Chapitre XXVI
Les semaines passaient, l'automne devenait l'hiver. Javert était là depuis deux ans !
Et il se trouvait bien à Montreuil-sur-Mer, tout compte fait.
Quel changement par rapport à l'année dernière ?
Il avait appris à travailler avec un maire compétent.
Il avait appris à se montrer compétent.
Il avait réussi à trouver quelques indices concernant cet improbable maire...et il restait certain que l'homme n'était pas ce qu'il disait être.
Mais qu'était-il ?
Jean Madeleine lui avait avoué qu'il était un Chouan. Par ce fait, c'était un homme qui méritait l'oubli et le pardon.
Oui, mais l'était-il ?
Javert se souvenait de l'avoir vu.
Où ?
Et surtout...était-il vraiment un Chouan ?
Javert se demandait toujours s'il ne s'agissait pas d'un simple forçat.
Auquel cas, il ne méritait rien d'autre que les chaînes et surtout pas un poste de magistrat !
Car cela rongeait l'inspecteur de police.
Savoir que Madeleine usurpait une position de magistrat, que chacune de ses signatures était frauduleuse.
Il pouvait tolérer cela d'un homme condamné à tort pour des motifs politiques...mais certainement pas d'un voleur ou d'un meurtrier.
En deux ans, Javert avait multiplié les dossiers, vérifié ses soupçons et il n'avait forgé que d'autres soupçons.
Le policier se frotta les cheveux et tira sur ses favoris.
Cette situation le rendait fou.
D'un côté, il voulait détruire Madeleine et de l'autre...il appréciait l'homme.
Deux ans que cette situation perdurait.
Javert était désarçonné.
Moreau avait quitté le commissariat depuis des heures.
Javert se sentait seul.
L'année dernière, il avait bu un verre dans son bureau en solitaire pour fêter sa première année d'emprisonnement.
Ce soir-là, l'inspecteur avait envie de boire en compagnie.
Et comme toujours, ce qu'il décida de faire était en totale contradiction avec ce que lui dictait son devoir ou sa conscience.
Il envoya un message laconique à la mairie, sachant très bien que cela allait inquiéter monsieur Madeleine.
Et l'attirer au café de la Place du Marché, encore plus alarmé.
Cela ne manqua pas et fit sourire joyeusement le policier.
Oui, tout était bancal dans cette situation.
" Que se passe-t-il Javert ?, demanda, inquiet, monsieur le maire. J'ai reçu votre message et je suis venu en catastrophe..."
Javert attendait le maire au café.
C'était une gageure !
Il avait commandé un repas décent à l'aubergiste et une bouteille de bon vin.
" Nous avons quelque chose à discuter, monsieur le maire.
- Ha ?"
L'inquiétude était moins présente, monsieur Madeleine s'apaisait. Il reconnaissait l'humeur de son chef de la police. Javert était espiègle et plein d'humour.
" J'ai été nommé il y a deux ans dans cette ville. Je me suis dit que nous pourrions dîner ensemble. Là, je n'ai personne d'autre à qui proposer de se saouler en ma compagnie. Vous êtes partant ?
- Javert !
- Peut-être pas se saouler, alors. Mais dîner ?
- J'accepte."
Deux adversaires devenus des alliés.
" Et votre nomination à Paris ?, demanda Madeleine.
- Remise aux Calendes Grecques ! Je ne quitterai ce poste que le jour de ma retraite, je le crains.
- Alors fasse le Ciel qu'elle ait lieu le plus tard possible !
- Buvons à cela !"
Les verres s'entrechoquèrent et Javert parla des risques d'inondation dans le quartier des Moulins.
Monsieur le maire se justifia quant aux délais ! Les subventions viendront cet hiver.
Javert se moqua et assura qu'elles aussi devaient être remises aux Calendes Grecques.
On avançait.
On travaillait.
On s'apprivoisait.
Parfois, parfois...l'inspecteur examinait avec attention les yeux de M. Madeleine et le tigre légal en lui se mettait à gronder.
