Chapitre 29 : Le Sevrage
~ Delyth ~
Tout était devenu bizarre quand Aron débarqua dans le salon. Son ouïe fine lui avait permis de suivre la discussion de loin mais il n'aurait imaginé tous les voir dans une sorte d'état second. Même Camaël qui était d'ordinaire fade comme un morceau de tofu nature paraissait perturbé.
— Hum... Delyth, on est en retard, fit le Vampiris en se raclant la gorge.
Cette simple petite phrase eut pour effet de tout remettre en place, comme s'il s'agissait du claquement de doigt d'un puissant magicien. Soudain, la rouquine s'activa pour se préparer à partir. Aeddan semblait aussi sorti de sa torpeur, réalisant qu'il était aussi en retard pour son travail.
Aron s'approcha de la Nymphus qui semblait sous le choc. Il la fit s'asseoir sur un fauteuil avant de s'agenouiller devant elle pour constater de plus près son état.
— Ça va aller ?
Elle releva ses yeux océan, se mordant les lèvres pour maîtriser sa tristesse. Aron ne comprenait pas pourquoi elle paraissait aussi misérable alors que cette histoire ne la concernait pas vraiment, pourtant il sentait son désespoir.
À ses côtés, l'Incubus vint s'approcher d'Elyana à son tour, avant de la prendre doucement dans ses bras.
— Désolé, ma jolie, de t'avoir infligé tout ça.
— Qu'est-ce qu'il se passe, au juste ? demanda Aron. J'ai loupé un truc ?
— Son empathie, expliqua Camaël derrière lui. Tout le monde bouillonne d'émotions complexes dans cette pièce et Elyana peine à les assimiler. Partez, elle ira vite mieux.
Les deux lycéens hésitèrent tout de même à les laisser mais finirent par abandonner sous le regard persistant de Camaël. Après tout, accompagnée par l'Angelus et l'Incubus, elle ne risquait absolument rien.
Dans le trajet en bus, Delyth ne soufflait pas un mot. Elle n'avait jamais imaginé que sa mère puisse avoir une histoire et un passé si compliqué. Elle en savait un peu davantage sur elle pourtant elle lui semblait toujours aussi inaccessible et mystérieuse, comme une brume que l'on ne pouvait ni voir ni saisir. Perdue au milieu de ses préoccupations, elle ne se rendit pas compte qu'Aron cachait également son trouble, paraissant mal à l'aise et anxieux, ce qui ne lui ressemblait guère.
Pour l'un comme pour l'autre, le trajet fut silencieux et sembla passer en un éclair. Quand ils sautèrent du bus, Aron chancela légèrement, alertant immédiatement Delyth.
— Tu ne te sens pas bien ? fit-elle avec de l'anxiété dans la voix. Tu sembles pâle.
— Je te rappelle que je suis un Vampiris, ricana le jeune homme avant de sentir la nausée lui prendre à la gorge.
Delyth leva sa main, prête à le frapper pour son idiotie mais se ravisa en voyant à quel point il était mal en point.
— Oh, mince, tu sembles vraiment malade. Et je t'assure que tu es beaucoup plus pâle que d'ordinaire !
— J'ai l'impression d'avoir envie de vomir mais sans en avoir vraiment envie... tu comprends ?
La rouquine fouilla dans sa tête un instant à la recherche d'une sensation familière qui ressemblait à son descriptif.
— Tu as mangé, ce matin ? se renseigna-t-elle finalement.
— Pas vraiment, rien ne passait.
— Voilà donc ce qui cloche, tu as faim. Enfin... tes symptômes semblent plus alarmant que lorsque je saute le petit-déjeuner, s'inquiéta-t-elle.
Ils marchaient sur le chemin qui menait à leur lycée et Aron se sentit doucement défaillir, sa main crispée sur son ventre.
— Delyth, geignit-il avec une voix plaintive, je me sens pas super... bien.
Il se tourna en direction de son amie qui déglutit en croisant son regard. Ses iris se peignaient d'un camaïeu de rouge qui vinrent obstruer son noir habituel. La panique envahit un instant la jeune femme juste à temps puisque le jeune Aron se penchait déjà sur elle, humant avidement sa peau.
— Juste une goutte, murmura-t-il avec lenteur.
Il approcha dangereusement ses canines de son épiderme, qui réagit instantanément en se recouvrant d'épaisses écailles aux reflets verdoyants.
— Tout va bien, tu vas passer ce cap, l'encouragea Delyth. Tiens bon, je suis vraiment désolée.
Ses agissements prouvaient qu'il était encore loin d'être totalement sevré et cela brisa le coeur de la jeune femme. Mais elle n'eut pas le temps de s'émouvoir car le Vampiris tentait coûte que coûte de ciseler la peau solide avec sa canine aiguisée.
