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Chapitre XVIII

Un nouveau conseil municipal, une volonté d'œuvrer pour l'intérêt général, une autorité qui se mettait en place.

Monsieur Madeleine était bel et bien le maire !

Les conseillers municipaux apprenaient et prenaient de l'assurance.

Et les choses avançaient.

Les relations oscillaient entre le conflit et la confiance entre le maire et son chef de la police.

L'inspecteur Javert en fit douloureusement l'expérience.

Tout simplement en procédant à une arrestation.

Il s'agissait d'un des ouvriers de monsieur Madeleine. L'homme avait été pris dans une bagarre.

Et les témoignages concordaient pour pouvoir justifier l'arrestation de l'homme. Il était l'homme qui avait déclenché la bagarre.

Javert était intervenu.

Il ne lui fallut qu'un instant pour menotter le prévenu et l'entraîner au poste.

Monsieur Delapasture de Verchocq, l'ancien maire, s'était désintéressé de ses affaires de police. Monsieur Magnier avait peu à peu laissé Javert libre d'agir.

Sauf en cas de délits graves, le policier était maître de ses arrestations et de ses décisions.

Il avait déjà envoyé en prison des filles des rues sur une simple signature de sa part que personne ne lui avait contestée, il en avait le droit.

Javert avait pris ses aises.

Il avait oublié peu à peu la dureté des premiers mois.

On avait accepté un chef de la police !

Maintenant, il s'agissait d'accepter un maire !

Javert avait fait s'asseoir l'homme devant lui et s'apprêtait à l'interroger avec soin. Préparant déjà la note qui allait accompagner le prévenu à la caserne pour y être enfermé.

Les deux gendarmes qui étaient maintenant accolés à son service, Hannequin et Joliot, attendaient patiemment que l'inspecteur leur donne l'ordre d'agir.

Bagarre, coups et blessures, ivrognerie, insultes à des officiers de l'État...

Javert pouvait espérer obtenir un an de prison. Si le juge abondait dans son sens bien entendu.

Ce fut sur ces entrefaites que la mairie se rappela à lui.

Un message qu'un gamin apporta au chef de la police.

La mairie était placée en face du commissariat. Javert en fut surpris et ennuyé mais il obéit aussitôt.

Il pensa à la Cavée Saint-Firmin, il s'inquiéta des travaux. Bref, il ne perdit pas de temps et laissa les deux gendarmes surveiller son prévenu.

Monsieur Madeleine le convoquait en termes sobres, comme c'était son habitude. Et aussi, comme c'était sa coutume, il ne le fit pas attendre.

" Javert ! C'est quoi toute cette histoire sur l'arrestation de Maximin ? Est-il vrai que vous allez recommander au juge d'instruction qu'il soit emprisonné ?"

Javert en tomba des nues.

Il essaya de se justifier :

" Mais, l'homme a provoqué une bagarre, monsieur. Troubles sur la voie publique en état d'ébriété de surcroît.

- N'y a-t-il pas d'amendes ? Recommandez une amende au lieu d'envoyer un père de famille en prison ! Avez-vous conscience des dommages que vous pouvez causer à toute la famille ?"

Ce fut reçu comme un soufflet en plein visage.

Javert balbutia, il ne s'était pas attendu à des reproches sur son travail.

" Si, monsieur. Mais l'homme a insulté... Il..."

Javert songeait avec horreur à l'homme assis dans son bureau, l'attendant les mains menottées, sachant que l'inspecteur lui avait déjà promis la prison. Si Javert revenait et le condamnait à une amende...

Merde !

Il était bon pour se faire moquer de toute la ville.

" Il a brisé de la vaisselle, monsieur. Chez Suchet, l'aubergiste, tenta maladroitement l'inspecteur.

- Si je ne me trompe pas, cela concerne le tribunal civil. En supposant que Suchet porte plainte, ce dont je doute, vu les circonstances. En fait, Suchet a autant à perdre que votre détenu dans cette affaire : la fille de Maximin est encore mineure... Mais je suppose que vous êtes au courant des faits.

- Non, monsieur. Je n'ai vu que l'infraction à la loi, cracha Javert. Voie de fait, tapage et insultes ! L'homme était ivre, monsieur !"

Madeleine acquiesça après beaucoup de délibération. Encore une fois, Javert disait vrai... Et une fois encore, il oubliait de mettre les faits en contexte.

