— Les colères de JK sont comme un orage d'été ; prévisibles, parfois violentes mais salvatrices. Mais celles de Jimin, poursuivit Jin, elles sont sourdes, têtues et lancinantes. On ne sait jamais quand il va exploser, à quel point cela va faire mal et qui va en être la cible. Vous ne devriez pas vous inquiéter pour le petit. Yoongi et moi, on s'en occupe. Il est déjà au trente-sixième dessous. Là, il est dans les bras de Yoongi qui le traite de crétin. C'est sur Jimin qu'il faut veiller. Selon moi, il va tout retourner contre lui-même...

  Camille et Namjoon regardaient leur aîné qui faisait les cent pas dans la chambre de Namjoon. La pluie s'écrasait contre les vitres donnant une dimension dramatique supplémentaire à la situation.

  — Quant à l'équipe, c'est Hoba et Jimin qui la tenait à bout de bras ces derniers mois. On a été en-dessous de tout, Moni !
  — Je sais, je m'en rends compte à présent. Je suis désolé. Je vais réunir tout le monde et replacer les limites du cadre professionnel. Mais, pour le reste, je ne sais pas trop où on met les pieds.
  — Ok, faisons comme d'habitude ! Camille, quant à toi, tu vas garder un œil sur Jimin ! continuait Jin de plus en plus agité. Il va envoyer tout le monde bouler. Monsieur-gentil-avec-la-terre-entière ne va tarder à se muer en terreur. On a déjà vécu ça...
— C'est trop tard, murmura Camille, j'ai rencontré la « terreur » cette nuit.
—Il n'y a que Tae qui avait réussi à l'approcher et l'apaiser, la dernière fois. Mais là, après hier soir, on va avoir du mal à convaincre son «soulmate » de calmer sa rancœur pour filer un coup de pouce. Camille, tu t'en occupes.
— Moi ? Mais...

  Elle n'eut pas le temps de terminer. Le manager entrait déjà dans la pièce et pressait Jin et Namjoon de partir pour le soundcheck sans oublier de faire des remontrances au leader au sujet du vacarme de la nuit passée.
  — Et faites sortir Park de sa chambre ! Débrouillez-vous.

   Le « Débrouillez-vous » avait fini par atterrir dans les mains de Camille. Ni Namjoon ni Hoseok n'étaient parvenu à lui faire ouvrir la porte de sa chambre même en appuyant sur son point faible : son professionnalisme.
  Il fut convenu qu'une voiture l'attendrait. Les autres devaient partir immédiatement.

   Camille ne trouva pas de secours du côté des filles. Seun-hi accusait le coup. Il semblait qu'il y avait eu une conversation plutôt difficile avec Taehyung, cette nuit, à la suite du pétage de câble de Jungkook. Ha-neul avait fait comprendre à Camille que chacune s'occupait de son « boulet » et qu'elles se retrouveraient plus tard dans la matinée.

   La nuit avait été monstrueusement agitée. Camille, soucieuse, avait eu du mal à replonger dans le sommeil. Et Namjoon, comme chaque fois qu'il était stressé, avait ronflé plus fort que de coutume.

   « Il ne faut pas demander à une Camille complètement décalquée d'être subtile ! »

   Prenant son courage à deux mains, elle s'engouffra dans la chambre de Jungkook qui était restée ouverte dans la précipitation du départ. Elle visa la porte communicante et pria pour qu'elle ne soit pas verrouillée.
   Elle ne l'était pas !
   Avançant dans la pièce plongée dans la pénombre à cause des rideaux tirés, la jeune femme perdit de son aplomb.
   Il était là. Prêt. Assis sur une chaise, son sac à ses pieds, prostré. Son visage encore tout bouffi par les larmes de la nuit passée.

— Je ne peux pas dire que je sais ce que tu vis, Jimin. Ce serait mentir. Ce n'est vraiment pas l'heure, cependant, d'ajouter du scandale au bazar en cours, du remord au regret. Il faut que tu agisses en tant que pro. Tu pourras craquer ce soir ou après les concerts. Tu pourras me hurler dessus si tu veux, et détester la terre entière. Mais là, je t'emmène Mimi ! Je ne veux pas que tu regrettes de ne pas être monté sur scène...

