Chapitre I
Montreuil-sur-Mer était une jolie petite ville située dans le nord de la France, au bord d'une rivière à moitié ensablée, la Canche. De son prestigieux passé de port royal, il ne restait que ses imposants remparts et son abbatiale Saint-Saulve.
Une jolie petite ville, calme et tranquille.
Peu d'activités étaient présentes, hormis l'agriculture et le textile...et surtout l'usine de verroterie de M. Madeleine.
Postée dans la Ville-Basse, l'usine se profilait, puissante et imposante au-dessus de la campagne environnante. La majorité de la population y travaillait ou espérait le faire.
Montreuil s'agrandissait, s'enrichissait, attirait de nombreux paysans pauvres...
Les remparts de Vauban encerclaient la ville et en faisaient une Carcassonne du Nord.
4 000 habitants.
Une ville gardée par un poste de gendarmerie et un humble commissariat.
" Vous voyez, inspecteur ! Le commissariat est bien placé ! Juste en face de la mairie."
Sans daigner répondre à son secrétaire, le nouvel inspecteur, venu prendre ses fonctions de chef de la police de Montreuil-sur-Mer, examinait la façade classique du bel hôtel de ville. Juste placé à côté de l'abbatiale.
L'Eglise et l'Etat en face de la Loi.
Oui, le commissariat était bien placé.
" En effet, approuva l'inspecteur.
- Je vais vous montrer la Citadelle."
Un sourire satisfait et quelques pas de plus pour poursuivre la promenade dans la ville.
Le nouvel inspecteur de police se pencha en avant et suivit son guide.
Pour l'instant, Javert n'avait qu'une seule remarque à faire concernant son nouveau poste. Il avait froid.
Le soleil de Toulon lui manquait.
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L'homme passa une paume humide sur son menton à la recherche de la touffe de poils rebelles qui répugnait à se plier à la lame.
En effet, ils étaient là. Un prudent coup de rasoir de droite à gauche les acheva.
L'homme rinça et essuya son rasoir à rabot et le mit dans son étui, satisfait de ne pas s'être blessé ce matin-là. Il envisagea une fois de plus de se laisser pousser la barbe afin de réduire les séances quotidiennes de torture à une petite demi-heure hebdomadaire... Jusqu'à présent, il n'avait pas osé.
Il s'affaira ensuite à mettre un peu d'ordre dans sa crinière grisonnante avec un peigne qui avait perdu quelques dents au fil du temps. Cela faisait presque cinq ans qu'il se voyait dans le besoin de mater ces mèches de cheveux... Il abandonna, soulagé, dès qu'un petit coup à la porte se fit entendre.
" Qu'est-ce que c'est ?
- Monsieur Madeleine, le café."
La voix de la vieille concierge de l'usine était nasillarde et rauque ce matin-là. L'hiver s'annonçait dur...
" Laissez le plateau par terre. Je viendrai le chercher.
- Oui, monsieur Madeleine," répondit la femme et, après une pause ponctuée par une brusque expulsion d'air, elle ajouta :
" Aujourd'hui c'est jour de lessive, monsieur Madeleine. La blanchisseuse attend vos draps.
- C'est déjà le premier du mois ?
- Oui, monsieur Madeleine. Qu'est-ce que je dois lui dire ?
- Que c'est bon, que je les lui apporterai plus tard."
Madeleine entendit ses pas se perdant dans le couloir tandis qu'il finissait de boutonner son gilet. Il lui vint à l'esprit, pas pour la première fois, qu'il devrait peut-être modifier son emploi du temps et retarder son petit déjeuner d'un petit quart d'heure, voire plus.
Il avait découvert peu après son arrivée à Montreuil qu'il était plus gratifiant de se consacrer à ses prières au moment même où il se réveillait
Lorsqu'il ne se souvenait pas toujours de sa misère et de ses fautes et qu'il était parfois heureux de vivre.
Montrer sa gratitude envers Dieu le matin avait été facile pour le serviteur indigne qu'il serait toujours, même s'il avait mal agi dès le début.
Rustre mécréant qu'il était, pendant des années il s'était agenouillé devant le Père les yeux encore chassieux et les jambes nues. Il comprenait à présent qu'il avait mal agi et se disait que ce temps supplémentaire lui permettrait de faire amende honorable à cet égard.
Sans prendre la peine de s'asseoir à table, il découvrit le café et sirota bruyamment la boisson chaude.
Il claqua la langue, agacé : il y avait des habitudes qu'il lui était difficile de perdre.