"Oui, il avait vu M. Madeleine, ailleurs, dans une autre vie...et le jour où il s'en souviendrait, ce sera un désastre !"
Le passé était loin et le rire de M. Madeleine faisait sourire l'inspecteur...
Comme durant la danse...durant les étoiles...durant les promenades en ville...
Javert était devenu sa dupe, tout compte fait.
*************************************
L'automne laissa la place à l'hiver.
L'humidité devint glacée et Moreau recommença à entretenir un feu d'Enfer dans le poêle.
Mais le policier se plaignait moins que l'année précédente.
Au grand soulagement du jeune homme.
" Un café, inspecteur ?
- Merci Moreau, je pense en boire un avec M. Madeleine. Nous allons travailler le dossier pour les subventions concernant ce foutu quartier des Moulins."
Moreau contempla le policier avec compassion.
" Vous n'en avez pas fini avec cela ?
- La paperasse !, claqua Javert. Nous n'en avons jamais fini !"
Déjeuner ensemble devenait courant.
Boire un café à l'estaminet en parlant des affaires de la ville également.
Javert n'avait aucun mal à sortir et à exposer son uniforme parmi la population. M. Madeleine restait inquiet.
Javert le forçait à sortir de sa solitude.
Et à rire en public.
" Alors je me suis approché de ce jobard. Il a eu peur de moi, figurez-vous !
- Ce qui est tout à fait compréhensif, inspecteur, se moquait M. Madeleine.
- Peut-être. Donc je m'approche de ce jobard et le temps de sortir mes poucettes pour le poisser, savez-vous ce qu'il a fait ?
- Non, inspecteur.
- Il a plongé dans la Seine !
- Dieu ! Vous l'avez raté ?
- Non, monsieur, fit sèchement Javert, ignorant le sourire amusé de Madeleine. J'ai simplement attendu que ce cave appelle à l'aide et des collègues ont été le repêcher en barque.
- Comment est-ce possible ?
- Il ne savait pas nager mais il a plongé là où il n'y avait pas beaucoup de courant. Il ne voulait pas se noyer.
- Vous savez nager, vous ?
- Mal. J'ai appris à ne pas couler.
- C'est l'essentiel."
Ils riaient.
Et échangeaient sur la ville.
Un jour, ils étaient tous les deux à observer les dégâts occasionnés sur certaines maisons du quartier des Moulins. L'humidité excessive, la misère, les inondations régulières...tout cela détruisait le quartier peu à peu.
Ce drainage devenait primordial.
Le maire et son chef de la police contemplaient cela, avec dépit pour l'un et colère pour l'autre.
" Qu'attendent-ils pour débloquer les fonds ?, cracha Javert. Qu'une épidémie de choléra se déclare ?
- Mon Dieu ! Ne parlez pas de malheur, inspecteur !
- Mon rapport n'a donc pas suffi ? Je vais leur amener un marmot malade.
- Je préférerai qu'ils restent au chaud, tous ces enfants, murmura le maire.
- Nous allons tout faire pour cela, monsieur," fit sèchement le chef de la police.
Les deux hommes se tenaient debout, dans leurs manteaux épais, bien protégés contre le froid et le vent. Les mains gantées et glissées dans les poches.
Devant eux, on voyait la pauvreté et la maladie.
Un quartier délabré avec des maisons dont les caves étaient inondées, les murs de torchis portaient des traces d'humidité excessive et les fenêtres ne portaient plus de vitres depuis longtemps...
Madeleine secouait la tête, atterré devant tant de misère mais Javert serrait ses poings dans son dos.
Et puis soudain...
Une femme amaigrie par la disette s'approcha d'eux, doucement, avec circonspection.
Deux hommes aussi importants. C'était impressionnant.
Doucement, elle trouva le courage de toucher le bras de monsieur le maire. Ce dernier se retourna et la regarda, avec un regard d'infinie bienveillance.
