Mère et Fille
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Thème : La fête des morts
TW : Mention de la mort
Manga : Haikyuu - Kuroo Tetsuro
Spoil : Fin du lycée, mention rapide du "futur" de Kuroo
Nombre de mots : Environ 8100
Lexique en fin de chapitre
Ayant enfin le courage de se rendre sur la tombe de sa mère, Miho proposa à Tetsuro de l'accompagner pour la soutenir dans cette nouvelle épreuve. Ils partent quelques jours en vacances faire l'O-Bon, profiter de l'air marin, rire, se souvenir et se recueillir. C'est l'occasion pour Tetsuro d'en savoir un peu plus sur le passé de Miho, et pour Miho de se dévoiler, à la fois à sa mère et à son petit ami.
❀❀❀
Miho était le genre de personne à tout prendre en dérision, excepté le basket, sa passion première. Toujours moqueuse ou à la recherche de petites piques à lancer à ses amis, l'adolescente se donnait l'image d'une fille qui n'était jamais vraiment attachée aux choses qui l'entouraient. Elle avait ses amies, son sport de prédilection, ses joueurs préférés, son ballon favori ― voire même son agaçant petit ami. Elle avait ses parents bien-aimés, son chien chéri avec qui elle aimait s'entraîner à la course, et sa meilleure amie, qu'elle considérait comme une sœur après des années passées ensemble.
Miho était une gagnante, mais pas une mauvaise joueuse pour autant. Elle pouvait faire des choses sur un coup de tête, comme se teindre les cheveux à la suite d'un pari, et laisser penser qu'elle était immature et irréfléchie. Mais ceux qui étaient vraiment proches d'elle, qui la connaissaient vraiment le savaient : elle se cachait derrière ses blagues, ses sourires et ses piques. Elle détestait montrer ses faiblesses.
Alors, quand elle avait demandé à voir Tetsuro dans l'un de leurs endroits préférés ― endroit tenu secret même à leurs amis, le garçon s'était montré, légèrement intrigué. Au téléphone, sa voix n'avait pas cette fougue habituelle. Elle ne lui paraissait pas éteinte, plutôt monotone, avec quelques pointes de stress.
Ils étaient à présent assis l'un à côté de l'autre, sur ce banc métallique, faisant face à ce paysage hors du temps. Devant eux s'écoulait dans un bruit cristallin l'un des nombreux cours d'eau de Tokyo. Miho fixait la rivière, le regard dans le vague, tandis que Tetsuro l'observait elle, du coin de l'œil. Il attendit patiemment qu'elle parle : pour une fois, elle ne semblait pas d'humeur à se disputer avec lui. Pour une fois, elle était sérieuse, alors, il le serait aussi.
― Tu te souviens de la fois où je t'ai parlé de ma mère biologique ?
Le jeune homme haussa un sourcil : une chose était sûre, s'il y avait bien un sujet qu'il ne pensait pas aborder à ce moment précis, c'était bien celui-là. Il hocha du menton, avant de se rendre compte qu'elle ne le regardait pas.
― Oui, tu as été adoptée bébé, c'est ça ?
Miho acquiesça en retour, avant de se tourner vers lui. Elle se mordillait la lèvre, comme pour empêcher sa prochaine phrase de s'échapper de sa bouche. Elle détourna le regard un instant, avant de planter ses grands yeux bruns dans ceux de son petit ami.
― J'y réfléchis depuis plusieurs semaines déjà. On se connait depuis plus de trois ans maintenant, et on sort ensemble depuis l'année dernière. Alors je me suis dit...
Elle s'interrompit. Tout à coup, elle se sentait stupide de poser une question pareille : que ferait-elle s'il refusait ? Elle n'aimait pas montrer ce genre de facette de sa personne. Pourtant, c'était Tetsuro.
Elle lui faisait confiance.
Il posa une main sur la sienne, comme pour l'encourager à parler. Miho ne put cacher son sourire en sentant la chaleur de la paume du garçon envahir le dos de sa main.
― Est-ce que tu voudrais bien venir avec moi faire l'O-Bon* pour elle ?
Un large sourire apparut sur le visage de l'étudiant. Il lâcha la main de la jeune femme et la posa sur le sommet de son crâne, ébouriffant ses mèches roses avec vigueur. Miho pesta en repoussant le volleyeur et le fusilla du regard. Tetsuro ricana avant de ramener la basketteuse contre lui. Un bras autour de son épaule, sa main libre ayant attrapé ses joues rosies, l'obligeant à le regarder droit dans les yeux, il lui donna sa réponse :
― Évidemment que je viens. Tu m'as fait peur avec toute ta mise en scène là !
― Ouais, mais c'est assez intime comme demande, je savais pas comment aborder le sujet, marmonna-t-elle en gonflant ses joues.
Tetsuro sourit, et souffla sur le visage de la jeune femme, faisant virevolter les mèches de sa frange dans tous les sens.
― On a fait plus intime, la provoqua-t-il en refermant son deuxième bras autour de sa taille.
Bloquée confortablement contre lui, Miho posa sa tête contre son épaule. Il n'avait pas tort.
― C'est pas pareil.
― Je sais, j'te charrie.
Un silence apaisant s'installa entre eux, et Miho passa à son tour des bras autour de la taille du jeune homme. Quelques instants plus tard, il se mit à poser des questions :
― On part où et quand ?
― Dans deux semaines dans le Kansai. C'est pratique, avec les vacances d'été, mais ça te gêne pas de partir quelques jours, tu es sûr ? demanda Miho en levant la tête pour voir son visage.
― T'inquiète, pour l'instant, les cours sont faciles, j'peux m'absenter sans problème pendant les cours de prépa. Au pire, je demanderai à un type de me filer les infos.
Tandis qu'il la rassurait, le duo de sportifs se mit à planifier leur prochain voyage en tête à tête. Et dire que trois ans auparavant, elle le trouvait insupportable...
❀❀❀
Ils s'étaient retrouvés tôt à la gare, valises en main et sacs sur le dos. Le mois d'août était étouffant, et Miho avait hâte de profiter de la climatisation dans le wagon. Elle n'imaginait même pas son état lorsqu'ils arriveraient dans la préfecture de Wakayama, en plein milieu de la journée. Heureusement, il y avait la mer à proximité, alors peut-être qu'ils pourraient profiter d'une fin d'après-midi pour aller faire trempette.
