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Chapitre IV

L'inspecteur Javert tomba effectivement malade, rien de grave mais ce fut plutôt handicapant. Un simple rhume qui mit longtemps à totalement disparaître.

Se réveiller en pleine nuit sur le sol pavé du commissariat, transi de froid et douloureux de raideur, prouva à l'inspecteur l'inanité de ses dénégations. Reconnaissant sa défaite, il prit le remède des religieuses et rentra chez lui.

Il se permit un jour de congé et dormit d'un sommeil nullement reposant. Le soir, il ferma sa porte à la religieuse.

Javert refusa d'offrir davantage de prises à la rumeur, sachant déjà qu'on allait faire toute une histoire de son aventure dans la ville.

Une promenade sous la pluie, une rencontre avec le directeur de l'usine et une réunion tardive entre les deux hommes.

Il suffisait de peu pour briser une réputation.

Javert serrait les poings en se souvenant de cela.

Oui. Il suffisait de peu pour briser une réputation et la rumeur en était souvent la cause.

Surtout lorsqu'il s'agissait d'hommes.

Mais Javert n'arrivait pas à oublier les yeux de M. Madeleine...

La patience était une vertu de policier.

*****************************

Il fallut quelques jours pour revenir à la normale.

Suite à cette malheureuse histoire, Javert se montra extrêmement prudent. Plus de rencontre nocturne, plus de réunion involontaire. Il était attaché à son poste et à son devoir.

Et se montrait d'une patience absolue.

Les jours, les semaines passaient. Les affaires stagnaient.

Et un jour, l'inspecteur salua enfin sa bonne étoile !

Un homme, assez âgé, se porta à sa rencontre lors de sa patrouille. Javert le reconnut comme étant le Père Fauchelevent.

Un vieil homme, pauvre et solitaire.

Un homme qui avait connu la faillite et le mépris après avoir été respecté et riche. Il travaillait comme transporteur avec sa charrette et son vieux cheval.

Le Père Fauchelevent n'avait rien à faire avec la police.

Cela rendit Javert curieux, l'inspecteur se laissa approcher et mener par le bras dans une ruelle tranquille de la ville.

Loin des yeux et des oreilles.

Le Père Fauchelevent regarda le policier et se mouilla les lèvres avant de parler. Patient, Javert attendit.

" Vous cherchez des informations sur Madeleine, n'est-ce-pas ?," demanda sèchement le vieil homme.

Le ton déplut souverainement à l'inspecteur mais Javert savait reconnaître un allié quand il en voyait un. Il accusa le coup et n'en montra rien.

" Oui, avoua simplement le policier.

- Vous n'arriverez à rien dans cette ville, inspecteur. Ils sont tous à la botte de Madeleine.

- Mais pas vous, il semblerait, rétorqua Javert en souriant.

- Non, pas moi ! Un homme venu de rien et qui se pavane en ville avec ses millions ! Il a quelque chose à cacher. Pour sûr !

- Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?, demanda Javert, intéressé.

- Personne ne connaît le passé de Madeleine. Il est arrivé en ville et personne ne sait d'où il venait. Sans bagage, sans papiers.

- Il a tout perdu dans l'incendie !, opposa Javert, amusé de voir ce vieil homme jouer les policiers.

- Oui ! Bien sûr ! Comme c'est simple ! Mais il y a quelque chose de louche derrière cela, inspecteur.

- Dites-moi, monsieur.

- Madeleine est arrivé à pied ! De nuit ! Vous imaginez ?

- Un simple marcheur.

- Qui a été accueilli en héros mais s'il n'y avait pas eu l'incendie ? Un homme arrivé de nuit, à pied, avec un simple bagage. Qu'en auriez-vous pensé, inspecteur ?

- Il n'y a pas eu de diligence ?

- Il n'y a pas eu de diligence ce jour-là.

- Comment le savez-vous ?

- Car moi j'ai vérifié ! Je n'ai pas confiance en Madeleine ! Et si j'ai bien compris, vous non plus inspecteur."

Javert regarda son allié et le trouva laid.

Un vieillard, sec et envieux, le Père Fauchelevent était vindicatif et rancunier. Il devait vouloir se venger de sa faillite contre M. Madeleine. Ses yeux plissés étaient cruels.

C'était un merveilleux allié !

" En effet. Que savez-vous d'autre ?, approuva Javert.

- Il y a du mouvement la nuit dans la Ville-Basse. Des transporteurs voyagent autour de l'usine de Madeleine.