" Oui, madame ?"
Javert se tourna à son tour, mais son visage encore pris par la colère était effrayant.
" Voulez-vous un café ? On peut vous en donner, murmura la femme.
- Un café ?, répéta Madeleine. Nous ne saurions abuser, madame.
- Oui, ce serait apprécié, merci," répondit fermement Javert.
La femme sourit, soulagée et disparut dans une des demeures délabrées.
" Vous n'auriez pas dû, Javert, l'admonesta durement le maire.
- Vous allez voir, monsieur," rétorqua Javert en souriant, sans relever la critique.
La femme revint, elle portait un plateau avec deux tasses fumantes, de sa plus belle vaisselle. A ses côtés, deux enfants, deux petites filles, la suivaient et tenaient des parts de gâteaux dans des assiettes.
" Vous n'auriez pas dû, fit Madeleine, désolé.
- Merci, madame Henri," assura Javert en saisissant une tasse.
La femme souriait vraiment maintenant tandis que le maire imitait son chef de la police.
Le café était chaud, cela faisait du bien. On sentait à son goût qu'il comportait plus de chicorée que de vrai café, mais il restait buvable.
" Comment va votre mari ?, demanda Javert.
- Bien, monsieur l'inspecteur. Il a trouvé du travail à Arras. Comme vous l'aviez prédit.
- Je ne l'ai pas prédit, madame, fit Javert en riant. C'était logique.
- En tout cas, il travaille dans une usine de textile. Il gagne 3 francs la journée !"
Elle était fière de son mari et de son salaire.
Elle ajouta précipitamment :
" Avec l'atelier à la maison, je peux amener encore 1 franc."
Elle était fière d'elle-même.
Javert approuva en hochant la tête et but une gorgée de café.
Madeleine était interloqué.
" Votre mari a quitté la ville ?, questionna le maire.
- Oui-da, monsieur. Y a pas assez de travail ici. Mais l'inspecteur a parlé des usines d'Arras et mon homme y est allé. Si tout se passe bien, nous le rejoindrons !
- Sans nul doute, asséna Javert. Il y a du travail à Arras pour vous aussi."
Le regard de la femme se posa sur l'inspecteur, des yeux ronds et remplis d'espoir. Impressionnants !
" Vrai ? Si je vais à Arras, je trouverai du travail ?
- Il y a du travail, madame. Pourquoi vous n'en trouverez pas ?"
Javert la regardait en souriant, attendant simplement la suite. Il se doutait que M. Madeleine n'avait jamais entendu ce qu'on racontait sur eux.
Et les étoiles.
" Ha ben ça ! Je vais écrire à l'homme alors et partir le plus tôt possible !
- Non, fit Javert. Attendez que votre mari ait trouvé une bonne place pour vous.
- Il trouvera ?
- Certainement."
Elle rayonnait et s'écria :
" Merci, inspecteur. Je suis contente de savoir l'avenir !
- Je ne prédis pas l'avenir, madame, répéta Javert, indulgent.
- Si fait, monsieur. Et c'est bien que le maire vous écoute !
- Pardon ?!"
Le maire s'étouffa en buvant son café et eut beaucoup de mal à avaler. Javert posa sa main dans son dos et frotta lentement.
Madeleine regarda la femme mais elle ne plaisantait pas.
" Ben oui ! Vous l'écoutez lorsqu'il vous lit l'avenir dans les étoiles ! C'est un gitan ! Il sait lire l'avenir ! Et il faut l'écouter !
- Mais...," murmura Madeleine, estomaqué.
Javert ne disait rien, il avait tellement lutté contre cette rumeur.
Il avait abandonné.
Il était et resterait un gitan.
" Vous faites du bon travail ensemble ! Continuez à l'écouter, monsieur le maire. L'inspecteur a pas l'air comme ça, mais il sait des choses ! Il voit l'avenir !
- Très bien. Je l'écouterai alors," assura le maire.
La femme laissa les deux hommes avec leur café et leur gâteau.
