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Chapitre XXI

Depuis la nuit de l'agression, l'inspecteur Javert se montra dorénavant d'une prudence élémentaire. Il surveilla le moindre de ses gestes, le moindre de ses regards, il soigna ses mots et sa façon de les dire.

Il ne s'asseyait plus devant monsieur le maire, il imposait de la froideur à leurs échanges.

Il ne cherchait plus à en faire un ami.

Cette nuit-là, lorsqu'il avait senti les mains de monsieur le maire essayer maladroitement de le soigner, le policier avait oublié Gilles, pour ne plus voir que Madeleine.

Cela l'avait effrayé.

Ces quelques minutes passées à l'hôpital avaient montré à l'inspecteur l'étendue de sa propre dépravation.

Oui, il devait être prudent.

Javert ne cherchait plus à faire de M. Madeleine un ami.

Il ne s'était même pas rendu compte qu'il s'était attaché à l'homme.

Et l'inspecteur n'oubliait pas les accusations qui avaient été portées contre lui. Si monsieur le maire se rendait compte de quelque chose le concernant...

Javert était sûr d'être renvoyé de son poste.

Cela donnait un tel pouvoir au maire que Javert en était malade.

Il était à sa merci.

Alors Javert était froid et impassible.

Et le temps passait si lentement...

De plus, la ville colportait de nouveaux ragots.

Pour une fois, ce n'était pas sur l'inspecteur de police mais sur le maire bien aimé.

M. Madeleine aurait été vu dans un bordel d'Abbeville. Enfin dans un "salon" avec des "dames de petite vertu."

Bien entendu, nul ne savait la vérité et chacun défendait le maire...ou parfois en profitait pour le traîner dans la boue.

Cela encouragea d'autant plus Javert à éviter au maximum la compagnie de monsieur Madeleine.

Si monsieur le maire découvrait les goûts interlopes de son chef de la police...

Mais les choses jouaient contre lui.

Auparavant, Javert passait des jours sans voir monsieur le maire en dehors de leur réunion quotidienne, maintenant, il ne se passait pas un jour sans que le policier ne le croise durant une de ses patrouilles, ou lors de la surveillance du chantier de la Cavée.

Et cela agaçait Javert tout autant que cela le mettait sur ses gardes.

Que lui voulait monsieur le maire ?

Sinon le pousser à la faute ou vérifier son travail ?

Cette situation donnait lieu à des conversations faites sur une voix dure, plus des arguments que des conversations. Dont le policier cédait toujours le terrain à son supérieur.

Il n'était pas dans la nature de l'inspecteur de se permettre de discuter.

En tout cas, il s'efforçait de l'être car jusqu'à maintenant, il avait pris un malin plaisir à s'opposer...

" Que pensez-vous de nos travaux, inspecteur ?, demandait Madeleine.

- Je ne suis pas habilité à en discuter, monsieur.

- Oui, vous n'êtes pas géomètre mais je vous demande votre avis !

- Le conseil municipal a dû choisir une société de confiance. Je n'ai pas voix au chapitre."

Fin de non-recevoir.

L'inspecteur saluait respectueusement monsieur le maire et retournait à ses tâches.

Laissant un monsieur Madeleine particulièrement énervé sur le bord de la chaussée.

***************************

Car Madeleine ne pouvait qu'assister, impuissant, à cette succession de changements abrupts mais soutenus dont il ne comprenait pas le sens.

Que s'était-il passé entre cette nuit à l'hôpital et le retour de l'inspecteur au travail ?

Quoi que ce soit, il le trouvait lamentable.

Là où, quelques semaines auparavant, s'était établie entre eux un genre de souplesse qui rendait leur collaboration facile, s'élevait maintenant une muraille que Javert s'efforçait de rendre insurmontable.

Là où il avait bénéficié de son soutien le plus ferme, il ne trouvait plus que du désintérêt.

Bien qu'il se soit promis d'être patient, Madeleine commençait chaque jour avec une frustration croissante... et la terminait au bord du désespoir.