Le trajet durant plusieurs heures, Miho avait préparé de quoi manger ― sous le regard attentif de sa mère adoptive, pendant que Tetsuro s'était occupé de trouver de quoi passer le temps. Il avait téléchargé plusieurs films, et même l'un des matchs de basket du joueur préféré de sa copine. Elle l'avait probablement déjà vu, mais ça ne l'empêcherait pas de le regarder comme si c'était la première fois.
Ils s'installèrent à leurs places attitrées, et le garçon attrapa la valise de Miho au moment où elle allait la soulever pour la ranger dans l'espace prévu au-dessus de leurs sièges. Elle pouffa de rire en voyant l'air fier sur le visage du brun, avant de grimacer.
─ Tu joues à quoi exactement ? se moqua-t-elle en se laissant tomber sur le moelleux de la banquette.
─ C'est une technique de séduction : je joue au gentleman et en plus, je te montre mes muscles, tu devrais être conquise, fit-il en se pavanant un instant en remontant les manches de son t-shirt sur ses épaules.
Miho tira la langue, mimant le dégoût, avant de se décaler pour que Tetsuro puisse s'asseoir à ses côtés. Le jeune homme, ayant eu le temps d'apercevoir sa moue faussement écœurée, lui balança une pichenette en plein milieu du front pour se venger. La basketteuse plaqua ses mains contre son crâne, étouffant un cri dans sa bouche. Elle répliqua d'un coup d'épaule dans son bras, avant de s'enfoncer dans son siège.
─ Toute façon, t'as perdu des bras depuis la fin du lycée, tu passes ton temps à étudier, marmonna Miho dans son coin.
─ On a pas tous le temps de faire autant de sport que toi, sourit le jeune homme. En plus c'est pas vrai, j'ai même pris plus de muscle que toi.
Pour la narguer, il planta un doigt dans ses côtes, à la recherche de la moindre particule de gras, et Miho tressaillit en sentant l'impact contre ses os.
─ Aïe !
Miho fit volte face et se jeta sur lui, prête à lui faire subir une vague des chatouilles bien méritées. Au même moment, des passagers du train traversèrent le wagon, et leur jetèrent un long regard empli de jugement. Chacun des deux retrouva sa place, droit comme un piquet, les lèvres pincées pour éviter d'exploser de rire.
─ J'ai gagné cinq kilos en quatre mois, je fais de la muscu' plusieurs fois par semaine, les entraînements sont horribles... Mais je gagne, c'est moi qui suis le plus musclée maintenant, s'emballa-t-elle.
─ T'es sûre ?
Il souleva rapidement le tissu de son t-shirt, laissant apparaître quelques abdominaux bien dessinés. Le sourire de Miho disparut aussitôt, et jalouse, elle se tourna vers la fenêtre, les bras croisés.
─ Tu m'saoules. J'vais te balancer par la fenêtre.
─ Non, tu le feras pas. Tu m'aimes trop pour ça, murmura-t-il à son oreille.
Elle n'approuva pas, mais elle ne le nia pas non plus.
❀❀❀
La chambre de l'hôtel traditionnel qu'ils avaient louée pour quelques jours avait la vue sur la mer. Le bâtiment, situé dans le pan de colline, leur permettait d'avoir une vision panoramique sur la partie basse de la ville de Wakayama.
Les deux étudiants déballèrent rapidement leurs affaires, fatigués par le trajet en train, suivi de la recherche de l'hôtel. L'après-midi était déjà bien grignoté, et la chaleur, étouffante, les avait assommés. Miho ouvrit la fenêtre, et posa ses mains sur le rebord, accueillant le vent marin avec plaisir. Elle écouta le bruit lointain de la mer les yeux fermés, laissant la brise jouer avec ses cheveux détachés. Une présence se glissa derrière elle : Tetsuro avait appuyé son menton sur le sommet du crâne de la jeune femme.
─ Tu veux aller te promener sur la plage ?
Miho hocha la tête. Elle releva son visage en arrière avec un sourire.
─ J'espère que t'as pas oublié ton maillot.
Ils se changèrent rapidement et, serviette sur l'épaule, se dirigèrent vers la mer. Le trajet dura une dizaine de minutes, pendant lesquelles Miho observait avec attention les rues qu'elle parcourait. Elle se surprit à imaginer la vie de sa génitrice, des années auparavant. Est-ce qu'elle avait aussi, vingt ans plus tôt, arpenté ces rues labyrinthiques ? Mangé dans les restaurants qui les bordaient ? Travaillé dans ces enseignes qui lui étaient inconnues ? Étudié dans l'une des écoles du coin ? Miho ne connaissait pas grand-chose de la vie de sa mère biologique : son nom, l'âge qu'elle avait quand elle lui avait donné naissance, et par extension l'âge auquel elle était décédée.
Est-ce qu'elle lui ressemblait ? Qu'est-ce qu'elle aimait dans la vie ? Qui était son père ? Avait-elle été heureuse ? Ou l'avait-elle détestée ? L'avait-elle maudite ? Toutes ces questions qui resteraient sûrement sans réponse tournaient en boucle dans l'esprit de la basketteuse.
Tetsuro attrapa sa main en apercevant ses sourcils froncés. Il ne disait rien, mais en la voyant cogiter de la sorte, il ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter de son côté. Les doigts de Miho s'entrelacèrent naturellement avec les siens, et son visage sembla se détendre.
─ Tu sais que tu peux m'en parler, pas vrai ?
─ Je sais. Merci Tetsuro. Mais aujourd'hui, je veux juste profiter du soleil, du sable, de la mer et de toi.
Son sourire, plus doux qu'à l'accoutumée, semblait cacher beaucoup de secrets, mais le jeune homme préféra ne pas insister. Il la connaissait : elle lui parlerait quand elle serait prête.
Il l'entraîna alors derrière lui, tirant sur sa main pour l'obliger à accélérer. Ils arrivèrent finalement devant l'étendue bleue. Le soleil faisait étinceler les vagues, comme si des milliers d'étoiles s'étaient invitées à la fête. Il n'y avait pas grand monde sur la plage, alors ils posèrent leurs affaires en plein milieu du paysage. Miho retira sa robe, tandis que Tetsuro déboutonnait sa chemise.
Ils firent la course jusqu'à l'eau, mais les longues jambes du volleyeur l'aidèrent à l'emporter. La mer était chaude et Miho plongea tout de suite à travers les vagues. Elle resta sous la surface de longues secondes, profita du silence et du flottement dans son corps dans la vaste étendue bleue. En remontant à l'air libre, elle aperçut Tetsuro non loin d'elle en train de secouer sa tête dans tous les sens. Il avait sauté dans l'eau juste avant elle.
