26
Lorsque la porte d'entrée du «Clémence» s'ouvrit, une clochette tinta. Virginie entra, salua l'équipe de son habituel « Coucou tout le monde, j'espère que vous êtes en forme !». Quelques-uns lui répondirent et Virginie, sourire aux lèvres, se dirigea aux vestiaires. Elle enfila son tablier blanc sur lequel son nom était brodé en bleu foncé et attacha ses longs cheveux blonds. Julia entra à son tour et la salua.
— Ah ! Bonsoir, Virginie.
— Bonsoir, ma Julia !
— Alors, tes vacances à la montagne ?
— Super ! Le chalet était adorable, la nourriture était délicieuse. On ne pouvait pas rêver mieux !
— Ahhh ! C'est super ça !
Julia attacha ses cheveux noirs à son tour. Julia faisait partie des étudiantes du « Clémence». Il arrivait parfois que Guillaume en engage, toujours prêt à former les nouvelles têtes de la cuisine française. Les étudiants étaient habituellement formés par Guillaume lui-même, mais pour Julia, Virginie s'en était chargée. Virginie était la première étudiante de Guillaume, à l'époque où le restaurant s'appelait encore « Chez Guillaume». Elle avait connu les nombreuses évolutions que Clémence avait apportées au restaurant et tout l'amour que Guillaume lui portait. Elle faisait partie de ces personnes qui avaient eu l'honneur et la chance de connaître Clémence de son vivant. Virginie avait fait partie de leur quotidien pendant de nombreuses années, avant de voir Clémence s'éteindre en 2017. Virginie a connu les jours heureux et les jours sombres du « Clémence».
— Et toi ? Les fêtes chez les grands-parents ?
— Comme toujours, c'était magique. À chaque fois que j'y retourne, je retombe en enfance ! Oh ! Il faut absolument que je demande à ma grand-mère la recette de sa bûche, tu vas l'adorer !
Mathieu entra dans les vestiaires à son tour. Les rires des deux femmes s'atténuèrent tandis que l'homme déposait son sac sur le banc. Julia sortit son paquet de cigarettes et, d'un geste de la tête, indiqua à Virginie de la suivre dans la cour extérieure.
— Mesdemoiselles, n'oubliez pas de revenir. Guillaume doit nous parler.
— Il doit nous parler de quoi ? demanda Julia en fronçant les sourcils. Elle cala sa cigarette entre ses lèvres et chercha son briquet dans son sac.
— J'ai l'air d'en savoir quelque chose ? Je ne suis pas son secrétaire, faut demander à l'autre timbré.
— Mathieu, s'il te plait... souffla Virginie.
— Quoi ? Je suis pas celui qui est tout le temps dans ses pattes. Je suis pas non plus celui qui lui lèche les bottes tous les quarts d'heure.
— Bonsoir, tout...tout le monde.
Adam entra dans le vestiaire, il ouvrit son casier , y déposa son sac, puis retira ses écouteurs et les jeta plus loin dans son casier. Lorsqu'il changea de haut, il sentit une main se poser sur son épaule. Mathieu était là, exerçant une pression sur sa peau.
— Oui ?
— Il veut quoi Guillaume ?
Il fronça des sourcils. Qu'est-ce qu'il veut, Guillaume ? Aucune idée. Adam jeta un coup d'œil en direction de Virginie et Julia et vit leurs regards interrogateurs. Ses yeux bruns se posèrent à nouveau sur Mathieu.
— Je sais p...pas...
— Bien sûr que si. Tu sais tout de lui. Alors qu'est-ce qu'il nous veut ?
— Je sais p... pas de q... quoi tu parles.
— Sans bégayer, s'te plaît.
— Mathieu ! le gronda Virginie.
— Quoi ? Il saoule à pa... pa... parler comme ça. Bon sérieusement, c'est quoi le truc avec Guillaume ?
Adam déglutit difficilement. Il se sentait mal à l'aise dans cette situation, là, torse nu, avec tous les regards braqués sur lui. Il cachait fermement son ventre avec sa veste de cuisine. La seule chose qu'il esperait dans cette situation, c'était que personne ne voie la peau distendue de son ventre. Il n'en avait rien à faire du mépris de Mathieu et de la pitié des filles. Il ne voulait juste aucun regard sur lui, sur son corps.