Et un fin rire fut perceptible dans l'air froid de cet automne si humide.
" Vous prédisez l'avenir Javert ?
- Ha ! Certainement, monsieur. L'hiver sera long et froid et je prévois de tomber malade au commencement de la nouvelle année.
- Javert...
- C'est la plus belle rumeur qu'on ait dite à mon sujet. Je lis l'avenir dans les étoiles."
Javert regarda Madeleine, les yeux brillants de plaisir et d'humour.
" Vous avez appris cela ? Vraiment ?," demanda Madeleine.
Le rire cette fois fut profond.
Javert s'essuya les yeux des quelques larmes qui en avaient coulé, puis, sérieusement, il répondit :
" Ma mère tirait les cartes mais un oncle m'a appris quelques trucs. Donnez-moi votre main gauche."
Madeleine hésita puis voyant Javert retirer ses gants et l'attendre patiemment, il tendit sa main.
Javert soupira et retira le gant de M. Madeleine.
" Vous allez voir que bientôt on va le raconter par toute la ville. Mais je préfère cette rumeur-là, elle est bénigne.
- Comment cela ?"
Mais Madeleine se tut. Il ne pouvait plus parler.
Il sentait les doigts, chauds, du policier glisser sur sa paume puis suivre des lignes, tracées parmi les cicatrices de la vie.
" Il y a quatre lignes : la ligne de vie, la ligne de cœur, la ligne de tête, la ligne de destin.
- Javert, je...
- Une ligne de vie part de l'index et finit à la base du poignet, là où se trouve ce qu'on appelle le mont de Vénus."
Ce faisant, Javert glissa ses doigts sur le poignet du maire, non loin du pouls et des traces des chaînes. Madeleine frissonna.
" Votre ligne est très prononcée, cela signifie que vous vous posez beaucoup de questions, vous allez renouveler votre vie... Différentes vies se mêlent et se croisent dans une seule.
- Javert ! Cela suffit !"
L'inspecteur ouvrit ses doigts et libéra la main, un sourire amusé sur les lèvres.
" Vous ne voulez pas que je vous lise l'avenir dans les lignes de la main ? On me l'a appris.
- Prédire l'avenir est interdit par la loi !
- La dernière sorcière a été brûlée en 1782... Dieu merci, ce ne fut pas ma mère !"
Javert se mit à rire.
" Pourquoi ce jeu Javert ?
- Parce que j'aime beaucoup passer du temps avec vous et que votre ville est un repère de commères, monsieur le maire. Maintenant, on ne me prend plus pour un diable mais pour un conseiller occulte !"
Javert s'inclina et asséna :
" Pourvu que vous ne vous lassiez pas de mes services, je ne veux pas finir comme Concini, le conseiller de Marie de Médicis.
- Javert, Javert, Javert..."
Le policier souriait, amusé.
" Allons plutôt rendre visite à Declercq, je m'inquiète pour lui, inspecteur.
- Poursuivons notre patrouille dans ce cas.
- Mais je vais faire une note pour Moreau, il faut envoyer des secours dans le quartier des Moulins. Couverture, bois, nourriture. Peut-être reloger certaines familles dans la halle aux grains ?
- Et voilà, monsieur ! Vous allez à nouveau faire un miracle !
- Javert !"
Deux rires se mêlant dans le froid et l'humidité.
On regardait ces deux hommes, aussi opposés que possible, et cependant œuvrant dans la même direction, s'en aller d'un pas assuré vers la campagne.
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Il était tard.
La journée avait été longue.
Les deux hommes avaient bien travaillé. Le dossier sur le quartier des Moulins était finalisé.
Tout était répertorié, les drames humains et les soucis techniques, les risques environnementaux et les moyens financiers déficients...
Javert et Madeleine se regardaient.
Chacun assis devant le bureau, en vis-à-vis et un sourire identique illuminait leur visage.
" Bien, bien, bien..., conclut Madeleine. Si cela ne fonctionne pas...