Ils s'amusèrent une bonne heure dans l'océan, s'éclaboussant par moments, s'embrassant à d'autres. Leurs baisers avaient un goût salé.
Lorsqu'ils rentrèrent à l'hôtel, Miho avait grimpé sur le dos de Tetsuro, et l'écoutait raconter des histoires qu'elle connaissait déjà pour la plupart. Mais la voix entraînante du jeune homme, et la douce chaleur qui se dégageait de son dos faillirent l'endormir sur son épaule. Ils passèrent une soirée tranquille, mangeant les petits plats du chef cuisinier dans la salle de réception presque vide. Il commençait à se faire tard.
Une fois leur repas terminé, ils rejoignirent leur chambre. Le lit avait été préparé pendant leur petite escapade : le matelas reposait directement sur le sol, et une légère couette le recouvrait de part et d'autre, laissant deux makura* dépasser. Tetsuro poussa sa copine à prendre sa douche en premier, entamant une partie d'un jeu vidéo que son ami Kenma lui avait montré quelques années auparavant. Lorsqu'il revint à son tour de sa toilette, il trouva Miho endormie sur la couverture. La journée l'avait sûrement épuisée. Elle n'était pas aussi physique que les jours où elle passait des heures à s'entraîner, mais sa fatigue mentale avait probablement joué. Délicatement, il tira sur la couette pour l'en dégager, et couvrir ses jambes, avant de se glisser dessous à son tour.
Avec un sourire tendre, il appuya sa tête sur sa main, la regardant dormir quelques instants. Sa bouche était légèrement entrouverte, sa poitrine se soulevait paisiblement à chaque respiration. Le t-shirt qu'elle portait était remonté sur son ventre, et Tetsuro attrapa du bout des doigts le tissu pour bien le replacer. Il savait qu'elle était plutôt sensible aux coups de froid, alors s'il pouvait éviter qu'elle n'attrape un mal de ventre...
Il se laissa tomber sur le dos. Grâce à la lumière de la lune, il pouvait apercevoir l'intérieur de leur chambre. L'ambiance était reposante : il aurait aimé en profiter avec Miho sans que le but premier de ce voyage ne soit aussi triste. Il aurait aimé l'embêter, il aurait aimé voir son répondant, il aurait aimé voir les feux d'artifices en la tenant dans ses bras. Enfin, il le ferait probablement, mais peut-être pas le lendemain. Leur première journée était réservée à la commémoration de la mère de Miho. Il ne savait pas encore comment elle réagirait, et comment lui, devrait se comporter.
Miho avait toujours été forte. Elle le lui avait prouvé plusieurs fois depuis qu'ils se connaissaient. Elle se relevait toujours et ne se laissait jamais marcher sur les pieds. Mais demain, la situation ne serait plus la même. Demain, ils affronteraient la mort et l'inconnu. Demain, ils seraient confrontés à un passé qu'ils n'avaient jamais, ne serait-ce, pu appréhender.
❀❀❀
― Réveille-toi Mini Pouce, dit Tetsuro en secouant doucement son épaule.
Miho grogna, la tête enfouie dans son oreiller, avant de rouler sur le dos. Les yeux encore endormis, ses mèches roses éparpillées autour de son crâne, elle le fusilla du regard. Elle serait volontiers restée dormir une heure ou deux de plus. Ou quatre. Elle s'étira en s'asseyant, laissant un bâillement bruyant s'échapper de sa bouche.
― T'es debout depuis combien de temps ? demanda la jeune femme en repoussant la couverture.
― Un quart d'heure, ils ont toqué à la porte pour nous prévenir que le petit déjeuner était servi.
Miho hocha la tête en entendant la réponse à sa question, et finit par se mettre sur pied. Tetsuro s'était changé, et avait enfilé un t-shirt noir simple avec un short. Elle fit de même, et ils se dirigèrent vers l'espace commun pour manger avant leur journée bien chargée.
Des coussins reposaient dans la longue pièce qui servait de restaurant, et ils prirent place, côte à côte. Quelques instants plus tard, le personnel vint leur emmener des plateaux sur lesquels figuraient différents bols et assiettes, tous plus appétissants les uns les autres. Miho sentit un creux dans son ventre : elle mourrait de faim. Alors, elle ne se fit pas prier, et après avoir souhaité un bon appétit à son compagnon ― qui le lui rendit aussi, elle se lança sur la nourriture. Tetsuro engloutit son repas en quelques instants.
Lorsque Miho eut fini de manger, ils remontèrent dans leur chambre, et se préparèrent pour cette journée, qui s'annonçait étrange. La jeune femme avait longuement hésité en faisant sa valise, deux jours auparavant. Quelle tenue devrait-elle mettre pour visiter la tombe de sa mère ? Quelque chose de sobre et de sombre ? Quelque chose de plus traditionnel ? Ou alors, quelque chose qui collait à sa personnalité ? Elle voulait se présenter, après tout. Elle avait finalement opté, au bout de deux heures de réflexion intense, pour une robe claire, vert d'eau, plutôt élégante mais qui ne détonnait pas non plus avec sa façon d'être. Une robe classique, colorée et loin d'être morne, qui apporterait un peu de pep's dans cette journée mélancolique.
Elle s'habilla et prit soin de se coiffer. De son côté, Tetsuro s'était changé. Il avait lui aussi choisi des vêtements clairs : un pantalon droit, simple, dont la ceinture retenait une chemise légèrement trop grande. Pendant que la jeune fille était occupée à arranger des mèches roses, il préparait le sac qu'ils allaient transporter pour la journée. À l'intérieur se trouvait tout ce qu'il fallait pour célébrer l'O-Bon, et de quoi manger et boire pour eux.
Lorsqu'ils furent fin prêts, Miho de planta devant la porte et lui tendit la main.
― Allons-y, fit-elle, déterminée.
Tetsuro glissa ses doigts entre les siens, et ils quittèrent l'hôtel dans un silence réconfortant. Le soleil tapait déjà fort dans les rues animées du quartier : l'air marin s'engouffrait entre les habitations et les boutiques, rafraîchissant les alentours. Les rafales faisaient voltiger les pans de la robe de Miho, si bien qu'elle fut obligée de tenir le tissu de sa main libre pendant une bonne partie du trajet.
