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Chapitre XXXVI


EPILOGUE

Le bagne de Toulon était resté le même, et pourtant il avait changé.

Il avait perdu ses allures de chantier et était à présent une usine où des milliers d'esclaves s'évertuaient à renflouer "La Royale", la marine du roi.

La puanteur étouffante, le pain noir, la soif et les coups de matraque restaient les mêmes.

Le mistral se figeait dans les os glacés ; la mer et la brume trempaient encore les uniformes qui, comme une seconde peau toujours imbibée, enveloppaient le corps des prisonniers même pendant leurs heures de sommeil.

Jean Valjean était à présent plus vieux.

Il était toujours taciturne et renfrogné, dur comme les maillons de sa chaîne. Évasif et tenace, déterminé à demeurer en vie.

Il portait maintenant les lettres d'infamie, TP, gravées sur son épaule.

Son bonnet de laine, qui était autrefois rouge, était maintenant vert.

Les marques irréfutables de l'emprisonnement à vie.

Mais quelque chose l'empêchait désormais de lever encore son poing contre son prochain ; là où il n'y avait autrefois que de la colère, commençait à poindre la compréhension.

Jean le Cric et Monsieur Madeleine s'amalgamaient pour former une créature improbable...

Cette situation le perturbait.

Malgré cela, Jean Valjean était aussi plus avisé que lorsqu'il avait quitté le bagne huit ans auparavant.

Peu après son arrivée, il avait fait bon usage des ressources qu'il avait amenées avec lui ; ainsi, un pot-de-vin judicieusement administré au garde approprié lui avait permis de dormir à terre au lieu de retourner au bagne flottant. Il avait payé à prix d'or le privilège d'échanger le bois pourri d'un pont contre les planches inégales d'un lit de camp, le tôlard, dans l'une des salles.

Un napoléon avait acheté la prérogative de se faire accoupler à Tarillon, homme sérieux et tranquille sur le point de compléter sa sentence.

Tarillon était encore jeune, mais expérimenté et fort comme un bœuf. Il était

respecté de nombreux forçats et suscitait la peur chez beaucoup d'autres.

Comme dans toute prison, tout était finalement connu dans le bagne. Dès le début, la rumeur du retour de Jean le Cric s'était répandue et son histoire haute en couleur s'était propagée parmi la chiourme comme une traînée de poudre.

Les gardes le montraient aux touristes comme l'on montre une attraction foraine en échange de quelque menue monnaie...

Valjean se laissait faire, plus soucieux d'une rumeur différente qui pointait au fait qu'il avait de l'argent caché dans un quelconque trou du bagne. Cette rumeur, qui était vraie mais pas exacte, lui coûterait bientôt des servitudes qu'il n'était pas prêt à assumer ; elle pourrait même lui coûter la vie.

Tarillon comprit bien vite qu'il avait été embauché comme garde du corps ; côte à côte, les deux hommes unissaient leurs forces pour ne jamais avoir à les employer.

La dissuasion... Un élément qui est impossible à négliger lorsqu'on demeure parmi les fauves.

Jean Valjean était toujours dur à la tâche, infatigable. Féroce.

Le travail rendait les jours plus courts et les nuits moins longues.

La fatigue le submergeait et, comme pendant autant d'années, le clouait sur les planches où il songeait le regard perdu et l'esprit plongé dans les ténèbres.

Les dégâts désormais n'étaient plus que physiques.

Jean Valjean avait presque appris à être libre, car bien qu'il n'ait pas encore appris à déchiffrer ses émotions, il était maître de ses pensées et aussi de ses espoirs.

Il croyait être libre de ne jamais avoir à y renoncer.

Mais le bagne était un trou béant qui avalait les visages, les voix et les caresses qui avaient presque réussi à faire de Madeleine un homme.

Toulon était une fosse qui alimentait sa haine et tuait son désir.

Même sa foi, l'âme que Myriel lui avait insufflée, commençait à s'ébranler.

Valjean avait bon être libre, il était aussi mort en dedans. Ou si près de l'être.

Comme la première fois...