" Je peux mettre d'autres agents à la tâche, mais je souhaite que vous vous occupiez personnellement de cette question, inspecteur, lui avait-il dit ce matin-là dans son bureau alors que, comme d'habitude ces derniers temps, Javert était sur le point de conclure prématurément leur entretien quotidien.

- Moreau peut s'en occuper. Ce sera une bonne occasion pour lui de commencer à travailler sur le terrain.

- Ne sous-estimez-vous pas l'importance de l'enjeu ? Il s'agit d'assécher un marais insalubre ! La date limite pour demander les crédits est presque écoulée et j'ai besoin que le travail soit rapide et efficace... Je veux que mon meilleur homme y travaille !

- Oui, monsieur le maire."

Une inclinaison correcte et sèche puis encore la vision de son dos s'éloignant trop vite.

Était-ce le même Javert qui avait fui sa main à l'hôtel-dieu ? Non pas par crainte de la douleur que Madeleine pourrait lui causer, mais par souci de ne pas pouvoir dissimuler son embarras...

Où était l'homme qui l'avait regardé avec des yeux remplis d'étoiles ?

Madeleine, sans doute, avait tout imaginé.

Cette nuit-là, monsieur le maire se retira de bonne heure dans sa chambre.

Déterminé à mettre un terme à cette malheureuse affaire, il avait poussé son armoire et ouvert la cachette où il gardait ses plus honteux secrets.

Il avait cherché les lettres qui contenaient des renseignements sur Javert, et avait relu attentivement son rapport personnel.

"...l'on commence à le soupçonner de s'adonner au plus infâme des vices...."

Soupçons et mirages. Tels étaient les fondements de l'obsession qui dévorait Madeleine depuis qu'un spectre était venu lui rendre visite dans une maison aux mœurs étranges.

Madeleine jeta les lettres dans la cheminée et les regarda brûler jusqu'à ce qu'elles ne soient plus qu'une poignée de cendres.

Ce fut une sorte d'exorcisme destiné à rétablir le calme qu'il avait perdu depuis plusieurs semaines déjà.

Un rituel qui n'avait pas empêché que cette nuit-là, pendant son sommeil, son démon particulier lui rende encore visite.

Pendant de nombreuses nuits, Madeleine s'était soumis sans réserve aux manœuvres, toujours les mêmes et toujours différentes, de cette obsession qui parvenait à arracher jusqu'à la dernière once de plaisir que pouvait contenir son corps de galérien.

Le spectre qui, dès la première nuit, avait la voix de Javert, possédait désormais son visage et tout ce que Madeleine arrivait à imaginer de son corps.

Tout ce qu'il devinait...

En chemin vers la folie, Madeleine priait pour un miracle.

************************

Paris n'était devenu qu'un vœu pieux et l'inspecteur n'en rêvait plus.

A vrai dire, il ne réclamait plus rien.

Ce fut Paris qui se rappela à lui.

Un matin, l'inspecteur arriva devant son poste de police et en avisa la serrure forcée. Cela n'avait même pas été bien fait.

Le policier hésita, puis haussa les épaules et entra résolument dans le commissariat. Ce devait être Moreau...ou M. Madeleine...

Il fut abasourdi en voyant l'homme assis sur son fauteuil, les jambes tendues devant lui et croisées nonchalamment sur le bureau. Les talons des bottines étaient posés sur les rapports et un sourire ironique aux lèvres l'accueillit.

Un homme qu'il n'avait pas vu depuis plus d'un an !

" Pas d'arme prête ? Tu vieillis Javert !

- Vidocq ? Mais..."

Javert était estomaqué tandis que le chef de la Sûreté se mettait à rire.

" Assieds-toi le cogne et devisons gaiement."

Prudemment, l'inspecteur s'assit, laissant ses yeux parcourir le corps solide et imposant du chef de la Sûreté. Ce dernier faisait de même et il eut une grimace de dépit.

" Tu as maigri et tu dors mal. Ne me dis pas que ce sont tes affaires de province qui te fatiguent ?

- Que fais-tu ici ?

