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Chapitre XXII

Et les semaines passèrent...

L'hiver disparaissait, le froid et l'humidité devenaient de lointains souvenirs.

Moreau cessa d'entretenir le poêle et parfois la porte du commissariat restait ouverte.

La chaleur revenait et l'inspecteur cessa de porter ses lourds gants d'hiver.

Les semaines et les mois étaient passés.

L'inspecteur de police s'était repris.

Il avait réussi à surmonter les sensations que lui apportait Madeleine.

Tout simplement en se branlant.

Matin et soir.

Cela l'apaisait et il réussissait à tenir une conversation sans fuir dans les cinq minutes.

Des semaines à se masturber, il n'avait jamais connu cela. Même adolescent.

Il se sentait pathétique.

*************************

Un an était passé depuis la dernière fête de mai.

Cette fois, l'inspecteur savait. Moreau attendait, le sourire aux lèvres, le passage des petites filles en robe blanche.

Et le secrétaire regardait à la dérobée son supérieur.

Jamais, il ne l'aurait dit à l'inspecteur mais le chef de la police semblait troublé lui aussi.

Depuis dix minutes, le policier n'avait pas écrit une ligne, ni lu une page de ses fastidieux rapports.

Il attendait lui aussi.

Les chants et les sourires, les boucles et les robes à volants...

Mais jamais l'austère policier ne l'aurait avoué.

" Elles doivent être encore devant la collégiale, l'informa Moreau, indulgent.

- Non, on les entendrait, répondit sans y prendre garde l'imposant policier. Elles sont encore devant..."

Puis, comme s'il se rendait compte de sa bêtise, Javert s'ébroua et cracha :

" Reprenez votre tâche !

- Oui, inspecteur."

Moreau se tourna vers la fenêtre. Mais son dos secoué de soubresauts prouvait à lui seul les rires qui le prenaient.

Javert en fut passablement agacé.

Enfin, les chants retentirent sur la place du Marché.

Et le policier se précipita sur la porte du commissariat. Moreau le suivit, secouant la tête avec un dépit moqueur.

Elles étaient là ! Les chorales de petites filles, toutes de blanc vêtu et les chevelures couronnées de fleurs des champs. Elles chantaient, à la gloire de la Sainte Vierge. Une religieuse, souriante mais sévère, les suivait.

Elles chantaient devant la mairie.

Devant M. Madeleine.

Et le maire arborait un sourire attendri.

Le même que celui de l'inspecteur, songea, amusé, Moreau.

Bien entendu, l'offrande de M. Madeleine pour le bouquet de la Vierge fut à la hauteur de sa réputation.

Puis, après la mairie, les jeunes filles vinrent chanter devant le commissariat.

Javert les contemplait, toujours aussi impressionné par ce joli spectacle.

Les fillettes lui firent une mignonne révérence lorsque le chef de la police leur offrit une belle somme d'argent. Il avait économisé pour leur en faire cadeau.

" On ne le dirait pas, se moqua la religieuse en recevant la bourse des mains de Javert. Mais notre terrible inspecteur de police cache un cœur tendre."

Cela fit rougir le policier.

Et pour le remercier, la religieuse fit chanter une deuxième fois ses filles devant la porte du commissariat.

Attiré par cette scène étonnante, Madeleine s'approcha du poste de police. Le maire était présent à la fête de mai cette année.

Il avait des tâches à accomplir. Mais il voulait profiter d'abord de la musique et des sourires des enfants.

D'ailleurs M. Madeleine fit à peine un pas dans la rue que les enfants l'entourèrent en criant. L'homme, souriant gentiment, distribua des pièces de monnaie et des jouets en fibre de coco.

Monsieur le maire aperçut le regard perçant du chef de la police posé sur lui et fronça les sourcils.

La musique était toujours dans l'air mais tout n'était pas aussi mélodieux entre eux.

Après une courte hésitation, le maire secoua la tête et, les lèvres encore serrées, se dirigea vers Javert.

" Je n'ai pas encore eu l'occasion de vous remercier pour votre travail, inspecteur. Je n'ai pas jugé opportun de vous convoquer officiellement. Mais, officiellement, je vous remercie."

Cela surprit profondément le policier qui s'attendait à tout...sauf à cela :

" Merci, monsieur le maire. Même si je ne vois pas ce qui me vaut de telles félicitations."