Il avait demandé à Javert de lui faire confiance

Jean Valjean était à court de temps.

Cette nuit-là, comme tant d'autres, il a été réveillé par la visite du rondier.

L'argousin marchait au pied du tôlard, martelant les fers des dizaines d'hommes qui s'entassaient, couchés de côté et incapables de se retourner, sur la plate-forme en bois.

Le garde cherchait le son révélateur du fer mordu par le bastringue [lime].

Valjean n'avait même pas bronché quand son tour était arrivé.

Tarillon, derrière lui, s'était crispé.

Lorsque l'argousin était passé sans mot dire et que le martèlement de ses bottes dans la salle s'était arrêté, une main large et forte saisit l'épaule de Valjean.

Serrant plus fort qu'il n'était nécessaire.

Rappelant de vieux souvenirs qui avaient fait que Jean le Cric se recroqueville un peu, désireux de disparaître.

" Ça ne sera pas toujours comme ça. Il faut faire quelque chose," lui souffla Tarillon à l'oreille.

Valjean acquiesça en silence.

La manille, qu'il avait limée, s'affaiblissait et commençait à sonner faux. C'était imperceptible... ce soir. Mais demain ?

Un billet de mille francs avait changé de mains ce soir.

Tarillon en fit un cylindre qu'il inséra dans la déchirure qu'il avait pratiquée dans sa tenue, habilement dissimulée sous son aisselle.

" Tu es sûr ?, lui dit l'homme en chuchotant.

- Je doute que ça suffise à te dédommager si on t'accuse de m'avoir aidé...

- C'est mon problème. Borne-toi à me frapper bien fort pour qu'ils gobent mon histoire."

Encore une fois, Valjean acquiesça.

Il avait fermé les yeux pour ne pas voir la misère qui poussait son compagnon d'infortune à risquer sa vie pour quelques francs. Les gardes savaient bien qu'un homme attaché à un autre par une chaîne si courte ne pouvait s'empêcher d'être le témoin de tous ses actes, même les plus intimes. Il ne pouvait pas s'empêcher d'entendre chaque mot qu'il disait... Avec le temps, il devenait impossible de ne pas deviner ses pensées.

Cependant, il était vrai que ce billet pouvait changer la vie de Tarillon si Valjean arrivait à saisir sa chance en douceur.

Une fois dehors, cet argent permettrait à son camarade de survivre assez longtemps pour trouver un emploi chez lui...

Valjean se promit d'être prudent en ce qui concerne Tarillon.

Il mettrait son visage en sang, l'attacherait comme une saucisse. Il avait même caché un burin dans la cale du bateau qu'ils chargeaient cette semaine, juste derrière la viande séchée.

C'était un instrument de grande taille qui, bien employé, suffirait à venir à bout d'un maillon de fer en quelques minutes et qui justifierait l'ignorance du camarade frappé à devenir inconscient...

La fatigue dissipait l'agitation et Valjean avait fini par tomber dans un sommeil agité.

Les jours passaient et les nuits se traînaient.

Le mistral hurlait à travers les barreaux de la grande salle.

Un corps dur, tout en os, s'était collé à son bassin et ondulait des hanches.

Le garçon devant lui rêvait-il, cloué sur sa planche ? S'offrait-il encore une fois à Jean le Cric ?

" Va voir ailleurs, petiot. Il n'y a toujours rien pour toi ici, grogna Valjean.

- Tu en es sûr, le père ? Je vaux bien le prix que je demande, répondit le garçon d'une voix qui se voulait feutrée.

- Ferme ta gueule, sale morveux. Tu vas attirer les gaffes [gardes]," avait chuchoté un Tarillon enragé.

Un crachin glacé les avait accueillis à leur sortie du bâtiment. Le soleil n'avait pas pris la peine d'être au rendez-vous ce matin-là.

Valjean avait caché le cou dans sa veste couleur garance, comme si ce geste pouvait le protéger de l'eau qui commençait à ruisseler le long de sa nuque, et s'était dirigé, avec le reste de son groupe, vers la darse.

