effet ; la sensation d'électricité qui me parcourt est presque irréelle, je n'ai jamais ressenti ça de ma vie. D'ailleurs, nous avons arrêté de marcher ; il plonge son regard brun dans le mien, j'ai l'impression que ses yeux me demandent mille et une choses, j'ai l'impression qu'il essaye de me transmettre à la fois plus de choses qu'un seul regard ne peut contenir.
— Ça... te dérange ? me demande-t-il subitement gêné, désignant nos mains entrelacées.
— Non, c'est... c'est cool, ça me va.
Pour toute réponse, j'ai droit à un de ses innombrables sourires qui pourraient sans mal faire fondre le plus fort des glaciers. Ou faire cuire le plus congelé des steaks. Enfin, vous avez compris, son sourire est tout simplement attirant et communicatif. Je sais, je vous en bouche un coin, n'est-ce pas ? Qui aurait cru que je parlerais un jour comme toutes ces groupies qui bavent devant les mecs populaires du lycée ?
Ça me fait penser au jour où Emily était entrée sans le faire exprès - d'après ses dires - dans les toilettes des garçons, au lycée. D'après elle, «Ces foutues portes sont exactement pareilles et bien trop proches». Quoi qu'il en soit, elle s'est retrouvée dans les toilettes des garçons et son regard est resté bloqué sur un garçon occupé à l'urinoir. D'après le mec en question, mon amie «Est une putain de psychopathe», mais d'après elle «Oh mon dieu, ses yeux se sont verrouillés aux miens et c'était magique !». Blake et moi l'avons charriée pendant un long moment, ce dernier s'amusait d'ailleurs à la regarder dans les yeux et à lui sourire de manière assez équivoque pour lui faire comprendre à quel point elle avait été bête.
Duncan se remet à marcher et nous entrons dans une cour d'immeuble, plutôt ancienne, mais lorsque nous passons une porte, nous arrivons dans un hall beaucoup plus moderne et design. Tout ici est gris ou noir.
— Tu m'emmènes où ? demandé-je, même si je me doute que nous allons chez lui.
— Chez moi... sauf si tu tiens vraiment à voir le sous-sol ?
Je ris à sa remarque, je repense au temps où il me définissait sa version de l'amitié, lorsque nous étions perchés en haut de la grande roue. Il m'a avoué qu'il éprouvait de l'affection pour moi et même si je ne l'assumais pas, je savais que c'était aussi mon cas.
Je le suis et je marque un temps d'hésitation avant d'entrer dans l'ascenseur, ce qu'il ne manque pas de remarquer puisqu'un coin de sa bouche se relève, dessinant un sourire de tombeur, et fronce les sourcils.
— Quoi, tu penses toujours que je suis un psychopathe en pleine recherche de chair fraiche ?
— Peut-être bien, dis-je.
La vérité, c'est que je n'ai pas envie d'être enfermée dans cet ascenseur minuscule avec un mec aussi... aussi... avec lui, quoi. Dans le trois quart des films ou séries que j'ai vus, lorsqu'un couple entrait dans un ascenseur, ça finissait toujours mal. Enfin, par mal, comprenez quelque chose de pas si mal que ça ; les deux protagonistes se sautent pratiquement dessus.
Oh, j'oubliais ! Vous allez me demander «Et l'autre quart alors, tu en fais quoi ?». Je vais vous le dire. Dans le quart restant, l'ascenseur tombe en panne et les protagonistes se blessent en tentant de sortir de la cabine par une trappe, afin d'escalader les câbles de l'ascenseur, pour atteindre un étage. Alors soit ils sont forts et y arrivent, soit ils échouent et meurent carbonisés dans la super explosion qu'aura provoquée la cabine en s'écrasant tout en bas. Je vous l'ai dit, les ascenseurs, ce n'est pas un lieu idéal.
— C'est parce que tu as vu 50 nuances de Grey ? demande-t-il. Je ne m'appelle pas Christian Grey, je pense que tu peux entrer dans cette cabine sans aucune crainte.
Il m'adresse un large sourire, encore et toujours des sourires. Je me demande comment il fait pour ne pas avoir une crampe à la mâchoire. Sérieusement, le jour où j'ai fait une collecte de dons obligatoire pour le lycée en faisant du porte à porte, j'ai bien cru que j'allais rester bloquée en position sourire toute ma vie. Je me détends, lui rends son sourire et entre dans la cabine. Duncan appuie sur le bouton du cinquième étage tandis que je me terre vers le fond de la cabine et me place devant le miroir.
Mon chignon est perché sur le sommet de mon crâne, comme toujours, c'est sa place. Je n'ai pas bonne mine, mais ce n'est pas si terrible que ça. Disons que j'ai l'air d'avoir fait une longue séance de sport, une nuit blanche, une dissertation compliquée et une autre nuit blanche. Ce n'est pas si terrible que ça. Duncan s'empare de mon élastique et défait mon chignon mal attaché, mes cheveux tombent en cascade sur mes épaules, me donnant tout de suite meilleure mine ; retirez la dissertation du tableau.
Je fixe son reflet dans le miroir, il fait de même. Son regard est pénétrant et l'ascenseur bien trop lent. Je vois la main de Duncan glisser sur mon épaule, il décale ma masse de cheveux sur le côté et approche dangereusement sa bouche de mon cou et l'embrasse sensuellement, comme si c'était l'endroit et le moment.
— Duncan, t'avais dit que...
— Ouais, et bien j'ai menti, comme toi.
Il continue de m'embrasser et je dois dire que c'est vraiment agréable. Lorsqu'il rouvre les yeux et les lève vers moi, son regard est brûlant et hypnotisant. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent, il en sort, me laissant seule et déboussolée dans la cabine.
Publié le 11/12/17
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