" Inspecteur, vous avez raison sur les délits que vous rapportez. Je n'ai pas l'intention d'en discuter. Mais je connais cet homme depuis des années et je sais que son comportement est dû à des circonstances exceptionnelles. D'autres auraient tué pour moins que ça ! Je ne conteste pas qu'il mérite une punition... Mais la tempérance peut aussi se trouver dans le châtiment. Vous dites qu'il était ivre ? Bon... Appliquez les ordonnances municipales et mettez-le à l'amende..."

Javert revint à l'attaque et dit sourdement :

" L'ivrognerie mériterait d'être un délit, monsieur. Ce n'est pas un bon exemple pour les enfants et cela rend les hommes violents."

Les doigts de Javert tremblaient alors qu'il les laissait saisir la poudre à sécher, posée dans un petit bol sur le bureau du maire.

Il refusait de regarder monsieur Madeleine en face.

" Encore une fois, je suis d'accord avec vous. Mais ce ne l'est pas... N'êtes-vous pas un peu intransigeant ? N'importe qui peut boire sans retenue un jour sans subir de conséquences majeures, inspecteur. Ce n'est pas l'exception."

Javert eut un rire, amer et sans rien de ce que devrait être un rire.

" Comment pensez-vous que cela se passera ce soir chez Maximin, monsieur ? Un ivrogne violent avec une femme et des enfants ? Je peux les arrêter dans la rue mais dans les maisons...

- Vous parlez vraiment de Maximin ? Si c'est le cas, soyez sans crainte : il n'est pas violent.

- Un ivrogne est toujours violent, monsieur. Votre Maximin l'a prouvé ce soir. Je ne connais pas personnellement sa femme. Mais dans ces affaires, les femmes ne disent jamais rien. Et les enfants encore moins."

Javert haussa les épaules, vaincu. M. Madeleine ne comprenait rien. Et il n'avait aucune envie de discuter davantage.

" Ce sont les enfants qui souffrent le plus, monsieur. Eux et leur mère. C'est eux qu'il faut protéger du père !"

Madeleine, interloqué par la triste véhémence de Javert, l'observait sans mot dire. Il n'avait jamais vu les choses sous ce jour... Cela ne lui était pas venu à l'esprit ... Peut-être parce qu'il ne l'avait jamais vécu ?

" Je suppose que vous parlez en toute connaissance de cause..."

Javert leva enfin la tête et regarda durement monsieur le maire.

" Je suis né en prison, monsieur. Où avez-vous vu un père dans mon histoire ?, cracha le policier. Maximin sera mis à l'amende dès qu'il aura vu le juge, monsieur. Avez-vous encore besoin de mes services ? Je n'ai pas terminé de régler mon poste, monsieur.

- Disposez, inspecteur," fit froidement Madeleine en ouvrant l'un des dossiers déposés sur son bureau.

Javert s'inclina sans rien dire et les mots habituels eurent du mal à sortir de sa bouche :

" Très bien, monsieur le maire."

Puis les bottes de l'inspecteur claquèrent le plancher avec une force inhabituelle.

Javert était fâché.

D'une part, il n'aimait pas s'opposer à un supérieur, c'était tellement contraire à sa nature. Et Madeleine l'avait poussé à bout.

D'autre part, le policier s'était dévoilé et cela lui déplaisait souverainement. Que ne pouvait-il se taire ? Il n'y avait qu'à lire le dossier sur sa vie privée pour comprendre qui avait pu cogner un gamin et sa mère. Sachant que la mère de Javert était une prostituée... Javert n'avait pas eu de père mais sa mère avait eu un amant. Plût au ciel qu'elle n'eut que des clients.

Et par-dessus tout, Javert venait de comprendre qu'il n'était plus le chef de la police. Il avait un supérieur maintenant.

Dans le poste de police, on attendait sans impatience le retour de l'inspecteur.

Le prévenu était encore sous le coup de l'alcool mais les gifles que lui avaient collé les gendarmes l'avaient passablement réveillé.

Il attendait, la tête penchée en avant et la peur au ventre.

Seul le mot prison avait réussi à le tenir conscient.

Enfin, Javert entra, le visage fermé.

D'une voix sèche et nerveuse, il annonça :

" Tu es libre. Tu auras certainement une amende à payer lorsque tu auras vu le juge..."