Les argousins étaient grognons et engourdis. Les plus chevronnés avaient trouvé des recoins où s'abriter pendant qu'ils surveillaient les galériens qui chargeaient un vaisseau de ligne, l'Orion.

Sous le pont, Valjean avait déposé un baril de poudre à canon et parcourait la pénombre du regard pour savoir si les marins avaient laissé traîner des loques qu'il pouvait récupérer et utiliser à bon escient.

Concentré et tendu, Valjean n'avait pas été le premier à lever la tête vers le grand mât pour voir un gavier se balancer du marchepied.

L'énorme échelle de corde qui ascendait le long du mât, brisée et détachée, se balançait au vent et, surtout, était poussée par les tentatives désespérées que faisait le matelot pour retrouver son équilibre.

Comme un pantin suspendu au bout du balancier d'une gigantesque horloge qui n'aurait plus de boîtier, l'homme oscillait de droite à gauche traçant des arcs de plus en plus larges et violents.

Seules ses mains agrippées au cordage le séparaient du gouffre.

Valjean, cependant, n'avait pas tardé à réagir...

En quelques minutes à peine, il s'était porté volontaire pour tenter un sauvetage ; sa demande avait été acceptée et on lui avait permis de briser sa chaîne d'un coup de marteau colossal.

Personne n'avait réalisé la supercherie.

Personne n'avait de raison de se méfier de ce prisonnier qui se distinguait par sa conduite exemplaire et qui faisait preuve d'altruisme. Ce n'était pas la première fois.

Seuls quelques regards admiratifs avaient pris la peine de se lever vers lui lorsqu'il s'était débarrassé de sa veste et de ses chaussures pour les laisser à terre.

L'esprit de Valjean était vide alors qu'il grimpait sur les marchepieds, alors qu'il se hissait comme quelque sorte de félin, alors qu'il courait le long de la vergue aussi aisément que d'autres marchent le long d'un échafaudage.

Seul son corps calculait, décidait, agissait.

La volonté d'aller plus haut, d'aller plus vite comme si cela devait changer quelque chose... Le besoin de garder son équilibre, primitif et atavique, qui se réveillait dans le sang de l'émondeur avait pris le contrôle.

Une course qui était un souffle de liberté et qui rendait la peur inconcevable enivrait ses sens.

À ras du sol, la foule regardait, frissonnait, s'effrayait, l'encourageait... Les exclamations et les cris s'élevaient vers Valjean en vagues lentes et indistinctes.

Valjean ne pouvait pas se permettre d'entendre tout ce monde...

Il ne voulait même pas les imaginer.

Ses mains, qui semblaient posséder une volonté bien à elles, avaient fait un nœud de marin autour de la vergue et Valjean était descendu dans le vide accroché au bout d'une corde ; encore un nœud autour de la taille du marin, qui était resté pendu, immobile et la bouche ouverte tandis qu'il regardait cet ange habillé des couleurs du bagne.

La foule avait poussé un soupir de soulagement.

Valjean avait levé la tête pour calculer les distances et avait ensuite étreint le mât ; puis il avait commencé à grimper vers la vergue.

Son corps aux pieds et à la tête nus, à la poitrine désormais dénudée, se hissait à coup de reins le long de la surface qui lui était si familière et pourtant si étrangère. Le bois, loin d'être rugueux et vivant, était aussi lisse et humide que la peau de Javert après l'amour.

Javert...

Valjean avait secoué la tête.

Confiance...

Oui.

Jean Valjean était parvenu à atteindre la vergue ; il se mit à tirer sur la corde pour hisser le gavier à la force de ses poignets.

Après un instant de joie indicible, juste un éclair dans la nuit sombre qui était devenue sa vie, il avait fini par abandonner le marin entre les mains de ses camarades pour retourner à sa condition de forçat.

La tête baissée, désormais entièrement blanchie, il descendit vers la vergue du dessous, puis vers la suivante.

Il courait plus lentement à présent, comme si l'épuisement avait fini par le rattraper.

Jean Valjean ne respire plus. Il chancelle au bout de la vergue.

