Chapitre Trois
Les secrets sont des choses relativement communes pour tout le monde. Nous éprouvons le besoin de préserver certaines choses intimes au plus profond de nous-mêmes et de les camoufler aux yeux des regards curieux. Auparavant, je n'en avais pas besoin. Ayla écoutait chacune de mes histoires sans faire preuve de jugement avec une oreille attentive. Je ne lui cachais absolument rien. C'est la raison pour laquelle j'éprouve une certaine culpabilité en faisant ses sorties tardives.
Je relève la capuche de ma cape noire en marchant en direction dans les ruelles sombres de la capitale. Une jeune femme convenable ne devrait pas traîner dans les rues à une heure aussi avancée, mais il faut croire que je n'appartiens pas à cette catégorie. La plupart des tavernes sont encore ouvertes avec des hommes ivres et des serveuses agacées de devoir les servir. Ce chemin, je le connais sur le bout des doigts. Ce n'est pas la première fois que je me glisse hors de ma chambre en direction d'un endroit peu fréquentable aux yeux de ceux que j'aime.
L'imposante maison se dresse devant moi brillant de mille feux avec toutes ces lumières. Elle était abandonnée pendant des années avant qu'une riche orpheline ne décide de l'acheter pour organiser des soirées jugées inconvenantes par la plupart des nobles. Il n'est pourtant pas rare de retrouver certains hommes populaires ainsi que des femmes en quête de nouvelles sensations. Ayla n'aurait jamais approuvé mon choix de me rendre dans cette propriété, elle la considère comme écoeurante et peu accueillante. Elle ne voit pas plus loin que les apparences et ne souhaite pas y mettre les pieds.
Toutes les portes et fenêtres sont ouvertes donnant une vue sur le spectacle se déroulant à l'intérieur. Il n'y a pas besoin d'invitations contrairement aux soirées mondaines, tout le monde est libre de venir. Je maintiens mon visage camouflé sous ma capuche en marchant en direction de l'escalier. La foule est tellement nombreuse que je suis contrainte de pousser quelques personnes pour me frayer un passage.
Des couples s'embrassent librement sans craindre le jugement extérieur. Au sein de cette maison, nous sommes libres d'être nous-mêmes. J'aimerais que les mentalités évoluent ainsi que le royaume. Nous sommes encore à une époque où les apparences comptent plus que la personnalité. Je m'approche d'une porte noire avec des cristaux décorant celle-ci. Elle s'illumine à mon contact et se déverrouille automatiquement.
Comme à chacune de mes visites, la propriétaire des lieux est seule observant ses invités dans une boule de cristal. Je ne suis pas certaine de comprendre la raison de ma présence à ces soirées, je ne suis pas comme ces sorciers dont le seul but est de tester la limite de leurs corps. Cléo dépose un cachet turquoise sur sa langue en gémissant de bonheur puis me lance un grand sourire.
― Tu veux goûter ?
― Non merci, je veux l'esprit clair.
Elle hausse les épaules tout en se levant du canapé pour me rejoindre. Ses cheveux blonds se balancent au rythme de ses pas. Je ne devrais pas approcher une telle femme, Cléo est insaissisable. La sorcière repousse ma capuche en continuant de sourire.
― Je croyais que tu n'accepterais pas de venir.
― J'ai eu une sale soirée alors je n'ai pas hésité une seconde.
La blonde se contente de sourire en me servant un verre. Nous nous ressemblons sur certains points, mais Cléo a le mérite de vivre comme elle l'entend. J'admire son courage face aux critiques de la société.
― L'anniversaire de ta mère, c'est ça ?
― Tu es au courant ?
Elle hoche la tête.
― Tout le monde ne parlait que de cette incroyable soirée organisée par les Eastwood. Je commençais à éprouver une certaine jalousie à l'idée de ne pas pouvoir te capturer pour ma propre fête.
― Elles se ressemblent presque toutes, non ?
Cléo tire la langue.
― J'essaie de trouver de nouvelles idées pour rendre les soirées attractives et amusantes. Il n'est pas seulement question d'alcool et de drogues, tu sais ? J'ai vraiment envie de faire plaisir aux autres et permettre d'être libres.
― Tu sais ce que je pense de la drogue en général.
Elle opine.
― Elles ne sont pas dangereuses et je veille à ce que personne ne consomme plus qu'il ne le devrait. Et tu sais très bien que ce sont différentes potions mélangées et que cela ne vaut pas les pilules qu'on trouve sur le marché noir.
― Cela reste néanmoins dangereux pour l'esprit.
