30 - Encore une motivation
Nous étions sept, assis dans le réfectoire. Hologramme avait passé une annonce ; il nous attendait tous. A ma droite, Atlan camouflait au mieux ses tremblements. Je lui avais rendu sa veste mais malgré cela, il semblait toujours faible. Se lever aussi rapidement après le combat n'allait pas améliorer son état. Bianca lui jetait de brefs coups d'œil pour s'assurer qu'il allait bien. Elle prenait très à cœur son nouveau poste.
En face, Rufus faisait craquer ses doigts, nerveux. Je n'étais moi non plus pas très rassuré. Ce rassemblement ne présageait rien de bon ; d'autant qu'il manquait encore Jack et Charlie. Ben, à ma gauche, triturait sa barbe, pas plus détendu. Son t-shirt ample et coloré laissait penser qu'il s'était, comme d'habitude, levé tôt pour effectuer quelques dribles avant le petit déjeuner. Capucine attendait le retour d'Hologramme, prête à soutenir son regard vide. Elle serrait toujours le carnet comme notre salut.
Enfin, Yukie me sourit lorsque nos regards se croisèrent. L'asiatique semblait stressée, mais s'obligeait à faire bonne figure. Je ne pus que lui rendre un semblant de rictus, trop préoccupé pour lui répondre en bonne et due forme.
La porte s'ouvrit, découvrant deux visages familiers.
- Salut les copains ! lança Jack d'un ton beaucoup trop joyeux pour être sincère. Ben alors, c'est quoi ces tronches ? On dirait presque d'Hologramme vous a demandé de vous rassembler...
Il éclata d'un rire glaçant. A l'instar de Bianca, il ne dérogeait pas à ses habitudes détestables. Charlie marchait dans ses pas, le visage toujours fermé en une expression neutre. Le contraste entre mes deux camarades était saisissant. Jack était l'expressivité incarnée, du moins, depuis qu'il nous avait révélé son vrai visage. A l'opposé, Charlie ne laissait absolument rien paraître. Ils s'assirent à nos côtés, imposant un silence à la fois gênant et angoissant.
Jack arborait un sourire carnassier, qui s'agrandit lorsqu'Hologramme apparut. Il esquissa quelques pas autour de la table, lentement, se délectant des visages tendus par le stress. L'hologramme prit tout son temps pour commencer à parler.
- Chers participants à la tuerie... Je recommence à m'emmerder, là !
Il marqua une pause, nous laissant tout le temps d'imaginer les pires scénarios. Plus aucun doute possible ; le maître du jeu allait nous annoncer une nouvelle motivation.
- Les amitiés se font, se défont. Les amours naissent ou sont sauvagement piétinés, fit-il d'un ton presque pensif ( je déglutis en comprenant le sous-entendu ). La vie est ainsi faite. Certains d'entre vous ont peut-être renoncé à tout sentiment, persuadé qu'il faut être seul pour gagner.
Le sourire de Jack se figea. Les commissures de ses lèvres retombèrent de manière presque imperceptible. Je retins mon souffle. Hologramme avait terminé sa phrase sur une note presque gourmande, un pic aigu comme pour retenir un peu plus notre attention. Mais l'absence d'autres sons que sa voix métallique nous rendait déjà trop concentrés. Il savait parfaitement jouer avec nos émotions, et employait les termes justes pour nous terrifier un peu plus. Je me mordis l'intérieur de la joue, redoutant la suite.
- Heureusement, dans ma grande bonté, j'ai imaginé la motivation parfaite pour vos petits cœurs fragiles ! Pour le prochain meurtre, j'autorise la coopération. Qu'est ce que ça veut dire ?
Nous avions parfaitement compris. Cependant, personne n'osa parler.
- Dis donc, vous n'êtes pas drôles ! Mais puisque vous n'avez pas l'air de tout saisir, je m'explique. Le prochain meurtre pourra être commis à deux. Un coupable et un complice, donc. Si l'un des deux est démasqué lors du procès, il entraîne l'autre dans sa chute. ( un frisson me mordit la colonne vertébrale ) Mais si vous parvenez à tromper tout le monde... vous sortirez à deux. Bien sûr, cette règle n'est valable que sur le prochain meurtre ; et vous n'êtes évidemment pas obligés d'en tenir compte pour combler vos pulsions meurtrières. A plus, les assassins !