L'homme qu'il vient de sauver lui est déjà sorti de la tête.

Sous l'assaut du vent et du sel, ses yeux se sont remplis des visages qu'il devine ou qui lui manquent.

Fantine, sœur Simplice, même Duhamel.

La petite Cosette, qu'il imagine si semblable a sa mere.

Surtout javert.

Jean Valjean vacille, hésite.

Il regarde le bout de côte qui se dessine au loin. Sa seconde chance se cache là, quelque part qu'il n'arrive pas à distinguer.

Jean Valjean s'était laissé tomber dans l'eau.

Entre deux navires, loin du rivage, il s'était laissé avaler par le froid et n'avait même pas cherché de faire surface à la recherche d'air.

Il poursuivait l'oubli.

Pendant que la foule hurlait sur la darse, les autorités du bagne ont lancé une barque à sa recherche.

Les meilleurs nageurs de bagne, ceux qui adoucissaient leur peine au moyen de rattraper les forçats qui tentaient de se sauver à la nage ; les plongeurs qui réparaient les coques immergés sous les navires ; les équipages de l'Orion et de l'Algésiras l'avaient recherché autant qu'avait duré la lumière du jour.

Tout fut en vain : Jean Valjean avait disparu, englouti par les eaux.

Son corps ne fut jamais retrouvé.

En guise de dernier hommage, les autorités firent inhumer sa veste et ses chaussures dans le cimetière du bagne en présence d'une délégation de galériens.

***************************

Paris.

Novembre 1823.

Quel jour ?

Cela n'avait aucune importance pour l'inspecteur Javert.

Le policier était assis devant son bureau au commissariat de Pontoise.

Et cependant il n'était pas là.

Il était dans la si jolie petite ville de Montreuil-sur-Mer. Il en parcourait les rues, il en ressentait le souffle, il en écoutait les rumeurs, il en vivait les drames...

Et surtout..., il entendait la voix de monsieur le maire...

Javert n'était pas assis devant son bureau situé au commissariat de Pontoise à Paris, il était dans les rues de Montreuil et il écoutait monsieur Madeleine lui parler du quartier des Moulins...

Ou de toute autre chose...

Javert aurait donné n'importe quoi pour entendre monsieur Madeleine en cet instant.

Même pour lui donner des ordres stupides.

" Inspecteur ? Vous allez bien ?, demanda une voix, intéressée, non loin de lui.

- Oui, oui," fit Javert en revenant à lui.

Deux yeux marrons le regardaient avec inquiétude.

Le sergent Rivette, comme de juste.

" Je vais bien, ajouta Javert.

- Vous voulez un café ?"

Javert ne répondit pas, il reprenait ses méditations.

Il y avait le Moniteur posé devant lui, le journal affichait quelques lignes succinctes sur la mort d'un forçat courageux.

Tombé d'un bateau dans la mer Méditerranée, noyé pour avoir voulu sauver la vie d'un marin en danger, 9430 était mort.

Javert n'avait même pas la force de sourire. Il reconnaissait bien là la témérité de Jean Valjean.

Et le policier recherchait désespérément dans sa mémoire tous ses souvenirs concernant M. Madeleine...

Il jouait machinalement avec sa bague. Une bague en argent sertie d'une magnifique pierre grise, marquée d'une étoile, il y avait des éclats de verroterie noire. La personne qui avait taillé cela avait passé du temps à ciseler et graver.

A l'intérieur, quelque chose avait été écrit : " Javert."

Javert serra les poings et lutta contre les sanglots.

Il en avait les mains qui tremblaient.

La nuit suivant son arrestation, Jean Valjean s'était évadé de la prison de Montreuil.

Mais il en avait profité pour visiter le plus improbable des lieux : le meublé du chef de la police !

Javert découvrit le matin, après avoir fouillé dans toute la ville en vain, une bague magnifique et un acte de propriété à son nom concernant l'étalon Gymont, posés sur son propre lit.

Gymont était à lui et Madeleine lui avait fait cadeau d'une bague.

Juste de quoi tracasser pour le reste de sa vie l'inspecteur.

Et maintenant...