Il y avait des baraques de forains, installées aux pieds des remparts et on entendait clairement le bruit des fusils et des applaudissements.

" Sans nul doute, voulez-vous parler des tapages nocturnes qui ont diminué ?, fit perfidement Javert. La lutte contre l'ivrognerie a du bon.

- Ne vous fatiguez-vous jamais de ce jeu ? J'avoue, pour ma part, que vos invectives m'épuisent. N'est-il pas suffisant que nous ayons atteint notre but ? La rénovation de la Cavée-Saint Firmin avance très bien... Le conseil municipal a accepté de débloquer des fonds supplémentaires pour accélérer les travaux... Je tenais à vous l'apprendre."

Le bruit des armes attirait Javert, lentement il se mit à marcher en direction de la fête foraine. Il attendit sans en avoir l'air monsieur le maire et ce dernier le suivit.

" Le conseil municipal appuie donc le projet ouvertement, monsieur ? Je croyais qu'il y avait encore quelques réticences. Peut-être que mon rapport a été utile ?"

Il ne pouvait pas s'en empêcher.

En fait Javert était naïf, il avait l'espoir de pouvoir améliorer les choses par son travail.

" Votre rapport est accablant. En fait, après lecture approfondie, ils ont tous accordé de libérer les fonds sans faire appel aux témoins que vous aviez mentionnés. La situation que vous décrivez dans le rapport est tellement embarrassante que les conseillers sont toujours saisis, même si des mois se sont écoulés depuis votre intervention. Pour tout vous dire, c'est monsieur Bamatabois qui a encouragé une rénovation de la rue bien au-delà de nos meilleurs espoirs."

Le sourire qui saisit Javert était éblouissant, il se mit à respirer profondément, comme si un poids venait de lui être enlevé.

" La Cavée Saint-Firmin rénovée de fond en comble. Merde ! C'est...une excellente nouvelle !"

Et il se mit à rire.

En fait, c'était une magnifique journée.

Ce fut à cet instant que réapparut Moreau en compagnie de sa fiancée. Il avait profité de la musique et de la bonne humeur du policier pour aller la chercher.

Il espérait obtenir quelques heures de libre.

Moreau fut étonné de voir les deux hommes, si antagonistes, ensemble et surtout souriant ainsi.

Le jeune homme, poussé par la fête et peut-être sa fiancée, s'approcha d'eux et les salua.

Puis, pris par l'enthousiasme de la jeunesse, il s'écria :

" Monsieur le maire ! Vous avez vu les tirs de forains ?

- Pas encore Moreau.

- C'est bath, monsieur ! Il y en a un que personne n'a réussi à toucher ! On gagne une bouteille de Clos de Vougeot, vous vous rendez compte, monsieur le maire ?"

Javert était encore sous le choc de la nouvelle des travaux.

Sans y prendre garde, il annonça tout haut :

" Monsieur Madeleine a un excellent coup de fusil, il pourrait gagner cette bouteille haut la main.

- C'est vrai, monsieur le maire ?, demanda Moreau en regardant monsieur Madeleine. Ma fiancée vient de me dire que des paris ont été faits. Mais honnêtement, je ne pense pas qu'on puisse l'avoir, surtout un homme de votre..."

Moreau blanchit. Oui, la joie et la fête le faisaient trop parler.

" Âge ?, finit Madeleine pour lui.

- Non, monsieur. Je ne voulais pas dire cela. Je voulais dire... heu... Trop...

- Maladroit ?, tenta Javert en riant.

- Non, mais non voyons, se défendit Moreau. Trop sérieux ! Voilà, trop sérieux."

Et le jeune homme retrouva des couleurs.

Javert regarda M. Madeleine et lança :

" Trop sérieux ? Vraiment ? Allez je vais vous la gagner moi votre bouteille de ginglard."

Moreau était estomaqué d'entendre le chef de la police dire cela. Peut-être que lui aussi était atteint par la fête ?

Madeleine sourit, franchement soulagé. Le tir, oui, il connaissait. Mais il savait aussi que sa main avait tendance à trembler lorsque la foule se rapprochait trop de lui. Sauf lorsque le danger faisait disparaître tout le reste. C'était déjà arrivé au bagne...