- Je ne sais pas exactement ce que tu as fait comme connerie pour mériter une telle punition, Javert, mais la sanction est lourde. Toi ? Ici ?"

Le Mec eut un regard compatissant avant de secouer la tête. Javert serra les mâchoires et cracha :

" Que veux-tu le Mec ?

- Accusation de corruption ? Toi ? J'ai essayé de sauver ton cul, le cogne, mais le daron était trop remonté contre tézigue.

- Que veux-tu le Mec ?, répéta posément Javert.

- L'affaire de la mornifle tarte [fausse monnaie] ! On m'a envoyé aux nouvelles et je voulais en jaspiner avec toi.

- Rien.

- Te fous pas de ma gueule, le cogne."

Vidocq leva une main et désigna le visage encore marqué du policier.

" On n'a pas rien quand on se promène avec une gueule aussi maquillée.

- L'affaire remonte à des mois. Je trouve jouasse que tu t'y intéresses que maintenant.

- En effet. Mais vois-tu la fausse monnaie, cela ne court pas les rues. Et me voilà avec de la mornifle tarte dans la Grande Vergne. En fait ! Ta mornifle tarte !"

Javert haussa les épaules et baissa les yeux sur le sol.

" J'ai fait ce que j'ai pu. Je n'ai rien trouvé.

- Et ton maquillage ? Ce sont les poussieux [faux-monnayeurs] ?

- Oui. Trois gonzes. Libres. Aucune piste. Là, t'es content ?"

Javert avait parlé vite, en mangeant ses mots, il était en colère et tellement déçu.

" Trois seulement ? J'ai rendu visite à Six à la Force. Il t'envoie le bonjour. A toi et à M. Madeleine."

A la mention du nom du maire, Javert blanchit.

Vidocq se redressa, surpris.

" Tu vas bien le cogne ?

- Sérieusement, pourquoi tu es ici Vidocq ?

- De la fausse monnaie, une vieille assassinée, un cogne enlevé et charcuté... Et tu te demandes pourquoi je suis sur la brèche ? M. Chabouillet a levé les yeux au ciel quand il a su cette histoire. Et en plus, maintenant qu'il y a une suite, ces messieurs se font exigeants !"

Javert ferma les yeux et tira sur ses favoris.

" Je ne comprends pas pourquoi ils ont attendu si longtemps..., murmura le policier.

- Aucune idée. Il y a peut-être eu quelqu'un qui a voulu remettre en place ce joli petit trafic."

Javert médita cette parole. Vidocq devait avoir raison.

Les faux-monnayeurs devaient se cacher. Peut-être quelqu'un voulait les doubler ou alors ils s'étaient dit que le temps était passé et qu'ils étaient assez en sécurité pour reprendre leurs activités illicites.

Vidocq respecta son silence, il examinait posément ses ongles bien entretenus.

" Pourquoi je n'ai pas eu droit à ta visite l'hiver dernier ?, demanda sèchement Javert.

- Pour faire quoi ?, rétorqua Vidocq, moqueur. Te féliciter d'avoir bien fait ton travail ? Te ramener un souvenir de Paris ?"

Javert grimaça de dégoût et le Mec se mit à rire.

" On a parlé de toi à Paris. Voilà tout. On a même dit que tu serais mieux dans la capitale que dans cette merde de Montreuil. Là, t'es content ?

- OUI !," claqua Javert.

Puis les deux hommes se mirent à rire.

Paris ! Paris était dans leurs souvenirs.

Vidocq s'étira et bailla avant de lâcher abruptement :

" Et me voilà ! Je dois faire le point et t'emmener avec moi.

- Quoi ?

- Un petit tour à la Grande Vergne avec mézigue, cela ne se refuse pas, hein ?

- Je reviens à Paris ?, demanda Javert, la voix tendue.

- Non. Mais nous avons besoin de toi pour remonter la piste de la mornifle tarte.

- La piste passait par Montfermeil, mais nous n'avons rien trouvé. Et c'est ancien !

- Montfermeil ?

- Un des prévenus me l'a dit.