   Associant le geste à la parole, Camille ramassa le sac de son ami et le posa sur son épaule. Puis elle lui prit, avec une infinie douceur, la main pour le tirer de sa chaise. Elle fut soulagée de constater qu'il ne résistait pas. Mais alors qu'ils allaient passer la porte, il la retourna un peu brutalement face à lui pour fondre dans ses bras.

— Je suis désolé. Je ne voulais pas te dire toutes ces choses horribles... tu vas rester, n'est-ce pas ? C'est bien ce que tu m'as dit ? J'ai si peu de véritables amis... et encore, moins qui sont là au quotidien pour moi... Mimi ?
— Je veux rester. C'est vrai. dit-elle simplement.
— Pour moi aussi ?
— Pour toi aussi.

   Elle retrouva tant bien que mal un membre du staff qui les attendait. Jimin fut englouti dans le grand véhicule noir aux vitres teintées. Camille eut à peine le temps de lui souhaiter bon courage.

*

*

   Camille avait rejoint les filles pour le déjeuner. Ha-neul avait fait des merveilles avec Seun-hi qui avait retrouvé son entrain habituel. La jeune française avait de plus en plus de considération pour cette danseuse d'un abord plutôt difficile.

— Ils sont tellement embourbés dans leurs soucis qu'ils ne voient même plus les chemins alternatifs. Ils restent ancrés dans leurs peurs sans s'apercevoir que le monde évolue autour d'eux. Et, ils voient leurs amis avancer à leur façon, et cela décuple leurs angoisses.
— Mais ils n'ont pas tout à fait tort... Sim Sam-jung a fini avec un score pitoyable lors des dernières élections... Quant à leur métier, l'exposition médiatique les oblige à se cacher. Je veux dire, enfin, j'ai du mal à m'exprimer, désolée les filles... je veux dire, il leur faut une sacrée force pour vivre tout ça ! Sans compter que, pour le moment, ils ne peuvent envisager aucun avenir familial en Corée... enfin, s'ils en souhaitent un... parce que, visiblement, là-dessus, ils ne sont pas d'accord.
— Détrompe-toi. dit Seun-hi. Jungkook est infernal ! Il craint tellement de pousser leur couple dans une situation insupportable et de mettre l'avenir du groupe en danger, qu'il nie ses propres désirs. Tu confirmes, Ha-neul ? Je me trompe ?
— Non... tu as tout juste.
— Seun-Hi... hésita Camille. Et vous ?
— Tae et moi ? C'est assez simple à vrai dire. Ça ne signifie pas qu'on ne se heurte pas comme hier soir. Je suis de ceux qui prennent les choses au jour le jour. Je m'en fais peu pour l'avenir. Lui, aimerait planifier, se projeter plus. Mais, dans l'absolu, nos espoirs sont les mêmes. Ce matin, j'en voulais aux deux andouilles qui ont mis Tae sans dessus dessous. Sans Ha-neul, j'aurais peut-être eu du mal à redescendre. Je ne te cache pas que, lui, en revanche, est bien plus rancunier que moi. Il en veut non seulement à JK d'avoir été un petit con, mais aussi à Jimin. Il lui en veut de ne pas savoir s'interposer, le défendre ou même de calmer les angoisses de l'autre énergumène !
   Camille sourit de soulagement.
— Tu es contente ? s'amusa Ha-neul.
— Non, non... enfin si... je suis contente que, de leur côté, ça n'aille pas si mal. se défendit Camille sans raison.
— Et vous ? s'enquit Ha-neul. J'ai comme le sentiment que vous êtes de plus en plus proches, chaque fois que nous nous voyons.
— Vraiment ? Pour tout dire, je change d'avis... je crois que j'aimerais rester plus longtemps ; je me sens prête à faire des concessions.
— On le savait depuis un petit bout de temps, nous ! lui répondit Seun-hi en lui tapotant amicalement sur la main.