Quelques jours auparavant, elle avait appris le chemin jusqu'au cimetière par cœur : la jeune femme entraînait son amoureux derrière elle, celui-ci laissant faire avec un sourire. Miho ne lui paraissait plus aussi déprimée. En fait, il lui semblait même qu'elle avait hâte d'arriver sur les lieux.
La route montait par endroit, descendait par d'autre. Toujours bordée de petites maisons traditionnelles ou d'enseignes en tout genre, l'ambiance de la ville de Wakayama était quelque chose de réconfortant, de nostalgique. Au bout d'une longue demi-heure, ils arrivèrent devant un escalier en pierre qui créait un chemin au travers d'un petit bois.
― Il y a un chemin plus officiel de l'autre côté, mais je préférais passer par là, expliqua Miho.
― Ouais, parce que c'est plus court et que t'aimes pas marcher, se moqua Tetsuro en ricanant.
Miho haussa les épaules sans nier. Ce n'était pas faux, après tout. Ils commencèrent l'ascension des marches en pierre. De part et d'autres de la montée se trouvaient des dizaines et des dizaines d'arbres, qui rendaient l'air frais grâce à l'ombre qu'ils créaient. Le vent s'engouffrait entre eux, faisant virevolter les feuilles vertes, les cheveux du jeune couple et leurs vêtements légers. C'était agréable. Lorsqu'ils arrivèrent en haut, ils aperçurent une multitude de pierres tombales.
Au-dessus de leur tête, le ciel bleu était visible, malgré le fait que les couvertures de verdure le cachaient en partie. Le paysage était presque magique : les chemins étaient délimités au sol par des dalles de pierres taillées, créant des lignes droites au centre de cette nature abondante. La végétation reprenait ses droits sur de nombreuses statues et tombes. Les âmes des défunts étaient gardées par ces sculptures immenses, représentant différentes divinités shintoïstes.
― T'as une idée de l'endroit où elle se trouve ?
― Non... Il va falloir chercher.
Tetsuro laissa planer un silence. Il avait une question en tête, mais il n'arrivait pas à la formuler clairement. Alors, il laissa échapper un soupir, avant de finalement s'en tenir au plus simple :
― Elle s'appelle comment ?
― Tomoko. Elle s'appelait Tomoko Kobayashi.
Il hocha la tête, laissant le silence reprendre sa place. Depuis qu'ils étaient entrés à l'intérieur du cimetière, Miho s'était emmurée dans un mutisme qui lui était peu familier. Il lui arrivait d'être calme, de ne pas parler pendant de longs moments, mais le plus souvent, elle était occupée à écouter de la musique ou à rêvasser les yeux ouverts. Cette fois-ci, la jeune femme observait les alentours avec attention, comme si elle voulait graver chaque pierre tombale, chaque chemin et chaque arbre dans sa mémoire.
Tetsuro tira sur sa main, l’entraînant à son tour derrière elle. Doucement, ils se mirent à parcourir le premier chemin qui s'ouvrait à eux. Miho scrutait le nom sur les plaques d'un côté, tandis que le jeune homme s'occupait de l'autre. Une bonne demi-heure s'écoula avant qu'ils ne se trouvent finalement devant leur objectif.
Il n'y avait aucune fleur de déposée à sa surface. Légèrement sale par endroit, la poussière s'était incrustée dans la pluie séchée, et de la mousse avait poussé sur une grosse partie de la pierre froide. Son nom était toujours visible, mais la date de son décès avait disparu sous la verdure. Miho savait que sa mère était morte l'année où elle lui avait donné naissance.
Les deux jeunes adultes déposèrent leurs affaires sur le bord du chemin, pour ne pas gêner le passage.
― Je vais chercher de quoi nettoyer la pierre, je reviens, annonça Tetsuro, choisissant de lui laisser un peu de temps seule avec sa mère biologique.
Miho acquiesça, et le regarda s'en aller du coin de l'œil. Sa haute silhouette surplombait le champ du repos, il se démarquait de l'environnement qui l'entourait. La jeune femme se sentit chanceuse de l'avoir dans sa vie, malgré toutes les disputes qui éclataient entre eux. Après tout, c'était leur façon de s'aimer : ils se cherchaient encore et toujours, mais ils savaient qu'ils pourraient toujours compter l'un sur l'autre. Tetsuro le lui avait prouvé une fois de plus en la soutenant comme il le faisait, depuis qu'ils étaient arrivés dans la ville de Wakayama.
Elle se retourna face à la stèle de granit, sans un mot. Un léger vent soufflait et jouait avec ses cheveux, ainsi que les pans de sa robe. Miho joignit ses mains devant elle, et s'inclina en fermant les yeux.
― C'est la première fois que je viens ici, alors je me présente. Je m'appelle Miho Sakurai, et je suis ta fille. Bonjour Maman.
Comme attendu, seul le silence lui répondit, et la jeune femme se redressa doucement. Elle ne se sentait pas spécialement triste, mais un curieux sentiment pesait sur sa poitrine. Après tout, c'était sa première visite : son premier pas vers un pan entier de son existence qu'elle avait toujours ignoré ― volontairement ou non.
Une demi-douzaine de minutes plus tard, le jeune homme revint les bras chargés. Il avait un sceau rempli d'eau dans une main, et quelques outils pour nettoyer la pierre froide dans l'autre. Miho se précipita pour l'aider, voyant quelques chiffons sur le point de tomber par terre. Tetsuro la remercia. Il posa le seau au sol, près de la tombe.
― Bon, il va falloir faire un brin de toilette avant de commencer la cérémonie, annonça-t-il en retroussant les manches de sa chemise.
Miho acquiesça, et attacha ses cheveux pour qu'ils ne la gênent pas. Elle attrapa une brosse, la trempa dans l'eau limpide, et commença à frotter le sommet de la stèle. La mousse s'enleva rapidement, et les gouttes d'eau qui coulaient vers le bas créaient des sillons dans la poussière. Tetsuro s'occupa de la partie horizontale avec une éponge. Lorsque finalement, au bout d'une petite demie heure, la pierre se mit à briller sous les rayons du soleil, le couple se releva, les mains sur les hanches. Ils avaient fait de l'excellent travail.
― C'est plus fatiguant que je le pensais, souffla Miho en s'étirant le dos.
― C'est surtout qu'il y avait pas mal de travail à faire. On dirait que personne n'est venu s'occuper de la tombe de ta mère depuis longtemps...