- Cela fonctionnera !, asséna fortement le policier. Je ne vois pas comment on oserait vous refuser ces maudites subventions !"
Madeleine se laissa tomber en arrière contre le dossier de son fauteuil de magistrat et affirma tristement :
" Je suis peut-être moins candide qu'auparavant, Javert.
- Le suis-je ?, se défendit âprement l'inspecteur.
- Je ne sais pas."
Madeleine se permit un rire amusé tandis que le policier grognait :
" Je ne suis pas candide, monsieur."
Et cependant...
Monsieur Madeleine savait maintenant que l'imposant inspecteur de police était terriblement candide.
" Bien entendu, Javert."
Le regard noir que jeta le policier sur le maire ne provoqua qu'un nouveau rire.
Les deux hommes n'avaient pas déjeuné et le café de Moreau ne compensait pas un repas oublié.
Mais, il faisait froid, il était tard et tout était fermé dans la ville.
En fait, cette situation avait lieu grâce à l'action du chef de la police. Sa lutte contre l'ivrognerie et les bagarres de rue avait imposé un certain couvre-feu.
Donc tout était fermé et les gens restaient sagement chez eux.
Javert en fut dépité mais monsieur le maire se moqua :
" Que voulez-vous Javert ? Vous y êtes pour quelque chose !
- Cela signifie que ce soir, je ne dînerai pas, souffla le policier.
Cette idée déplut terriblement à M. Madeleine, il regarda Javert et se décida à l'inviter à dîner dans son appartement à l'usine.
Javert retrouva son sourire et le chien-loup se redressa...toujours sur la piste...
Il était tard et il faisait froid.
Javert remonta son col sur son visage et avec son chapeau et ses favoris, il ne resta de visible de lui que ses deux yeux étincelants.
Madeleine en avait l'habitude. Il n'en avait plus peur.
" Vous voyez les étoiles, monsieur ?, souffla la voix amusée de Javert.
- Oui, inspecteur ! Je reconnais la Croix du Nord et...voici Cassiopée !
- Bien, bien."
Un bras se glissa sous celui de monsieur le maire et la voix profonde raconta quelques nouveaux épisodes astraux en avançant vers l'usine.
" Ainsi Orion est poursuivi par un scorpion ?
- Oui, monsieur le maire. Mais la constellation du Scorpion est trop grande pour être vue dans son entier dans notre contrée.
- Où peut-on la voir ?
- Plus au sud."
Madeleine ne dit rien de plus.
Il comprenait que Javert parlait du Sud : Hyères, Toulon... et ne préférait pas relever la référence.
Le forçat connaissait bien son chasseur. Il savait dorénavant se montrer prudent et ne pas relever ses pièges. Grossiers mais implacables.
" Quels autres animaux trouve-t-on dans les étoiles ?," demanda le maire.
Le policier ne fut pas dupe de la manœuvre et on entendit son sourire dans sa réponse :
" Un lion ! Je vous le montrerai un jour."
Comme elle en avait l'habitude, la portière avait préparé le dîner du maire. Comme toujours, la femme empressée de plaire à monsieur Madeleine avait préparé un repas conséquent. Bien trop important pour un homme seul et aussi frugal que monsieur le maire.
C'était plus que ce l'homme n'arriverait à manger. Il fallut le réchauffer.
Javert ouvrit des yeux étonnés en voyant les deux plats remplis de viande de poulet rôti et de gratin de chou-fleur que le maire déposa sur le foyer de la cheminée.
M. Madeleine haussa les épaules sans relever le regard.
Et Javert se mit à rire doucement.
Les deux hommes s'installèrent dans la chambre de Madeleine et mangèrent auprès de la cheminée.
Javert examina les deux chandeliers d'argent posé sur le manteau de la cheminée, cherchant ce que diable cela lui rappelait.
Madeleine avait permis au policier de faire brûler un feu impressionnant dans la cheminée. Il savait aussi à quel point Javert avait froid.
