22
Adam Rosier remarqua avec le sourire que le premier jour de l'an était un lundi. Il sourit à l'idée de cette perfection qui venait par hasard. C'était rare qu'une année commence par un lundi. Enfin, pas vraiment. C'était le cas en 2018, 2007, 2001, 1990, 1979... Adam sortit son téléphone : la prochaine fois qu'une année commencera un lundi sera en... 2029. Et cette nouvelle rencontre avec la coïncidence le faisait sourire. Il semblait presque hystérique, mais c'était la fatigue qui en était responsable. Il devait être huit heures du matin, il n'avait pas fermé les yeux de la nuit.
Il n'avait jamais pensé que parler aussi ouvertement avec Guillaume pourrait lui faire du bien. Ce n'était pas commun, après tout, de taper causette avec son patron un 31 décembre. Faut vraiment être attaché au travail, s'amusait-il à penser. Non, il ne s'en était pas douté. Et pourtant, parler avec Guillaume lui avait retiré un énorme poids sur le cœur. Un poids qu'il n'avait même jamais soupçonné porter. Il n'avait pas beaucoup souri ces derniers temps. Il n'avait pas été heureux, et il avait été très triste. Mais... Mais jamais il n'avait pensé porter autant de choses sur les épaules.
Peut-être se sentait-il plus léger parce qu'il en avait parlé avec Guillaume. Lui, qui connaissait Lila (C'est sa fille) et les parents d'Adam (C'étaient ses amis). Peut-être que parler avec quelqu'un qui comprenait réellement ce qu'il ressentait lui avait fait du bien.
En passant sur le Pont des Anges, Adam s'arrêta. Et, pour la première fois depuis très longtemps, il n'avait pas envie de fumer en traversant cet endroit. Il se sentait léger, il ne ressentait pas le besoin de s'alourdir avec la fumée et ses poisons. Il s'appuya sur la barrière et regarda l'eau, doucement, faire son voyage quotidien. Ou peut-être pas. Cette eau bouge-t-elle ou, est-ce une illusion ? Il n'en savait strictement rien. Mais la vue de celle-ci lui plaisait, l'apaisait. Il aurait voulu rester, mais il savait qu'une tâche plus importante l'attendait.
Adam se remit à marcher. Il n'avait pas enfilé ses écouteurs. De toute façon, il les avait oubliés chez lui. Sur le chemin, il se surprit à apprécier les bruits de la ville. Les voitures qui roulaient, les pas qui résonnaient sur le trottoir, les bribes de conversation qu'il percevait ici et là, le claquement des portes des boutiques lorsqu'un client sortait... Pour la première fois, ces bruits qu'ils avaient longtemps ignorés le réconfortaient.
La première chose qu'il fit en rentrant chez lui fut de fouiller ses poubelles. Il s'était connu plus élégant que ça, mais c'était une première nécessité. Il se remercia intérieurement de n'avoir rien jeté de visqueux, de bizarres ou de périmé... Enfin, rien de trop dégoutaient. Que sais-je. Il cherchait désespérément ce foutu bout de papier que Lila lui avait laissé. Il se rappela alors, il avait trouvé le papier le samedi matin jour des poubelles. Merde. Il ne se souvenait plus s'il avait jeté le papier avant de jeter son sac-poubelle ou après. Merde, merde, merde, merde.
Il sentit que tout le courage qu'il avait accumulé jusque-là s'était subitement évaporé, avait disparu. Il s'assit sur le sol de sa cuisine, prêt à pleurer. Il avait besoin de voir un psy, il en était enfin conscient. Pourquoi n'avait-il pas simplement mis ce papier de côté ? Pourquoi l'avoir jeté immédiatement avec rage ? Parce qu'il avait cette fâcheuse habitude de s'autosaboter.
Adam se frotta le visage avec frustration, tentant désespérément de remettre ses idées en place. Il se concentra, se mit à réfléchir sérieusement. Avec un peu de chance, il se souviendrait peut-être des numéros de téléphone... Non, il n'y parvenait pas. La seule chose dont il se souvenait était un prénom. Jules. Mais Jules comment ? Jules D ? Non, Jules V ? Non, Jules... Jules... putain, Jules... Jules T. C'était ça. Jules T. Il ne lui restait plus qu'à trouver la suite.
Il se leva et alla chercher son ordinateur dans sa chambre. Adam s'installa finalement sur son canapé, l'ordinateur posé sur la table basse. Il se mit à taper sur son moteur de recherche « Psychologue Jules T. ». Beaucoup de résultats. Rien de concluant. Il fit défiler des pages, des dizaines de pages. Il vit des profils... Jules Tarvin, non. Jules Tremblay, non plus. Il se trouvait au Canada, donc, non pas du tout l'homme qu'il cherchait. Jules Thomas ? Non. Jules Tullier, peut-être ?
Non... Adam se souvint : le Jules T qu'il cherchait était spécialisé en trouble du comportement alimentaire. Avec sa souris, il retourna sur la barre de recherche et tapa « Psychologue trouble du comportement alimentaire Jules T ». Il cliqua sur 'entrer ' sans grand espoir de trouver son Jules. Mais son regarde se posa immédiatement sur le bon Jules. Il cliqua. Son profil s'afficha. Jules Thabault, Psychologue clinicien spécialisé dans les troubles du comportement alimentaire, la dépression, le burn-out professionnel... Jules Thabault avait noté toutes ses formations, ses études, le titre de son mémoire, son numéro de téléphone, son adresse mail...
