( MARIGOLD ✶ Gardenstown )

Personne n'aurait pu savoir que c'est ici que la vie s'arrêterai. Depuis le bord de la falaise, Marigold regarde l'océan ( les vagues bleues se forment à l'horizon, elles sont gigantesques. Bientôt, elles viendront s'écraser à ses pieds ; millions de fines perles blanches sur les rochers ).

Le calcaire devient une stèle qui surplombe Gardenstown, on y gravera le nom de Camille quand quelqu'un y pensera ; et voilà Remus qui se tient là, debout derrière Marigold. Il ne dit rien ( le silence est important pour la scène. Il a beaucoup de choses à dire ). Il regarde le vent balayer les cheveux sombres de la sorcière, cela forme une tempête brune sur son visage pâle.
C'est l'hiver, le ciel est blanc de nuages au loin ㅡ et Remus aussi est trop loin, trop pour voir deux larmes perler sur les joues glacées de la sorcières ( les voilà battues par les mèches rebelles qui s'enfuient de sa tresse. Le visage de Marigold est meurtri, rougi par les coups. Il est surtout irrité par les embruns ).

Un sorcier sans nom avait emmené le corps de Camille, enveloppé dans un drap comme un animal blessé ; la sorcière n'était plus qu'un lièvre dont le cou s'était rompu dans sa chute. Elle avait disparu, les sorciers du Ministère avec elle, alors la campagne Écossaise avait retrouvé son calme ( qui pourrait croire que c'est sur cette scène que le drame s'était joué ? ).
Marigold a rangé sa baguette dans la poche rafistolée de son manteau, elle n'en a pas besoin. Remus lui fera remarquer son manque de vigilance, plus tard. Il sait que ce n'est pas le moment. La sorcière joue, elle est absente ( depuis plusieurs minutes déjà, elle attrape les petits cailloux à côté d'elle et les jette dans les remous en contrebas. Ils percent l'écume, en des points bien trop minuscules pour être remarqués. La mer le sait ).

ㅡ Tu crois que la Goldie que j'ai connu à Poudlard aurait toléré ça ? ( C'est un trait d'humour que Remus essaie de faire. La joie n'a jamais été son fort, il faut le reconnaître. Marigold tourne le visage, juste un peu, juste assez pour regarder le sorcier. Son maquillage est flou sous ses yeux, elle pleure. Remus, c'est raté ).

Il est temps de réconforter son amie. Alors, Remus s'assied. Il est plus grand que Marigold, ses jambes touchent un bout de pierre qui dépasse de la falaise. Il ne parle plus, il prend en otage la main de Marigold. Le voilà qui reprend la parole.

ㅡ Tu avais toujours un vernis parfait. Quand tu avais fini de peindre tes ongles, tu peignais ceux des autres.

ㅡ Ceux de Sirius et d'Emmeline, le plus souvent. ( Marigold étire ses lèvres gercées ; voilà qu'un bonheur feint la fait saigner. )

ㅡ Tu te souviens, quand tu as fait ceux de Peter ? Aux couleurs de l'arc-en-ciel, et que Lowen Trout lui a proposé de sortir avec lui ?

ㅡ Je me souviens son visage, la façon dont il me fusillait du regard à travers la Grande Salle.

ㅡ Il avait fini par y aller. Avec Sirius et James, on l'attendait à la fenêtre de la Tête de Sanglier. Il est sorti de là au bout d'une demi-heure, ne nous a rien raconté et n'a plus jamais parlé à Lowen ensuite. Il a toujours refusé qu'on aborde le sujet, on a jamais su pourquoi.

La scène est tendre, alors on autorise leurs cœurs à battre. Ils sont assis au centre des planches, nos deux héros, ils sont assis sous les nuages gris ( ici aussi, l'orage gronde. Le ciel n'est pas satisfait du traitement qu'à subi Camille. Il va pleurer pour elle ).
Et comme cet instant est doux, Marigold se tourne vers Remus, vraiment, cette fois.

ㅡ Quoi, vous avez jamais compris ?

ㅡ Non ? Qu'est-ce qu'on aurait dû comprendre ? ( L'embarras s'empare de l'assistance, Remus ne le voit pas ).