La jeune femme pinça ses lèvres. Il avait raison. Il était possible que ses vrais grands-parents soient eux-aussi décédés, qu'elle n'ait ni oncle, ni tante, et que son père ignore même jusqu'à son existence, à moins qu'il ne soit dans la même situation que sa mère. C'est-à-dire mort, pensa Miho avec une grimace.
Est-ce qu'elle était la première à venir se recueillir sur sa tombe depuis le jour où on l'avait érigée ? À présent, elle se sentait triste.
― Tu vas bien ? T'es toute blanche, remarqua Tetsuro en posant une main sur son épaule, pour la sortir de ses pensées.
― Oui, ça va. Je réfléchissais juste à... Enfin j'essayais d'imaginer ses parents.
Elle aurait aimé rencontrer quelqu'un qui lui aurait raconté mille et une histoires sur sa mère. Mais ses parents adoptifs ne connaissaient personne de son entourage, et la seule information qu'ils avaient eu concernant sa génitrice était une adresse. Miho avait toujours su qu'elle n'était plus de ce monde, et elle avait très vite appris que sa famille actuelle n'était pas sa famille originelle. Quelques années auparavant, ça ne l'avait pas dérangé plus que ça : on l'aimait plus que de raison, elle avait de super amis, elle excellait en sport ― et peut-être un peu moins à l'école, elle était épanouie. Et puis, un beau jour, elle avait eu envie de savoir. De connaître. D'en apprendre plus. Sur sa mère, sur son passé, sur elle-même.
― Peut-être que tu tiens ta passion du basket de l'un d'eux ? soupçonna Tetsuro en se tenant le menton.
― Parce que toi, tu adores le volley à cause de tes grands-parents peut-être ?
Il ouvrit la bouche pour répliquer, avant de se rendre compte qu'elle avait raison. Il haussa les épaules, nonchalant.
― On ne sait jamais, des fois, ce genre de chose, c'est dans le sang.
― J'espère pour les personnes du même sang sur toi qu'elles n'ont pas hérité de tes manies bizarres, se moqua Miho en reculant d'un pas.
― Quelles manies ?
Le regard de la jeune femme passa rapidement sur les mèches rebelles du garçon face à elle, avant de revenir sur son visage. Elle se mordit la lèvre pour ne pas sourire.
― Ah, tu veux jouer à ça ? On en parle de tes manies à toi ? Qui de nous deux était obligé de mettre trois réveils et finissait quand même par dormir en cours ?
― Qui de nous deux cherche toujours à emmerder les plus jeunes sous prétexte qu'il a un an ou deux de plus qu'eux ?
― Lequel d'entre nous est tellement gaga de son chien qu'elle voit même pas qu'on est en train de la filmer alors qu'elle déteste ça ?
― C'est pas moi qui me fait passer pour une fille sur les jeux vidéos pour gratter des trucs avec les autres ?
― Par contre c'est toi qui est toujours obligé de tout prendre en photo ? Alors que t'as même pas de place sur ton portable.
― J'ai jamais cassé de distributeur le premier jour d'école !
Tetsuro ouvrit la bouche, outré.
― Hé, ça, c'est un secret d'État, t'as pas le droit de le ressortir !
― J'ai gagné, sourit Miho.
Ils échangèrent un regard, avant de pouffer chacun dans leur coin. Cette petite joute verbale lui avait changé les idées et Miho se sentait un peu mieux. Elle s'accroupit en prenant garde de plier sa robe pour qu'elle accompagne le mouvement de son corps, et ouvrit le gros sac qui se trouvait à ses pieds. À l'intérieur se trouvait plusieurs boîtes en plastiques, dont la plupart renfermait les bons petits plats qu'elle avait cuisinés avec sa mère, la veille de son départ. Il y avait également un petit paquet en carton, qui contenait une bonne dizaine de bâtons d'encens. En relevant la tête, elle observa avec attention la pierre tombale devant elle, qui semblait jaillir de la terre.
Le plus haut sommet reposait sur une base cubique, qui se trouvait elle-même taillée sur une plateforme sombre. Sur cette plateforme était disposée de part et d'autre deux vases vides, ainsi qu'un petit plateau pour y déposer les victuailles. Tetsuro déballa le papier qui entourait le bouquet de chrysanthèmes qu'ils avaient ramené. Les grosses fleurs blanches vinrent trouver leur place dans les deux vases sombres, contrastant joliment avec le paysage. Le bouquet détonait : la pureté du blanc attirait tout de suite l'œil. L'obscurité de la pierre, le sol terreux, le tronc des arbres étaient assombris par la couverture de feuillages qui dansait au-dessus de leur tête, au gré du vent marin.
Lorsque Miho eut terminé d'installer les boîtes remplies des différents plats, du bol rempli du saké tokyoïte recommandé par son père, et qu'elle eût planté les bâtons d'encens dans un bolet rempli de sable blanc, le tableau lui parut agréable. Réconfortant. Tetsuro s'agenouilla à côté d'elle, et lui tendit le briquet.
― Il ne reste plus qu'à les allumer, expliqua-t-il malgré l'évidence.
Miho aurait pu se moquer, mais son humeur taquine l'avait rapidement quittée. Elle fit rouler la pierre, créant une étincelle. De cette flammèche, elle embrasa le haut des bâtons d'encens, d'où une légère fumée blanche s'échappa en direction du ciel.
― Et maintenant, tu peux dire tout ce que tu veux. Tu peux aussi prier.
La jeune femme hocha la tête.
― Je sais pas vraiment par quoi commencer, soupira-t-elle en baissant la tête.
― Pourquoi tu lui raconterais pas absolument tout ? Dis lui qui tu es, et comment tu as fini par devenir celle que tu es aujourd'hui, l'aida le jeune homme.
― Ça va être long, rit Miho.
― On a le temps, aujourd'hui vous est consacré, à toutes les deux.
― À toi aussi.
― Non, moi je suis juste la mule de service qui porte le sac, dramatisa Tetsuro.
Miho le poussa d'un coup d'épaule, avant de se remettre droite, sur ses genoux. À présent, elle avait une petite idée de ce qu'elle devait dire. De ce qu'elle voulait dire.
― Bon, je vais oublier le passage de ma venue au monde, parce que je pense que tu es plus au courant que moi de la façon dont ça s'est passé.