L'inspecteur avait revêtu à nouveau son uniforme de parade. Et en marchant, il commença à se défaire de son uniforme.

Le vêtement était trop serré, trop empesé et le gênait pour tirer. Javert confia son bicorne et sa veste à Moreau.

" Montrez-moi cela, Moreau."

Le secrétaire, suivi par sa fiancée, silencieuse et amusée, indiqua une baraque plus imposante que les autres.

Des cibles se mouvaient, actionnées par une roue que tournait le forain.

" UNE BOUTEILLE DE VIN A QUI DÉMOLIRA TOUTES LES PIPES !"

Javert défit enfin son col, se laissant plus d'air pour respirer.

" Un fusil !," réclama le policier.

Le forain tendit une arme et Javert vérifia avec soin qu'elle fonctionnait.

" Je suis meilleur au pistolet mais voyons si j'ai perdu la main depuis Toulon."

Il épaula, visa et toucha.

Une pipe tomba dans un bruit métallique.

Deuxième tir, deuxième pipe. Troisième et quatrième réussies.

On commença à s'attrouper.

Il y avait douze pipes à descendre.

Javert s'appliquait à bien faire.

On applaudit chaque coup...mais le dernier...

" MERDE !," s'écria Javert en ratant le dernier tir.

Ce fut un concert de regrets et d'espoirs déçus. On pardonna au policier et on le félicita tout de même. Personne n'avait été aussi loin.

Le forain, content de lui, et soulagé, clama à nouveau :

" UNE BOUTEILLE DE VIN A QUI DÉMOLIRA TOUTES LES PIPES !"

Javert se tourna vers Madeleine et lui tendit résolument le fusil, les yeux brillants de colère.

" A vous, monsieur et gagnez-moi cette bouteille ! On la boira sous les étoiles pour la peine !"

Puis, l'inspecteur fit reculer la foule, expliquant le danger d'être trop près d'un stand de tir.

Il fit le vide autour d'eux et regarda Madeleine œuvrer.

Madeleine sourit mécaniquement. Boire cette bouteille de vin ? Franchement, il préférait acheter douze bouteilles plutôt que de faire feu à douze reprises devant des spectateurs. Mais Javert lui avait tendu ce fusil en guise d'offrande de paix. Quelle ironie ! Et ce simple fait défendait Madeleine de renoncer.

Cela et les étoiles...

Il essuya la sueur qui coulait sur ses tempes, sur son front, puis vérifia le fusil. Il déviait à droite.

Respirant déjà trop vite, il jeta un regard autour de lui. Il ne vit personne... seulement Javert qui, les mains croisées dans le dos, lui souriait.

Madeleine prit une grande respiration et tira.

La première pipe tomba et des applaudissements retentirent.

Sans être tout à fait conscient de ce qu'il faisait, le maire lança un regard désemparé à son inspecteur.

Et comme si, enfin, la connexion que Madeleine croyait possible entre eux devenait une réalité, il entendit clair et fort le baryton de Javert qui appelait au silence.

Le reste fut facile.

Après le cinquième tuyau tomba le sixième.

Après le dixième, vint le onzième.

Puis se fit le silence absolu alors qu'il ne restait plus qu'une pipe. Calme et confiant, Madeleine pressa le chien.

Il ne rata pas. Mais cela était prévisible.

L'inspecteur examinait la position, impeccable, de monsieur Madeleine. Un chasseur...ou un braconnier...

Le policier remarqua d'autres détails, maintenant qu'il pouvait regarder à loisir l'homme.

La musculature imposante, même pour un homme de cet âge.

D'ailleurs quel âge pouvait bien avoir M. Madeleine ? Javert aurait été incapable de le dire. Né en 1775 ?

Oui, mais on ne pouvait pas le voir.

L'homme avait des cheveux grisonnants mais il paraissait encore jeune. Une quarantaine d'années, comme lui certainement, alors qu'il était censé avoir une cinquantaine d'années.

Puis les yeux de l'inspecteur glissèrent sur les épaules larges, la taille assez fine, les cuisses épaisses.

Monsieur Madeleine devait avoir une certaine force physique mais Javert ne l'avait jamais vu en faire usage.

Il se sentit avoir chaud... Ses pensées n'étaient pas toutes idéales par cette journée de fête religieuse.