Monsieur Madeleine se força à contourner la chaise pour prendre siège et ouvrir le petit livre qu'il étudiait ces derniers temps : "Civilité chrétienne et morale, pour l'instruction des enfants et de toutes personnes qui n'ont pas reçu d'éducation..."
Il lança un regard attristé au "Livre des Merveilles" de Marco Polo, qui semblait se moquer de lui depuis la petite étagère que Madeleine ambitionnait de remplir de bons livres et, résigné, se pencha sur l'apprentissage de la façon correcte de se moucher le nez.
Madeleine put constater, à peine vingt minutes plus tard, que son caissier excellait dans cet art.
Comme chaque matin, le petit vieillard se démenait autour des livres de comptes et sursauta lorsque Madeleine fit irruption dans son propre bureau.
Il lui amena les livres, que l'industriel parcourut avec soin.
" Je vois que le paiement d'Espagne est arrivé. Il était temps.
- Oui, monsieur Madeleine. Les Sévillans ont agrandi leur ordre de commande, mais seulement à la condition qu'ils puissent être servis bien avant les Rameaux."
Madeleine hocha la tête d'un air pensif, puis surveilla à la dérobée les grimaces de son employé, qui avait l'habitude de plisser le nez chaque fois qu'il remettait en place ses grosses lunettes.
Cela lui arrivait souvent lorsqu'il avait quelque chose à raconter...
" Qu'est-ce que c'est ?, dit Madeleine.
- Rien de grave, monsieur Madeleine. J'ai pensé que vous aimeriez savoir que le nouveau chef de la police est arrivé.
- Ah !"
Silence puis, après quelques minutes, le vieillard sembla décidé à enfoncer le pont de ses lunettes entre ses sourcils.
" Quoi ?
- Cet individu... Javert, je crois... Il semble être le genre d'homme que l'on ne voudrait pas croiser dans une ruelle sombre.
- À ce point ?
- Oui ! C'est une sorte de géant à la mine sinistre... Je l'ai vu, monsieur Madeleine, et je vous assure qu'il ne ressemble pas vraiment à un policier, mais plutôt à un... à..."
La grimace dégoûtée du vieil homme fut assez éloquente.
" Un bagnard ?
- Oui, c'est cela : un galérien !
- Et vous savez de quoi a l'air un galérien, Duhamel ?
- Oui... Je veux dire, non. Peut-être ! Tout le monde sait à quoi ressemble un galérien, monsieur Madeleine.
- Bien sûr," convint Madeleine avec un sourire froid avant de se replonger dans ses livres.
Un bagnard... Affreux et, certainement, désagréable. Comme chacun sait, c'est comme cela que les galériens se doivent d'être.
Madeleine haussa les épaules.
Il venait de réaliser qu'il avait oublié de défaire son lit. L'affaire était désormais sans solution : une nouvelle journée venait de commencer avec son lot de travail et de soucis.
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Montreuil disposait de plusieurs églises, de deux écoles, d'un couvent et d'un hôpital. Mais très vite, en quelques heures et un tour de ville, l'inspecteur avait déjà appris le nom de l'homme qui était considéré comme le plus important de la ville.
Ce n'était pas monsieur le maire, cependant chevalier de la légion d'honneur et administrateur de l'hospice civil de Montreuil, monsieur Pierre Delapasture de Verchocq.
C'était le patron de l'usine, monsieur Madeleine. Et tout le monde était d'accord sur cette idée.
" Comment est-il ce M. Madeleine ?, demanda l'inspecteur, curieux, à son secrétaire.
- Un brave homme, inspecteur, mais un drôle de personnage."
L'intérêt de l'inspecteur Javert fut piqué.
Il leva ses yeux clairs sur le jeune homme et reprit, en souriant sans aménité :
" Contez-moi cela Moreau.
- On dirait un homme malheureux.
- Il a eu du malheur ?
- Pas qu'on sache. Mais M. Madeleine ne parle pas beaucoup.
- Tiens donc ?"
Et le secrétaire se demanda s'il ne venait pas de faire une bêtise en portant l'intérêt de son chef sur le si gentil monsieur Madeleine.
" C'est un homme bien, défendit Moreau.
- Bien entendu, sourit Javert. Je serai ravi de le rencontrer. Mais pour l'instant, parlez-moi de lui !"
Le sourire de l'inspecteur Javert apparut pour la première fois et fit frémir le jeune Moreau.
" On ne sait pas vraiment d'où vient monsieur Madeleine mais c'est un homme courageux.
- Courageux ?, fit la voix onctueuse du policier. C'est-à-dire ?