- Je sais. Des transporteurs mais pas vous ?

- Je suis honnête moi, inspecteur !"

Javert sourit, approbateur, et tendit la main à Fauchelevent.

" Venez boire un verre chez moi, monsieur et racontez-moi votre version des faits.

- Avec plaisir, inspecteur."

Le Père Fauchelevent saisit la main, nerveuse et sèche, du policier et la serra avec force.

Un pacte venait d'être signé.

Nul doute que le diable y avait sa part.

**************************************

Nouveau temps suspendu, à patrouiller, à user ses bottes sur les pavés de cette ville dont Javert connaissait maintenant le moindre recoin, la moindre ruelle. L'inspecteur savait dorénavant qui vivait où, qui faisait quoi, il était capable de dire sans erreur qui couchait avec qui.

Cela l'amusait et le rendait encore plus méprisant de la gente humaine.

Il n'était que le chien de garde de la société. Il ne l'aimait pas et elle ne l'aimait pas davantage.

Et ce fut ce jour-là que l'inspecteur la vit.

Une ouvrière parmi tant d'autres, pénétrant dans les locaux de l'usine de M. Madeleine. Une jolie femme. C'étaient ses magnifiques cheveux blond cendrés qui la faisaient sortir du lot.

Javert en resta estomaqué et la contempla alors qu'elle gardait son visage baissé sur le sol, cachant prestement ses longs cheveux sous un fichu noué derrière la nuque avant de disparaître dans la foule des ouvrières.

Par Dieu ! Javert se jura de découvrir de qui il s'agissait.

*********************************

Le Père Fauchelevent fut un allié bien venu pour l'inspecteur de police. Il organisa une rencontre entre Javert et un ouvrier de l'usine dans une baraque abandonnée du quartier des Moulins. C'était un vieillard que M. Madeleine conservait par pure charité chrétienne.

Ils avaient travaillé ensemble sous la direction de M. Collobert. Aujourd'hui, l'ouvrier travaillait toujours dans l'usine mais son ancien collègue était devenu son directeur.

L'homme, alcoolique notoire, fut impressionné de se retrouver face au chef de la police.

Javert se tint droit, les mains croisées dans le dos et le visage impassible. Le Père Fauchelevent s'éclipsa, laissant le policier jouer son rôle maintenant qu'il avait achevé le sien.

" Des questions sur monsieur Madeleine ?, souffla l'ivrogne, sans comprendre.

- Comment était-il à l'usine ? Tu as travaillé avec lui !, siffla Javert en se rapprochant avec son sourire cruel, devenu habituel.

- Oui, inspecteur. Mais c'était il y a des années...

- Combien de temps penses-tu travailler pour M. Madeleine s'il apprend ton ivrognerie ?"

L'homme baissa la tête, vaincu, et ses mains tordirent nerveusement le chapeau glissé entre ses doigts.

Oui, M. Madeleine était un ancien collègue mais il ne tolérait pas les ivrognes. Genlain ne donnait pas cher de sa place si M. Madeleine apprenait ses soucis d'alcool.

Et Genlain avait une fille à marier.

" Que voulez-vous savoir, monsieur ?

- Tout."

Genlain informa l'inspecteur de tout ce qu'il pouvait.

Avant de laisser fuir sa proie, l'inspecteur eut une dernière question qui surprit l'ouvrier.

" Comment s'appelle l'ouvrière avec de longs cheveux blonds ?

- Il y a beaucoup de femmes blondes à l'usine de M. Madeleine, monsieur.

- Il n'y a qu'une seule femme comme elle."

Genlain comprit aussitôt de qui il s'agissait et répondit :

" Fantine."

Javert hocha la tête et leva la main pour permettre à l'homme de s'enfuir. Aussitôt, le Père Fauchelevent apparut auprès de l'inspecteur de police.

" Alors ?

- Rien de plus. Sérieux, travailleur, timide, courageux.

- Merde !, claqua le vieillard.

- Vous êtes sûr que ce Genlain a travaillé à côté de Madeleine dans l'usine ?

- Sûr, inspecteur.

- Alors nous n'aurons rien d'autre.

- Je peux vous trouver un autre ouvrier, monsieur.

- Non !"

Le Père Fauchelevent ne comprit pas cette véhémence et le policier leva les yeux au ciel avant de s'expliquer.

" Combien de temps se passera-t-il avant que la ville ne sache que j'enquête sur Madeleine ?

- Je ne sais pas.

- Deux jours au mieux ! On m'a assez vu. Si Genlain tient quelques heures avant de raconter son aventure, nous aurons de la chance.

