Au piano
Le silence était incongru dans un bâtiment connu autrefois pour l'effervescence qui y régnait. On entendait le clapotis du sang à la place des bruits de conversation, on sentait l'odeur pourrissante de la chair au lieu des plats en cuisine. Les innombrables figures qu'on pouvait y voir se déplacer avaient fait place à une mer de cadavres, et la seule trace de vie de toute la pièce provenait de celui qui les avait tués.
Enfin, pas tout à fait. De celui qui avait ordonné leur mort.
Akira Claro, dernier-né de sa dynastie, n'avait pas prévu à la base d'exterminer les figures de son enfance. Un vieux reste de regret, un pointe de nostalgie, un début de pitié, il n'en savait trop rien. Il n'avait que peu l'habitude de ce genre d'émotions. Même si les dieux qu'il avait tués l'emplissaient de puissance et l'aidaient à se détacher de sa condition de morceau d'âme, même si il commençait à ressentir quelques pointes de sentiments plus si étrangers que ça, ça ne restait que très minime. Pas suffisamment pour qu'il puisse se qualifier lui-même de complet. Et sa confrérie? Elle aurait sans doute pu l'aider, dans un sens ou un autre. Il y aurait eu tant de gens qui pouvaient...
Seulement, la rancune était tenace au sein des pays qu'il gardait à sa botte. Lucrezia Des Afilats, reine d'Hezur, réclamait la tête de Lina. Maestro Gulpert, Principal de Davar, voulait celle de Mairù. Et Phobos, aussi reconnue soit-elle, ne pouvait retenir la soif de sang de son peuple belliqueux, avide de pouvoir et de vengeance contre le pilier azilien.
Akira n'avait pas eu le choix. Pour garder les trois royaumes sous sa coupe, il avait ordonné l'anéantissement de toutes les confréries. Et avait laissé ses propres troupes se mêler à celle de l'Alliance, leur laissant carte blanche alors que lui-même allait décapiter l'Empire, marquant la fin de cette guerre mondiale et le début de son règne.
Tout s'était déroulé à la perfection. Lucrezia avait vu la tombe de Lina, Maestro les restes laissés par Mairù. Phobos avait pu reprendre les Alterins en main. Les religions ne se rebellaient plus. La Création était détruite. Et tous l'avaient accepté, lui, Akira Claro, comme le nouveau régnant du Saint-Empire d'Azilis, sans faire la moindre vague, sans qu'il ait à exécuter qui que ce soit.
Alors pourquoi est-ce qu'il se sentait aussi peu satisfait?
Aussi vide?
L'immense piano de la confrérie attira son attention d'un "tong" sonore, qui le sortit aussitôt de ses pensées. Était-ce une goutte de sang tombée sur ses touches, ou bien le bâtiment manifestait-il son hostilité à son égard? Il ne savait pas. Et au final, il s'en moquait. Il était là pour rester. Il voulait voir son ancienne maison. Il voulait voir l'arbre de Lina.
D'un pas lourd, presque mécaniquement, il se dirigea vers l'immense instrument et passa sa main sur le bois. Un léger sourire se forma sur ses lèvres au contact de l'ébène, lisse sous sa paume, sans dégager la moindre écharde. Ses troupes étaient des sauvages de la pire espèce, des gens pour qui la vie ne valait rien. Sans doute les reflets de leur maître, pensa t'il, un léger rire coincé dans sa gorge. Mais malgré ça, ils avaient épargné le superbe instrument, qui semblait plus neuf qu'au premier jour. Quoique Akira n'ait jamais vu le premier jour de ce piano. Il se dressait là bien avant sa naissance, ne parlons pas de son réveil.
Ses doigts se portèrent tout naturellement aux touches, et un début de mélodie résonna dans le silence ambiant. Sans même s'en rendre compte, il s'était assis sur le tabouret du pianiste, et son esprit vérifiait de lui-même si l'instrument était accordé. Une touche, puis deux. Deux notes se traînant dans l'air, brisant l'oppression du silence. Tout allait bien pour ce piano. On ne pouvait en dire autant du cœur d'Akira.
Ses doigts se remirent à presser les touches, et l'introduction d'une vieille chanson terrienne envahit l'espace. Il ne parvenait plus à se rappeler l'artiste. Il se souvenait à peine du nom de la musique. Il se laissait juste emporter par la douceur de la mélodie, jouant sans trop y réfléchir, guidé uniquement par ses émotions. Ses émotions.... C'était tellement rare qu'il les laisse prendre le dessus d'habitude, tellement peu commun même qu'il en ressente. Par certains côtés, il était ravi. Par d'autres.... L'horrible sensation lui étreignait la poitrine, lui piquait les yeux et alourdissait ses gestes. Il ne savait pas comment nommer cette sensation, mais une chose était sûre, il ne l'aimait pas.
La chanson se finit, et il en démarra une autre. Puis une autre. Puis encore une autre. Avant que ses doigts ne le guident jusqu'à une chanson qu'il connaissait bien. Sunburn, du groupe terrien Muse. Même dans un monde où on ne pouvait les voir, ces artistes possédaient une renommée monstrueuse au sein de la population. Et Lina n'échappait pas à la règle. Il se souvenait encore l'entendre dire à Baku que c'était une de ses chansons favorites.
Un hasard? Sans doute pas. L'instrument était après tout, un bon endroit pour exprimer l'inconnu qu'il ressentait au fond de lui. Mais le piano n'était qu'un accompagnement pour le groupe, pour la guitare, la batterie, et surtout le chant.
La musique en écho dans sa tête, il se laissa guider par les notes, et sa voix éraillée acheva de briser le silence autour de lui. Ses joues étaient humides. Même trempées, maintenant qu'il y pensait. Mais ça ne l'empêchait pas de chanter de toute la puissance de sa voix tant habituée au silence.
"She burns like the sun.... I cannot look away..."
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Une envie comme ça.
C'est canon, au fait.
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