Le cercle lumineux apparut à ses pieds et il disparut aussi vite qu'il était arrivé. La plupart d'entre nous étions blêmes, encore sous le choc. Cette motivation me terrifiait bien plus que les précédentes. Elle laissait dans son sillage un parfum amer de trahison imminente. Je serrai les poings, me refusant d'imaginer le pire. Mais force est de constater que par trois fois déjà, nos camarades avaient commis l'irréparable. Certains voulaient s'échapper, ça ne faisait aucun doute. Mais avec l'opportunité de s'en sortir à deux, cela pouvait en motiver quelques autres. Je constatai avec un certain effroi que tout le monde avait baissé la tête, excepté Jack. Le blond me lança un sourire glaçant. Il avait très bien saisi les enjeux de cette motivation. Il savait qu'à compter de ce moment, les manipulations allaient fuser de toutes parts. Convaincre quelqu'un de coopérer pour tuer ne serait pas facile, surtout en pensant à la sentence réservée aux meurtriers. Mais Jack excellait dans ce domaine ; il ne nous l'avait que trop prouvé par le passé. Il se leva.
- Mes amitiés au prochain assassin, dit-il d'un ton faussement poli. Les effusions de sang me manquent déjà, vous savez...
Son éclat de rire sembla résonner même lorsqu'il fut sorti, suivi de près par Charlie. Atlan se mit debout à son tour. Il vacilla un peu et me lança un regard pour m'avertir qu'il remontait à l'infirmerie.
Je m'apprêtai à venir avec lui lorsque Ben me retint par le bras.
- Caleb ? Tu... euh... veux pas venir faire un petit basket avec moi ? Ça fait... vachement longtemps qu'on n'a pas discuté.
J'ouvris la bouche pour répondre mais le métis me tira en direction du sous-sol. J'eus à peine le temps de distinguer Capucine. La brune s'engagea à la suite d'Atlan dans les escaliers. La motivation d'Hologramme me revint subitement à l'esprit. Mais trop tard ; Ben m'entraînait vers la salle et Capucine avait disparu de mon champ de vision.
*
Je m'efforçai de faire bonne figure, mais mes mains devenaient toujours plus moites. Capucine était peut-être montée par pur hasard. Depuis l'annonce d'Hologramme, je tentai de me persuader que personne n'était assez fou pour à nouveau commettre un meurtre. Nous n'étions plus que neuf, et j'avais à peu près confiance en tous mes camarades. Plus notre nombre se réduisait, et moins j'entrevoyais des potentiels tueurs en mes amis.
C'est alors qu'un sentiment nouveau naquit au fond de ma poitrine. Je ne parvins pas à le décrypter sur l'instant, mais il s'immisça dans mon esprit comme un poison. Sortir à deux... Signifiait que si je commettais un meurtre... je pourrais sortir avec Atlan, et... Ma propre pensée me terrifia. Mes mains se crispèrent sur le banc et un frisson me saisit. Qu'est ce que je racontais ? Comment mon cerveau pouvait s'envisager une telle ignominie ? L'impression de ne pas contrôler le flux de mes pensées me fit l'effet d'une claque. Ne serait-ce qu'en imaginant cela, je jouais le jeu d'Hologramme. Ce motif nous était dirigé, j'en étais persuadé. Hologramme savait, par je-ne-savais quel biais, que nous nous étions embrassés. Il devait également connaître les éventuels sentiments de Capucine envers Atlan, et ceux de Ben face à la brune.
Le bruit d'un objet frappé à pleine puissance contre le mur stoppa net mes réflexions. Ben, qui venait de rater un panier supplémentaire, avait déchargé sa colère en relançant le ballon droit devant.
- Merde ! hurla-t-il d'un air rageur.
Il remarqua ma tête relevée et tenta de faire bonne figure, mais ses mains tremblantes et son souffle court ne laissaient pas place au doute. Il poussa un soupir et passa la main dans ses cheveux, puis vint s'asseoir à mes côtés. Il transpirait. Lorsqu'il parla, sa voix sonnait comme des montagnes russes.
- Ecoute... j'sais ce que t'es en train de penser, par rapport au motif d'Hologramme et tout le toutim. Mais Capucine voulait parler à Atlan depuis hier. Elle m'a juste demandé de rester avec toi pendant qu'ils discuteraient.