- Je lui ai fait la morale, monsieur !, se défendit avec vigueur le Père Fauchelevent.

- J'aurai aimé quelque chose pour avancer, soupira Javert, mais c'est ainsi."

L'inspecteur haussa les épaules avant de quitter à son tour la cabane abandonnée. Le Père Fauchelevent, outré et choqué, lui hurla :

" Vous abandonnez l'enquête, inspecteur ?

- A plus tard, Fauchelevent ! Ne soyez pas en retard dans vos livraisons !"

Et Javert s'en alla.

Un allié n'était pas un collègue. Un allié était un mouchard, ce n'était pas un policier.

Javert n'allait certainement pas partager toutes ses informations avec le Père Fauchelevent.

Car Genlain lui avait donné une information précieuse. Quelque chose qui allait faire réfléchir profondément l'inspecteur Javert.

A l'usine, le Père Madeleine était un ouvrier docile et travailleur. Jamais un mot plus haut que l'autre. Il passait son peu de temps libre à lire.

Il ne remontait jamais ses manches de chemise, il était prude et muet. Il n'ouvrait la bouche que pour l'essentiel.

Cela donnait à réfléchir, certes, mais moins que l'anecdote que lui narra Genlain :

" Un jour, nous avons eu un souci avec un des fours. Le matériel était vieux, inspecteur, et tout allait de guingois. Un des fours menaçait de s'effondrer. C'était une catastrophe. Et voilà t-y pas que notre Madeleine quitte son coin pour se précipiter sur le four et le retenir de toute sa force.

- Comment cela ?

- Ben, il s'est arc-bouté et a réussi à empêcher le four de s'effondrer. Le temps qu'on place des étais.

- C'est lourd un four ?"

Ce fut la seule fois que l'ouvrier se détendit en face du policier, le temps d'un rire moqueur vite effacé par un regard mauvais de ce dernier.

" Oui, monsieur."

Un homme fort, donc.

Très fort.

Et courageux. Il sauva des ouvriers ce jour-là ainsi que leur travail. Au mépris de sa vie.

Cela joint au boitement, aux manches de chemise, aux yeux bleus.

" Où diable t'ai-je vu Madeleine ?," souffla Javert.

Un forçat de Toulon ? Un débardeur de Marseille ? Un criminel de Lyon ?

Bizarrement, le policier était sûr qu'il s'agissait d'un prévenu. Son instinct de dogue se réveillait et flairait le loup.

Et trop de monde chantait les louanges de M. Madeleine. Lui-même avait profité de sa gentillesse et de son hospitalité.

Javert haussa sa lèvre supérieure avec sa lèvre inférieure jusqu'à son nez, créant une grimace significative et horrible.

" Mais qu'est-ce-que cet homme là ? Pour sûr, je l'ai vu quelque part. En tout cas, je ne suis toujours pas sa dupe."

Javert reprit son chemin.

***************************

" Non Javert ! Vous ne pouvez pas vous permettre d'agir ainsi ! claqua la voix de monsieur le maire, nettement moins modulée que d'habitude.

- Monsieur le maire, il ne s'agissait que de...

- Taisez-vous inspecteur ! Des plaintes me sont parvenues concernant votre attitude inqualifiable ! Dois-je vous rappeler que vous n'êtes que le chef de la police municipale, inspecteur ? La-police-municipale !"

Monsieur Delapasture de Verchocq articula avec soin les derniers mots et Javert acquiesça en silence, les dents serrées par la colère et les mains devenues des poings.

" Monsieur Collobert m'a parlé de vous ainsi que M. Magnier et que diable vouliez-vous demander à M. Delaroche, le notaire ?

- Une affaire de rachat d'usine, monsieur."

C'était dit et avoué.

Le maire observa son chef de la police avec stupeur et rétorqua :

" Pour quoi faire ? Cela ne vous regarde en rien, Javert ! Etes-vous notaire ?

- Non, monsieur.

- Alors n'oubliez pas votre rang et votre place ! Je n'ai que des éloges à faire à votre propos ! Ne changez pas cela !

- Oui, monsieur.

- Allez plutôt vérifier ce que Mme Monge a encore à se plaindre ! Elle m'a fait parvenir trois demandes de visite aujourd'hui. Comme si j'avais le temps pour cela.

- Très bien, monsieur."

Javert s'inclina et quitta la mairie.

Correctement rossé et remis à sa place.

Un chef de la police ?