Des chandelles furent allumées également, dans divers lieux. Madeleine n'avait pas l'habitude de tant de luminosité.
Le dîner ne fut que roboratif, mais les crus de monsieur le maire étaient de qualité.
Pour une fois, le maire servit du vin.
Et les deux hommes trinquèrent, contents de fêter la conclusion de ce maudit rapport...
Ils burent en se regardant avec attention.
**************************
Et puis...
C'était une mauvaise idée. Tout était une mauvaise idée.
L'alcool bu pour fêter la fin du rapport.
La soirée passée en tête à tête à évoquer les travaux à faire dans la ville.
Les chandelles qui se reflétaient dans les yeux.
Tout était une mauvaise idée.
Encore plus les doigts de l'inspecteur glissant tout contre ceux de monsieur Madeleine. Et monsieur Madeleine ne s'éloignant pas du contact.
C'était une mauvaise idée.
Mais l'alcool jouait et les yeux de monsieur Madeleine brillaient à la lueur des chandelles. Magnifiques.
Le chef de la police l'aurait juré devant un tribunal, il écoutait cérémonieusement monsieur le maire parler de ses puits et de ses mares. Monsieur Madeleine évoquait avec son air sérieux habituel les soucis de gestion de l'eau dans la ville. Il fallait drainer le quartier des Moulins, bien trop humide et bien trop pauvre. C'était entendu !
Mais il y avait d'autres quartiers dans la ville ! Et le maire parlait du quartier nord, trop près des remparts et dont les terres manquaient de fertilité.
Montreuil-sur-Mer était une jolie petite ville, mais elle était entourée de marécages, elle était traversée par une rivière, elle était trop humide et la Ville-Basse en devenait malsaine.
Le coupable était l'alcool.
Ils devaient fêter la fin du rapport et la bataille terrible que menait monsieur le maire pour obtenir les subventions pour le quartier des Moulins.
Ces fonds inespérés qu'il fallait recevoir de Paris afin d'entamer les travaux de drainage seraient une belle victoire de M. Madeleine.
Surtout que le chef de la police continuait à assurer que jamais Paris ne débloquerait des fonds pour cela. Et cela fouettait monsieur le maire, le poussant à prouver le contraire.
Oui, ce serait une belle victoire.
Puis, il devint évident que la proposition de dîner ensemble et d'ouvrir une bouteille - non deux bouteilles - de vin pour fêter le rapport terminé fut une très mauvaise idée.
Il aurait fallu se contenter d'un dîner à l'auberge. Ou d'un serrement de mains.
Monsieur Madeleine parlait et essayait de convaincre coûte que coûte l'inspecteur, devenu son plus proche adjoint.
Des chiffres qui obscurcissaient l'esprit du chef de la police tandis que Javert regardait la bouche de monsieur Madeleine.
" Vous m'écoutez Javert ?, avait demandé le maire, légèrement agacé par l'attitude désintéressée de son chef de la police.
- Oui, monsieur," avait réussi à répondre Javert.
Il réussit aussi à lever les yeux sur le maire puis il ne put s'en empêcher. Il tendit la main, voyant ses doigts trembler devant lui. Ce qui l'exaspéra.
Monsieur Madeleine s'était tu, ses yeux bleus reflétaient de l'appréhension.
Javert songea que ce n'était pas la première fois qu'il les voyait ainsi. Monsieur Madeleine avait déjà eu peur de lui...mais où ? quand ?
" Vous vous sentez bien inspecteur ?"
Les doigts malhabiles saisirent la cravate de monsieur le maire et Madeleine se tut. Enfin.
Une mauvaise idée que d'attraper la cravate de monsieur le maire, si joliment nouée.
Blâmons l'alcool qui rendit Javert courageux.
" Là, tais-toi ! Tu me casses la tête avec tes chiffres.
- Inspec...
- Chut ! Tu as des yeux magnifiques ! Laisse-moi en profiter."