- Arras, Montreuil, Montfermeil, Paris... Qu'est-ce que c'est que cette équipe de branques ? Il y a des routes plus faciles.

- C'est un trafic qui durait depuis des années. Je ne pense pas qu'il suive le même trajet aujourd'hui, fit Javert, douteux.

- Oui, mais on peut vérifier ! C'est aussi une des raisons de mon envoi comme parlementaire dans ta charmante prison campagnarde."

Javert regarda Vidocq et n'aima pas du tout son sourire moqueur.

" M. Madeleine est connu de Paris, il mérite des aménagements. Tu me le présenteras.

- Vidocq !, le prévint Javert.

- Inspecteur Javert, chef de la police de Montreuil-sur-Mer. C'est une belle blague, non ?

- J'ai mérité cette mise à pied, reconnut Javert en baissant la tête.

- Des conneries ! Si je suis là, c'est aussi pour sauver ton cul et le faire revenir à Paris. Cette affaire de mornifle tarte tombe à point ! Je vais te sortir de ce trou à rat. Un an que tu y pourris, tu as gagné le droit de revenir à la Grande Vergne!"

Javert releva la tête et regarda Vidocq.

Puis un fin sourire apparut sur les lèvres de l'inspecteur.

" Putain, oui."

******************************

Ce fut une nouvelle surprise pour les habitants de Montreuil.

Voir leur inspecteur de police marcher en compagnie d'un homme, richement vêtu et imposant à regarder.

La voix profonde du policier trouvait son écho dans celle du Parisien.

" C'est une jolie petite ville que la tienne, s'amusait l'inconnu en désignant la vue depuis les remparts. Calme. Cela doit te changer.

- Les trafiquants voyageaient par bateaux, assénait durement l'inspecteur.

- Bateaux ? Ce serait ainsi que la mornifle tarte entre dans la Grande Vergne ?

- Non. Je vais t'expliquer..."

On vit les deux hommes voyager dans la ville, allant de la maison toujours close de Mme Mollard à l'usine de M. Madeleine, puis descendant au bord de la Canche...

Javert n'était pas au mieux de sa forme. Il marchait lentement et devait se poser pour respirer.

Vidocq l'obligea à accepter son bras et à s'arrêter au café de la Grande Place.

" Bien. Une jolie petite escobarderie !, s'amusa Vidocq. Et cela durait depuis des années ? Au nez de tous ces croquants ?

- Il y a une mouche parmi ces pantes [bourgeois]," annonça Javert.

Vidocq gela dans son mouvement et examina son vis-à-vis. Il reposa doucement le verre de cidre qu'il s'apprêtait à boire.

" Un traître ? Tu as des soupçons ?

- Non. Des mois que je cherche..." avoua Javert.

Les mains de l'inspecteur se fermèrent pour former des poings. Et il trembla de colère.

Vidocq posa sa main sur celles du policier.

" Raconte-moi !"

Javert raconta.

La lettre avec son rapport, les insinuations de son agresseur..., Vidocq ne souriait plus.

Il examina Javert et asséna :

" Maucourt était un brave gonze et un cogne de qualité. Ces accusations portées contre toi et contre lui étaient...ridicules...

- Elles m'ont coûté mon poste et..."

Javert posa ses mains devant sa bouche et s'efforça de rester impassible.

" Gilles était fragilisé après cette affaire, fit doucement Vidocq. Je lui ai parlé, j'ai essayé de sauver son cul à lui aussi mais... Il n'avait pas de Chabouillet pour le défendre.

- Je sais," admit froidement Javert.

Comme l'inspecteur n'ajoutait rien et trouvait le bois de la table du café extrêmement intéressant, le chef de la sûreté le laissa broyer du noir.

Vidocq regarda la place du marché et aperçut un homme, avec les épaules massives et la démarche solennelle.

Il l'examina avec soin et murmura :

" Qui est ce cave ?

- Monsieur Madeleine, répondit Javert en levant les yeux.

- Je serai heureux de faire sa connaissance, s'écria Vidocq. Tu me le présentes ?