Le regard incrédule qui se posa sur Javert à cette annonce lui fit mal.

" Libre, monsieur ?"

D'un geste agacé, Javert retira les menottes.

" Et une amende.

- Pas de prison ?, demanda la voix empâtée du prévenu.

- Non !"

Puis il désigna la porte de son commissariat et réussit à contenir sa colère encore quelques instants pour asséner :

" Au revoir, maintenant.

- C'est monsieur Madeleine, hein ? C'est lui qui a fait ça, hein ? C'est lui qui...

- FOUS-MOI LE CAMP OU JE TE JURE QUE JE TE FOUS DEHORS MOI-MÊME !"

On obéit enfin. Les deux gendarmes suivirent le prévenu. Ils avaient capté le regard exacerbé de l'inspecteur.

Puis, enfin seul, Javert se laissa tomber sur sa chaise, devant son bureau.

Bouillant de colère.

**************************

Cela dura quelques jours.

Javert était effroyable d'efficacité et de sévérité. Il surveilla les alentours de la maison close, il darda de ses yeux clairs les cafés et vérifia que les hommes rentraient bien chez eux..., il partit se battre dans les quartiers pauvres afin d'évacuer toute sa rancune.

Mais, malgré la colère qui le portait toujours, Javert se chargea avec soin et célérité du dossier concernant la Cavée Saint-Firmin. Le maire le lui avait demandé, avec son visage bienveillant et son attitude attentionnée.

Manipulateur !

L'inspecteur interrogea et enquêta les habitants de la rue dangereuses pour compléter un rapport déjà bien épais.

On fut surpris de voir le chef de la police s'intéresser à un état de fait qui durait depuis des années.

" Ma fille a été renversée, ici même, inspecteur. Aujourd'hui, elle boite."

" J'avais un cheval et je faisais souvent le voyage jusqu'à Arras mais un jour, j'ai eu un vilain accident, inspecteur. J'ai perdu beaucoup d'argent mais je ne passe plus par cette rue du diable."

" Ce sont les pavés, inspecteur. C'est y pas stupide ! Des pavés dans une rue en pente comme ça ! Ha si on changeait les pavés..."

" Il y a des commerçants qui ne sont pas raisonnables, inspecteur. Ils font trotter leurs bêtes dans la rue et comme il y a un virage en bas...ils ne voient pas les passants..."

Des heures d'interrogatoire. Des dizaines de noms.

Le Père Fauchelevent s'étonna de ce nouveau cheval de bataille de Javert. Il ne comprenait plus le chef de la police.

" Vous travaillez pour Madeleine, maintenant ?, cracha le vieux tabellion.

- La Cavée Saint-Firmin, rétorqua sourdement Javert.

- Un Enfer ! Mais elle est rapide et permet de rejoindre la grande rue plus vite. Quand on est pressé, on est pressé.

- Que peut-on faire pour arranger cela ?

- Refaire la pente ? Les pavés ne suffiront peut-être pas..."

Javert notait et notait.

De sa petite écriture, serrée et nerveuse.

La main de Fauchelevent saisit son bras et le vieillard jeta, méprisant :

" Et lui ? Vous vous en chargez toujours ? Ou vous avez parti lié ? On dit que vous aimez bien les promenades aux étoiles tous les deux."

Les yeux de l'inspecteur étincelèrent de colère et Javert souffla :

" Tiens ta gueule Fauchelevent. Je peux te poisser pour outrage."

Mais Fauchelevent souriait, cruel, avant d'asséner une dernière pique :

" Et vous me mettrez à l'amende, inspecteur ? Monsieur le maire n'aime pas trop la prison, hein ?"

Javert ne répondit pas et chercha un autre témoin à interroger. Il ne put s'empêcher de raidir les épaules en entendant le rire mauvais du Père Fauchelevent dans son dos.

L'inspecteur interrogea l'architecte, revenu aider Javert pour son dossier, et celui-ci expliqua les améliorations possibles qu'on pouvait apporter à la route.

Il accepta de témoigner devant le conseil municipal.

Il était content de servir une cause de M. Madeleine.

Comme tout le monde dans la ville.

Et il était encore plus content de se décharger de sa dette envers le policier.

Quatre jours suffirent et l'inspecteur demanda une audience en plein après-midi à monsieur le maire.

