32 - La morgue
Le mot « service » sonna comme « collaboration ». Le motif d'Hologramme tenait tant qu'un nouveau meurtre ne serait pas commis, nous l'avions tous compris. Les yeux de Jack semblaient en constante recherche de quelconque effusion d'hémoglobine. Mais cela ne lui ressemblait pas. Si le blond devait commettre un meurtre, nul doute qu'il rendrait la scène grandiose, à hauteur de sa folie. Et surtout, il se débrouillerait seul. Là, il semblait plus un prédateur attendant qu'un piège se referme sur sa proie ; moi, en l'occurrence. Je me tassai ; nourrissant l'espoir naïf qu'il renonce à ses sombres desseins. Mais son sempiternel sourire sadique ne diminuait pas. Ses iris bleus ourlés de longs cils semblaient les plus innocents de toute la zone. A cet instant, j'aurais vendu mon âme pour retrouver le Jack des premiers jours.
Il y eut un silence ; il attendait visiblement que je le questionne par rapport à sa requête, la prise toujours ferme sur le taser. Si je ne pouvais pas m'échapper de cette situation, au moins, je ne lui ferais pas le plaisir de la satisfaire. Cette pensée m'aida un minimum à oublier la menace du taser. Jack ne parut pas le moins du monde contrarié ; au contraire, son rictus s'agrandit.
- Ben alors, t'as perdu ta langue ? ( il fronça les sourcils en une réflexion caricaturale ) Ah, mais je suis bête ! Atlan est vraiment un affamé, quand même...
Mon visage se tordit en une expression mêlant confusion, irritation et gêne. Mes joues se transformèrent en charbon ardents alors que mon interlocuteur éclatait d'un rire moqueur.
- C'est trop facile de te mettre mal à l'aise, Caleb ! hoqueta Jack avant de redevenir sérieux en un éclair. Je me suis bien marré, mais j'en oublierai presque l'essentiel. Tu sais, notre petit marché. Je me tais, et tu me rends service.
Il s'apprêtait à continuer lorsque nous ressentîmes un mouvement ; du côté de la porte. C'était presque imperceptible, pourtant Jack tourna la tête vers la porte, arquant un sourcil inquisiteur. Cela ne dura qu'une fraction de seconde mais j'entrevis ma chance de prendre la fuite. J'attrapai fermement la main qui tenait le taser pour faire basculer le blond. Il se reprit directement. Cependant, je parvins à écraser son bras contre le plan de travail. Jack avait beau arborer un sourire sadique, il n'en restait pas moins faible physiquement.
Les yeux du blond étincelèrent lorsqu'il appuya sur la gâchette. Un arc électrique bleu jaillit entre les tiges. De sa main libre il m'attrapa les cheveux. Je me sentis d'un seul coup tiré en arrière, mais je raffermis ma prise. Lâcher le bras de Jack lui laissait le champ libre pour user de son arme. Mais une soudaine douleur au tibia me prit par surprise. Jack, qui venait de me donner un grand coup de pied, en profita pour se placer dans mon dos. Il agrippa le col de ma chemise et je sentis le taser contre ma colonne vertébrale. Je me mordis l'intérieur de la joue, mortifié. J'étais à deux doigts d'arriver à m'enfuir, à le battre. Pourtant, il avait suffit d'un simple coup pour qu'il prenne l'avantage. Mes joues brûlaient de honte et ma jambe me lançait.
- Bien tenté, susurra le blond. Mais je ne sais pas ce que tu t'imagines. Je ne cherche pas à user du motif d'Hologramme ; gagner un jeu comme celui-ci à deux, c'est pas drôle. Tu vas juste m'accompagner quelque part...
Joignant le geste à la parole, il m'obligea à avancer à l'aide du taser, sa main toujours fermée sur mon haut.
Jack me stoppa au niveau de la porte. Sans décoller son arme, il se pencha et jeta un coup d'œil circulaire. Il cherchait sans doute à identifier la source du bruit que nous avions entendu ; ou repérer de potentiels agresseurs. Mais, au fond, peut-être que ce n'était rien d'alarmant ; une personne passant dans le couloir, par exemple. Jack, bien qu'il essayait de le cacher, semblait préoccupé. Après quelques secondes d'observation, il se résolut toutefois à continuer. Sous les directives du blond, nous gravîmes les escaliers jusqu'au premier. Où est ce qu'il m'amenait ? Plus nous avancions, plus je peinais à comprendre ses motivations. Pourquoi avait-il besoin d'un complice ? Et surtout, pourquoi m'avait-il choisi moi ? Il aurait très bien pu jeter son dévolu sur Yukie, lorsque j'étais en train de ramasser les bris de verre. Je n'aurais rien remarqué.