Tetsuro étouffa un rire. Miho sourit, mais continua sans se laisser distraire :
― Mes parents m'ont adoptée à l'âge de deux ans, avant ça, j'étais dans un orphelinat. Évidemment, je n'en ai absolument pas le moindre souvenir. Je pense que le tout premier que j'ai, c'est quand j'ai failli me noyer dans une piscine. J'avais échappé à la surveillance de ma mère, et l'instant d'après, j'avais sauté dans l'eau, cramponnée à ma bouée. Sauf que, pas de bol, elle s'est retournée et je me suis retrouvée les pieds en l'air, et la tête sous l'eau.
― Tu parles d'un premier souvenir joyeux, fit le garçon en haussant un sourcil.
― Tu sais, cette scène restera probablement toujours gravée en moi. Je n'avais pas peur. Je ne sais pas combien de temps je suis restée comme ça, mais dans mes souvenirs, c'était à la fois si court et si long... Mais je n'avais pas peur. L'eau me détendait, et c'était si calme que même aujourd'hui, j'y repense comme un souvenir agréable.
― Et comment t'as fait pour pas mourir ? Parce que d'accord, tu joues les Susanoo mais c'est pas pour autant que tu peux respirer sous l'eau, grimaça Tetsuro.
― Quelqu'un m'a attrapée par le pied et sortie de là, et... La suite je m'en rappelle absolument pas. Je suppose que ma mère m'a bien engueulée, fit-elle en haussant les épaules.
― T'as toujours été bizarre du coup, je comprends mieux.
Miho le fusilla du regard, et enfonça un doigt dans ses côtes. Il se tortilla sous l'attaque, et plaqua ses mains contre sa blessure, feignant une douleur incommensurable. La jeune femme leva les yeux au ciel, avant de se reconcentrer sur son discours. Par la suite, elle raconta sans trop entrer dans les détails son parcours scolaire, comment elle était tombée amoureuse du basket, la façon dont elle avait rencontré sa meilleure amie, sa relation avec ses parents, son meilleur ami canin, avec qui elle aimait passer tout son temps libre.
― Et moi, je viens quand dans ton histoire ?
― Je comptais te laisser expliquer cette partie...
― T'es sûre de toi ? fit-il en haussant un sourcil.
Miho acquiesça avec un sourire. Tetsuro grimaça une seconde, avant de réfléchir à la façon dont il allait commencer à expliquer pourquoi il se tenait là, sur cette tombe, à côté de cette fille. La jeune femme lui laissa tout le temps dont il avait besoin, et en profita pour boire un d'eau, elle avait la bouche pâteuse d'avoir autant parler.
― Notre première rencontre remonte... à notre premier jour de lycée, ça fait maintenant un peu plus de trois ans, débuta le jeune homme. On était dans la même classe, et Miho avait dormi toute la matinée, sans écouter le discours de bienvenue des professeurs en classe.
La basketteuse écarquilla les yeux, surprise. Comment était-il au courant de ça ? En voyant son sourire mesquin, elle comprit qu'il s'agissait d'une vengeance. Le coup du distributeur lui était resté en travers de la gorge. Miho le fusilla des yeux.
― Si je m'en rappelle, c'est parce qu'une fille qui dort non-stop pendant trois heures le premier jour de l'année, ça a le don de marquer, si c'était ça ta question.
― Je savais même pas que t'étais dans ma classe, à ce moment-là...
― Tu dormais, Mini Pouce.
Miho leva les yeux au ciel, avant de lui faire signe du menton de continuer. Elle voulait entendre la suite de cette histoire, de son point de vue.
― Ça a pris du temps, avant de réussir à me rapprocher d'elle, avoua Tetsuro. Au début, elle ne répondait même pas quand je lui disais bonjour, mais j'ai persévéré ! Heureusement, parce que sinon, elle aurait pu être ici avec ce plouc de Inoue.
― Tu me prends pour qui, là ? C'est toi qui est intervenu quand je lui ai mis un râteau...
― En même temps, tu as dit non deux fois, et il a continué à te harceler. Qu'est-ce qu'il fallait que je fasse ? J'allais pas rester là à regarder !
Miho retint un sourire. Elle savait très bien qu'à l'origine, il n'était même pas censé être présent. Mais il l'avait suivi, et il s'était interposé quand l'autre garçon s'était fait plus insistant. Miho aurait été capable de le frapper s'il ne s'était pas arrêté, mais heureusement pour Inoue, Tetsuro était apparu. Elle se doutait qu'il était jaloux, bien qu'il ne l'avouerait probablement jamais. Sur le coup, ça l'avait étonnée, mais elle avait aussi apprécié qu'on prenne sa défense.
― Bref. On est resté trois années de suite dans la même classe, on a eu plusieurs projets de groupe de classe ensemble, je l'aidais pour les cours de physique, en général. Il faut que vous le sachiez, mais Miho est vraiment nulle dans cette matière !
― Arrête de balancer des dossiers !
― C'est toi qui l'a demandé ! s'exclama Tetsuro en riant. En plus, grâce à moi, t'as eu la moyenne dans cette matière, tu devrais me remercier.
― C'est pas ma faute si j'aime pas les chiffres. De toute façon, j'ai pas prévu de devenir chimiste ou physicienne, alors ça me servait à rien.
Ça, Tetsuro le savait. Il attira Miho contre lui, et lui planta un baiser dans les cheveux. Puis il l'écarta de lui, avant de sourire, narquois :
― Heureusement, sinon on aurait rétrogradé de plusieurs décennies en physique.
Les sourcils froncés, Miho lui enfonça son index dans les côtes, le faisant se tordre de douleur en silence. Elle décida de continuer à parler, Tetsuro ne racontait que des bêtises.
― Après ça, il m'a suppliée plusieurs fois de sortir avec lui, et j'ai fini par accepter dans mon extrême bonté. Maintenant, il est là, fin de l'histoire.
Le jeune homme se mit à rire, avant de se redresser sur ses genoux. Il entoura Miho de ses bras, la câlinant tandis qu'elle faisait la tête.
― Oui, oui, et depuis je suis l'homme le plus heureux du monde, se moqua-t-il, sans nier pour autant.
Un silence s'installa : il n'était ni dérangeant, ni gênant. Miho s'était laissée aller à l'étreinte, la joue légèrement écrasée contre le torse de son petit ami. Puis, au bout de plusieurs minutes, elle laissa échapper un long soupir. Tetsuro la regarda, interrogatif.
― Tu parles d'une première rencontre... Je n'ai fait que montrer mes mauvais côtés, se plaignit la jeune femme.
― Je suis sûr qu'elle a adoré découvrir tous ces côtés de toi, la rassura Tetsuro en ébouriffant le haut de son crâne. À mon avis, elle a beaucoup ri en nous entendant parler.