*

  L'effervescence dans le stade était incroyable. Les filles avaient été amenées par un membre du staff à bord d'une de ses grandes voitures noires aux vitres teintées et guidées au pas de course à travers les couloirs réservés au personnel. Au-dessus de leurs têtes, le béton vibrait et chaque son résonnait dans leurs os. Là-dessous, c'était une véritable ruche, un ballet d'ouvrières virevoltant d'une occupation à une autre. Camille en avait le tournis. Hébétée, elle avait dû s'arrêter. Quand elle reprit ses esprits, elle crut un instant être seule au milieu de cette masse vivante et grouillante, mais Ha-neul l'attrapa par la main.

  — On t'avait réellement perdue, cette fois-ci ? Viens !

  Leur course se poursuivit dans les marches et les couloirs qui devaient les conduire jusqu'à la tribune VIP du premier étage face à la scène. Le pass sciait le cou de la jeune femme et sautait en rythme sur sa poitrine. C'était une sensation qu'elle n'aimait pas. Camille sentait à présent l'humidité omniprésente, rendue plus désagréable par la nuit tombante. Elle frissonna sous son grand manteau de laine et enfonça les mains dans ses poches.
  — J'espère qu'il ne va pas pleuvoir de nouveau... dit-elle pour elle-même.
  — Hein ? Oui, moi aussi ! Ils pourraient se blesser ! lui répondit Ha-neul.

  Lorsqu'elles arrivèrent enfin, le spectacle avait commencé. Camille ne prêta que peu d'attention aux personnes déjà présentes que les filles semblaient connaître et saluaient jovialement. Rivée, à son siège, elle les admirait pour la première fois sur scène et peina à les reconnaître. Ces jeunes gens inquiets, échevelés, en colère, tristes de ce matin avaient totalement disparus. Tout était incroyable ! Camille fit la connaissance d'une autre facette de Namjoon et de ses amis. On pouvait dire, sans exagérer, qu'ils étaient très très professionnels. Rien ne laissait transparaître les rancœurs de la nuit. Ils semblaient tous complices, pimpants et légers !

  C'est seulement lors d'une pause entre deux séquences que Camille prit conscience de son entourage. Les filles discutaient de nouveau avec leurs voisins de siège.

  — Camille, je te présente Ha Seong-un. L'ami de Jimin. dit Ha-neul qui voulait inclure Camille. Puis se tournant vers le jeune homme, elle dit :
  Surtout, ne t'offusque pas. Elle est nullissime concernant le monde de la K-Pop !
— Hé ! voulut protester Camille qui ne trouva rien d'autre à dire car c'était absolument vrai.
— Bonsoir. répondit poliment l'idol d'un air timide. Je sais tout ça. Jimin m'en a parlé en long et en large. Il ne put s'empêcher de réprimer un sourire gentiment moqueur.
— Ha bravo ! Bonjour, la réputation...

  Alors que la conversation s'engageait facilement et très joyeusement, d'autres personnes observaient cette occidentale qui détonnait dans ce carré VIP. Seun-hi s'était levée pour répondre à un couple de personnes plus âgées un peu en retrait. Camille s'aperçut, avec un certain malaise qu'on parlait d'elle. Elle en eut la confirmation rapidement quand Seun-hi lui fit signe de venir les rejoindre.
— Surtout ne panique pas, eut tout juste le temps de lui souffler Ha-Neul. Sois polie et n'en dis pas trop.

  Il n'en fallut pas plus pour que le palpitant de Camille ne s'emballe ! Rejoignant le couple et Seun-hi, elle se demandait de quoi il s'agissait. Ou plutôt de qui.

  "Ne fais pas ta Camille ! Je t'en supplie ! Reste zen..."

— Camille, je te présente Monsieur et Madame Kim !

  "Ouf !!! Les parents de Taehyung... ce que j'ai pu être bête !" se rassura la petite Française dont les joues avaient bien rosi malgré le froid qui s'installait.

— Les parents de Namjoon. précisa Seun-hi.

  "Enfer et damnation ! Sortez-moi de là ! On peut récrire mon histoire, non ? Si ?"