Cela ne signifiait rien dans une ville de province.

Raidissant ses épaules, Javert se dirigea vers le joli petit hôtel particulier de Mme Monge.

L'inspecteur savait très bien pourquoi on voulait l'y voir. Cela faisait des semaines que Mme Monge cherchait son chat.

Cela ne fit qu'à peine sourire le policier.

Un chien de chasse pour trouver un chat. La situation cocasse l'aurait amusé s'il ne trouvait pas cela...pathétique...

********************

L'hiver avançait sans heurts, comme c'était souvent le cas dans la région. Un jour, la rosée avait fait place au givre ; quelques temps plus tard, les premiers flocons de neige s'étaient laissés voir.

Comme chacun le savait, c'est à cette époque que monsieur Madeleine redoublait d'efforts pour aider les nécessiteux : si la maladie frappait, si la vente de la récolte ne couvrait pas toutes les dépenses ; si la faim s'insinuait, il restait toujours le recours de frapper à sa porte.

La seule condition imposée par l'homme avant d'accorder un petit prêt sans intérêt était que la probité de l'intéressé soit démontrée ; la seule démarche qu'il se permettait de faire pour vérifier cette exigence était de demander à Duhamel, son caissier.

Peu nombreux étaient ceux qui savaient que lorsque la réputation des démunis n'était pas à la hauteur des expectatives le prêt devenait un simple don.

Nul ne savait ce qui poussait Madeleine à agir de façon si peu judicieuse en ce qui concernait ses propres intérêts, car il ne restait personne qui l'ait connu à l'époque où la faim et le froid avaient eu raison de sa volonté et aussi de son discernement.

Nuit après nuit, Madeleine se rendait aux quartiers pauvres portant avec lui sa bourse ouverte et sa conscience lourde. Il faisait l'aumône sans regarder et souriait avec, peut être, quelque froideur et n'acceptait que rarement la gratitude qu'on voulait bien lui montrer. Cependant, malgré les années qui s'étaient écoulées depuis qu'il avait commencé ses rondes particulières, il restait toujours avare de ses paroles.

" Il se fait tard, monsieur Madeleine... Vous m'aviez demandé de vous rappeler que ce soir, c'est la veillée organisée par la paroisse."

Duhamel se crispa imperceptiblement, anticipant peut-être la réaction de son patron.

Guidé par la prudence, le caissier avait attendu pour annoncer le désagrément au moment où, comme à son habitude et déjà la nuit, Madeleine quittait sa table pour regarder par la fenêtre le petit bout de terrain devant les ateliers. Cette nuit-là, il ne devait rien voir d'autre qu'un peu de neige...

L'industriel, comme de bien entendu, ne se gêna guère pour grommeler sa réponse.

" Vous disiez, monsieur Madeleine ?

- J'ai dit que je ne m'en souvenais pas du tout. Vous y allez aussi ?

- Tout le monde est invité, comme vous le savez.

- Tout le monde, tout le monde..."

Madeleine dodelina de la tête, incrédule et pour cette raison même, irrité ; Duhamel sentit que le temps était venu de battre en retraite.

" Puisque vous y allez, Duhamel, veuillez assurer le comité de charité de mon soutien substantiel à la collecte de Noël et excuser mon absence. Je serai occupé ce soir.

- Vous m'aviez dit de vous rappeler aussi que vous ne pouviez pas vous dispenser d'y aller cette année... Si vous vous souvenez, monsieur l'abbé a...

- Bien, bien. J'ai compris."

Madeleine bouillonnait encore en arrivant dans sa chambre. Qu'attendait-on de lui ? Qu'il arriva en tenue fraîche, bien sûr. Surtout, pas de souliers crottés.

Peut-être, qu'il se rase de près encore une fois et qu'il porte une cravate raffinée. Sans doute, que cette année il ait appris à parler de petits rien pour divertir ces dames... Que, de surcroît, il aurait hâte d'épousseter des anecdotes drôles pour faire rire les messieurs importants... Mais toujours sans arriver à dépasser les bornes.

Madeleine parcourut sa petite bibliothèque à la recherche de son exemplaire de "Civilité chrétienne et morale...", mais finit par caresser le dos d'un gros volume : "Don Quichotte."

Une heure plus tard, l'industriel riait à gorge déployée en relisant le combat du noble chevalier contre des peaux de vin. Qui, tout compte fait, finirent par le battre.

Malheureusement, le chapitre se termina par une raclée inoubliable... Toujours la logique des coups que l'ancien galérien comprenait trop bien pour trouver amusante... Le charme était rompu.