Le maire se tenait fermement sur ses pieds et faisait mouche à chaque coup.

Javert approuva chacune de ces réussites. Mais il imposa le silence parmi la foule, il comprenait que M. Madeleine se concentrait mieux ainsi.

Et le policier comprit quelque chose d'autre mais il se promit d'en parler plus tard.

Lorsque ce fut un succès et que la foule acclama le maire pour sa réussite, subrepticement, Javert se rapprocha de Madeleine.

Et se glissa à ses côtés, comme pour intercepter cette foule et l'empêcher d'approcher trop près de monsieur le maire.

On ne nota pas ce mouvement subtil.

Sauf peut-être monsieur Madeleine.

Plus tard, lorsque la bouteille joliment décorée d'un ruban se retrouva dans les bras de monsieur Madeleine, Javert lui demanda, curieux :

" Comment avez-vous fait ? La dernière pipe était impossible à atteindre !

- Ah ! Non... pas impossible. Seulement plus courte que les autres, mais cela était difficile à voir."

Javert claqua des doigts en lâchant :

" Une pipe truquée ! J'aurai dû le voir ! Un de mes oncles avait une baraque de tir et il truquait, mais pas les pipes, il truquait les fu..."

Puis Javert se tut. Et devint livide.

Dieu merci, des enfants coururent et saluèrent le maire, l'applaudissant à tout rompre en voyant la bouteille dans ses mains. Empêchant la conversation de reprendre.

Ils étaient suivis par une femme. Elle s'approcha d'eux et leur sourit.

Javert reconnut Mme Serrier et la salua poliment :

" Inspecteur, monsieur le maire ! Nous avons appris pour la Cavée ! C'est bien bon d'avoir fait ça. Merci.

- L'inspecteur Javert a plus droit à votre reconnaissance que moi-même, madame. Mais, croyez-moi, en ce qui me concerne, ce fut avec joie.

- Oui, vous travaillez bien tous les deux. L'aut'maire, y s'intéressait pas à ça. Monsieur l'inspecteur, il est v'nu nous demander à nous. Vous rendez compte ? C'est grâce à vous deux, oui. D'ailleurs, avec les femmes, on s'est dit qu'on allait brûler des cierges pour vous deux à Saint Wulphy ! Un pour le maire et un pour l'inspecteur.

- Un cierge ?, s'étonna le policier. Pour moi ? Mais...

- On sait, sourit tristement la femme en secouant la tête. Pas de cadeau pour l'inspecteur mais un cierge ? C'est-y possible ?"

Javert réfléchissait et ne savait pas quoi répondre.

" Oui ? Certainement ?

- A la bonne heure !, rit la femme. Venez donc voir la procession !"

Mme Serrier disparut, à la poursuite des enfants, certainement, parmi lesquels son fils en béquille essayait de suivre le rythme des galopins.

" Un cierge pour moi ?, répétait Javert, abasourdi. C'est bien la première fois qu'on brûle un cierge pour moi. Ou alors pour me voir mort peut-être."

Il se mit à rire, amer et amusé en même temps.

Et, à sa grande surprise, son rire trouva un écho dans celui de Madeleine.

" Parfois, vous pouvez être irritant, Javert. Mais c'est vrai ce qu'on m'a dit un jour : votre dévouement rachète tous vos défauts... Probablement.

- Mon dévouement ? Par Dieu, monsieur Madeleine ! Je ne sais plus quoi faire pour vous le prouver. Allons donc voir cette procession. Je n'ai pas vu de procession depuis Hyères."

Et naturellement, le bras de Javert saisit celui de monsieur le maire, pour l'accorder à ses pas.

" Et vous, monsieur le maire. A-t-on déjà fait brûler un cierge pour vous ?

- On peut toujours espérer..."

Javert se mit à rire et se pencha vers M. Madeleine :

" Gageons que la plupart des habitants de cette ville ont fait brûler un cierge pour vous. D'ailleurs, il faudra un jour que je vous raconte quels miracles on vous attribue, monsieur Madeleine.

- Non, surtout pas! À ce point, je ne pense pas que je puisse supporter de combattre le péché de fierté, plaisanta Madeleine.