Adam sentit une boule se former dans son estomac. Il commençait à avoir chaud et son rythme cardiaque accéléra. Je peux le faire. Il composa doucement le numéro de téléphone, mais son doigt hésitait, suspendu au-dessus de l'icône. Son doigt restait en suspens au-dessus de l'icône téléphone. Pourquoi n'osait-il pas ? Ce n'était qu'un simple appel ? Oui, mais avec un psy... Adam s'était décidé, pourtant.
Après être parti du « Clémence ». Il s'était rendu compte que parler lui faisait du bien. Beaucoup de bien. Plus qu'il ne l'aurait jamais imaginé. Il avait vu dans ce sentiment le signe qu'il était prêt à...à consulter. Alors... Pourquoi n'appuyait-il pas ? Il s'était décidé. Cette fois, il en était sûr et certain, il irait mieux. Il irait mieux, parce qu'il en avait vraiment envie. Pas juste pour Lila. Pour lui, avant tout. Parce que Guillaume avait raison, il avait encore tant de belles choses à vivre. Il devait se prendre en main avant qu'il ne soit trop tard. Pour lui (d'abord), pour sa sœur (peut-être), pour ses parents (surtout). Il voulait aller mieux, tout simplement parce qu'il méritait d'être heureux.
Pris d'un pic soudain d'adrénaline, il appuya sur l'icône. Le combiné sonnait déjà, et la boule dans son ventre semblait remonter jusqu'à sa gorge. Il avait l'impression que le stress allait le faire vomir. Il voulut raccrocher quand il n'eut pas de réponse. C'était peut-être pas pour lui, il s'était très certainement emballé pour rien. Il s'apprêtait à raccrocher, découragé par l'absence de réponse, quand une voix l'en empêcha.
— Oui, allo ?
Demanda la voix à l'autre bout du fil. Jules Thabault. Jules Thabault lui avait répondu. Mais était-ce vraiment lui ?
— Mon... Monsieur Jules Tha... Thabault ?
— Oui, c'est bien moi.
Adam inspira profondément, tentant de calmer son esprit. Mais qu'était-il en train de faire...
— Je... Je vous appelle parce que... Parce que je vais pa... pas bien.
— Oui ?
— Je... Est-ce po... possible d'avoir un rendez-vou... vous ?
— Tout d'abord, j'aimerais savoir si ça vient de vous ?
Adam recula légèrement le téléphone de sa bouche, surpris. Comment ça ?
— Co... Comment ça ?
— Eh bien... je veux simplement m'assurer que cette décision vient de vous. Donc, voulez-vous ce rendez-vous parce que vous en ressentez le besoin ou parce que quelqu'un vous y pousse ?
— J'app...ppelle parce que je veux aller mieux. J'en ai besoin pour m... moi. Pour...pour aller mieux.
— D'accord, je suis désolé d'avoir demandé. Mais je préfère toujours que mes patients viennent de leur initiative. Quand on est forcé, on n'a pas vraiment envie d'aller mieux. Une première rencontre le 12 janvier à 10h vous conviendrait-elle ?
— Ou...oui.
— Attendez, je vérifie si je n'ai pas un rendez-vous plus tôt... Non, désolé, je n'ai rien avant le 12.
— C'est pa...pas grave, le 12 c'est pa...parfait !
— Bien ! Alors, je note : le 12 janvier à 10h pour monsieur... ?
— Rosier ! Adam Rosier.
— Parfait, monsieur Rosier. Je vous enverrai dans quelques minutes un message récapitulatif contenant mon adresse, l'heure du rendez-vous et le montant.
— D'accord, merci beaucoup pour votre dispo...ponibilité.
— C'est avec plaisir.
Adam voulut raccrocher, ne sachant quoi ajouter. Il murmura doucement « Au revoir, à bient...tôt ». Mais Jules Thabault le coupa :
— Merci à vous de prendre soin de vous.
— ...
— Vouloir aller mieux, c'est une chose. Mais prendre l'initiative de prendre un rendez-vous chez un psychologue, c'est une grande étape dans la guérison.
— C'est... C'est juste un rendez-vous.
— Oui, mais vous avez eu le courage de le prendre, ce « juste un rendez-vous ». Vous avez pris votre téléphone, m'avez appelé, vous avez répondu à mon « allo » ! Vous pouvez être fier de vous, Adam. Et si vous n'y arrivez pas, alors je le serai pour vous.
— Fier ?
— Oui, je suis fier de vous. Vous êtes quelqu'un de courageux. J'ai hâte qu'on commence ensemble ce chemin vers la guérison. Vous méritez le bonheur que vous cherchez.
— Me...merci...
— À bientôt, Adam !
Adam ne répondit pas. Et Jules raccrocha. Comme promis, Adam reçut quelques minutes plus tard un message avec les informations concernant leur rendez-vous à venir. Avait-il dit vrai ? Était-il vraiment courageux d'avoir pris ce rendez-vous ? Lui, qui trouvait ça si banal, un rendez-vous... Il se remémora les paroles de Jules Thabault. Je peux être fier de moi. Adam sourit. Il le sentait : il avait fait un grand pas dans sa guérison. Peut-être pas le plus grand, mais il en avait fait un. J'ai bien fait de prendre rendez-vous.
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