- Il a sauvé les enfants du chef de la gendarmerie lors d'un incendie. Il aurait pu y mourir, personne n'osait entrer dans la maison en flammes.
- Un brave homme. Continuez Moreau."
Et Moreau continua.
Mais il n'y avait plus grand chose à ajouter. L'homme courageux fut accepté par tout le monde, il entra comme simple ouvrier dans la verroterie de M. Collobert, il en sortit le nouveau directeur après avoir racheté l'usine et modernisé l'ensemble. Du Père Madeleine, il devint M. Madeleine ; chacun le respectait et l'admirait.
Chacun dans la ville.
Cela impressionna l'inspecteur qui se jura de vérifier cela.
On ne peut pas plaire à tout le monde.
Les deux hommes étaient revenus dans le commissariat situé en face de la mairie.
Javert entra d'un pas martial dans le local et découvrit la modestie de l'établissement.
Il se promit de progresser vite et bien, de plaire assez à M. Chabouillet pour ne pas végéter trop longtemps dans cette minable ville de province.
Il valait mieux que ça !
Mais rien ne transparaissait sur le visage impassible de l'inspecteur, il entra et s'assit nonchalamment à son bureau.
Puis il demanda à son secrétaire de lui faire le point sur les affaires de la ville, cette fois, il voulait tout savoir de ses soucis quotidiens.
Soulagé de se retrouver dans une conversation plus saine, le jeune homme se voulut le plus exhaustif possible pour bien plaire à son nouveau supérieur.
L'inspecteur Javert approuva et prit des notes.
Le quartier des Moulins, la Ville-Basse, la rue du Clape-en-Bas, la Cavée Saint-Firmin...
L'inspecteur était déjà en train de préparer son itinéraire de patrouille, il terminerait simplement par l'usine de M. Madeleine.
Et maintenant, ceci fait.
Il n'y avait plus rien d'autre à faire.
Montreuil-sur-Mer était une petite ville, calme et tranquille, joliment située dans la campagne du nord...
L'entrevue avec monsieur le maire avait déjà eu lieu ce matin.
Normalement, elle était quotidienne.
Demain aurait lieu un autre jour.
Les cloches de Saint-Saulve annoncèrent la fin de la journée. Moreau se leva en souriant.
Il s'assit lentement et perdit son sourire lorsqu'il vit son chef, encore à son bureau et encore au travail.
Le jeune homme ne savait pas quoi faire. La journée était terminée, il n'y avait rien d'autre à faire.
Lui-même n'avait été nommé au poste de secrétaire du commissariat qu'à mi-temps sur la décision du maire.
Le jeune homme devait travailler le matin pour la police et l'après-midi pour la mairie, toujours comme secrétaire.
Son malaise ne passa pas inaperçu à l'inspecteur qui lui jeta, sans lever les yeux de son ouvrage :
" Avez-vous terminé de résumer les affaires de la semaine, Moreau ?"
Moreau regarda le rapport devant lui et les pages qu'il lui restait à lire pour en faire le point le plus clairement possible au nouveau chef de la police.
" Non, monsieur, avoua maladroitement le jeune homme.
- Hé bien... Avançons dans ce cas.
- Oui, monsieur."
Et Moreau se remit au travail, abandonnant l'espoir de boire une bière avec ses amis.
Oui, la ville avait un commissariat maintenant doté d'un chef de la police.
Javert apprécia de voir son subalterne lui obéir ainsi, sans discuter et sans grogner. Il se devait d'être ferme.
C'était son premier poste en tant que chef de la police. Il se voulait intraitable et efficace. Que personne ne remette en cause son autorité.
Malgré sa couleur de peau et son origine controversée.
Car, tout bon policier qu'il était, Javert avait une faille dans son dossier exceptionnel. Il était un gitan !
Et sa seule couleur de peau détonnait sur la population.
Donc tout commençait par une histoire d'autorité et d'obéissance.
Javert s'accorda encore une heure de travail puis il se leva à son tour. Il saisit son manteau épais, d'une couleur de muraille.
Il sourit en voyant son secrétaire, faire mine d'être entièrement absorbé sur sa tâche.
" Ce sera tout pour ce soir, Moreau. Je fais une dernière patrouille et nous nous reverrons demain."
Un sourire réjoui apparut aussitôt effacé derrière une expression incrédule.
" Une patrouille ? Mais pourquoi ?
- Vous m'avez donné des lieux à visiter. Je tiens à les connaître aussi bien de jour que de nuit.
