Dernier jour du chat
Ça faisait déjà plusieurs heures qu'ils se traînaient, péniblement, dans les plaines aziliennes, revenant du carnage sur l'île des origines.
Carnage était le mot, oui. Hezuriens, Daviens et Alterins s'étaient tous donné le mot pour envahir le lieu le plus sacré de toute la religion créationniste. L'île où se trouvait le lac sacré, et l'arbre millénaire qui renfermait le savoir du Créateur, ses Tablettes, piégées dans l'écorce pour l'éternité. Et Lina, qui revenait d'un pèlerinage avec Baku et un petit groupe de compagnons, avait été prise en plein dans les combats des prêtres.
Sa présence avait sauvé l'île. Elle et Baku les avaient tous massacrés, beaucoup plus elle que son mari. Mais cela avait eu un prix et désormais elle se traînait avec difficulté, accrochée au bras de son mari comme si sa vie en dépendait, refusant de s'arrêter pour soigner ses innombrables blessures. Sa prothèse de bras, inactive, pendait mollement sur son côté gauche et elle arrivait tout juste à boiter sur une de ses jambes traversée de part en part par une blessure d'épée grossièrement enveloppée.
Et elle refusait de se soigner, parce que les plaies étaient si innombrables que toutes les refermer prendrait trop de temps. Et le temps lui manquait.
Hezur allait attaquer les confréries, déjà centrées sur la diplomatie avec le royaume tout juste reformé de Davar, pas franchement satisfait que leur destructeur soit toujours en vie. Et elle était la seule à le savoir. Seule, avec Baku, Al et Hydra qui l'avaient accompagnée. Elle ne pouvait pas se permettre de ralentir son équipe d'un jour et se convainquait donc qu'elle pouvait tenir leur rythme même avec la moitié du corps en piètre état.
Baku, à côté, était mort d'inquiétude. Il pouvait sentir ses vêtements s'imbiber du sang de celle qu'il aimait, et malgré tous ses efforts pour tenter de lui insuffler de la magie en maintenant le rythme de la troupe, son état ne s'améliorait pas.
Lina commençait même à perdre un peu conscience.
Ce fut lorsqu'il sentit qu'elle s'appuyait beaucoup plus sur lui que tour à l'heure et s'aperçut que la perte de sang l'avait mise à moitié dans les vapes qu'il n'y tient plus. Il fit signe à Al, Hydra et les autres pèlerins de partir devant prévenir Asura et chercher du secours et posa délicatement sa femme à terre, les mains déjà posées sur les plus grosses plaies.
Ses compagnons ne se firent pas prier. Hydra déploya ses ailes bleues, les moins abîmées par le combat, et Al se créa un hoverboard, tandis que les pèlerins, pas tous dotés de pouvoir, réunissaient leurs énergies pour créer, non sans difficulté, des petites voitures. L'énergie de la Création étant très faible dans les plaines aziliennes, elles étaient branlantes et peu utiles, mais après un rapide rafistolage d'Al le groupe fila à grande vitesse en direction du campement d'Asaris Magitaria et de Clis Pileus, la n°3 et la n°2, chargées des pourparlers.
Ne restait plus sur place que Baku, occupé à nettoyer et soigner les plaies de sa femme. Celle-ci ouvrit les yeux et posa un regard endormi sur son médecin une fois les plaies au torse refermées à peu près correctement. Elle aurait sans doute des cicatrices, mais Baku s'en fichait. Réparer sa peau n'était pas le plus important actuellement.
Elle fixa avec un sourire fatigué l'activité de son mari, qui était passé à sa jambe.
".... Je.... Te donne bien du souci... Pas vrai?"
Baku balaya cette remarque d'un revers de la main.
"T'occupe pas de ça et contente toi de te concentrer sur ta récupération. Je suis en train de régénérer ton sang et ça risque de prendre un peu de temps.
-..... Les autres...
-Partis devant transmettre le message. On les rejoindra lorsque tu réussiras à me prendre sur ton dos sans vaciller."
Il lui posa en douceur un doigt sur la bouche, en lui souriant avec tout l'amour dont il était capable.
"Maintenant silence. J'essaie de te rafistoler."
Lina pouffa, mais obéit. Et laissa son mari appliquer tranquillement ses mains sur les blessures, stimuler les réactions de son corps, retirer avec délicatesse et précision des éclats d'arme fichés dans sa peau.
Ce fut un moment tranquille jusqu'à ce que retentisse le craquement.
Lina se redressa brusquement, déjà un peu plus en forme. Ses plus grosses blessures étaient closes et Baku s'attaquait désormais aux plaies susceptibles de s'infecter. Ignorant ses mouvements, il la maintint en place et finit d'extraire les éclats d'une blessure au bras droit.
"Reste tranquille.
-Baku...
-J'ai entendu. Laisse moi finir."
Son ton teinté d'urgence signalait qu'avec ses oreilles, il avait très bien entendu la source du craquement et que ce n'était pas bon du tout. Impression qui se confirma lorsqu'une série de flèches jaillit de l'orée proche de la forêt pour se planter dans le dos du jeune médecin, qui s'était jeté devant Lina à peine le son de la corde des arcs lui était parvenu aux oreilles.