Alors que je m'apprêtais à monter l'escalier menant aux étages supérieurs, le blond m'arrêta et me tira vers une porte. Le premier étage abritait la salle de musique et la salle d'art. On y voyait très souvent Yukie, par exemple, mais aussi Bianca qui semblait prendre des cours de piano avec l'asiatique. Il n'y avait personne à cette heure-ci.
Cependant, la porte que s'apprêtait à ouvrir Jack ne me disait rien. Je compris qu'il devait s'agir d'une nouvelle pièce ; depuis le début, il s'en ouvrait après chaque procès. Depuis le duel je n'étais pas allé vérifier à l'instar d'Atlan. Jack avait déjà dû y jeter un œil puisqu'il ne parut pas le moins du monde surprit lorsqu'il ouvrit la porte.
Les murs vert pâle rappelaient la couleur des blouses d'hôpital. L'absence de fenêtres conférait à l'endroit une ambiance des plus oppressantes. Je me sentis directement étouffer lorsque le blond me poussa à l'intérieur et referma la porte. La lumière des néons, blafarde, vacillait, projetant nos ombres sur le sol. On se serait cru dans un décor cliché pour un film d'horreur. Mais la chose qui me frappa le plus fut sans doute la température de l'endroit. La pièce semblait presque hermétique, et surtout, glaciale. Je refermai mes bras contre mon torse, m'insultant mentalement de n'avoir pas pris de veste. Une remarque s'insinua alors dans mon esprit. Dehors, même la nuit, il ne faisait pas vraiment froid ; il ne pleuvait également jamais. Le soleil se couchait à heure fixe, et...
- Quand t'auras fini d'admirer les murs, tu jetteras un coup d'œil par là.
Jack retira le taser de mon dos et se plaça face à des sortes de casiers. Ils s'étendaient sur chaque mur latéral. Un, deux, trois... Huit. Il y en avait seize au total. Nos noms demeuraient gravés sur des plaques en métal. Je restai muet. Mon cerveau semblait ne pas vouloir réaliser dans quel endroit je me trouvais. Mes yeux se baladèrent encore un moment comme pour me dissuader d'envisager cette hypothèse, et tombèrent sur un nominatif inconnu. Jack s'en aperçut et rit.
- C'est...
- Le prénom d'Atlan ? Bingo, Sherlock, chatonna-t-il. Sacré cachotier, hein ?
Je soupirai. Le blond demeurait encore hilare. Mais, après tout, voir son prénom écrit ici ne voulait pas forcément dire qu'il s'en souvenait. Et puis, même si c'était le cas... je m'en fichais. Atlan restait Atlan, peu importe son nom.
Je redressai la tête, conscient de mes digressions. L'endroit paraissait toujours aussi menaçant, et la présence de Jack à mes côtés n'arrangeait rien. Le blondinet, comme s'il lisait dans mes pensées, désigna les casiers. Un frisson glacial me mordit la colonne vertébrale, ce qui eut pour effet d'amuser encore plus mon interlocuteur.
- Jack... où est ce qu'on est ? dis-je d'une voix blanche.
- Dans la morgue, mon grand ! Tu peux vérifier, tous les corps de nos défunts camarades y sont ! ( un éclair dément traversa ses yeux ) Je t'avouerai que j'ai été chanceux : qui aurait cru que ce parano de Jean avait ce taser sur lui ?
Sa phrase me fit l'effet d'une gifle. Je reculai. J'avais oublié durant quelques secondes avec quel psychopathe je me trouvais. Il avait fouillé les cadavres de sang froid ! Cela me dégouta presque plus qu'envisager un assassinat. L'état de certains corps aurait rebuté n'importe qui. Mais lui... il semblait juste fier. Fier de l'effet provoqué, et surtout fier d'avoir trouvé cette arme.
- Mais trêve de bavardages ; on n'a peut-être pas beaucoup de temps.
- Qu'est ce que tu veux dire ?
Jack se rapprocha. Il jouait avec le taser, le lançant dans l'une de ses mains, puis dans l'autre. Il se languissait à l'idée d'expliquer son plan. Sans un mot, il colla son oreille à la porte fermée, m'intima de me taire quelques secondes, puis revint avec son sempiternel sourire carnassier. Il s'éclaircit la gorge et endossa un air presque sérieux qui me surprit.
- Bien. Pour faire court, je pense que tu es un traître, et que c'est toi qui es à l'origine de tout ça. Je vais donc te tuer, ici et maintenant.
Je m'étranglai. Comment... ?
Ses yeux étincelèrent alors qu'il se rapprochait dangereusement, le taser pointé vers mon cœur comme un pistolet. Je me sentis blêmir. Moi, le traître ? Le fameux instigateur ; celui-là même que tentait de démasquer Atlan ? Le simple fait que Jack puisse me soupçonner... les autres doutaient-ils aussi de moi ? Je reculai encore mais butai contre les cercueils. Un violent frisson me poussa à m'en arracher, mais je ne fis que diminuer la distance entre le taser et mon corps. Le blond semblait, fidèle à lui-même, se délecter de ma panique croissante.