Monsieur Madeleine se mit à sourire, amusé malgré tout, tandis que Javert faisait pencher son visage dans la lueur de la bougie posée sur la table, hypnotisé par la teinte si belle des yeux de monsieur le maire. Bleu indigo.
" Vous êtes ivre !, constata le maire, indulgent.
- Pas toi ? Dommage !
- Pourquoi cela ?
- Demain, tu te souviendras."
Et ne laissant pas la possibilité à Madeleine de répondre quoique ce soit, Javert avait forcé le maire à se rapprocher de lui...jusqu'à embrasser ses lèvres.
Monsieur Madeleine voulut se reculer mais Javert l'en empêcha, resserrant sa prise sur la cravate. Juste à la limite de faire mal.
" Non ! Tu te vengeras demain.
- Vous êtes devenu fou, inspecteur !"
Javert regarda les yeux de Madeleine et sourit, approbateur.
Le bleu était devenu sombre, un ciel de fin de jour, lorsque le bleu se mêle au noir et que les premières étoiles s'illuminent. Monsieur Madeleine pouvait s'en défendre, il y avait du désir dans ses yeux.
" Oui, possible. Demain, je me haïrai pour ça. Ce soir..."
Il embrassa à nouveau la bouche de M. Madeleine et cette fois, il sentit qu'on lui répondait. Cela le fit sourire, suffisant, contre les lèvres de monsieur le maire.
Javert, obligeant, entrouvrit ses lèvres pour laisser le passage à la langue de M. Madeleine.
Le baiser devenait ardent et passionné.
" Là, tu vois, souffla le policier en se reculant légèrement. Ce n'est pas si difficile de vouloir.
- Une mauvaise idée, affirma M. Madeleine avant d'embrasser encore et encore l'inspecteur.
- La pire que nous ayons eue. Demain...nous reprendrons le jeu...
- Bon Dieu ! Javert..."
La pire des mauvaises idées.
Lentement, l'inspecteur relâcha la cravate et ses mains vinrent chercher les épaules de monsieur le maire. Pour le rapprocher davantage et le forcer à se coller contre lui.
" Je te reconnais. Tu le sais, murmura la voix légèrement empâtée du policier. Pourquoi ne me fais-tu pas chasser ? C'est quelque chose que je ne comprends pas.
- L'alcool te rend bavard Javert."
Le policier sourit en entendant le tutoiement.
" C'est pour cela que je ne bois pas."
Monsieur Madeleine glissa son visage dans le cou du policier et doucement respira. L'odeur de l'homme, après une journée de travail et de marche dans la ville était enivrante.
Javert laissa sa tête partir de côté, permettant à monsieur le maire d'accéder à plus de peau. Cela le fit frissonner.
" Tu as déjà joué à cela, n'est-ce-pas ?, souffla le maire.
- Tu parles trop toi aussi. Embrasse-moi !"
Et d'obéir.
Les mains de l'inspecteur descendirent sur la taille de M. Madeleine et il le fit se placer entre ses genoux.
Au plus près de lui.
" Mon Dieu...
- Tu ne sais pas ce que tu veux, hein ?, sourit tristement le policier.
- Je ne sais pas...
- Alors, fais-moi confiance."
Et de ses doigts habiles, le policier défit la braguette de monsieur Madeleine, faisant apparaître la chemise.
Le sexe de monsieur Madeleine fut libéré, il se durcissait déjà.
" Non Javert...", souffla monsieur Madeleine.
Tout était une mauvaise idée.
Mais ouvrir la bouche pour sucer la bite de monsieur le maire était sans conteste la pire de toutes.
Il y eut un instant durant lequel monsieur Madeleine voulut se reculer mais les mains de l'inspecteur se posèrent sur ses cuisses et le maire fut bloqué par une poigne de fer.
Il ne pouvait que gémir alors que le policier avalait son sexe et jouait de lui.
" Javert..."