Maintenant, tout était terminé et plus jamais Javert ne retrouverait Jean Valjean.

Le policier baissa la tête et examina encore une fois l'article concernant Jean Valjean.

Rivette n'avait jamais vu son supérieur ainsi, il s'inquiétait encore plus.

Javert était resté hypnotisé par ce journal depuis une heure.

Puis le sergent le vit bouger.

Javert glissa ses deux mains sous son menton et les croisa devant sa bouche.

Rivette n'osa plus proposer du café.

Javert ferma les yeux et se souvint.

Il devait avoir confiance...

La belle blague !

**********************************

Ce fut Vidocq qui découvrit le pot-aux-roses, bien entendu.

Il le sut dès l'instant qu'il vit l'inspecteur Javert.

Flanqué de son jeune collègue, nouvellement nommé dans la Force.

Vidocq aperçut le visage sombre, le regard terni et le manque de grogne. Et comme le Mec n'était pas un imbécile, il comprit aussitôt.

Vidocq envoya le gamin faire une course inutile et fit s'asseoir Javert dans son bureau, rue Petite Sainte-Anne.

Rivette disparu, le Mec se tourna vers Javert, resté impassible.

" Il est mort, hein ?"

Javert était parfois comme un chat, il en avait les réactions. Le policier fit le gros dos et cracha :

" Je ne vois pas de quoi tu parles, le Mec."

Vidocq soupira et sortit le Moniteur du tiroir de son bureau. Il le plaça juste devant le nez du policier.

" Me prends pas pour un jobard, le cogne.

- Il est mort, oui, et alors ?

- Tu sais, Javert, j'ai tout fait pour vous sauver la mise.

- Quoi ?

- Je l'ai reconnu tout de suite, ton Jean-le-Cric.

- A Montreuil ? Tu l'as reconnu ?"

Javert en tombait des nues.

" Oui, mon cogne. Et je n'ai rien dit. Tu sais pourquoi ?"

Javert se tut, s'attendant à une vilenie.

" Un forçat, oui, c'était un forçat, jeta sèchement le Mec. Récidiviste, en rupture de ban, la lie de l'humanité. On me l'a déjà dit. Et pourtant, la ville de Montreuil allait bien, hein le cogne ? Tout le monde avait du travail. Les gens étaient heureux. Alors j'ai fermé ma gueule et j'aurai bien aimé que tu en fasses autant.

- C'était un forçat..., fit la voix serrée du policier.

- Oui, et moi aussi ! Mais il ne faisait rien de mal. Putain Javert ! Madeleine était un brave type ! Il dépensait son oseille dans la charité, il essayait de défendre les malheureux. Et tu l'as dénoncé.

- Oui.

- Tu n'as pas un peu de mal à dormir, le cogne ? Le bassin de Ponce Pilate te pèse ?"

Les ongles de l'inspecteur pénétraient le bois tendre de la chaise dans laquelle il était assis.

" Tu as fini ?, demanda Javert, glacé.

- Non ! Tu sais comment est Montreuil aujourd'hui ?

- Non !, répondit tout aussi abruptement le policier.

- Une ville morte, inspecteur !"

Vidocq applaudit, lentement, et termina :

" De la belle ouvrage, inspecteur ! Un poste à Paris contre la ruine de toute une ville ! J'en connais qui ont été guillotiné pour moins que cela.

- Tu as du turbin pour moi, oui ou merde ?

- Oui, mon cher inspecteur," sourit sans joie le chef de la Sûreté.

Et Vidocq lui jeta sous le nez un dossier lourd et épais concernant des cambriolages dans un quartier riche de la ville.

Mais Vidocq avait touché juste.

Javert avait du mal à dormir.

Et l'article du Moniteur n'allait pas arranger les choses...

**************************

Les jours suivants furent parmi les plus sombres de la vie de Javert.

Même à l'annonce de la mort de Gilles Maucourt, il n'avait pas été si brisé.

Là, il se perdait dans l'alcool...

Dans le travail...

Dans le danger...

Sans Rivette à ses côtés, il se serait évanoui dans l'obscurité...