- Mais...ce ne sont que des quartiers pauvres... Il n'y a rien d'illicite et..."
Sous les yeux horrifiés du jeune homme, l'inspecteur saisit sa canne à pommeau plombée et glissa deux pistolets coups-de-poing dans ses poches.
" A demain, Moreau !
- A demain, inspecteur."
Le secrétaire regarda partir de son pas martial son nouveau chef et se promit de ne pas être en retard le lendemain.
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Le quartier des Moulins, la Ville-Basse, la rue du Clape-en-Bas, la Cavée Saint-Firmin...
Une petite ville, charmante et calme.
On salua avec politesse le grand homme. Tout le monde savait de qui il s'agissait. Une ville de quatre mille âmes !
Tout le monde savait tout sur tout le monde !
L'inspecteur Javert, nouveau chef de la police, était arrivé le matin même par la diligence de Paris.
Peu de bagages et peu de sourire.
Mais un air d'autorité manifeste.
On remarqua aussi quelque chose à son propos qui commença à faire jaser.
C'était un gitan !
Le quartier des Moulins était pauvre en effet.
Les maisons ressemblaient plus à des chaumières, perdues dans la forêt et noircies par l'humidité.
L'inspecteur serra le pommeau de sa canne et sourit.
Il savait déjà que ce serait son quartier de prédilection. La pauvreté appelle le vice, rarement la vertu.
D'ailleurs à voir la mise de certaines femmes, déambulant sur les rives de la Canche, il n'était pas difficile d'en déduire le métier...
La Ville-Basse et la rue du Clape étaient des quartiers ouvriers avec des maisons à pan de bois. Chacun y disposait d'un otil, une machine à tisser pour fabriquer le drap que les usines du Nord réclamaient aux artisans de la région. Les hommes travaillaient dans l'humidité de la cave afin de ne pas abîmer le tissu et pendant ce temps, les femmes avaient de l'ouvrage. Elles ourlaient des mouchoirs et brodaient de la dentelle.
On gagnait des misères en travaillant dix à douze heures par jour.
En vérité, l'usine de M. Madeleine était un rêve pour de nombreux habitants car elle offrait des conditions de travail nettement plus avantageuses et des salaires imposants pour l'époque.
L'inspecteur commençait à comprendre mieux l'importance qu'avait l'usine dans cette petite ville, si jolie, si calme, si pauvre...
La Cavée Saint-Firmin rendit le policier fou de rage. Il voyait déjà où les accidents de la circulation allaient lui prendre le plus de temps. Il ne comprenait même pas qu'on n'ait pas agi pour améliorer les choses.
Une rue pavée avec une pente si raide...
L'inspecteur voyait déjà les charrettes renversées et les enfants brisés par les roues des voitures.
Pour terminer son tour de ville, l'inspecteur retourna dans la Ville-Haute. Il revit les magnifiques hôtels aristocratiques et le siège de la gendarmerie.
Cela le rendit amer.
Il avait beau être le chef de la police, il n'était rien !
La gendarmerie avait le pouvoir judiciaire.
Javert croisa ses mains dans son dos et rêva d'affaires spectaculaires. Quelque chose d'assez important pour justifier sa nomination à Paris.
L'inspecteur marcha lentement sur les remparts, regardant la nuit tomber sur la campagne.
Il aperçut dans le contrebas les lumières de l'usine de monsieur Madeleine. La journée de travail était terminée et les ouvriers et ouvrières étaient partis. Il ne restait de la lumière que dans les étages.
Javert examina les environs et contempla encore l'usine. Il se demandait ce qui pouvait justifier que la lumière soit conservée aussi tard.
Le patron était-il si sérieux qu'il continuait à travailler même après la fin du jour ? Ou alors le secrétaire ?
Javert, sans le savoir, se mit à surveiller l'usine et à échafauder des hypothèses.
Ce n'était que le premier jour.
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Cette patrouille devint le point final de la journée de l'inspecteur Javert. Le matin, à la première heure, le policier était à son poste.
Il accueillait son secrétaire, Antoine Moreau, et les deux hommes commençaient par chauffer le petit poste de police.
Il faisait si froid dans le Nord et l'inspecteur le supportait difficilement. Mais il n'en aurait jamais parlé si Moreau n'avait découvert le pot-aux-roses.
Moreau remarqua que l'inspecteur conservait son manteau, même à l'intérieur du commissariat.
Il s'en étonna.
Il comprit la raison le jour où, involontairement, il toucha la main du policier et la trouva glacée.
Cela l'ébahit. Il avait l'habitude du climat froid et humide du nord.