Madeleine se tenait dans son bureau, comme prévu, et l'attendait. Pas tellement usuel chez un maire.

La grisaille du mois de février avait accordé une trêve et le soleil se déversait à grands flots par les fenêtres de l'hôtel de ville. Le maire avait retiré sa veste.

Pourtant, il semblait mal à l'aise.

" Sommes-nous prêts, inspecteur ? Racontez-moi les progrès de votre enquête."

Javert déposa doucement un nouveau dossier sur le bureau du maire. Il songea, amusé, qu'il était devenu un simple secrétaire.

" Comme promis, monsieur. Voici votre dossier et la liste des personnes prêtes à témoigner au prochain conseil municipal pour la Cavée Saint-Firmin.

- Ont-ils confirmé leur présence ? Ce que j'ai l'intention de faire est inhabituel ; l'effet sur le projet risque d'être désastreux s'ils manquent à l'appel.

- Vous avez du mal, monsieur, fit durement Javert. Du mal à me faire confiance. Je ne comprends pas vraiment pourquoi. Mais baste ! Suivez-moi que diable !"

L'index, long et fin, de l'inspecteur se posa sur le dossier et le policier sourit, suffisant :

" J'ai un architecte qui a élaboré un devis probable des travaux. Cela coûtera moins cher que cette ridicule halle aux grains. Il sera là car il a confiance en vous."

Javert se rapprocha et sans y réfléchir, il se plaça à côté de Madeleine.

Il ouvrit le rapport et le feuilleta nerveusement :

" Voici Mme Serrier, elle viendra témoigner avec le docteur Vernet. Celui qui a soigné son fils. J'ai aussi Mme Personeni, elle c'est sa fille qui boite."

Nouvelle page, Javert se pencha vers Madeleine et le houspilla, agacé que le maire ne prenne pas son travail au sérieux.

" Ici, monsieur Carrouges ! Il va parler du transport dans cette rue, ainsi que messieurs Pleyel et Constantin. Il ne manque que le Père Fauchelevent."

Là, Javert se recula et replaça ses mains dans le dos :

" Lui refuse de témoigner devant le conseil municipal. Il...il se sent trop âgé pour parler en public. Les autres ont tous confiance en vous et seront là. Pour vous !"

Fauchelevent se disait vieux ? Non, Madeleine connaissait bien l'ancien tabellion. Il manquait de finesse... et pouvait se révéler fourbe.

" Vous mentez mal, inspecteur. Personne ne vous l'a dit ?"

Madeleine partit à la recherche de sa veste, qu'il revêtit avec des mouvements brusques. Pris dans ce jeu d'hostilités sans cesse renouvelées et de confiances qui ne duraient jamais longtemps, le maire perdait patience.

Par moments, il perdait même la volonté de faire semblant.

L'homme qui se tenait devant lui était aussi dur et déterminé que lui-même, alors pourquoi continuer à prendre des gants ?

Javert ne souriait plus.

Mais il refusa de se laisser traiter ainsi par ce maire de pacotille.

Résolument il se rapprocha de Madeleine, le faisant reculer jusqu'au mur où il se retrouva épinglé :

" Ho, je mens peut-être mal, mais c'est que je ne suis pas à votre hauteur, monsieur. Personne dans cette ville ne le peut ! Je n'oublie ni que je vous ai vu quelque part par le passé, ni que vous n'avez aucun passé."

Puis se reculant doucement, le policier ajouta :

" Mais en l'occurrence, vous vous méprenez. Je suis de votre côté dans cette affaire. Je suis comme vous, se moqua Javert, je veux le bien de cette ville et de ses habitants. La Cavée Saint-Firmin est un scandale !"

Ce fut au tour de Madeleine de carrer les épaules puis de s'avancer vers son chef de la police.

" Vous vous oubliez, Javert. Si vous avez quelque chose à me reprocher, faites. Ne vous gênez pas ! Au cas contraire, rappelez-vous que je suis encore magistrat."

Javert leva fièrement le menton, sans crainte et jeta sèchement :

" Oui, un magistrat. Je n'oublie pas, monsieur. Mais n'oubliez pas que je suis un policier."

Javert se mit au garde-à-vous. Et ce fut comme si toute la scène n'avait jamais eu lieu.

Un inspecteur de police composé face à son supérieur impassible.