- Tant pis ! Je raconte quand même ! Voyez-vous ! J'ai un mystérieux voleur qui œuvre dans votre ville, monsieur le maire. Figurez-vous que j'ai essayé de le coincer et il s'est volatilisé. Ce voleur est cependant peu ordinaire, je vous l'accorde. Il force des portes et laisse de l'argent dans les maisons. J'ai cessé de m'occuper de lui. Savez-vous pourquoi ?

- Point, inspecteur.

- Personne ne veut porter plainte contre lui. Voire on attend sa venue. Et si je m'intéresse trop à lui. Hop ! C'est vous qui apparaissez pour venir sauver mes victimes. Un vrai miracle !"

Ce n'était pas dit cruellement mais la main de Javert serra plus fort le bras de Madeleine.

" Je comprends votre irritation, inspecteur. Cela dit, quel mal fait cet inconnu si, au lieu de voler, il aide ceux qui sont dans le besoin ? Disons que nous comprenons tous deux la justice différemment... et restons-en là une bonne fois pour toutes.

- Même en faisant le bien, forcer les portes n'est pas permis, claqua la voix dure de l'inspecteur. On peut dire qu'en effet, ce voleur a su m'agacer. En fait, mettez-vous à ma place, monsieur. On m'appelle car une porte a été crochetée. Je viens, je m'informe, je joue mon rôle de policier. Et on me montre deux louis d'or. Et on me renvoie avec des excuses pour le dérangement. Et je me sens encore plus ridicule. Surtout que cela se renouvelle plusieurs fois."

Le bras de Madeleine se tendit ostensiblement sous l'emprise de Javert.

Monsieur le maire était une fois de plus conscient de son entourage

et, plus particulièrement, de l'attention sans faille que l'inspecteur portait à ses réactions.

" En effet, ce genre de conduite est une nuisance pour la police. Cela dit, je ne vois toujours pas le mal que cet individu peut faire. Est-ce un des miracles que l'on m'attribue ?

- Vous savez, monsieur. Vous me sous-estimez et c'est un défaut. Des louis d'or, monsieur ?! Qui dans cette ville peut posséder des louis d'or et être capable de les dépenser pour faire la charité ?

- Que Dieu me garde de sous-estimer un homme comme vous, inspecteur. Je n'ai pas de réponse à votre question, mais j'en ai une moi-même : pourquoi ferais-je une telle chose ? Si je devais agir de la sorte, je me contenterais de glisser une enveloppe sous la porte. Ou d'envoyer quelqu'un pour le faire à ma place. Forcer une porte pour déposer quelques louis ? Quel peut être l'intérêt ?"

Le policier sourit et pencha la tête avant de répondre :

" Parce que mon voleur est un homme curieux. Il aime regarder la vie des autres mais pas forcément dans un mauvais esprit. Je l'ai compris maintenant. Il doit vouloir tellement aider son prochain qu'il veut savoir !"

Javert secoua la tête, amusé mais cependant agacé par la situation :

" Deux louis pour une femme méritante mais rien pour la femme tombée. Deux louis pour l'homme qui s'efforce de progresser mais rien pour celui qui a des vices.

Comment mon voleur peut-il savoir cela si bien s'il ne prend pas la peine de pénétrer dans les maisons ?"

Madeleine adressa à son inspecteur le plus innocent des sourires.

" En posant la question, inspecteur. Dans une petite ville, tout finit par se savoir."

Les yeux gris cherchèrent l'azur céruléen de M. Madeleine, si bleu et si candide.

" Je sais ! Mon voleur est protégé par la ville, il possède des louis d'or et il sait crocheter une serrure mieux que moi ! Une belle énigme, vous ne trouvez pas ? Un voleur avec une conscience ! Mais il n'en demeure pas moins un voleur et un jour..."

Là, les doigts de Javert se firent douloureux sur le bras de Madeleine.

" Un jour, il se fera prendre. Quelle sera alors sa réaction ? Moi, je sais déjà quelle sera la mienne, monsieur. Un voleur est un voleur !

- Un voleur qui ne vole pas ? Voyons, inspecteur ! Ne me dites pas que vous insistez à considérer sa faute avec autant de sévérité que vous jugez les méfaits d'un chauffeur !