— Bon, tu sais p...pas. Il serait temps que tu serves à quelque chose, cracha Mathieu en sortant des vestiaires.
Virginie lui lança un regard compatissant et sortit à son tour suivie de Julia. Adam sentit son cœur s'apaiser doucement. Il enfila sa veste et souffla un moment. Lorsqu'il sortit du vestiaire, tous ses collègues étaient déjà installés dans la salle. Guillaume s'avança et s'installa devant eux. Après s'être raclé la gorge, il se mit à parler.
— Bon. J'espère que tout le monde a bien profité de ses vacances, parce que maintenant, c'est fini.
Quelques rires résonnèrent dans la salle. Le regard de Guillaume se posa sur Adam, resté en retrait près du bar. Guillaume lui sourit et reprit son discours.
— Je suis très content et reconnaissant de démarrer cette nouvelle année à vos côtés. Sincèrement. Vous êtes la meilleure équipe que j'ai eue en toute ma carrière. Vous êtes bosseurs, pleins de volonté et d'idées, vous êtes tous géniaux. Tous autant que vous êtes. Et pour cette nouvelle saison au « Clémence», j'aimerais souhaiter la bienvenue à Paul, ici devant, qui est notre nouveau stagiaire.
Certains applaudirent et un jeune homme d'une petite vingtaine d'années se leva et salua tout le monde d'un signe de la main. Il se rassit, et Guillaume lui adressa un signe de tête.
— Paul va nous accompagner pendant quelques mois. Votre mission va être de lui enseigner tous les trucs et astuces que vous avez en réserve. Je veux qu'il décroche une étoile Michelin !
Mathieu se pencha vers Max et se mit à rire.
— Regarde, il a enfin changé de poulain, chuchota Mathieu à son oreille.
— Il était temps. Il y en a marre de son Calimero, en rit Max.
— J'espère qu'il va enfin le dégager.
— J'espère aussi. Je comprends pas ce qu'il a de spécial.
— Il se tape sa fille, c'est ça qui est spécial.
— Je me taperais bien l'autre, tiens.
Les deux hommes ricanèrent. Guillaume leva la tête en leur direction et les interpella.
— Allez-y, partagez-nous vos blagues qu'on rigole tous un peu.
— Ah, patron. Y'a des choses qui ne se disent pas... lança Mathieu avec suffisance.
— Alors garde-les pour toi.
— D'accord... D'accord. Dites, elle va bien Daphné ?
— Mathieu, tiens-toi loin de ma fille si tu veux garder ton job.
Il ne répondit rien, mais leva les mains devant son visage, comme pour désamorcer la menace paternelle. Guillaume leva les yeux au ciel et reprit son discours.
— Je n'ai qu'une dernière chose à vous dire : Profitez de cette nouvelle année pour réaliser vos rêves et amusez-vous bien dans ceux qui vous sont déjà accordés. Je vous souhaite une bonne première soirée, et ne tardez pas. Les premiers clients vont arriver.
Tout le personnel applaudit une dernière fois les paroles de Guillaume et se leva progressivement. Les serveurs préparèrent la salle et les cuisiniers commencèrent à chauffer les équipements de cuisine. Guillaume passa à côté d'Adam qui n'avait pas encore bougé, comme figé dans le temps. Il semblait blême. Le quinquagénaire lui tapa doucement l'épaule.
— Ça va, fiston ?
— Oui, oui.
— Bien ! Bon service.
— Mer...merci.
Guillaume lui sourit et partit derrière le bar où, ce soir-là encore, il assurait les boissons. Adam bougea enfin et se rendit en cuisine, à son poste. Il fit chauffer les plaques de cuisson. La boule dans son ventre ne s'était pas résorbée. Il n'avait rien de spécial, c'était vrai. Il connaissait Lila, avait été son copain. Certes. Mais il était, avant tout, un très bon chef. Et Guillaume l'estimait pour cette raison. Il se débrouillait très bien en cuisine. Il était très talentueux, il le savait. Guillaume aussi le savait. Il lui avait donné sa chance parce que Lila le lui avait conseillé. Mais... maintenant que Lila n'était plus dans sa vie, et que Paul était là... Est-ce qu'il resterait vraiment le chef préféré de Guillaume ? Le stagiaire prendrait sa place. C'était inévitable. Il le remplacerait. On l'oublierait. Son monde s'effondrait au moment même où les premiers clients passaient la porte.
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