Cléo est une inconnue pour la plupart des habitants du royaume, une dévergondée qui devrait trouver un époux plutôt que d'organiser des soirées inconvenantes. Pour moi, c'est une amie d'enfance qui a quitté la capitale pour s'installer à la campagne que je ne pensais jamais revoir. Lors de son retour en ville, j'ai reçu une invitation sous forme de libellule enchantée qui se trouvait être une invitation pour une soirée. J'ignorais qui se cachait derrière cette curieuse invitation, mais curieuse je me suis rendue dans cette propriété auparavant abandonnée.
Nous avons longuement correspondu pendant quelques années avant qu'elle ne cesse de me répondre et je ne m'attendais pas à découvrir mon amie d'enfance. Adieu la timidité, la nouvelle version de Cléo est opposée à mon souvenir. Une femme confiante, resplandissante dans ses tenues de soirées et vivant dans une luxueuse maison.
― Tu acceptes de boire un verre en ma compagnie ?
― Je ne dis pas non.
Elle prend une bouteille luxueuse pour me servir dans un verre en cristal. La famille de Cléo était très fortunée, elle a perdu sa mère très jeune d'une longue maladie et son père a malheureusement suivi quelques années plus tard. Elle est passée par la case orphelinat pendant un an avant d'atteindre l'âge nécessaire pour bénéficier de son héritage. Elle est partie sans aucun regret pour la capitale pour découvrir le monde et se faire une place.
― Sur une échelle de un à dix comment était cette soirée ?
― Abominable.
J'avale une gorgée de ma boisson en cachant ma précipitation. Il m'arrive de boire de temps en temps surtout lors des soirées de Cléo à laquelle il est impossible de ne pas goûter ses produits exotiques provenant de terres lointaines. Je suis rentrée ivre une fois, c'est mon frère qui m'a couverte sans poser de questions. J'avais une énorme gueule de bois le lendemain matin et un contrôle à assumer à huit heures du matin.
― Il y avait ce connard de Jude qui convoite ma sœur comme un morceau de viande. J'ai vraiment peur qu'il parvienne à la convaincre de bousculer ses principes pour suivre un gars auquel elle n'a pas le droit de s'attacher. Alaric dit qu'il faut que je la laisse faire ses propres erreurs, mais on parle de la réputation de notre sœur !
― D'un certain côté, il n'a pas tort dans ses propos.
Je manque de recracher le contenu de mon verre.
― Mais je comprends également ce que tu veux dire. La réputation est essentielle pour votre famille, mais c'est bien dommage. Vous n'êtes pas en mesure de faire vos propres choix et suivre votre coeur.
― L'amour n'a pas sa place au sein de notre famille, Cléo.
La blonde boit une gorgée de son propre verre en vacillant légèrement.
― C'est justement le problème de ce que la société actuelle impose ! Pourquoi devons-nous faire des mariages arrangés alors que nous pourrions suivre nos envies ? Sais-tu le nombre de couples qui viennent se cacher ici pour se retrouver ? Des hommes avec des hommes et des femmes avec des femmes. C'est une chose à laquelle on ne songe même pas quand on parle de relation !
― Parce que deux hommes et deux femmes ne peuvent pas avoir de descendants ensemble.
Elle soupire.
― Toujours cette histoire de lignée, c'est insupportable !
― Je suis bien d'accord, mais on ne peut pas changer les mentalités.
Cléo avale le reste de sa boisson en reportant son attention sur la boule de cristal. On voit les événements de la soirée se déroulant dans la salle de réception. Mon amie organise peut-être ces événements, mais elle y participe rarement. Je la soupçonne d'avoir besoin de compagnie pendant quelques heures, mais uniquement de vue. Cela préserve également son identité, ce qui semble l'amuser.
― En devenant représentante, je vais changer certaines choses.
― Comme quoi ?
― Je compte supprimer les mariages arrangés. Les futures générations auront tout à fait le droit de rechercher l'amour ou rester célibataires. Je ne souhaite plus que les membres de la famille cachent ce qu'ils sont par crainte de ne pas correspondre aux attentes.
Cléo hoche la tête.
― Les vieux seront énervés de ce changement soudain.
― J'en ai rien à faire.
Cléo sourit.
― Tu as une certaine détermination qui est vraiment attirante, Aza.
― Ce n'est pas la première fois que j'entends ça.
Elle se rapproche de moi puis glisse ses mains autour de ma taille avec un sourire taquin. Ma présence à cette soirée n'est pas seulement un secret pour les membres de ma famille, il y a un autre élément de ma vie dont ils ne savent rien. Cléo colle son corps contre le mien puis m'embrasse. Je réponds à son baiser en fermant les yeux. Jude avait tort, quelqu'un est capable de m'aimer mais personne ne le sait.
21.04.2024
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