- Vous ne voyez que le résultat et pas les moyens d'y arriver. Je suis un mouchard, je sais ce que la compromission signifie, je n'ai aucun scrupule à user de méthodes...complexes...afin d'arriver à mes fins. Pourquoi croyez-vous que ce voleur court encore ? Il est bon, certes, mais comme vous l'avez dit, monsieur. C'est une petite ville et tout se sait. Un jour ou l'autre. Je suis patient !

- Je n'en doute pas", rétorqua Madeleine en accélérant le pas.

Certainement pour se libérer de l'emprise de cette main puissante qui lui brûlait la peau.

Javert suivit le maire et ajouta simplement :

" Au moindre faux pas, ce voleur verra toute la ville se retourner contre lui. Et toutes ses bonnes œuvres seront oubliées ! Vous verrez, monsieur le maire !"

L'inspecteur se mit à rire.

Et monsieur Madeleine cessa de vouloir s'éloigner.

*************************

La fanfare commença à jouer auprès de l'espèce de chaire improvisée d'où l'abbé avait aspergé d'eau bénite les assis après avoir dit un "Notre Père".

La bande de musiciens jouait faux, mais cela ne semblait pas décourager le public enthousiaste.

Delapasture de Verchocq, l'ancien maire, se détacha du groupe de notables pour placer une main lourde et tremblante sur l'épaule de Madeleine et le pousser vers l'estrade.

" La fanfare annonce votre discours, monsieur le maire", lui dit le vieil homme.

L'inspecteur Javert rétrécit les yeux pour faire semblant de ne pas être amusé par la soudaine pâleur de Madeleine et par la transpiration qui lui fit briller le front en quelques secondes.

Toutefois, il envoya un hochement de tête encourageant au maire lorsqu'il parvint enfin à monter les deux marches de la plate-forme.

" Ah ! Concitoyens !," commença Madeleine.

- Taisez-vous ! Voyons ce qu'il raconte !, cria une matrone.

- Oui, qu'il parle et qu'on en finisse !," répondit un homme situé au fond.

L'inspecteur Javert fit juste claquer le bout ferré de sa canne sur le sol et cela eut l'effet escompté.

Le silence se fit aussi profond que durant la messe.

Et on écouta religieusement monsieur le maire.

" Hé... Chers voisins, concitoyens ! Vous n'allez pas me convaincre que vous êtes ici pour écouter mon discours. Vous êtes venus pour célébrer notre saint patron et pour vous amuser... Eh bien, finissons, comme l'a dit ce brave homme à l'arrière, et faisons ce que nous sommes venus faire. Vive Saint-Wulphy !"

Un rire éclata dans la foule. Mais bientôt, des acclamations au saint patron se firent entendre, puis les quelques "Vive monsieur le maire !" finirent par se généraliser.

On entendit aussi quelques applaudissements.

C'était ceux de l'inspecteur, qui n'arrivait plus à cacher son amusement moqueur.

Madeleine, qui se hâtait déjà de descendre, se retourna et fit à nouveau face à ses voisins, rougissant jusqu'à la racine de ses cheveux ; il leva les mains pour demander le silence.

" N'oubliez pas, Montreuillois, que bien que nous fêtions la Saint Wulphy, cette mairie regarde d'un mauvais œil tous ceux qui lèvent le coude jusqu'à en tomber malades. Soyez prudents pour que nous puissions tous nous amuser !"

Cette fois, il n'y a pas eu d'acclamations...

Mais l'inspecteur applaudit à tout rompre.

Madeleine était satisfait alors qu'il descendait de l'estrade en essuyant son front avec un mouchoir..

L'inspecteur s'approcha et hocha la tête avec un sourire réjoui.

" Pas d'ivrognes ce soir ? Vous y croyez vraiment, monsieur le maire ?

- Point. Mais, au moins, pas d'ivrognes surpris de se retrouver au cachot.

- Nous devrions tenir un pari."

Javert se mit à rire.

Puis on entendit des cris de joie sur la place du marché et cela attira les deux hommes. Javert prit le bras de monsieur le maire pour le faire marcher plus vite.

La procession arrivait !

Elle était belle. Une procession de petite commune mais néanmoins joliment organisée.

Il y avait des fleurs, il y avait une statue de la Vierge dans sa tunique brodée et on la transportait sur un petit portant en forme de barque. Tout était fleuri.

Le père Abbé, dans sa plus belle tenue, recouverte d'une aube dorée, précédait la Vierge et bénissait la foule. On regardait passer en silence et on priait avec ferveur.