" Je n'aime pas ça, Javert, affirma Vidocq en levant les yeux du dossier complété par l'inspecteur, dans lequel étaient sommairement reportés la témérité et le danger.

- La belle affaire ? Tu as tes guinches [voleurs] !"

" Je ne saisis pas pourquoi vous avez pris la tête de cette attaque, inspecteur, le questionnait Chabouillet. C'était prendre des risques inutiles !

- Il fallait agir !"

Rivette était sans cesse dans ses jambes.

Le jeune sergent avait à peine vingt ans. Il débutait à Paris.

Il avait une fiancée et rêvait de pouvoir l'épouser.

La première fois qu'il rencontra l'inspecteur Javert, il fut immédiatement amical.

Il tendit la main et sourit avec joie :

" Je suis le sergent Rivette, on m'a nommé dans votre service."

Javert répondit au salut mais ne se donna pas la peine de sourire.

" Vous vous y connaissez en travail de police, inspecteur ?

- Non, monsieur, fit le jeune homme, empressé. Mais je serai heureux d'apprendre et je vais...

- Allez me faire un café."

Rivette en resta bouche bée.

Puis il obéit.

Et découvrit ainsi la dure vie du métier de policier...

" Javert !, claqua Vidocq en épinglant l'inspecteur contre un mur. Patron-Minette n'est pas un ramassis de caves ! Tu vas te faire suriner.

- Je suis de patrouille, se défendait âprement le cogne.

- Merde Javert ! Tu vas cesser de te morfondre et reprendre le collier !

- Je ne l'ai jamais abandonné !"

Vidocq regarda avec attention les yeux clairs de l'inspecteur, y lisant sans nul doute l'ampleur de son désespoir.

" Vraiment ?"

" Inspecteur ! Je vais vous coller à un bureau à la Préfecture ! Trois blessures en un mois ! Vous cherchez à vous faire tuer ?

- Non, monsieur Chabouillet.

- Alors quelle est votre explication ?

- Aucune, monsieur. Manque de prudence."

Le secrétaire se plaça juste devant Javert et força ce dernier à le regarder en face :

" Alors faites preuve de prudence ! Sinon, je vous attache à mon service."

Prudence.

Bien sûr.

****************************

La rue d'Enfer était une rue située rive gauche.

Au 31, se trouvait un cabinet médical, tenu par un médecin de bonne réputation, Edme-Samuel Castaing.

Parmi ses patients du jour, on vit avec curiosité un imposant personnage, tout de noir vêtu, avec des favoris touffus et le regard sombre.

Vidocq s'était dit qu'en usant de Javert comme mouchard, il avait une chance de lui sauver la vie.

Javert se déguisa donc et suivit ce médecin.

Vidocq lui avait parlé de suspicion d'empoisonnement.

" Ce médecin est dévoré d'ambition et de dette. Il a une famille nombreuse à entretenir et des amis riches meurent dans ses bras en lui abandonnant leur héritage.

- Des preuves ?"

Le Mec avait souri.

" Non, sinon tu ne serais pas malade au point d'aller le visiter."

Javert jouait les poitrinaires.

Le médecin, très gentiment, l'examina, mais il ne découvrit rien.

Il renvoya cet étrange patient à ses pénates, en lui enjoignant de prendre garde au rhume.

Vidocq en rit.

Javert secoua la tête avec dépit.

On soupçonnait le docteur Castaing d'avoir empoisonné un jeune homme d'une riche famille, Hippolyte Ballet. Malade des poumons, sa mort était bien tombée pour le docteur.

Une belle fortune lui était échue.

Et les jours passèrent en surveillance pour le policier.

Javert resta déguisé en mendiant devant la porte du cabinet.

Le médecin menait une vie luxueuse.

Javert le découvrit assez vite.

Il découvrit aussi que le docteur Castaing était très proche d'Auguste Ballet, le frère d'Hippolyte.

Une grande fortune.

Edme-Samuel Castaing, le médecin de la famille Ballet était aussi un ami de la famille.

Et il empochait une partie de l'héritage à chaque mort...