Lina bondit sur ses pieds et fit surgir son katana du néant dans sa main. Baku lui, se releva plus difficilement, arrachant sans la moindre précaution toutes les flèches qu'il pouvait atteindre. Lina se chargea des autres, retirant les pointes qu'il avait loupées, avant de se mettre en garde.
Des buissons sortit une jeune femme vêtue à la mode reptilienne, d'un gilet sans manches en cuir, un haut du corps qui lui dévoilait le nombril entouré d'écailles vertes et d'un pantacourt bouffant en ce qui semblait être du satin impeccablement plissé. Jeune femme qui fit se figer le couple à peine son regard vairon croisa leurs yeux agrandis par la surprise et la répulsion.
Il n'y avait vraiment que Snake pour réussir à rester impeccable même dans les plaines aziliennes, pensa Baku amèrement. Depuis la défaite de Mairù, c'était là qu'elle se terrait, tout près du territoire des Garous, accablée par l'échec et la haine. Même ses émotions n'avaient rien changé à sa stature élégante, son visage poupin et inexpressif et l'élégance de sa coiffure. Seuls ses yeux brillaient à la fois d'une rage contenue et d'une satisfaction intense, qui s'intensifièrent lorsqu'elle vit le piètre état de son ennemie jurée.
Derrière elle, une horde de soldats qui portaient le vieil écusson de Mairù. Le symbole des multivers, une triple boucle, fendue en deux. Et qui affichaient tous cette même expression enragée.
Snake sourit. Un sourire qui révéla ses crochets luisants de salive et particulièrement aiguisés.
"Enfin je vous trouve... "
Lina, toujours en garde, ne répondit rien. Elle n'était pas en état de gaspiller sa salive. Baku n'avait pas achevé ses soins et elle sentait sa force diminuée de moitié. Quant au soigneur, il fit apparaître un de ses couteaux.
"Qu'est-ce que tu nous veux, Snake?"
Son interlocutrice siffla d'agacement, l'air de le trouver particulièrement obtus. Ce qui ne lui inspira absolument pas confiance. À en juger par son expression et sa troupe de sous-fifres, ce n'était certainement pas pour leur offrir un remède miracle aux blessures de Lina.
"-Tu es sssssi stupide...."
Un simple signe de sa part et l'enfer se déchaîna. La horde se jeta vers le couple et Snake dégaina ses deux cimeterres. Pour bondir ensuite sur Lina.
La vision de cette dernière parant les deux cimeterres avec son katana, tentant désespérément de faire bouger son bras gauche, fut la derniere chose imprimée sur la rétine de Baku avant que celui-ci ne se retrouve au beau milieu de la mêlée d'une vingtaine de personnes, poignardant à tout va et se jetant à corps perdu sur chaque soldat.
Le sang giclait dans tous les sens, emplissant la vision de Baku de rouge. L'un après l'autre, les sous-fifres tombaient. Et il n'en était pas à la moitié lorsqu'un cri de douleur et un rire de Snake se fit entendre et qu'il aperçut, au coin de sa vision, Lina perdre sa forme Berserker et tomber au sol, devant Snake qui riait tout en tenant une main sur une immense plaie sur le côté et un poignard imbibé de sang dans la main droite.
Une violente onde de choc accompagnée d'un hurlement de Baku projetèrent tous ses adversaires en l'air. Ce dernier, les yeux passant du rouge au bleu puis encore au rouge à une vitesse impressionnante, se précipita vers Lina et l'arracha aux mains de Snake avant qu'elle ait eu le temps de lui porter le coup fatal.
Cette dernière riait, de toute la force de ses poumons, lorsqu'il retourna le corps de sa femme et s'aperçut avec horreur que la plaie suintait un produit noirâtre en plus du sang.
Du poison.
La seule chose que ses pouvoirs de soin ne couvraient pas.
Complètement désespéré, il en perdait la tête. Les larmes coulaient en cascade sur ses joues et tombaient sur le corps de Lina en fine pluie salée. Il tentait des mesures de dernière urgence, d'extraire le sang infecté de la plaie, de lui parler avec empressement, la voix brisée par ses sanglots paniqués, la suppliant de rester consciente, de rester en vie, de ne pas perdre pied, de ne pas mourir, surtout ne pas mourir...
Lina, étrangement, était encore consciente. Elle semblait en état de choc, incapable de ressentir quoi que ce soit, mais réussissait quand même à suivre des yeux les gestes rapides de son mari, et à répondre à toutes ses tentatives pour la faire parler. Mais elle le savait, elle savait qu'elle était fichue. Et étrangement, elle se sentait prête à accepter la mort.
Alors lors d'une des énièmes supplications de Baku pour qu'elle parle, qui couvrait le rire hystérique de sa meurtrière, elle leva une main pour caresser doucement sa joue humide et se mit à chantonner, doucement, d'une voix monotone et brisée, en souriant.