" Monsieur Madeleine ! Nous commencions à penser que vous ne viendriez pas... Toujours si occupé, nous le savons bien..."

Comme à son habitude, le député local ne le rata pas. Le manufacturier se força à ignorer le frisson qui coulait le long de sa colonne vertébrale alors qu'il lui adressait un sourire forcé.

Il fut question des médiations entre voisins auxquelles Madeleine avait participé au cours des derniers mois... Une excuse aussi valable que toutes les autres pour montrer l'enthousiasme que l'industriel soulevait chez le plus select de la société... locale. Ce fut le signal pour tous se confondre en éloges à l'égard de sa personne. Madeleine s'essuya les paumes sur le bas de sa veste.

" Parviendrons-nous à collecter cette année les fonds nécessaires pour restaurer le petit retable ?"

Une dame très respectable dont le nom lui échappait, avait pénétré le cercle. Il devait s'agir de madame la députée, à en juger par la façon dont elle avait pris possession du bras de l'homme politique.

" Tout dépendra de ce qui subsistera des fonds après que les pauvres se seront servis," plaisanta un jeune homme... Bamatabois ?

Madeleine aperçut le curé et partit à sa rencontre. Malheureusement, les paroissiens restés à l'accabler de plaisanteries étaient fort nombreux. Peut-être voulaient-ils lui assurer de leur soutien, tout comme Madeleine ? Ou alors cherchaient-ils à obtenir l'approbation du curé et de sa suite d'âmes bienveillantes qui se chargeraient plus tard de répandre les nouvelles ?

Madeleine s'en voulut. Il finit par se rendre au coin où Madame Victurnien, la responsable de l'atelier des femmes, s'entretenait avec Duhamel. Puisqu'ils semblaient être en désaccord et qu'il n'était pas d'humeur à arbitrer entre eux une fois de plus, Madeleine s'ouvrit un chemin à coup de sourires gauches vers le mur du fond. Là était accroché un petit tableau expliquant les réformes prévues pour l'église.

C'était celui qu'il avait vu l'année de son arrivée.

Peut-être était-ce pour cela qu'il avait l'avantage de n'intéresser personne ?

Le manufacturier profita du calme relatif pour jeter un coup d'œil sur le local que le député avait si altruistement mis à la disposition de la paroisse.

Ils appelaient cela une veillée... Les choses étaient bien différentes maintenant...

Ces rencontres ne semblaient être qu'un prétexte pour ces dames de porter des robes farfelues et, pour les messieurs, de se donner de l'importance en évoquant leurs derniers succès.

Tous ces individus parfumés s'évertuaient à établir ce que tout industriel raisonnable aurait appelé des relations profitables. Madeleine aurait pu très bien s'en passer.

Les femmes du village qui avaient osé venir se divertissaient entre elles ; étrangères à ce qui se passait de l'autre côté de la salle, elles bavardaient avec entrain, riaient par moments. Comme pendant la messe, quelques-uns des ouvriers et des paysans étaient sortis fumer leur pipe en plein air, et devaient être sur le point d'entreprendre leur pèlerinage à l'estaminet voisin.

Mais certaines choses n'avaient pas tellement changé : sous le regard sévère de quelques vieillards, les jeunes gens profitaient de l'occasion pour faire connaissance et badiner.

Adossé au mur et avec les mains jointes dans le dos, Madeleine les regardait faire. Malgré lui, il rêvait...

********************************

L'hiver s'installait dans la ville. Javert avait détesté l'humidité et les pluies automnales de Montreuil, il redoutait maintenant la neige.

Il ne connaissait pas vraiment la neige.

Il avait vu quelques fois des flocons dans le ciel de Toulon et du givre sur les vitres des commissariats dans lesquels il avait travaillé mais jamais un tapis de neige. Juste quelques centimètres de neige dans le pire des cas.

Il n'était pas resté assez longtemps en poste à Lyon ou à Paris pour avoir connu des tempêtes de neige.

Il redoutait terriblement le froid et craignait les engelures.

Des soldats échappés de l'Enfer russe avaient raconté au policier les nuits dont on ne se réveillait pas et les amputations douloureuses dues à la gangrène.

Cela faisait frissonner le policier.

Plus que les balles ou les couteaux.

L'hiver était là.

Moreau entra sur ces entrefaites et annonça avec un sourire qui le rendit si jeune et un entrain digne d'un gamin de cinq ans :

" Il neige !"

Les épaules de l'inspecteur se raidirent.

