25 - Une deuxième victime
Ma respiration se bloqua. Il n'y avait que deux personnes hors de la bibliothèque, qui pouvaient être à l'origine d'un tel bruit. Jean, et... Atlan. Je posai ma main sur mon torse pour empêcher l'hyperventilation. Mais je sentis mon cœur s'accélérer un peu plus. Je me sentais tomber de très, très haut. Il ne pouvait pas. Il ne pouvait pas être mort. C'était impossible. Un frisson glacé qui devint brûlant me traversa de part en part.
Capucine, livide, passa la tête par la fenêtre ouverte. Elle ne put réprimer un hoquet de surprise.
- Merde, merde ! Il y a un corps !
Un... corps ? Je voulais parler, mais les mots restaient bloqués. Mes membres étaient paralysés, dans l'attente de le voir en vie. Je ne pouvais pas me résoudre à imaginer une telle situation. La mort de Leeloo ne suffisait donc pas... ?
Une poigne de fer m'agrippa le bras, et, en quelques secondes, Capucine me traîna hors de la bibliothèque sous les regards médusés de mes camarades. Seule la brune avait assez de sang froid pour affronter la réalité, et elle m'amenait avec elle. Mais les autres demeuraient tout aussi choqués que moi. Dans un état second, je la suivis jusqu'au rez-de-chaussée. La jeune fille ne disait rien et se contenter d'avancer ; le visage fermé.
J'avais peur ; tellement peur. Je voulais qu'il soit à mes côtés pour les investigations, qu'il me parle de confiance ou de toute autre chose. Je m'en fichais, tant qu'il était en vie. Sans m'en rendre compte, mes joues s'étaient déjà trempées de larmes. En temps normal j'aurais eu honte de me montrer comme ça devant Capucine, mais elles ne voulaient simplement pas s'arrêter. Elles coulaient sans discontinuer. L'angoisse avait définitivement eu raison de moi.
Nous sortîmes du manoir, et, depuis le jardin, nous le vîmes.
Il se balançait, à peine plus bas que le premier étage, au bout d'une corde de bouées multicolores. Une seconde corde, également attachée à son cou, pendait piteusement, l'extrémité rattachée à rien. Le bout de cette seconde corde formait une petite boucle. Il avait les jambes raides, rigides. Les bras attachés dans le dos. Sa tête formait un angle inédit avec le reste du corps, le cou brisé net par la corde. Sa bouche était recouverte de ruban adhésif, taisant le moindre hurlement. Et ses yeux... On eut cru ceux d'Hologramme. Ils demeuraient crevés, tout du moins lacérés par une lame. Le sang coulait en deux fins filets sur ses joues, comme des larmes mortuaires. C'était atroce. Voir ainsi un visage si mutilé me donna la nausée, mais...
- Qu'est ce qu'il se passe ? fit Atlan.
Il apparut dans l'embrasure de la porte. Ses yeux bleus se posèrent sur le cadavre de Jean, toujours suspendu, et il réprima une grimace de dégout. Puis son regard se tourna dans ma direction. Je pleurais toujours, mais un grand sourire fendait mon visage. Alors c'était ça, la folie ? L'impression de mourir puis de revivre en l'espace d'une poignée de secondes ? L'impression que mon cœur allait traverser ma poitrine à tout instant ? Je plaquai ma main sur ma bouche pour ne pas éclater d'un rire nerveux, mais mes épaules se soulevèrent d'elles-mêmes. Le brun s'approcha, puis s'adressa à Capucine.
- Les autres te demandent, en haut. Tu n'as qu'à aller les prévenir pour Jean.
La jeune fille lui darda un regard glacial, mais s'exécuta.
Dès qu'elle eut disparu, je me jetai dans les bras d'Atlan. Le dégoût, la peur, la joie, tout se mélangeait. Mais il était en vie. En vie. Je voulais lui hurler que le voir devant moi était la plus belle chose au monde. Il se crispa au contact mais ne me repoussa pas.
- Caleb, contrôle-toi, m'ordonna le brun.
Je reculai, les joues toujours trempées de larmes. Il poussa un soupir en passant la main dans ses cheveux. Atlan était intelligent ; il devait avoir compris la raison de mon état pitoyable. Il était toujours cerné, mais semblait de meilleure forme comparé à notre dernière entrevue. Cependant, après avoir avisé une seconde fois le cadavre, il se mit à parler en se tordant machinalement les mains.