Le père et la mère Ballet étaient morts à cinq mois l'un de l'autre en 1821.

Puis l'oncle Ballet.

Le médecin, Castaing, était présent à chaque fois et soutenait les membres de la famille Ballet restant.

Les deux frères, surtout, devinrent ses amis intimes.

Hippolyte mourut le 5 octobre 1822 dans les bras de Castaing, après quatre jours d'une terrible agonie.

On diagnostiqua une pleurésie tuberculeuse.

L'affaire aurait pu s'arrêter là...mais les choses se corsèrent.

Ce qui mit la puce à l'oreille du chef de la Sûreté, ce fut le testament d'Auguste Ballet fait le 1er décembre 1822 et qui faisait de Castaing son légataire universel.

Ce testament n'était pas encore déposé chez un notaire...mais Vidocq en connaissait l'existence grâce à la dernière survivante de la famille Ballet.

La soeur !

La jeune femme avait peur de se faire déshériter.

Elle était venue demander de l'aide auprès du chef de la Sûreté.

Et le Mec avait envoyé l'inspecteur Javert.

Une affaire d'empoisonnement !

Cela permettait au policier d'avoir autre chose en tête que le bagne de Toulon.

Après plusieurs jours de surveillance, Vidocq releva le policier.

" Alors le cogne ?

- Si j'étais à la place d'Auguste, je m'inquiéterai.

- Pourquoi cela ?

- Castaing a une maîtresse à entretenir."

Le chef de la Sûreté se mit à rire.

" Cela ne va pas arranger sa situation financière."

Oui, cela faisait du bien à Javert de faire du vrai travail de police.

Il réussit à sourire.

****************************************

Puis le Moniteur lui raconta une histoire étrange.

Sur Montfermeil.

Le sergent Rivette vit l'inspecteur se lever précipitamment et quitter le commissariat.

Il voulut le suivre mais dans la rue, il ne put qu'apercevoir le policier héler un fiacre.

A Montfermeil, l'inspecteur retrouva l'auberge du Sergent de Waterloo. Il retrouva sans plaisir l'aubergiste, Thénardier et sa femme. Cette fois, il rencontra leurs deux filles et un nourrisson en sus.

Mais il ne vit pas l'Alouette.

" Son grand-père est venu la chercher, expliqua maladroitement Thénardier.

- Son grand-père ? Le père de Fantine ? Tu te fous de ma gueule ?

- Non, inspecteur. Même qu'il avait un courrier signé de la mère."

D'un claquement de doigt dirigé vers sa femme, Thénardier se fit obéir.

" Que ma fille Cosette soit confiée au porteur de cette lettre.

FANTINE "

Voir ce nom fit mal au policier.

Javert, machinalement, le glissa dans la poche intérieure de son uniforme et quitta l'auberge.

Cosette avait disparu.

L'Alouette.

Même Gymont ressentait l'humeur de son cavalier. Il ne caracolait pas. Il avançait, tête baissée, et ses pas le menaient lentement en direction de Paris...

Jean Valjean était mort.

Qui avait pris Cosette si ce n'était pas lui ?

Javert claqua la croupe de Gymont et se traita de jobard.

***************************

Et la vie à Paris se poursuivit.

Javert décida de continuer à utiliser son personnage de mendiant.

Cela lui permettait de se fondre dans la masse.

Vivre ainsi sous la couleur muraille et observer le monde.

Vidocq l'employa dans plusieurs affaires de surveillance.

M. Chabouillet l'utilisa en tant qu'espion au service du Premier Bureau aux Affaires Politiques.

Javert commença à traquer les opposants au régime et les révolutionnaires...

De réunions politiques en tentatives d'assassinat, de complots contre le roi en simples Associations républicaines, Javert était régulièrement sur la brèche.

Et il restait le dogue de Pontoise.

Attaché au commissariat, il travaillait aux affaires de quartier avec le sergent Rivette.

Ainsi, Javert se tuait à la tâche.

De toute façon, qu'avait-il d'autre ?

Nommé à Paris, il sut se rendre utile.

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