" Je fais mon travail, avec soin et intégrité. Et je suis dévoué à mes supérieurs. Tant qu'ils le restent."

S'inclinant bas, Javert ajouta :

" Monsieur le maire."

*****************************

Malgré les accrochages incessants entre les deux hommes, la complicité qui les avait amenés à former une équipe redoutable ne cessa de se renforcer. Parfois sans qu'ils le remarquent, parfois à leur insu.

Madeleine convoqua le Conseil comme prévu et fit comparaître Javert en tant que conseiller technique.

Le maire était sûr que le chef de la police s'acquitterait parfaitement de la tâche.

Javert ne l'avait point déçu : reprenant le style qui lui était familier dans ses rapports quotidiens au maire, concis et non dépourvus d'aménité quelquefois haute en couleur, il exposait ses démarches avec une précision absolue.

Il avait même déjoué, tout naturellement, les questions mal intentionnées du député Callard en se fondant sur des données incontestables.

Madeleine dut se couvrir la bouche pour ne pas montrer un sourire trop satisfait.

Au bout d'une heure d'interrogatoires assez durs, la capitulation du conseil municipal fut totale.

Les travaux de rénovation de la Cavée-Saint-Firmin démarrèrent la même semaine puis le calme revint à la mairie.

************************

Les semaines passaient mais maintenant c'était une torture de tous les instants.

Javert courbait l'échine et obéissait aveuglement à monsieur le maire.

Honnêtement, Javert s'était attendu à une mise à pied.

Il regrettait son coup de colère dans la mairie, mais après avoir tellement œuvré pour M. Madeleine, l'accusation de mentir l'avait aveuglé. Même si elle était vraie.

Pourtant, Javert n'avait menti que dans l'intérêt du maire. Pour une fois.

Lui montrer un front uni derrière la mairie.

Lui donner confiance devant tous ces conseillers municipaux, imbus d'eux-mêmes.

Pouvait-il claironner que le Père Fauchelevent ne l'aimait pas et complotait derrière son dos pour le faire tomber ?

Javert riait sans joie à cette idée.

Honnêtement, Javert s'attendait encore à une mise à pied. Mais elle ne vint pas et les rapports quotidiens qu'il menait avec le maire restaient neutres et objectifs.

Comme si rien ne s'était passé...

Javert aurait préféré qu'on le casse publiquement. Il n'aimait pas cette incertitude.

Finies les petites allusions, terminés les regards soupçonneux.

Javert se faisait humble et obéissait à tous les ordres. Même les plus saugrenus. Même les plus humiliants. Même les plus inutiles.

Car il voyait bien que M. Madeleine se jouait parfois de lui.

Et en même temps, une certaine complicité continuait à se nouer entre les deux hommes. On s'observait et on se faisait peu à peu confiance. L'inspecteur assistait à des conseils municipaux et avait le droit de parler en public. Du jamais vu !

Javert ne savait pas quoi faire de ça.

Il détestait obéir et en même temps il appréciait les échanges aigre-doux qui s'établissaient entre le maire et lui.

Javert se disait que, finalement, lui aussi était bel et bien devenu la dupe de M. Madeleine et cela l'agaçait.

Les travaux dans la Cavée Saint-Firmin avaient commencé et l'inspecteur mettait un point d'honneur à y passer chaque jour. Surveiller un chantier était un domaine dans lequel il était passé maître.

Cela devenait le moment fort de sa journée, entre deux visites pour régler des querelles de voisinage ou pour servir de messager à M. Madeleine...

Moreau ne trouvait pas quoi dire, il voyait bien que la relation entre le maire et son chef de la police n'était pas facile, et le jeune homme restait à se taire, regardant Javert avec compassion.

Cela seul donnait envie au policier de lui fracasser la mâchoire à coup de matraque.

" Vous allez bien, inspecteur ?, demandait gentiment le jeune homme.

- Oui, Moreau."

Et l'inspecteur reprenait avec rage ses dossiers.

Car les dossiers s'accumulaient maintenant.

Monsieur Madeleine avait été à l'armée mais il y avait tant et tant de monsieur Madeleine dans les registres qu'il aurait fallu que Javert prenne quelques jours de congé pour aller à Paris et voir cela de lui-même... sans grand espoir de réussir d'ailleurs...