- Tu me fais toujours confiance ? fit-il d'une voix blanche.
Il jetait de réguliers coups d'œil vers le manoir, afin de s'assurer que personne ne nous observait. Il stressait. Ses pupilles rétrécies, sa mâchoire crispée, sa façon de parler à toute vitesse.
- B-bien sûr, déclarai-je entre deux hoquets.
- Génial. Parce que je n'ai tué personne. Le véritable coupable fait tout pour que je sois accusé à sa place. ( avant que je n'aie eu le temps de réagir, il poursuivit : ) Je dois remonter dans le donjon avant que les autres n'y aillent. Je... Je compte sur toi, Caleb. Va au troisième étage, j'ai remarqué que la porte de l'infirmerie était ouverte en sortant.
Je tentai de le retenir, mais ma main se referma dans le vide. Il était presque parti en courant. Je restai quelques instants immobile. Le corps de Jean se balançait désormais au rythme du vent. Il craquait encore par intermittence ; sa nuque finissant de se détacher. Plus de deux jours qu'on ne l'avait pas vu... pour au final le retrouver dans cet état. Je ressentis un grand vide dans la poitrine. Atlan était parti après seulement quelques secondes, et, plus que tout, je me sentais coupable. Coupable de ne pas avoir su réagir face à la paranoïa de notre camarade. Il souffrait, c'était évident, mais plus que tout le monde il ne voulait pas mourir. Je passai la main sur ma gorge, comme en souvenir du premier jour où il avait failli m'étrangler. Ironie du sort, il finissait pendu.
Après Leeloo, voilà que nous découvrions le corps de Jean. Avec ses yeux crevés et la manière dont il était mort... Quelqu'un l'avait-il vraiment mutilé ainsi de sang froid ? Je frissonnai. Le meurtrier de nos deux camarades se cachait parmi nous. Il jouait une comédie sordide ; feignait sans doute le choc face aux corps, mais, mentalement, espérait que nous nous trompions lors du vote. Et à voir la violence avec laquelle étaient mortes ses victimes, il demeurait extrêmement dangereux.
- Beau boulot, commenta Hologramme qui venait de se matérialiser dans mon dos. Le coupable doit vraiment m'admirer pour donner à sa victime le même style que moi, huhu !
Je sursautai en entendant sa voix, ce qui provoqua son hilarité. A chaque meurtre, il paraissait plus démoniaque qu'avant. S'il eut été doté d'yeux, nul doute qu'ils auraient brillé d'excitation. L'hologramme arbora un sourire carnassier avant de me tendre le nouveau rapport. En lire deux en si peu de temps me mit face à une cruelle réalité : sur les seize du départ, nous n'étions plus que dix. Dix, dont un meurtrier.
« Victime : Jean
Lieu du crime : ???
Heure du décès : environ huit heures
Cause du décès : nuque brisée suite à la pendaison
Informations complémentaires : les yeux de la victime ont été crevés, le rendant totalement aveugle. Le corps de la victime déplore un coup non mortel à la tête.
Note : dans le cas où il y aurait deux coupables, seul le premier à avoir commis un meurtre sera considéré comme personne à condamner. »
La note me fit tiquer. Deux coupables... Pouvait-il y avoir deux meurtriers parmi nous ? Dans ce cas, seul celui ou celle ayant tué Leeloo serait considéré comme assassin. Mais... la seule idée de rentrer du tribunal avec le tueur de Jean dans le groupe me fit l'effet d'une douche glacée. Je pris une grande inspiration. Je ne pouvais pas rester sans rien faire ! Atlan comptait sur moi. J'allais faire tout ce qui était en mon pouvoir pour l'innocenter.