" Vous avez froid, inspecteur ?"
Javert aurait pu se fâcher et renvoyer vertement le jeune homme à ses dossiers, mais il avoua la vérité :
" Oui.
- Il faut le dire, monsieur. Nous avons un poêle !
- Nous n'avons pas les moyens de faire des dépenses inconsidérées en charbon et..."
Le jeune homme se mit à genoux et prépara un feu d'enfer qui réchauffa bientôt la pièce et redonna le sourire au policier.
Un sourire sans cruauté.
" Merci Moreau."
Un hochement de tête et la journée commençait toujours ainsi.
Puis, l'inspecteur traversait la place et se dirigeait vers la mairie juste en face. Il saluait les passants d'un hochement de tête auquel on lui répondait poliment.
Le maire l'accueillait avec gravité et l'inspecteur se retrouvait avec une liste de doléances à assumer.
Des problèmes de voisinage, des soucis de voirie, des conflits pour des gouttières...
Le policier partait faire son devoir et essayait de ne pas paraître amer.
Un inspecteur de Première Classe dans une ville de 4 000 habitants nommé pour régler des affaires de voirie...
Javert songeait au chef de la Sûreté parisienne, François-Eugène Vidocq, et l'entendait rire.
L'inspecteur Javert rencontra M. Madeleine le troisième jour. Il le rencontra sortant du bureau de monsieur le maire.
Il vit son dos, musclé et large, les manières calmes et douces, il entendit la voix, profonde et bienveillante. M. Madeleine parlait encore avec le maire, malgré la porte du bureau ouverte.
Sans nul doute, monsieur Delapasture de Verchocq avait eu quelques derniers mots à adresser au directeur de l'usine avant de le laisser partir. C'était une de ses habitudes.
" Monsieur Madeleine, vous devriez y penser !
- Monsieur le maire, je vous en prie...
- Non ! Pas moi ! Monsieur le préfet a parlé de vous et le conseil est d'accord.
- Je ne suis qu'un modeste ouvrier..."
Un rire, amusé et moqueur lui répondit.
" Monsieur Madeleine ! Vous ferez un magnifique maire !"
Puis on remarqua enfin l'inspecteur de police et le maire appela Javert avec un sourire contraint.
" Tiens ! Voici quelqu'un qu'il va vous falloir côtoyer, monsieur Madeleine !"
Dire que Javert était curieux était un euphémisme, jusque-là il n'avait vu que le dos et les muscles de M. Madeleine, il avait hâte de voir le visage.
M. Madeleine se retourna pour apercevoir le nouveau venu.
Javert resta ébloui.
Il reconnut aussitôt les yeux bleus d'azur qui le fixèrent.
Il fallut appeler Javert trois fois par son nom pour le faire revenir à lui.
" Monsieur le maire ?, souffla l'inspecteur, estomaqué.
- Voici monsieur Madeleine, Javert. Dire que c'est le sauveur de notre ville n'est pas de trop, mais si vous l'écoutez, il sera plus modeste.
- Monsieur le maire, sourit M. Madeleine, je ne suis que le directeur d'une usine.
- Qui emploie la moitié de la ville !"
Les deux hommes, riches et puissants, se disputèrent gentiment. Javert était resté debout, au garde-à-vous, et attendait passif.
Mais il n'était pas là.
Il cherchait où et quand il avait vu ces yeux bleus !
Parce qu'il était sûr de connaître cet homme.
Monsieur le maire, conscient tout à coup de la présence du chef de la police, présenta enfin ce dernier.
" Mon cher Madeleine, voici notre chef de la police : l'inspecteur Javert !
- Javert ?," répéta M. Madeleine, en souriant toujours.
Le directeur, poliment, tendit la main au policier. Javert la prit avec répugnance, il connaissait sa place dans le monde, il n'était pas du même niveau que les bourgeois devant lui.
Néanmoins, Javert serra fermement la main de M. Madeleine.
" Inspecteur Javert ? Vous êtes arrivé depuis peu ?
- Trois jours, monsieur, répondit le policier.
- Et que pensez-vous de notre ville, inspecteur ?, demanda le maire.
- Charmante, monsieur, fut la réponse laconique de l'inspecteur.
- N'est-ce-pas ?"
Et le maire, fier et satisfait de sa ville, en fit le panégyrique.
Javert n'écouta pas.
Pas plus que M. Madeleine.
De cela le policier aurait pu le jurer.
Il sentait sur son dos le regard appuyé du directeur de l'usine.
Et par Dieu !
Ce n'était pas la première fois !
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