Digne ne lui apprit rien de plus puisque cela lui était interdit.

Il enquêta sur les usines de la région mais on ne se souvenait pas d'avoir embauché de monsieur Madeleine. Seulement la France était un grand pays... Monsieur Madeleine avait sûrement travaillé ailleurs.

Où ?

Javert n'avançait pas et cela le faisait rager.

Et en même temps, il était content de ce répit.

Monsieur Madeleine...devenait l'équivalent d'un...ami ?

On parlait des futurs aménagements de la ville, Madeleine accompagnait parfois l'inspecteur dans ses patrouilles afin de voir tel ou tel point litigieux de Montreuil.

Le quartier des Moulins, toujours si pauvre et si humide, attrista monsieur le maire.

" Il faut drainer les terres !, assénait le maire. Les derniers curetages ne suffisent pas !

- Les travaux seraient très onéreux, monsieur, rétorquait Javert. Là, je ne pense pas que vous réussirez à obtenir des soutiens.

- Nous verrons Javert ! Nous verrons bien !"

Oui, c'était une relation difficile et en même temps on faisait du bon travail.

*****************************

Javert supportait la situation avec un calme difficile et son visage devenait illisible.

Seuls ses vêtements, toujours impeccables, pouvaient donner des indications sur ses sentiments.

Un bouton oublié, une boucle mal mise, de la poussière sur ses bottes...et cela présageait d'une véritable tempête interne.

Mais Javert côtoyait M. Madeleine et essayait de garder sa posture.

Pas d'étoiles, pas de soupçons, pas de douceur, pas de souvenirs...

Mais un jour, Javert ne fut pas capable d'assumer la visite quotidienne à monsieur le maire et de supporter tout cet étalage de mépris hautain.

Une lettre étrange était arrivée de Paris, assortie d'un extrait du Moniteur.

On y apprenait la mort par pendaison d'un jeune homme, nommé Gilles Maucourt. L'ancien policier, reconverti en menuisier, avait mis fin à ses jours. On parlait de folie.

La lettre venait de M. Chabouillet, elle assurait l'inspecteur que rien n'avait été rattaché à lui dans ce triste dénouement.

" De toute façon, le dénommé Maucourt avait été soumis à une rude surveillance tous ces longs mois et rien dans son comportement n'avait prouvé que..."

" Il semblerait donc que les conclusion tirées lors de la précédente enquête fussent erronées et nous regrettons infiniment que..."

" Le plaignant, interrogé à nouveau, avait avoué avoir menti pour salir la réputation de l'inspecteur..."

"Monsieur le préfet en personne avait énoncé les plus vifs regrets et attendait avec impatience les résultats de l'enquête en cours pour..."

" Il était d'ailleurs question de revoir son dossier pour le nommer ailleurs, peut-être à..."

La lettre finissait sur des excuses vite formulées et des regrets que Maucourt ne soit pas venu en personne discuter avec lui.

"M. Chabouillet aurait pu le défendre et..."

Javert jeta la lettre au feu, la regarda brûler avec un soin approchant de la folie et puis il s'assit à son bureau. Il croisa les mains sous son menton et ne bougea plus.

Gilles Maucourt avait été un ami. Ce n'était même pas un mensonge. Un ami, rien de plus, mais un ami avec un lourd secret à porter.

Il avait fallu des mois d'amitié et de rapprochement pour qu'il l'avoue à Javert.

Gilles Maucourt était un jeune homme de trente ans à peine, célibataire et heureux de l'être et il préférait les hommes aux femmes.

Le fier inspecteur Javert, si droit et si austère, avait failli le dénoncer aux autorités...mais il n'en avait rien fait.

Car Gilles Maucourt était un ami. Trop proche peut-être. Mais il n'y avait jamais eu autre chose que des discussions et des mains posées sur des épaules, des regards un peu trop appuyés et des sourires affectueux.

C'était un ami.

Le seul.

Jusqu'à cette nuit... Cette nuit dont le souvenir était entaché par l'alcool et qui restait cachée dans la mémoire de l'inspecteur. Une nuit, un lit et un plaisir profond qu'il n'avait jamais connu.

Le souvenir d'une nuit d'amour avec un homme.

Il y en eut quelques autres mais cette première nuit marqua l'inspecteur à jamais...

Maintenant, Javert n'avait plus rien.