ㅡ Peter y est allé parce que James l'a incité à le faire. Il a parié avec Sirius que Peter ne serait pas capable d'y aller, et James ne voulait pas perdre. Peter était vexé que Sirius pense qu'il n'était pas capable d'accepter, et vexé parce que James ne croyait pas en lui non plus, il n'était qu'un moyen de gagner un gallion.

ㅡ Ils avaient parié gros.

ㅡ Pas pour eux. Les Black et les Potter, qu'est-ce qu'ils en ont à faire d'un gallion ? Ils peuvent bien le parier sur le courage et la sexualité de leur meilleur ami.

ㅡ Ils ont eu des moments où ils étaient plus intelligents, c'est vrai. Plus compatissants, aussi. ( Remus admet une vérité que tout le monde connaît. Marigold lui donne raison parce qu'elle ne peut pas remonter dans le temps et changer le passé ).

ㅡ Peter voulait y aller parce qu'il en avait envie. Il a fini par y aller pour faire plaisir à James et contredire Sirius. C'est triste, quand tes meilleurs amis ne croient pas en toi.

ㅡ Moi je croyais en lui! J'étais...

ㅡ Oui, où tu étais à ce moment-là ? ( C'est la rancœur qui siffle dans le vent. Elle se glisse sur terre chargée d'embruns, vient s'emmêler dans les herbes hautes et les cheveux bruns de Marigold. )

ㅡ J'étais... ailleurs. ( Remus n'a pas de meilleure réponse à apporter ).

ㅡ Ailleurs... C'est loin ça, ailleurs ? En es-tu jamais revenu ? ( Oh, voilà que le personnage change sur scène. Marigold attrape un châle rouge qui était caché derrière elle, s'en recouvre les épaules. Il tombe nonchalamment sur son bras et Remus voudrait l'enlever. Elle devient Déesse de la Discorde ).

C'est une conversation qui se dissimulait derrière les projecteurs de ce théâtre, menaçante pour tous, c'est elle qui rugit sous les planches au vernis usé! C'est pourtant une histoire bien vieille.

( Eris. )

ㅡ Peut-être qu'un jour tu seras assez courageux pour en parler.

( Le Lâche. )

ㅡ Peut-être qu'un jour tu ne seras plus égoïste et tu comprendras que je ne veux pas en parler. ( On vous l'a dit, c'est du passé. Le Choeur à la clé de ce mystère, il vous sera bientôt révélé ).

ㅡ Tu ne peux pas me traiter d'égoïste, Remus. ( Elle a raison, il ne peut pas. Pourtant il le fait, alors elle resserre son châle sur son cou et ne parle plus ). Je n'aurais pas dû lancer ce sujet.

Le Lâche ne parle plus non plus, la salle se voit de nouveau plongée dans le silence. On ne fracasse plus de vérités contre la falaise ; les vagues sont là pour ça. Marigold voudrait se débarrasser d'Eris, ne trouve jamais le moyen de le faire ㅡ alors elle devient victime de son propre sort, Maledictus destiné à se noyer dans le ressentiment qui l'anime ( Oui, qui l'anime! Marigold ne fait qu'hanter ce corps de chair ). C'est de famille, elle tient ça de sa mère.

Et malgré les différends des personnages, les acteurs savent que ce n'est qu'un rôle à jouer. Ils regagneront bientôt l'ombre des coulisses car leur temps ici est révolu ( ils reviendront, bien entendu ). Pour l'instant, ils doivent laisser la place à d'autres. On tamise les lumières, ils ne sont que des silhouettes. Ils disparaissent derrière des rideaux ㅡ et tout le monde oublie la violence des vagues, le vernis abîmé de l'héroïne et la Mort qui rôde encore.

( Quelque part dans Londres. )

Un téléphone sonne. Le combiné contre l'oreille, il attend. Qui va répondre ? Il se demande quelle sera la voix qui l'enveloppera. Le téléphone sonne encore. On décroche, juste avant le dernier écho.

ㅡ J'ai appris ce qui s'est passé. Tu veux passer à la maison ?

ㅡ Si ça ne vous dérange pas.

ㅡ Non, bien sûr que non. Tu es le bienvenu.