*
Les minutes défilaient bien trop vite. Hologramme ne nous avait pas laissé de temps supplémentaire pour les investigations ; je devais donc composer avec l'heure bien entamée. Je courus au troisième étage. En effet, la porte de l'infirmerie demeurait entrouverte. Je balayai la pièce du regard. Seuls deux détails attirèrent mon attention. La fenêtre ouverte, et une tâche écarlate à côté de cette dernière. J'avais vu tellement de sang depuis mon réveil que cela ne me dégouta presque pas. Je m'approchai de la fenêtre. Investiguer de cette manière, seul sur une scène de crime... Les paroles d'Atlan constituaient ma seule motivation. Je les répétai en boucle dans ma tête pour me donner du courage. Il comptait sur moi, et je ne pouvais pas le décevoir.
Je me penchai à la fenêtre. Mes mains agrippèrent le rebord, les doigts crispés. Un frisson glacé me secoua. Le corps de Jean pendait en dessous. Il semblait aligné dans l'axe de cette fenêtre.
La porte de l'infirmerie grinça. La sensation que quelqu'un pouvait me pousser sans mal provoqua un tel déferlement d'angoisse en moi que je me retournai avec une vivacité bestiale. Capucine me faisait face, le visage figé dans une froideur interrogatrice. Ben entra à son tour, suivi par un Jack tout sourire.
Je me recoiffai rapidement, honteux d'avoir sur-réagi, mais sans pouvoir taire les tremblements qui secouaient mes mains. La jeune fille alla droit vers la fenêtre pour enquêter, tandis que les autres s'approchèrent.
- Te pisse pas encore dessus, railla Jack. Vu la gueule des cadavres, j'ose à peine imaginer l'exécution... ça va être jouissif.
Ben s'appliquait à l'ignorer, pas plus rassuré que moi. Le métis grattait toujours sa barbe mal rasée ; tantôt il me regardait, tantôt il reportait son attention sur Capucine.
- On a fait le tour des alibis, déclara la brune. Tout le monde était apparemment dans sa chambre, excepté Ben, qui a découvert les traces de sang en premier, et Atlan, évidemment.
Le basketteur blêmit, puis rougit, puis sans un mot, dégaina un papier plié d'une des poches de son short. Avant même d'en prendre connaissance, je reconnus l'écriture. C'était la même que celle du message dans le réfectoire.
« Retrouve-moi à sept heures trente à la bibliothèque. Capucine. »
La brune poussa un soupir bruyant lorsque je relevai la tête vers elle.
- Je n'ai jamais écrit ce truc, râla-t-elle avec les joues rouges. Par contre, j'ai trouvé ça dans la chambre de Leeloo.
Un second papier vint rejoindre le premier au creux de mes mains, toujours doté de la même police.
« Rendez-vous à minuit au deuxième étage. Il faut que je te parle. »
Ces trois mots... une seule personne en était l'auteur. Et tout désignait le meurtrier. Jack avait sans aucun doute été enfermé par le coupable, qui prévoyait déjà de tuer Leeloo deux jours auparavant. Le blondinet semblait se retenir de rire. Il était parfaitement conscient qu'un meurtre se préparait, et quelque chose me criait qu'il avait volontairement laissé le champ libre au meurtrier pour l'enfermer. Une fierté glaçante s'étalait sur son visage gamin. Jack semblait toujours avoir une longueur d'avance en terme d'assassinats. Pour le meurtre de Kitty, il avait prédit la technique du tueur ; pour celui de Mary il avait anticipé la nourriture aux somnifères. Sans pour autant connaître l'identité du coupable, il avait toujours l'air de garder quelques informations sous le coude, pour s'amuser un peu plus lors des procès. Mais la question perdurait toujours : comment s'était-il libéré ?
- Concernant ma présence, dit-il comme ayant lu dans mes pensées, la chaise n'était simplement plus présente ce matin. Et quand je suis sorti, Hologramme m'a annoncé la très triste mort de Leelouille... Snif, pauvre Leelouille, je ne la détestais pas trop.
Il fit semblant de pleurer. Capucine, excédée par l'attitude du jeune homme, sortit de la pièce avec Ben sur ses talons.
Jack redressa la tête. Ses yeux brillaient, toujours animés d'une folie indescriptible. Il passa à quelques centimètres de moi, et, d'un ton atrocement calme, chuchota :
- Sans être médisant, ça craint pour Atlanou. ( il rit ) Mais tant pis, tu m'as encore, moi.
Il sortit, me laissant seul avec mes craintes. L'heure du tribunal avait sonnée.
[Reste : 10]
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