Javert avait lâché le bras de Madeleine et les deux hommes regardaient le spectacle.

Les petites filles, dans leurs jolies robes de communiante, chantaient, les garçons, vêtus de leur beau costume, portaient des bouquets de fleurs.

Et les deux hommes avaient le même regret : celui d'avoir raté cela l'année dernière.

La procession partait de l'abbatiale Saint-Saulve et faisait le tour des trois églises de Montreuil, qui avaient perdu leur fonction cultuelle sous la Révolution... Un drame pour cette population encore très pieuse.

L'église Saint-Wulphy, l'église Saint-Josse-au-Val, l'abbaye Sainte-Austreberthe...

Puis on revenait dans la ville haute pour finalement pénétrer dans l'abbaye Saint-Saulve.

La procession se clôturait par une messe, toutes portes ouvertes et encens embaumant l'air par l'entremise des encensoirs que balançaient lentement les enfants de chœur.

Les deux hommes suivirent et Javert libéra les mains de Madeleine. Il saisit la bouteille de vin et la glissa dans son chapeau.

Un clin d'œil devant le regard estomaqué de monsieur le maire et l'inspecteur de police se perdit dans l'obscurité des chapelles du transept.

Monsieur Madeleine, maire de la ville, fut hélé depuis le chœur, ses conseillers municipaux étaient assis aux places d'honneur.

Il était naturel que le maire soit parmi eux.

" Une belle procession, n'est-ce-pas monsieur Madeleine ?," demanda l'un d'eux.

Madeleine acquiesça avec solennité. Il coupait court, ainsi, une conversation qui risquait de devenir digne de la place du marché.

Monsieur le maire fixa la croix qui présidait l'autel et essaya de se vouer à ses prières en attendant que la messe commence. Loin d'atteindre la sérénité qui lui était familière lorsqu'il se trouvait en lieu saint, son esprit se livra à des pensées sombres que tournaient sans cesse autour des propos de Javert :

"Au moindre faux pas, ce voleur verra toute la ville se retourner contre lui," avait dit le policier.

L'inspecteur avait raison, et cela Madeleine venait de le comprendre et l'attristait.

Mais, plus inquiétant encore, Javert était trop près de percer le mystère que Jean Valjean lui-même n'arrivait pas à saisir.

Car, comment pourrait-il expliquer que pénétrer dans les maisons des malheureux soulageait une douleur secrète et inexprimable ?

Comment pourrait-il expliquer la joie de voir de ses propres yeux que ses actions arrachaient quelqu'un, ne serait-ce qu'une seule personne, au désespoir né de l'abandon ?

Javert insistait sur le fait que ses actes ne pouvaient être excusés... Jean Valjean, en agissant de la sorte, ne faisait que retourner encore et encore dans l'unique foyer qu'il avait connu. Rentrer chez les siens, même s'ils lui étaient devenus étrangers, pour leur redonner espoir et implorer leur pardon.

Le pardon qu'il ne mériterait jamais.

Les gens autour de lui se levèrent.

La cérémonie commençait.

Posté contre un pilier, écoutant d'une oreille distraite les discours en latin et marmonnant les réponses attendues, Javert laissait son esprit dériver.

D'autres processions, d'autres souvenirs, d'autres villes...

A Paris, la dernière procession qu'il vit n'avait rien de religieux, ni même de sérieux.

C'était la Promenade du Boeuf Gras au Carnaval à Paris.

Depuis le Moyen-Âge, les garçons bouchers de la capitale avaient pris l'habitude d'escorter dans les rues de Paris jusqu'au Palais des Tuileries le plus gros bœuf de la capitale.

Cette année, il s'était agi d'un immense bœuf de 800 kilos, nommé Miroton Ier. Sur son dos décoré d'un tapis servant de selle, un enfant déguisé en Amour figurait le Roy de la Fête.

Une procession joyeuse, turbulente, avec du bruit et de la musique...

Gilles l'avait emmené la voir et l'austère inspecteur Javert avait d'abord refusé de se laisser distraire par de semblables fariboles.

Puis, Gilles l'avait convaincu. Javert ne comprenait toujours pas comment.

Les deux policiers s'étaient vêtus de leurs habits civils et Gilles se moqua de Javert et de ses favoris.