- Avec plaisir."

Javert n'eut qu'à lever la main pour attirer le regard de monsieur le maire. Et ce dernier s'approcha en souriant.

" Monsieur le maire, je vous présente Vidocq, Chef de la Sûreté.

- Ce Vidocq ?," s'exclama Madeleine, tandis qu'il serrait sans hésitation la main offerte par le policier.

A la lumière du jour, Madeleine était redevenu l'homme calme au sourire affable que tous connaissaient dans la ville.

" Je vois que mon nom ne vous est pas inconnu, monsieur le maire, fit le Mec, avec un air suffisant.

- Par la force des choses : je lis les journaux, monsieur.

- Je me demande parfois si tu n'as pas engagé un journaliste pour raconter tes aventures dans les canards, plaisanta Javert.

- Ça viendra, Javert. Donne-moi juste le temps," répondit le chef de la Sûreté en se balançant sur le bout de ses chaussures.

Javert secoua la tête avant de reporter son regard sur M. Madeleine.

Quelque part, c'était étrange pour le policier de voir réunis ces deux êtres, l'un représentait son passé de cogne parisien, l'autre symbolisait sa vie campagnarde de chef de police municipale.

Étrange...

" M. Vidocq est venu s'intéresser à l'affaire des faux-monnayeurs, expliqua l'inspecteur.

- J'ai cru comprendre que vous avez été victime de ces malfrats, monsieur Madeleine, asséna d'un ton respectueux le Mec.

- Victime ? En tout cas, je n'ai été victime que de ma propre négligence, monsieur Vidocq. J'aurais dû prévoir qu'une telle chose pouvait arriver."

Le chef de la Sûreté plongea ses grosses mains dans ses poches et, arborant l'un des plus beaux sourires de son répertoire, se lança à l'assaut.

" Pourriez-vous m'expliquer pourquoi vous pensez avoir été négligent ?

- Ah ! Cela semble compliqué, mais c'est en fait facile à comprendre. Ma société est née pratiquement du néant. Les premières commandes que nous avons servies tenaient dans une seule caisse et la valeur des marchandises dépassait rarement cent francs. Le chiffre d'affaires a bien sûr augmenté au fur et à mesure. Je n'avais pas réalisé que les lots de marchandises que nous envoyions étaient devenus si difficiles à contrôler. Ni qu'ils suscitaient l'intérêt de gens... peu honnêtes."

Madeleine haussa les épaules en guise d'excuse. Il était à ce point l'image parfaite de la sincérité.

L'inspecteur Javert était accroché aux lèvres de monsieur Madeleine. Enfin, il avait une réponse à cette question.

Cet aspect des choses avait été vaguement débattu la première fois.

Monsieur Madeleine souriait en parlant, tellement posé et calme.

Et quelque part... Javert avait l'impression que le maire lui parlait à lui...plutôt qu'à Vidocq...

" Vous n'avez jamais remarqué ce qui se passait ?, jeta Vidocq sans perdre son sourire.

- Je n'ai jamais rien vu, rien entendu... Je n'ai jamais rien soupçonné. Je crains que l'aide que je puisse vous apporter soit nulle, M. Vidocq.

- Je m'en rends compte, monsieur le maire... Cependant, il y a un autre sujet dont je dois discuter avec vous : l'inspecteur Javert."

A ces mots, Javert leva les yeux au ciel.

Le sourire de Madeleine se figea. Peut-être un peu plus longtemps qu'il n'aurait fallu. Il porta la main à son chapeau pour rendre le salut du boulanger ; une distraction bienvenue que Vidocq scruta avec soin...

" Comment puis-je vous aider, monsieur ?

- La préfecture requiert ses services à Paris pendant quelques jours.

- Par rapport au sujet qui nous occupe, j'imagine."

Ce fut au tour de Javert de plisser les yeux ; la tentative malhabile de Madeleine pour obtenir des informations qui ne pouvaient guère être son affaire lui déplut ; tout comme cette sorte... d'incertitude qui lui semblait difficile à expliquer.