Mes tempes demeuraient trempées et mes mains, moites. Jack, le visage tordu par un rictus sardonique, approchait toujours. Il colla le taser contre mon torse ; ses yeux n'exprimaient plus que du sadisme. J'avais le vertige. S'il appuyait sur la gâchette, j'étais mort. Son index glissa lentement, pour se placer en position de tir. Mon regard passait du taser à Jack, de Jack au taser. Ma respiration sifflait.
- Arrête ! J'ai rien à voir avec tout ça ! hurlai-je avec l'énergie du désespoir.
Le blond se figea, puis baissa le visage. Je n'osai pas bouger d'un pouce, qui sait de quoi il était encore capable. Ses épaules commencèrent à se soulever, de plus en plus, pour au final subir de violentes convulsions. Un rire s'échappa d'entre ses lèvres, et s'intensifia lorsqu'il rejeta la tête en arrière. Il hurla de rire durant quelques longues secondes.
- T'as... t'as vraiment... cru que je... te soupçonnais ? hoqueta Jack. T'es tellement naïf ! ( il essuya les larmes qui perlaient sous ses paupières puis reprit un air sérieux ) Enfin, bien joué, tu viens de passer mon petit test.
- Test ? m'étouffai-je. J'ai cru que tu allais vraiment me tuer !
Mes mains tremblaient encore. Les yeux de Jack se perdirent du côté des cercueils.
- J'ai besoin de quelqu'un pour m'aider, admit-il. Tu es la seule personne avec laquelle je peux avoir recours au chantage. Et puis, si je peux t'empêcher de préparer un meurtre avec tu-sais-qui...
Il me fit un clin d'œil en désignant le cercueil destiné à « Atlan ». J'avalai ma salive, et me rendis compte à quel point j'avais la gorge sèche. Il parlait beaucoup, mais je ne connaissais encore rien de son plan. La morgue me rendait presque claustrophobe ; et la seule pensée d'être entouré des cadavres de mes amis n'arrangeait rien. Pourtant, pour la première fois, je décelai une certaine gravité chez Jack. Sa voix s'était stabilisée, et il avait rangé le taser dans sa poche.
- Lorsque j'ai découvert la morgue, commença-t-il d'un air sombre, je me suis directement posé la question. Comment ces cadavres – ils y sont tous, j'ai vérifié – sont-ils arrivés là ? ( il ne me laissa pas le temps à la réflexion et poursuivit directement ) La seule réponse à laquelle je parviens est que quelqu'un, parmi nous, les amène ici. Alors hier soir, j'ai placé un peu de poussière entre la poignée et le mur. Si une personne ouvrait la porte, la poussière tomberait forcément. Et ça n'a pas loupé. Je peux affirmer avec certitude que quelqu'un s'est rendu ici hier dans la nuit. Pourquoi, je l'ignore.
Je considérai Jack sans un mot. Son expression s'était transformée, passant d'un rire sadique et moqueur à une moue concentrée. Il semblait réellement concerné par cette affaire. Peut-être était-ce encore l'un de ses mensonges, mais j'avais envie de le croire ; de l'aider, même. Si nous voulions sortir d'ici, nous allions devoir démasquer la personne tirant les ficelles. Toutes les hypothèses, tous les plans étaient à prendre en compte. Nous n'étions plus que neuf, ce qui réduisait considérablement les probabilités. J'avais l'impression d'être proche, mais en même temps à mille lieues de ce fameux traître.
Jack planta ses yeux dans les miens. Il avait les joues encore rosies par son fou rire et les bouclettes en bataille, mais il paraissait plus sérieux que jamais.
- Impossible de savoir s'il va revenir ce soir, mais dans tous les cas, je ne peux pas chopper le traître tout seul. Même si j'ai un taser, je suppose que cette personne est entraînée à se défendre.
Il soupira, visiblement gêné de me demander de l'aide. Le voir ainsi me fit un choc ; le blond ne cesserait-il donc jamais de me surprendre ?
J'ouvris la bouche pour répondre mais nous entendîmes des pas se rapprocher. Jack ouvrit le premier cercueil venu et me poussa à l'intérieur. Il entra à ma suite, laissant la porte entrouverte. Par chance, il était vide. Je n'aurais pas supporté de me retrouver avec un cadavre, encore plus s'il s'agissait d'un corps mutilé. Le blond plaqua une main sur ma bouche et colla un doigt sur ses lèvres pour m'ordonner le silence. Nous nous penchâmes à l'unisson pour apercevoir qui venait d'entrer dans la morgue.
De longs cheveux blonds, une poitrine généreuse et des ongles vernis de rouge... Pas de doute, il s'agissait de Bianca.
[Reste : 9]
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