" Comment peux-tu espérer qu'on ne te reconnaisse pas avec tes côtelettes ? Rase-moi cela !"

Et doucement, Gilles avait passé ses doigts dans ses favoris, moqueur et espiègle.

Javert se secoua et essaya de suivre la messe.

Il avait raté quelques répons et cela avait été remarqué.

**************************

Après la messe, un repas en plein air était prévu.

L'année précédente, Moreau en avait apporté une assiette à l'inspecteur avec du pain et des cochonnailles le soir venu.

Cette année, Javert déambulait dans la fête avec monsieur Madeleine à ses côtés.

Des viandes grillaient, du pain était proposé avec toutes sortes d'alcool... Les cafés, les auberges ne désemplissaient pas.

Monsieur le maire était accaparé.

L'inspecteur le voyait agir, comme tout bon magistrat.

Car, comme M. Madeleine le lui avait dit, il ne fallait pas oublier qu'il était magistrat.

Comment se plaindre de monsieur Madeleine ? Envoyer un courrier à M. Chabouillet où tous les soupçons étaient détaillés ?

Car Javert n'avait que cela.

Des soupçons...

Et il devait être prudent. M. Madeleine était un ancien chouan.

Javert se demandait s'il ne devait pas cesser la chasse.

Il se devait d'admettre qu'il ne ressentait pas que de la haine envers M. Madeleine, peut-être de l'admiration ? De l'amitié ?

Plus ?

Vu comme il était troublé par le maire...

Mais Javert avait appris à se tenir et les étoiles étaient devenues un joli souvenir...

" Regardez-le, inspecteur, cracha la voix mauvaise de Fauchelevent. Un saint maire ! Pour un peu, il leur imposerait les mains et ce serait le toucher des écrouelles !

- Fauchelevent !, avertit Javert.

- Hé bien ?! Un homme sans passé, un homme sans fortune et le voilà devenu le magistrat le plus important de la ville.

- Il va faire rénover la Cavée Saint-Firmin, claqua le policier.

- La belle affaire ?! Il emploie la moitié de la ville et obtient les bonnes grâces de l'autre moitié. Cela ne change rien que l'homme n'est pas ce qu'il dit être.

- Je n'ai pas reçu de plainte sur lui, Fauchelevent."

Le vieillard se mit à rire, réellement amusé.

" Forcément !? Qui se plaindrait de son bienfaiteur ? Vous allez voir, inspecteur. Il a fait rénover ce foutu lavoir, il va s'occuper de la Cavée, il va multiplier les écoles et les actes charitables !

- En quoi est-ce répréhensible ?

- Même vous, inspecteur !, jeta Fauchelevent, d'une voix méprisante. Même vous, vous êtes devenu sa dupe !

- Non !

- Un beau manipulateur, voilà ce qu'il est ! Un menteur et un parvenu ! Alors d'où vient-il ? Et ses papiers ? Vous les avez vus ? Et sa famille ? Il a prétendu travailler pour un évêque de je ne sais où. Vous avez des preuves ?"

Agacé, Javert se retourna vers Fauchelevent, oubliant la fête qui se jouait autour d'eux, les enfants riant et les femmes dansant, les hommes bavardant et l'esprit de joie... Oubliant la présence de M. Madeleine et ses yeux si observateurs.

Le policier marcha sur Fauchelevent et vicieusement, il lui murmura dans le creux de l'oreille :

" Le jour où j'aurai Madeleine sous ma dextre, je viendrai te chercher. Et tu lui expliqueras comment tu m'as été utile.

- Pas de souci, inspecteur. Je suis un bon citoyen, moi. Je n'en dirai pas autant de tout le monde dans cette ville."

Fauchelevent cracha sur le sol, à quelques centimètres des bottes de l'inspecteur et il lui fallut tout son sang-froid pour ne pas cogner le vieillard.

" Un souci, inspecteur ?, demanda le maire en voyant s'enfuir Fauchelevent.

- Un désaccord, monsieur.

- Un désaccord ?

- Le Père Fauchevelent n'aime pas les policiers. Il n'est pas le seul."

Javert se secoua et demanda, moqueur :

" Vous avez vu nos cierges ? J'espère qu'ils étaient postés devant Saint-Wulphy. Ou alors devant le retable ?"

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