" C'est exact, monsieur le maire, répondit enfin l'inspecteur.

- Bon, alors. Nous devrons nous contenter de la gendarmerie pendant votre absence... Mais ne traînez pas, Javert : à Paris, vos services peuvent être nécessaires, mais ici ils restent indispensables. Excusez-moi, messieurs, si je ne peux pas rester à profiter de votre compagnie : le député local doit m'attendre, si je ne me trompe pas. M. Vidocq ... Ce fut un plaisir de vous rencontrer."

Le saint maire de Montreuil traversa la place en direction de l'hôtel de ville, veillant à répondre à chacune des salutations qui lui adressaient ses administrés.

Vidocq le regarda longuement puis il souffla :

" Quel drôle de coco ! Je te comprends un peu mieux le cogne.

- Comment cela ?"

Vidocq se tourna vers Javert et lança en riant ;

" Tous ces dossiers sur un seul homme ! Tu penses avoir flairé une piste."

L'idée que le Mec avait fouillé son bureau déplut souverainement au policier mais il aurait dû s'y attendre de la part de Vidocq.

" Je ne sais pas..., avoua le policier.

- Un conseil, Javert ! Ce n'est pas parce qu'un gonze est excentrique, qu'il est forcément coupable."

Javert ne dit rien et but une longue gorgée de cidre.

M. Madeleine était un ancien prisonnier politique. Un Chouan.

Mais Javert serait damné s'il en parlait à Vidocq, le chef de la Sûreté.

********************************

Paris.

La préfecture de police.

L'inspecteur Javert respirait et écoutait avec ravissement.

Les bruits et l'odeur de la ville.

Cela lui manquait.

Un rire moqueur retentit à ses côtés.

" Même la Seine t'a manqué ? Cette vieille flanque !

- Tu ne peux pas comprendre, le Mec.

- Tu m'excuseras, mais je suis d'Arras, alors les petits cités de province, je connais !

- Arras a plus de 4000 habitants !"

Vidocq vint s'accouder à côté de Javert, sur ce fameux parapet du Pont-au-Change et admit :

" Sûr, je n'ai jamais connu si petit.

- Et la récréation est terminée quand ?, demanda Javert, plongeant son regard de brume dans l'émeraude du fleuve.

- Je te dépose dans deux jours à la malle-poste pour Montreuil.

- Ai-je été utile ?"

Le Mec réfléchit.

Honnêtement, il aurait pu trouver tout seul la piste mais cela aurait demandé du temps. Et peut-être provoqué d'autres victimes.

Cette affaire était vieille, c'était vrai.

Et les gonzes qui l'avaient remise en service le savaient bien. Des témoins avaient été tués, des complices effacés.

Le simple fait de s'en prendre à un inspecteur de police prouvait à lui seul la motivation de ces escarpes, il fallait les arrêter vite et bien.

Ainsi, Javert avait fait parler ses mouchards. Tout son réseau qu'il avait refusé de transmettre lors de son éviction.

Et cela avait payé !

Il connaissait des faits sur l'affaire de la fausse-monnaie qu'il n'avait pas transmis au chef de la Sûreté.

Javert et son individualisme !

Mais Vidocq ne critiqua pas. Il comprenait que le policier, désespéré, faisait tout son possible pour obtenir le droit de revenir dans la capitale.

Des objets appartenant à la mère Mollard avaient été retrouvés chez un revendeur dans le quartier Saint-Michel, dont un magnifique chapelet en jais noir de M. Madeleine et des bijoux du même acabit.

Voilà ce que le policier espérait retrouver dans les étals du Paris criminel. Et il ne l'avait dit à personne !

L'inspecteur n'avait mis qu'une semaine à remonter la piste.

La fausse monnaie était le lien entre tous ces braves prévenus, enfermés à la Force maintenant.

Seulement, aucun nom de bourgeois de Montreuil n'avait été donné.

La piste partait dans les méandres parisiens et ne concernait plus le chef de la police de Montreuil-sur-Mer.

Vidocq aurait aimé conserver le cogne à son service.