Par Dieu, il neigeait ! Le nommer dans cette ville de province située dans le Nord équivalait vraiment à l'envoyer au Purgatoire. Pour une faute dont il n'était même pas responsable. Quant à sa vie privée, elle ne regardait personne !

Javert serra les poings à s'en blanchir les phalanges avant de s'effondrer, défait. Non, il ne devait pas penser ainsi ! Il méritait cette sanction, s'il avait été plus intelligent, moins naïf, plus discret...

" Vous n'allez pas à la veillée ?, s'enquit joyeusement le jeune inconscient, brisant les sombres méditations de son supérieur.

- La veillée ?

- Oui ! La veillée organisée par la paroisse pour la collecte de Noël !

- Pourquoi devrais-je y aller ? Ont-ils besoin d'une surveillance ?"

Le rire cristallin du secrétaire résonna dans le froid local de police et Javert était maintenant certain que Moreau avait bu avant de venir. Un grog peut-être.

" Non, non. Mais toutes les personnalités de la ville sont invitées et comme vous en faites partie.

- Je suis une personnalité de la ville ?, rétorqua Javert, ébahi.

- Hé bien oui ! Vous êtes le chef de la police, monsieur, pas un simple sergent de ville. Donc, vous devez y aller.

- Où est-ce ?, " souffla le policier, vaincu.

********************************

Arriver en retard était quelque chose que l'inspecteur de police détestait. Mais il ignorait vraiment qu'il devait venir à cette manifestation communale.

Donc, il était enfin là et se tenait debout, au garde-à-vous, dans un angle de la pièce. Il se promit une heure de présence avant de disparaître.

Monsieur le maire l'aperçut et Javert lui fit un salut poli auquel le notable ne répondit que par un hochement rapide de la tête.

Javert était habitué à cette désinvolture et resta simplement à attendre...

Le policier s'ennuyait ferme dans cette veillée paroissiale et ne participait que très peu aux conversations générales. De toute façon, la plupart des personnes présentes l'ignoraient. Javert n'était présent que pour assumer sa position et il n'était visiblement toléré qu'uniquement pour sa position.

Mais la soirée prit un tour nettement plus intéressant lorsque l'inspecteur aperçut le dos caractéristique d'un certain directeur d'usine.

Retrouvant le sourire, Javert s'approcha de M. Madeleine, bien déterminé à profiter de cette soirée ennuyeuse pour glaner quelques informations concernant l'étrange personnage.

Espiègle, le policier s'efforça de surprendre l'homme et murmura tout près de lui :

" Bonsoir, monsieur Madeleine."

La voix profonde de l'inspecteur Javert retentit près de l'oreille de l'industriel. Elle ne l'avait pas autant effrayée qu'il l'avait espéré.

" Bonsoir, inspecteur. Je ne m'attendais pas à vous rencontrer ici."

Javert ne tendit pas la main, il avait appris qu'un simple officier de police n'avait pas à serrer la main d'un bourgeois nanti.

Et M. Madeleine était compté parmi les plus importants notables de la ville.

L'inspecteur préféra s'incliner avec un profond respect.

Madeleine lui sourit, quelque peu moqueur. Où alors était-ce juste une impression ?

" Vous avez l'air bien cérémonieux ce soir... Vous ennuyez-vous autant que je le fais ?

- Vous vous ennuyez ?, demanda Javert, surpris. Vous devez en avoir l'habitude pourtant."

Javert désigna de sa main les notables regroupés pour fumer et les femmes bavardant trop fort.

" Non, Dieu merci. J'arrive généralement à trouver un moyen de contourner ces amusantes réunions. Mais pas ce soir...

- Ces "amusantes réunions" ? Il y a souvent des réunions de ce genre ?"

Madeleine sembla consulter sa mémoire quelques instants, puis haussa les épaules.

" Non point. Mais elles sont encore trop nombreuses à mon goût. Voyez-vous... Je n'ai jamais rien vu de concret sortir de ces réunions, et j'ai mieux à faire. Mais si vous répétez cela à qui que ce soit, je le nierai.

- Bien, bien. Ce n'est pas très judicieux d'avouer cela à un officier de police, monsieur, mais j'en prends bonne note."

Javert secoua la tête en souriant.

Bizarrement, il ne s'ennuyait plus.

" Et le résultat de cette "veillée" doit servir à quoi exactement ?, demanda Javert, ne sachant même pas à quelle fin il était présent.