Voilà donc la raison de ma présence ici. Je ressentis une légère frustration. Pourquoi la brune ne m'avait-elle pas directement demandé de les laisser seuls ? Pourquoi voulait-elle que Ben me surveille ? Je crispai ma mâchoire de manière quasi-invisible. J'avais un mauvais pressentiment, et la nouvelle motivation n'arrangeait rien. Ils allaient forcément en parler. Mais de toute manière, Atlan ne s'allierait pas à Capucine pour commettre le moindre meurtre... du moins, j'essayai de m'en persuader. Ce n'était même pas de la jalousie, juste un stress persistant et renforcé par le dialogue qui devait avoir lieu en ce moment même. Ben semblait dans le même état que moi. Blême, il ne parvenait toujours pas à calmer ses respirations.
- Je... je crois que j'suis malade, fit-il. J'arrête pas de trembler, j'ai vachement mal au ventre...
J'esquissai un sourire. Un sourire las.
- A mon avis, tu as juste peur.
Il se tut un instant et baissa la tête ; j'avais vu juste. Le métis était terrifié. Plus que d'habitude, même. Je me penchai pour capter son regard et l'inciter à parler. Il passa ses mains sur son visage et expiration longuement.
- Depuis la mort de Leeloo... je me sens toujours menacé. Emi et elle étaient si proches, et pourtant... ( il marqua une pause et se mordit la lèvre pour s'empêcher de finir sa phrase ) Les gens meurent si facilement, tués par leurs propres amis...
Plus le métis parlait, plus sa voix déclinait. Il avait planté son regard dans le vide. Des gouttes de transpiration roulaient sur ses tempes ; ses mains tremblaient toujours. L'espace d'un instant, je vis en Ben mon propre reflet. J'étais souvent terrifié par les événements, et adoptait la même attitude que le jeune homme. Mais depuis qu'Atlan m'avait embrassé... je ressentais un peu moins cette sensation de solitude, ce stress permanent à cause de la tuerie.
Ben n'avait pas cette chance. Capucine le rejetait quotidiennement, n'ayant d'yeux que pour le brun. Avec la mort de Leeloo et Mary, et mon absence due à la convalescence d'Atlan, il devait se sentir abandonné de toutes parts. Je ressentis un pincement au cœur ; je me sentais coupable en voyant mon ami dans un tel état.
Ben rejeta la tête en arrière.
- Peut-être même que j'serai le prochain, dit-il d'une voix blanche.
- Ne dis pas n'importe quoi. Personne ne va tuer personne, malgré la motivation d'Holog...
Il partit d'un rire nerveux. Ses mains vinrent cacher ses traits déformés par la peur.
- C'est ce que j'essaie de me dire à chaque fois... Alors pourquoi les gens continuent de mourir ?
J'ouvris la bouche pour répondre mais les mots ne vinrent pas. Il avait raison. Nous nous voilions la face, incapables d'affronter la réalité. Mais les paroles du maître du jeu résonnaient encore dans mon esprit. Vous pourrez sortir à deux. Evidemment que la récompense était alléchante. Tôt ou tard, quelqu'un succomberait, cela ne faisait aucun doute. Je comprenais parfaitement l'angoisse de Ben.
- Je voudrais croire en Capucine, poursuivit le métis, mais si elle cherche une victime facile, j'suis en tête de liste...
Je ne pus retenir un hoquet. Ben, douter de Capucine ? C'était bien la première fois qu'il tenait ce genre de discours. Je frissonnai. Hologramme avait semé une traînée de poudre avec sa nouvelle motivation. Les confiances se fissuraient, et, dès que quelqu'un allumerait la mèche, tout volerait en éclats. Le but premier de ce motif n'était même pas de nous inciter à tuer, mais plutôt de nous rendre encore plus méfiants envers les autres. C'était sadique.
Voyant que Ben n'arrivait pas à se calmer, je me levai et me forçai à sourire. Il redressa la tête, à mi chemin entre l'incompréhension et la peur. Avec tout ce qu'il avait fait pour moi, je me devais de lui remonter le moral.
- Bon, tu comptes m'apprendre le basket, un jour, ou bien tu attends que je sois meilleur que toi ?
Il rit, et me rendit mon sourire. Même si je ne pouvais pas empêcher les meurtres d'être commis, je pouvais au moins soutenir mes amis, tant qu'ils étaient encore à mes côtés.
[Reste : 9]
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