Alors l'heure de la réunion avec monsieur le maire passa, puis celle du déjeuner, puis celle du dîner, puis le crépuscule tomba...et Javert n'avait quasiment pas bougé de son siège.

Perdu dans ses souvenirs parisiens de conversations au café et de patrouilles sous la pluie.

Il n'avait pas remarqué l'obscurité qui s'était peu à peu emparée du poste de police, ses yeux étaient fermés sur ses larmes de tristesse.

****************************

Madeleine leva les yeux du dossier qu'il lisait pour observer le visage de l'inspecteur Javert.

Il s'était attendu à ce que Javert perde son sang-froid suite à sa dernière demande ; il avait même anticipé tous les gestes qui suivraient sa provocation : la voix qui deviendrait rauque lorsque Javert la contraindrait à baisser d'un ton ; les doigts qui commenceraient à racler l'accoudoir ; le pied qui changeait discrètement de position jusqu'à ce qu'il repose sur les orteils tandis que, enfin, Javert oserait lui demander pourquoi il ne chargeait pas la gendarmerie ou le garde champêtre, comme de droit, de faire sa sale besogne. Il n'aurait pas eu tort, seulement, Madeleine faisait plus confiance à Javert.

Rien ne vint. Tout ce que l'inspecteur lui adressa fut un laconique :

"Oui, monsieur."

" Comprenez-vous qu'il ne suffira pas que vous vérifiiez toutes les cheminées et tous les fours de la ville ? Ce sont les cheminées des maisons isolées qui m'inquiètent.

- Oui, monsieur le maire."

Javert avait salué bas à son départ. Un parfait auxiliaire qui n'oserait jamais défier les ordres de son supérieur.

Seulement, Madeleine savait que les choses n'étaient pas comme cela entre eux, et l'attitude de Javert finissait par l'agacer.

Le maire reprit ses dossiers et oublia l'affaire jusqu'à ce que le jeune Moreau arrive pour récupérer les documents à dupliquer.

" Votre patron va mieux à présent ?, lui demanda subitement Madeleine.

- Comment dites-vous, monsieur le maire ?

- Je demande si le médecin a déjà rendu visite à l'inspecteur. Je me suis laissé dire qu'il était malade.

- On vous a trompé, monsieur. Je doute que l'inspecteur puisse se permettre de payer un médecin avec son salaire.

- Ah ! Cela ne l'empêche pas d'être malade, pourtant. J'imagine que vous avez déjà remarqué que sa santé n'est plus très bonne...

- Eh bien... Il grogne moins et semble toujours fatigué. En dehors de ça..."

Moreau haussa les épaules et continua à rassembler des documents.

Mais déjà Madeleine avait la certitude d'avoir raison.

" Avez-vous besoin que je fasse deux copies de ces papiers ?, s'enquit Moreau.

- Oui, une pour nos registres et l'autre à envoyer à Arras. L'original est destiné à la partie intéressée, comme d'habitude.

- Bien, Père Madeleine," dit le garçon alors qu'il se préparait à partir.

Le maire l'arrêta et ajouta :

" Ah ! Moreau... Pourriez-vous me rendre un service ?

- Certainement, monsieur.

- Gardez un œil sur votre patron : je ne veux pas avoir le cadavre de cet homme têtu sur la conscience.

- Et comment vais-je faire ça ?, demanda le jeune homme avec un filet de voix ténu.

- Faites-moi savoir s'il souffre un malaise, ou s'il arrive en retard à son poste... Assurez-vous qu'il va bien lorsqu'il rentre chez lui après les patrouilles, ce genre de choses. Peut-être que si nous parvenons à lui faire admettre qu'il a des difficultés, il se laissera aider. Cela fait des mois que j'ai mis le dispensaire de l'usine à la disposition des employés de la ville... Mais cela ne semble servir à rien.

- Non, monsieur ! Bien au contraire... Je me suis fait soigner un abcès le mois dernier là-bas. Je ne suis pas aussi fier que... Bien, monsieur, je vais monter la garde et vous faire mon rapport."

Moreau quitta le bureau en proie à la nervosité, et Madeleine se dit qu'il en avait peut-être trop fait.

Mais il avait raison : quelque chose n'allait pas chez Javert.

Et si quelqu'un pouvait connaître les difficultés qui guettent un homme seul, c'était bien Madeleine.

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