- Le comité de charité collecte des fonds pour aider les pauvres de la paroisse à passer l'hiver. L'objectif est louable ; la méthode employée est discutable. Cependant, ne pensez pas pour autant que je doute de la destination des dons..."

Javert se retourna et examina longuement M. Madeleine.

" La destination des dons ? Que voulez-vous dire, monsieur ? Suspectez-vous un détournement de fonds publics ? Si tel est le cas, je me ferai un plaisir de m'en charger...

- Non, inspecteur. Ce dont je doute, c'est que vous puissiez interpréter ce que je dis avec une quelconque bienveillance."

Madeleine se détacha du mur. Son front luisait de sueur, mais son visage était livide.

" Vous avez déjà mal interprété mes intentions à trois reprises. Je ne pense pas que vous me croyiez assez candide pour attribuer votre attitude à de simples coïncidences. Que vous vous méfiez de votre prochain dans l'exercice de vos fonctions me semble juste ; que vous essayiez systématiquement de me confondre m'agace."

Javert fut un instant décontenancé puis son sourire habituel, le sourire de fauve, cruel et laid apparut. Lentement, il se plaça juste devant M. Madeleine, le cachant à la vue de tous.

" Je vous agace ? Dieu, Madeleine ! Vous êtes une énigme, savez-vous ? Je me méfie de tous et de toutes mais vous... Voulez-vous un aperçu de ce que je sais, monsieur ? Je n'en ai pas l'air monsieur, mais je peux être passionnant, même sans avoir votre prestance et votre intelligence !"

Les yeux clairs se plissèrent et Javert murmura, espièglement :

" Voulez-vous ?

- Le genre de choses qu'un tempérament comme le vôtre peut chercher à savoir, je peux les imaginer sans aide. Non, je n'ai aucun intérêt à me mêler de la vie de mes voisins ou des connaissances que vous avez acquises sur eux.

- Mais qui vous parle des autres, monsieur ? Je parlais de vous."

Javert reprit sa place près de M. Madeleine, le dos collé à la muraille et les mains posées sur ses côtés, le pommeau de sa canne dépassait devant lui.

Madeleine affronta les yeux froids de l'inspecteur sans broncher. Javert voulait-il l'entraîner dans une sorte de jeu alambiqué, un jeu où il mêlait flatterie et menace presque avec sagesse ?

Plus important encore, qu'est-ce que Madeleine avait à perdre en le laissant parler ?

" Je doute fort que vous ayez trouvé quoi que ce soit de répréhensible dans mes agissements. Sinon, j'ai le sentiment que vous auriez volontiers mis fin à mes excès. Procédez, je vous en prie."

Moduler sa voix afin de la rendre soyeuse et s'amuser de l'étonnement que cela causait, c'était un jeu que Javert avait appris depuis longtemps, il en était passé maître au bagne. Miel et acier.

" Je m'intéresse à deux choses, monsieur Madeleine. Pour l'instant. La destination que vous aviez lorsque vous êtes arrivé dans cette ville et la provenance de l'argent qui vous a permis de racheter l'usine de M. Collobert. Vous voyez ? Rien de répréhensible. Une curiosité bien légitime ! Peut-être me ferez-vous la grâce de m'expliquer ces deux points obscurs ?"

Javert souriait toujours.

Bien entendu, il ne parlait pas de la carrure ou de la couleur des yeux, il ne pouvait pas brûler tous ses vaisseaux.

Madeleine observait son sourire avec ce qui semblait être un réel intérêt, mais pendant un instant, lorsque l'industriel décida de le regarder dans les yeux, l'inspecteur crut déceler la présence d'une sorte de compassion.

" Je ne vous dirai que deux choses, Javert. La première est que je suis arrivé ici en 1815. Vous souvenez-vous de cette année-là ? Vous souvenez-vous des vétérans qui fuyaient l'occupation ? Ou des légions d'affamés qui parcouraient le pays à la recherche de travail ? La deuxième est que réfléchir avant de parler vous ferait le plus grand bien."

Javert accusa le coup et son sourire se fit tendu.

" C'est en effet un conseil que j'ai souvent reçu. Je vous remercie, monsieur. 1815 est une année dont je me souviens."

Javert ajouta en jetant un regard vers le plafond.

" Un vétéran ? Cela expliquerait sans peine votre jambe. Dans quelle compagnie étiez-vous ?"

Madeleine ne put s'empêcher de fixer son interlocuteur ; bien occupé à dodeliner de la tête, il ne sembla pas remarquer que ses lèvres s'étaient figées en une petite circonférence étonnée.