"You are my sunshine.... My only sunshine..."
Baku fondit encore plus en larmes. C'était la chanson qu'elle chantait, tous les soirs, pour endormir ses enfants. Leurs enfants.
Leurs enfants qui ne reverraient plus leur mère.
Il écouta la chanson, berçant avec amour et désespoir sa femme, toujours en train de tenter d'extraire le poison. Ses larmes dégoulinaient de partout, gouttant sur le sot, sur la plaie de Lina, sur son visage, tandis qu'elle chantait toujours.
"... Please don't take.... My sunshine... "
Elle ne sentait plus rien. La voix et les pleurs ininterrompus de Baku lui arrivaient tel un écho. Elle ne percevait même plus les rires de Snake. Ni les mains de son mari qui la secouaient de plus en plus fort.
Plus rien, plus que le noir.
Elle n'acheva jamais la chanson.
Sa main retomba sur son corps avec mollesse et ses yeux se fermèrent sur des iris troubles et une expression endormie.
Baku hurla.
Snake rit.
Son cœur cessa de battre.
Il ne restait plus dans les plaines aziliennes que Baku recroquevillé sur un cadavre, Snake en proie à une crise de rire et ses subordonnés encore en vie qui se relevèrent doucement, attendant ses ordres.
Cette dernière, toujours en riant, leur fit signe de ne pas bouger, et ramassa doucement le katana de la jeune femme, tout imbibé de son sang. Et puis, elle s'avança vers Baku en état de choc, secouée de spasmes, extatique, prête à en finir.
"Vous autres, mages régénérateurs, vous avez un gros point faible, pas vrai?"
Baku ne répondit pas. Tout occuper qu'il était à étreindre Lina et sangloter sans bruit, lui sembla-t-il. Tant mieux. Elle leva le katana.
"Il suffit de vous trancher la tête, et c'est terminé..."
Elle rit. L'accomplissement de tous ses rêves de vengeance. De son souhait de revoir le maître. Elle pourrait lui apporter la tête de son frère sur un plateau en guise de preuve de sa victoire.
La lame fusa.
Le sang gicla.
Snake cessa de rire.
Baku avait attrapé le katana à pleines mains, juste avant qu'il ne touche sa nuque, et le sang gouttait de la plaie qu'il y avait ouverte. Au sang se mêlaient des paillettes noires, des paillettes de magie. Une magie d'une corruption extrême.
"Tu as mal calculé ton coup, Alyssa."
L'entendre prononcer son nom sur un ton atone la fit frémir de terreur. Elle se souvient de la légende du tueur blanc. Mais elle ne pouvait plus bouger. Ni parler. Elle était engluée dans la magie depuis l'instant ou Baku avait attrapé le katana. Autour d'elle, ses soldats ne bougeaient plus, eux non plus.
Baku releva les yeux. Des yeux vides, sombres, froids, d'un bordeaux sombre à la limite du noir. Des yeux fixés sur elle, avides de vengeance, de sang, de mort.
"Tu aurais dû me tuer d'abord."
Une seconde.
Il suffit d'une seconde pour que le rouge du sang recouvre entièrement la plaine, teintant l'herbe d'un bordeaux que trop semblable au regard de Baku. Snake hurla, hurla, durant un temps qui lui semblait infini. Devant elle, un Baku debout, recouvert du sang de ses subordonnés et de Lina, fixant sur elle un regard froid et cruel. Autour d'elle, le noir. Le noir dégagé de celui qui aurait dû être sa victime, le noir de la plaine désormais prise dans un cauchemar, le noir qui ressortait du rouge du sang qui jaillissait du corps qui partait en lambeaux de chacun de ceux qui l'avaient suivie.
Une seconde, une seconde qui lui sembla une éternité, à hurler alors que son corps se déchirait, puis se reformait, puis se déchirait encore, de mille façons différentes. Elle vit le regard torturé du maître, elle vit son frère jumeau mourir d'une flèche, elle vit son père se détourner d'elle. Elle vit les horreurs, ressentit les horreurs, et tout ça en seulement une seconde.
Et puis, plus rien.
La mort lui avait ouvert ses bras et elle quitta son corps en lambeaux, qui retomba sèchement au sol devant le regard toujours aussi froid de son tortionnaire.
Tortionnaire qui, une fois devenu seule âme qui vive dans la plaine sanglante, se dirigea en titubant vers le corps de sa femme, de sa Lina, et la reprit doucement dans ses bras.
Le hurlement à la mort teinté de sanglots et de larmes fut la première chose qui acueuillit un Al horrifié et une Asura les mains plaquées sur la bouche lorsqu'ils arrivèrent dans ce qui deviendrait la plaine du Sang.
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...
Bon.
Qui m'en veut?
Voilà, la mort de Lina est désormais officialisée.
Cette mort conduira à la dépression de Mairù et Baku, au craquage d'Akira, et à l'établissement du plan de ce dernier pour prendre le contrôle et se venger du monde. Ce n'est donc pas franchement une scène de fin... :3
J'espère que ça vous a plu quand même!
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