Mais rien à y faire, les efforts étaient inutiles et il risquait seulement de se blesser lui-même, à défaut de pouvoir forcer l'épiderme draconique. Avec la force du désespoir, Delyth se recula brutalement, déséquilibrant Aron, puis balança sa main serrée en poing à pleine puissance dans sa mâchoire, dans l'espoir de lui faire reprendre brièvement raison. Le Vampiris n'esquiva pas et se prit le coup de plein fouet, l'envoyant directement s'écrouler sur le chemin graveleux.
— Aïe ! s'écria-t-il en se touchant la joue.
Son visage effaré se tourna vers Delyth, qui soupira de soulagement en avisant ses iris redevenues aussi sombres et noirs que de coutume.
— Tu as repris tes esprits, constata la Succubus avec soulagement.
— Ce n'est pas encore tout à fait parti, grimaça Aron.
La sensation douloureuse de son estomac recommençait à le taquiner et soudain, il sentit une source vivante, constituée de chair et de sang, qui approchait peu à peu de sa position. Il pouvait deviner que ses yeux se teignaient de nouveau de la couleur vermeil de par la réaction affolée de son amie.
— Quelqu'un approche. Je dois m'éloigner. Rapidement, ajouta-t-il la voix basse, comme s'il était essoufflé à force de se contenir.
La Draconis passa un bras sur son dos pour le soutenir et s'engouffra directement dans les bois qui bordaient le sentier. Heureusement, il s'agissait d'une forêt entretenue qui servait notamment lors des courses d'orientation en éducation sportive. Au départ, il fut difficile de marcher, le sol étant recouvert de lierre et de jeunes pousses d'arbres, mais ils trouvèrent rapidement une sorte de sentier naturel, probablement formé par les trajets courants d'animaux.
Aron serra ses poings, luttant contre la sensation qui lui brûlait la gorge. Il se cramponna presque à la jeune femme, mais sa proximité faisait ressortir encore plus la pulsion qui le tentait. Il finit par s'écrouler au sol, plutôt que de finir par se jeter sur elle.
— J'ai besoin de souffler un peu, annonça-t-il.
— J'ai peut-être une idée, mais je ne suis pas sûre d'y parvenir.
— Ne me donne pas de sang, sinon ça n'en finira jamais ! Et ça me tue, je voudrai te supplier de le faire...
Elle secoua la tête d'un air navré avant de s'accroupir à sa hauteur.
— Ce n'est pas ce que je voulais faire, voyons.
Avec douceur, elle passa sa main sur son front mais ne sentit pas de fièvre. Rassurée, elle glissa sa main fraîche sur son cou et attira ses lèvres vers les siennes avec une lenteur qui désespéra le Vampiris.
Pour finir, sa bouche rosée et glacée ne fit qu'effleurer celle du jeune homme qu'il se sentit parcourir d'une énergie nouvelle. Ce fut comme si la brume qui envahissait son esprit l'instant d'avant s'était évaporée, chassée par cette sensation de force et de contrôle.
Delyth détacha finalement son visage du sien et fouilla ses yeux à la recherche de nuances de rouge, qu'elle ne vit heureusement pas. Elle se sentit affaiblie par son acte mais devait se rendre à l'évidence : lui rendre l'énergie vitale qui lui avait donné n'était qu'un juste retour des choses. Elle devrait aussi apprendre à puiser dans d'autres sources et apprendre à se diversifier et s'entraîner, dans l'espoir de pouvoir un jour aspirer l'énergie des gens sans même avoir besoin de les frôler.
Soudainement, un bruissement de feuilles attira leur attention. Aron fut le premier surpris, tellement prit dans la sensation nouvelle qu'il n'avait pas entendu la créature approcher. C'était une sorte de canidé très petit, d'une couleur indéfinissable.
— Ce ne serait pas... un louveteau de la Meute, par hasard ? se demanda Delyth, ahurie.
Le petit animal se retourna alors et s'enfuit en traversant sous les bosquets, disparaissant rapidement de leur vue.
— D'accord, souffla Delyth, j'ai rêvé ou alors...
— Il avait plusieurs queues, poursuivit Aron, aussi abasourdi qu'elle.
— Quoi que ce soit, en tout cas, c'était forcément un Monstre.
Les deux lycéens se regardèrent en grimaçant. Ils n'avaient pas vraiment mal agi mais le moindre écart de conduite de Delyth pourrait la renvoyer en isolement au sein de l'ILIM. Si cet animal était l'une des personnes chargées de la surveiller, alors elle n'était pas sortie de l'auberge. Toutefois, elle préférait ne pas y penser et attendit auprès d'Aron, patientant sagement qu'il soit de nouveau d'aplomb.
Qui que soit cette créature, elle voulait la démasquer et trouver son identité, coûte que coûte.
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