" Il n'est décidément pas possible que vous soyez aussi sot que vous en avez l'air. Je vous souhaite bien le bonsoir, inspecteur Javert."

Estomaqué, Javert vit monsieur Madeleine passer devant lui, le visage fermé.

Le policier voulut arrêter l'industriel afin de continuer à argumenter mais une femme vint chercher M. Madeleine.

Cela mit fin définitivement à la conversation entre les deux hommes.

Rien dans leur attitude ou sur leur visage ne dévoilait la tension qu'ils ressentaient à discuter ainsi.

" Au revoir, M. Madeleine, je vais rejoindre mon commissariat, jeta Javert. Vous voyez, je me suis assez pavané dans cette réunion. Mais j'ai été charmé de bavarder ainsi avec vous.

- Cela fut fort instructif, j'en conviens.

- Peut-être, un jour, nous bavarderons plus longtemps dans mon commissariat, monsieur."

Un salut réglementaire vers un bicorne décoré d'une cocarde blanche et Javert s'en alla, le pas martial et le sourire aux lèvres.

Madeleine disparut, avalé par la marée de bourgeois désireux de le prendre par le bras ; à cette occasion, il ne trouva rien à redire. Car tout lui semblait préférable à la surveillance minutieuse que Javert tenait à lui faire subir lors de leurs rencontres. Ce n'était qu'une question de temps avant que l'inspecteur ne trouve quelque chose contre lui et décide de s'en servir.

A moins que...

" Je vous demande pardon, vous disiez ?

- Je trouve bien curieux que vous vous entendiez si bien avec ce sinistre personnage," dit le député en dissimulant sa curiosité à l'aide d'un frisson feint.

Madeleine se contenta de lui sourire en réponse.

" La plus récente terreur de la ville ! C'est impressionnant de voir à quel point cet individu est culotté ! Il ronge encore son frein parce que monsieur le maire l'a empêché d'interroger M. Collobert à propos de je ne sais quelle histoire d'achat d'usine. Et il semble que ce ne serait pas la première fois qu'il harcèle les notables de la ville, car monsieur l'inspecteur se croit permis de causer des désagréments aux gens supérieurs en toute impunité," s'exclama Bamatabois sans cacher son mépris.

Un assentiment général répondit à ses propos, puis ce fut au tour de madame la députée de s'accrocher au bras de Madeleine. Elle le fit avec un battement de cils charmant et un sourire qu'elle voulait envoûtant.

" Étiez-vous informé de ces circonstances, mon bon Monsieur Madeleine ?

- Non.

- Et quel est votre sentiment maintenant que vous les connaissez ?

- Ah ! il me semble quelque peu étonnant que nous discutions de cette question... Il est bien connu qu'une naissance noble rend plus douce la vie d'un homme et multiplie ses chances de succès dans n'importe quelle entreprise ; pourtant, m'est d'avis que ce sont ses faits qui déterminent la grandeur d'un homme. En ce qui me concerne, l'inspecteur Javert est un homme laborieux et diligent, donc, c'est un homme estimable.

- Aussi mécréant ou désagréable qu'il puisse être," ajouta l'abbé.

Un gloussement poli indiqua l'approbation de la société. Le prêtre profita de la bonne humeur générale pour croiser les mains sur son estomac puis, penchant la tête avec candeur bien étudiée, il lança la question que tout le monde attendait :

" Pouvons-nous compter sur votre générosité cette année aussi, monsieur Madeleine ? Ce serait un bonheur pour notre paroisse de pouvoir mettre une plaque à votre nom sous un retable restauré."

Une multitude d'yeux se levèrent sur Madeleine ; au lieu d'être accablé comme à son habitude, l'industriel se battit pour ne pas montrer son indignation.

******************************

La rue était verglacée.

Javert regarda cela avec consternation.

Verglacée ?

Il s'attendait à davantage de chutes et d'accidents le lendemain.

Un éclat de rire général lui parvint de l'intérieur de la salle paroissiale. L'inspecteur remonta son col pour protéger sa nuque.

On avait dû récolter une somme indécente qui ne servirait certainement pas à soulager les pauvres et les malheureux.

Imbécile de Madeleine !

Comme si l'inspecteur ne savait pas à quoi servait l'argent récolté dans ce genre de réunion de charité !

Une voix demanda un secours dans la nuit et en soupirant le policier osa poser un pied en avant sur les pavés.

Dieu !

Sa canne perdit de son air farouche lorsqu'elle lui servit à bien rester debout.

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