" Oui. Tu as été utile, répondit le chef de la Sûreté.

- Bien. J'en ai perdu l'habitude."

Seulement le préfet avait été intraitable.

" Oui, oui Javert, votre dossier est bon mais il vous faudra plus de bons rapports pour espérer revenir à Paris.

- Oui, monsieur."

Javert serrait les poings depuis lors.

M. Chabouillet avait secoué la tête, désolé :

" Dans un an ou deux. Je peux rien de plus, Javert."

Implicitement, on ajoutait : "et estimez-vous heureux Javert, vous n'avez pas vécu ce qu'a vécu l'inspecteur Maucourt."

" Oui, monsieur le secrétaire.

- Et nous recevons parfois des rapports mettant en avant votre intrépidité, certes, mais aussi votre tendance à l'individualisme.

- Forcément, monsieur ! Dans une petite ville comme Montreuil, que voulez-vous que..."

Le sourire attristé de M. Chabouillet fit taire l'inspecteur et le vieil homme asséna :

" Voilà votre principal défaut Javert ! Vous êtes tellement sûr de votre droit que vous refusez de vous taire. Il y a des règles et des hiérarchies.

- Oui, monsieur, fit Javert, dompté.

- Vous êtes encore jeune ! Quarante ans ! Dans un ou deux ans, vous serez rattaché à mes services et ce sera la fin de Montreuil pour vous.

- Oui, monsieur."

Avant de partir de la préfecture, Javert osa demander à son patron et protecteur :

" Si un jour, je vous demande votre soutien dans une affaire, monsieur, me ferez-vous confiance ?

- Une affaire de quoi ?

- Une accusation d'usurpation d'identité, monsieur."

M. Chabouillet regarda avec attention Javert et énonça lentement, en articulant bien chaque mot :

" Soyez sûr de vous, Javert, je ne pourrai pas vous protéger en cas de nouveau fiasco."

Javert hocha la tête et quitta le bureau de son patron.

Deux jours.

Javert les passa à examiner les archives.

A la recherche de M. Madeleine.

Il ne trouva rien, comme de bien entendu. Ou plutôt il trouva une pléthore de M. Madeleine. Et le prénom du maire, Jean, était d'un commun...

Il y avait tellement de Jean Madeleine...

Même nés à Lisieux...

Ce qui n'arrangeait pas les recherches.

Deux jours et Vidocq l'accompagna à la malle-poste, comme promis.

Le Mec l'examinait avec suspicion.

" Qu'as-tu foutu ces deux jours coincé dans les archives ?

- Je cherche quelqu'un.

- Ton Madeleine ? Honnêtement, je ne l'ai pas reconnu."

Cela estomaqua Javert qui regarda Vidocq.

" J'ai bien compris qu'il se passait quelque chose entre vous deux mais je ne connais pas tous les gonzes de France.

- Toi aussi, tu le suspectes ?

- Non. Je pense que tu t'emmerdes tellement dans ton trou à rat que tu cherches quelque chose pour occuper ton esprit soupçonneux. Tu es un trop bon mouchard pour cette ville de province.

- Il y a des preuves que..."

Vidocq leva la main pour faire taire Javert.

" Non ! Il n'y a pas de preuves, juste des soupçons. J'ai lu tes dossiers ! Qu'un cogne soupçonne, c'est normal, c'est dans sa nature, mais si tu veux accuser... Il te faudra autre chose qu'une jambe boiteuse et une carrure de porte-faix.

- Tu chercheras parmi tes connaissances ?"

Vidocq secoua la tête en riant.

" Oui, je te promets, le cogne. Mais ne t'attends pas à grand-chose. Ton maire est un bourgeois, riche et reconnu. La seule chose étrange à son propos c'est qu'il soit si simple. A sa place, j'aurai épousé la plus belle fille de la ville pour réchauffer mon lit et je passerai mes journées au café à boire mes millions."

Le rire fut partagé.

Mais Javert ne souriait plus une fois dans la voiture.

Rien que des soupçons ?

Pas la peine de le lui dire, il le savait pertinemment.

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