Les mains de monsieur Madeleine glissèrent sur les cheveux de l'inspecteur, regardant leur teinte si sombre, étincelante à la lueur des chandelles, caressant les reflets et n'osant pas défaire le ruban qui retenait la chevelure.
Et le plaisir monta profondément, une vague intense qui allait tout submerger.
Javert n'était pas si adroit mais Madeleine n'avait jamais connu cela, il ne lui fallut pas longtemps pour se sentir proche de la délivrance.
" Javert... Je vais... Dieu..."
Les mains du policier se placèrent sur les fesses de monsieur le maire et Javert avala tout ce que le maire lui offrit.
Quelques derniers instants à donner du plaisir, puis l'inspecteur libéra monsieur Madeleine.
Ce dernier regardait son chef de la police avec une stupeur émerveillée.
Javert souriait, satisfait.
" Tu vois ?, murmura-t-il, la voix rauque. Cela peut être bon de vouloir et de se laisser aller.
- Et...et toi ?"
Doucement, l'inspecteur se laissa tomber contre le dossier de ma chaise. Il se sentait saoul et content de l'être.
" Je ne pensais pas que tu me rendrais la pareille.
- Je pourrai essayer..."
Le maire se pencha en avant et cloua l'inspecteur dans la chaise. Javert murmura en fixant intensément les yeux si beaux de monsieur Madeleine :
" Alors montre-moi."
Mais M. Madeleine eut un mot malheureux. Un mot qui brisa l'excitation et réveilla Javert :
" A vos ordres, monsieur."
A vos ordres ?!
Putain !
Javert se recula lentement et regarda Madeleine.
A vos ordres !
L'homme était un forçat !
De cela, Javert aurait pu le jurer !
Il lui avait déjà dit cela.
A vos ordres, monsieur...
C'était donc au bagne de Toulon qu'il l'avait vu.
Il ne manquait plus que le nom pour parfaire l'image et la rendre limpide.
Un Chouan, peut-être, mais un forçat sûrement !
Madeleine perçut le changement de rythme et son sourire se fit triste.
" Alors ça y est ? Vous m'avez reconnu ?
- Non," fit durement Javert.
Il repoussa violemment Madeleine et jeta cruellement :
" Mais cela ne devrait pas tarder, crois-moi !"
Javert était horrifié, déçu...
Un forçat !
Dans la rue, Javert se prit la tête dans les mains et serra.
Un forçat !
Et il venait de quémander sa bite et de la sucer. Il avait encore le goût salé et amer du sperme dans sa bouche.
Il se laissa porter contre un mur et vomit.
Il y eut peu de bagarres dont Javert ne se sortit vainqueur.
Ce soir en était une !
Ce soir, l'inspecteur, pour une fois, se retrouva épinglé contre un mur par un homme plus fort que lui, dont l'haleine puait l'alcool au point de lui donner la nausée.
Une main serrait sa gorge et une jambe était glissée entre les siennes. Javert tentait de toutes ses forces de débloquer la prise. En vain !
Il fallait dire que lui-même n'était pas au mieux de sa forme. Avec l'alcool qu'il avait dans le sang et la douleur de s'être perdu avec un ancien forçat, il n'était pas prudent.
" Un joli cogne ! Regardez-le, les gars !
- Un gitan !, fit négligemment une voix. Casse-lui la gueule, le Normand."
Un rire amusé suivit cette proposition.
" Commençons par le ventre, on verra la suite après !"
Un coup dans le ventre, vicieux et Javert se dit que patrouiller seul n'était peut-être pas une si bonne idée.
Il se retrouva sans souffle. On le lâcha. Il tomba en avant mais une main glissée dans ses cheveux le força à se redresser.
" A qui le tour ?"
Un deuxième coup, en plein visage, fit voir des étoiles au policier. Un autre ne lui laissa pas le temps de respirer et la douleur le fit gémir.
Cette fois, Javert eut peur de crever là, battu comme un chien.
Mais c'était mieux que la douleur d'avoir failli.
Alors il cessa de lutter...
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