Miho sourit. Il n'avait pas tort, après tout, ils s'étaient donnés en spectacle !
― Un jour, j'aimerai rencontrer quelqu'un qui connaisse assez ma mère pour qu'elle puisse me raconter ce genre d'anecdote, avoua la basketteuse.
― Ce jour viendra, j'en suis certain.
― Merci Tetsuro. Ça compte beaucoup pour moi que tu sois là. Je sais que là, ça fait très solennel, surtout après tout ce qu'on a pu dire. Tu vois, je pense que je ne pourrais jamais être vraiment entière, parce que je ne connais pas cette partie de mon passé. C'est un héritage qui ne me reviendra sûrement jamais. Mais je compte quand même écrire mon histoire, même si elle a des trous. Elle ne sera pas parfaite, elle ne sera pas toujours belle ou joyeuse. Mais il lui arrivera d'être brillante ou d'être importante.
― Ton histoire est déjà importante, Miho. Parce que c'est la tienne.
Elle ne répondit pas, et se contenta d'observer les Kanji gravés dans la roche. Les caractères qui symbolisaient le nom de sa mère lui paraissaient totalement étrangers. Après tout, c'était la première fois qu'elle les voyait. Mais Miho comptait bien y remédier, et venir aussi souvent que possible pour devenir proche de cette femme qu'elle n'avait jamais connue.
La tête posée sur l'épaule du jeune homme, elle laissa les secondes, puis les minutes défiler. Il y avait de plus en plus de passage dans les alentours, les familles du quartier venant rendre visite à leur tour à leurs ancêtres. La journée était bien entamée, et la chaleur commençait à devenir étouffante. Miho se redressa doucement.
― On devrait y aller, proposa la jeune femme, chassant l'étrange mélancolie qui commençait à s’emparer d’elle. On doit tout ranger et tout nettoyer.
― Comme tu veux.
Le couple s’attela à la tâche : tandis que Tetsuro éteignait les bâtons d’encens, Miho s’occupait de refermer les boîtes de nourriture pour les remettre dans le sac. Une petite dizaine de minutes plus tard, après avoir passé un rapide coup de balais autour de la pierre tombale pour chasser les quelques feuilles tombées par là, ils se portèrent debout devant. Synchronisés sans même se consulter, ils s’inclinèrent profondément devant la dalle sombre, les yeux fermés, prêts à prier une dernière fois. En se redressant, Miho joignit ses mains à plat devant elle.
Je suis désolée d’avoir mis autant de temps à me manifester. Je sais que j'aurais dû venir bien plus tôt, mais j’avais peur. Peur de te détester de m’avoir laissée seule, peur de me détester pour ça, et peur d’en vouloir à mes parents. Sache que Papa et Maman me traitent comme leur propre fille, qu’ils m’aiment profondément, et que je pourrais toujours compter sur eux. Je n’ai pas eu la chance de pouvoir te rencontrer, mais j’ai eu celle de les avoir comme famille. Merci, Maman, de m’avoir donné la vie.
Demain, ils iraient au festival observer le Bon Odori*, avant d’allumer l’une des symboliques lanternes de papiers ― les Tōrō Nagashi, qui vogueraient dans la baie de Wakayama. Miho avait hâte de voir ce spectacle de lumière. Son cœur se serra l’espace d’un instant : une fois de plus, elle aurait aimé la voir, au moins une fois. Tetsuro sembla sentir ses émotions changeantes, et attrapa l’une de ses mains.
― Tu sais que tu peux pleurer, si tu le veux. Je suis là. À moins que tu préfères que je regarde pas ?
― Il est hors de question que je pleure, je te connais, je vais en entendre parler pendant au moins six mois.
― Au minimum, oui, sourit-il narquoisement. Mais aujourd'hui, je ferais comme si j’avais rien vu, promis !
Miho secoua la tête, souriant malgré elle. Elle savait qu’il mentait. Tetsuro était doué pour se moquer des gens, les titiller et les faire sortir de leurs gonds, mais il ne voulait pas vraiment les blesser. Alors, la jeune femme était persuadée qu’il s’interdirerait d’utiliser les larmes qu’elle pouvait éventuellement verser contre elle dans le futur. C’était une journée trop importante, et des larmes encore inexistantes trop précieuses pour être réduites à l’état de plaisanterie. C’était l’une des raisons qui la poussait à l’aimer : malgré son air machiavélique et ses répliques piquantes, il était respectueux des sentiments de tous ses proches.
― Rentrons, ajouta simplement la jeune femme en attrapant le matériel de nettoyage. Je suis fatiguée, mais j’irais bien faire une promenade au port, ce soir.
― À vos ordres, Madame, rit le jeune homme.
Il se pencha, pour saisir le sac avec leur affaire, et suivit Miho jusqu'à l’endroit où il avait trouvé ce qu’elle portait. La jeune femme rangea le matériel avec soin, et se retourna vers Tetsuro, qui l’attendait un peu plus loin, à l’ombre d’un grand érable. Elle le rejoignit en quelques pas, tandis qu’il l’accueillait en lui tendant sa main libre. Miho apprécia le geste : il lui montrait son soutien sans utiliser de mot. Elle glissa ses doigts entre les siens, et ils se mirent en route.
Ils redescendirent le même escalier de pierre,et reprirent la même route en direction de leur hôtel. Il faisait beaucoup plus chaud que lors de leur venue, plus tôt dans la journée. Le soleil tapait très fort, et Miho regretta de ne pas avoir pris un chapeau. Elle n’osait même pas imaginer l’état de Tetsuro, qui lui avait les cheveux d’un noir corbeau : il devait cuire sur place.
― Ça te va si on reste dans la chambre jusqu'à ce soir ? Il fait trop chaud pour sortir…
― Ça me va totalement. On se prend une glace ?
Miho hocha la tête avec un sourire, et chercha une adresse sur son téléphone. Il y avait une petite boutique dans la rue parallèle qu’ils empruntaient au même moment, alors la jeune femme les fit bifurquer dans la bonne direction. Une fois leur achat effectué, ils finirent le reste du chemin en discutant du festival à venir. Tetsuro avait vu que l’hôtel louait des yukata*, alors il proposa à la basketteuse d’en prendre un chacun pour sortir le lendemain. Elle accepta, bien qu’elle ne soit pas fan de toute la préparation pour s'habiller et se coiffer. Avec un peu de chance, la tenancière l'aiderait et elle n'aurait pas besoin de se prendre la tête avec ça.
❀❀❀
L'après-midi se déroula tranquillement : après avoir dévoré leurs glaces devant un film, Tetsuro était parti réserver deux tenues pour le lendemain. Ils avaient fait une petite sieste, rafraîchis par la brise marine qui soufflait par la fenêtre ouverte. Ils s'étaient même fait une petite partie de jeu vidéo, où Miho avait lamentablement perdu. Le brun était trop fort, après toutes ses heures passées à jouer avec Kenma.
Peu de temps après, ils dînèrent au restaurant de l'hôtel, l'ambiance festive de la ville se reflétait dans la pièce. Les discussions allaient de bon train, les voix de Tetsuro et Miho se mêlaient à celles des autres. Ils parlèrent du dernier match de volley que Nekoma avait joué : ils avaient quelques premières années prometteuses, mais ils avaient ressenti pas mal de difficultés depuis que les terminales avaient quitté l'équipe, quelques mois plus tôt.
Tetsuro expliqua un peu plus en détail en quoi consistait ses études, tandis que Miho racontait des anecdotes sur les filles de sa nouvelle équipe de basket. Ils avaient le sourire aux lèvres lorsque le dessert arriva. Ils se partagèrent un gâteau avant de remonter dans leur chambre pour se préparer à sortir.
La jeune femme garda la même robe, mais enfila une paire de baskets pour marcher confortablement. Puis Miho attrapa le bras du jeune homme et ils sortirent, collés l'un à l'autre.
Le soleil avait presque disparu, mais le ciel était toujours illuminé par sa lumière dorée. Ils se dirigèrent vers la plage, croisant plusieurs passants sur la route. Il y avait déjà des personnes qui portaient des vêtements traditionnels, tandis que d'autres se baladaient avec pleins de feux d'artifices dans les bras.
― On en achète aussi pour ce soir ? proposa Tetsuro en montrant une boutique d'un geste du menton.
Miho acquiesça, et ils en choisirent quelques uns pour illuminer leur soirée. Ils les allumeraient sur la plage quand le ciel serait sombre. Quelques minutes de marche plus tard, ils arrivèrent devant le petit port de la ville. Des dizaines de bateaux étaient amarrés le long des quais instables, et de longues rangées de lampadaires déjà allumés éclairaient la jetée ainsi que la route qui bordait la plage. Il y avait encore beaucoup de monde sur le sable et dans l'eau, la fraîcheur du début de soirée étant parfaite pour sortir et profiter de l'océan. Le couple se mit d'accord pour marcher sur l'allée goudronnée qui séparait la route du sable blanc.
― Ça serait marrant de faire une sortie plage avec tout le monde, pensa soudainement la basketteuse en se tournant vers l'ancien volleyeur.
― Tout le monde ?
― Bashira, Kenma, Rinko, Maya, Kai... Ça sera dur de ramener Yaku par contre.
― Oui... Mais pourquoi pas. Quoi que j'ai un doute sur le fait de réussir à traîner Kenma jusqu'à une plage, soupira Tetsuro en se rappelant de son meilleur ami.
Miho laissa échapper un petit rire, imaginant le blond décoloré en maillot, recroquevillé sous un parasol, avec une console quelconque en main.
― Si tu le mets au défi de venir, ça devrait être possible, sourit la jeune femme.
Le brun hocha la tête. Ce n'était pas faux, il fallait surtout trouver une raison de le motiver, et quoi de mieux que de toucher son égo !
Une heure s'écoula, puis une deuxième, tandis que le bruit des vagues les berçait doucement. La plage se vida peu à peu, alors que les étoiles apparaissaient de plus en plus dans le ciel assombri. Tetsuro proposa d'allumer les temoshi hanabi*.
Ils quittèrent leur route pavée pour se rapprocher de l'océan. Le sable s'infiltra dans les baskets de Miho, alors elle préféra les retirer. Comme ça, elle pourrait aussi faire trempette, pensa-t-elle. Le brun sortit le paquet de feux d'artifice du sac qu'il trimballait depuis deux heures, et le briquet qui traînait. Il distribua un premier bâtonnet à Miho et tendit le briquet pour allumer le bout. La jeune femme laissa la flammèche embraser son feu d'artifice, et attendit que Tetsuro fasse de même avec le sien.
Le fin bâton prit alors feu, et des étincelles jaillirent, illuminant leurs visages de couleurs chaudes. Les confettis de feu avaient quelque chose d'hypnotisant et de réconfortant, si bien qu'ils restèrent silencieux pendant toute la durée du jet lumineux, observant seulement la lueur blanche avec un sourire plaqué sur le visage.
Miho se permit de prendre de l'avance sur la journée suivante et pria mentalement.
Elle demanda la santé pour tous ses proches. Elle demanda que Bashira publie rapidement son livre, que Kenma devienne une célébrité sans les problèmes qui allaient avec, que Maya termine ses études avec brio, que Rinko devienne la meilleure journaliste du Japon, et que Yuta vive près d'elle encore au moins dix ans. Elle demanda que Tetsuro la supporte encore longtemps, même s'ils adoraient s'embêter le plus possible. Et elle remercia le ciel pour cette journée bien remplie, et pour cette première discussion avec sa mère biologique.
― Ça va ? demanda Tetsuro en voyant que Miho avait gardé les yeux fermés depuis plusieurs secondes, alors que les étincelles s'étaient arrêtées.
La jeune femme sourit avant d'ouvrir les yeux. Elle posa sur lui un regard étonnamment doux, et il sentit son cœur s'emballer en voyant son expression.
― Oui, tout va bien. Merci Tetsuro.
Elle se sentait un peu plus elle-même. Un peu plus complète.
Lexique
O-Bon : Fête des morts au Japon, équivalent de la Toussaint.
Makura : Oreiller traditionnel ferme et généralement de forme rectangulaire.
Bon Odori : Danse traditionnelle dont le style change suivant les régions, et dont le but est de réconforter les esprits des défunts.
Tōrō Nagashi : Petite lanterne de papier carrée possédant une bougie à l'intérieur. Elle est ensuite posée sur l’eau d’une rivière ou de la mer.
Yukata : Kimono d'été, plus léger, porté pour les festivals d'été, après avoir pris un bain dans les stations thermales, à la maison...
Temoshi Hanabi : Feu d'artifice que l'on tient à la main, comme sur le dessin ci-dessus.
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