Jeux cruels
Cet OS prends place juste après l'aventure du Détective agonisant.
Pour un rapide résumé de la nouvelle, Culverton Smith, un méchant, veut empoisonner Holmes. Holmes s'en aperçoit à temps et fait croire à tout le monde qu'il est sur le point de mourir, pour que Watson soit convainquant lorsqu'il aille chercher Smith, qui, comme de juste, ne peut pas résister à l'envie de voir Holmes pour se vanter devant lui et se rends à son chevet. Holmes demande à Watson de se cacher derrière sa tête de lit pour avoir un témoins des aveux de Smith...
La relation H/W est déjà établie.
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Watson, dissimulé derrière la tête de lit, était en train de vivre un des pires instants de son existence.
Holmes était malade. Très malade. Holmes était sur le point de mourir. Holmes. Son Holmes. Son Holmes à lui. Mourir. Encore. Le laisser là. Le laisser seul.
Des images flashaient devant ses yeux. Baker Street vide. Les nuits pleines de solitude. Le lit froid. Seul. Seul. Sans Holmes. Seul. Pour toujours.
Son cœur hésitait entre cesser de battre et pulser à toute allure, assez rapidement, assez fort, pour déchirer sa poitrine.
Et le pire, le pire de tout, c'est que Holmes ne voulait pas de son aide. Il était mourant, mais il ne voulait pas de lui. Il ne le laissait pas s'approcher. Il n'estimait pas ses capacités de médecin. Holmes voulait d'un autre pour l'aider.
Un autre qui se tenait là, à quelques pas de lui, à côté du lit de son Holmes. Un autre qui se moquait du détective agonisant.
Le cœur de Watson dérapa lorsque Culverton Smith, l'infame Culverton Smith, avoua qu'il avait empoisonné son Holmes. Il se fallut d'un rien, d'un cheveu, pour que Watson surgisse de sa cachette, l'assomme, et le dépèce à mains nues pour l'abominable crime qu'il venait d'avouer, puis le traîne jusqu'à Reichenbach et ne le précipite dans les chutes, là où reposait le dernier salopard à avoir prétendu lui retirer son amant. Et peut-être pourrait-il sauter dans les chutes, après. Watson savait pertinemment qu'il n'aurait pas la force d'un autre deuil. Pas celui-là.
Pourtant, malgré toute sa rage, Watson ne se précipita pas sur l'infâme. Parce que Holmes lui avait dit de ne pas bouger, quoi qu'il arrive, jusqu'à ce qu'il l'appelle. Et Watson lui avait promis. Alors malgré cette douleur qui fouillait ses entrailles, cette angoisse terrifiante, glacée, qui l'assaillait par vagues à l'idée que c'était peut-être les derniers instants de la personne qui lui était le plus cher au monde, plus cher que sa propre existence, il ne bougea pas. Parce que Holmes lui avait demandé.
Et, soudain, alors que Smith venait d'avouer son forfait, la voix de Holmes jaillit, tout à fait normale, débarrassée des affres de l'agonie et de ses délires malades.
Il voulait une cigarette et de la lumière.
Une vague de compréhension heurta Watson de plein fouet, si violemment que s'il n'était pas déjà accroupi, ses jambes auraient certainement cédé.
Holmes avait mentit.
La suite se déroula dans une sorte de brouillard flou, où le pauvre docteur se mouvait par automatisme. Holmes fit entrer un policier pour arrêter Smith. Il appela Watson pour qu'il sorte de sa cachette. « Mon Dieu ! s'était-il écrié théâtralement pour faire flancher l'assurance du bandit, qui pensait n'avoir aucun témoins. Watson, je vous avais oublié ! ».
Et Watson était sortit pour faire face à Smith. Il n'avait plus envie de lui sauter dessus pour l'étriper, à présent. Le sol s'était ouvert sous ses pieds, et il faisait ce qu'il pouvait pour ne pas tomber dans le gouffre de l'amertume.
Et puis les policiers étaient partit, Culverton Smith avec eux. Holmes arborait un air ravis en déblatérant sur la manière dont il s'y était pris. Watson répondait par automatisme.
-Je crois qu'un petit repas chez Simpson s'impose ! Conclut enfin le détective victorieux. Il nous faut fêter ça !
-Fêter ça ? Répéta Watson d'une voix affreusement neutre.
C'est à cet instant que Holmes compris que quelque chose n'allait pas.
-Eh bien, oui, comme à chaque fin d'enquête réussie...
-Fêter ça ? Répéta Watson, un ton plus haut, en s'approchant de lui. FÊTER ÇA ! Hurla-t-il cette fois.
Le brouillard dû au choc s'était dissipé. À présent, il bouillait de colère, si bien qu'il avait l'impression que s'il n'explosait pas, maintenant, il s'étoufferait avec sa propre rage.
-COMMENT AVEZ-VOUS PU ! Hurla-t-il encore à un Holmes totalement déstabilisé.
Voir Watson en colère était rare. Le voir aussi enragé était une première.
-Qu'est-ce que... Balbutia-t-il.
-Comment avez-vous pu me faire une chose pareille ? Reprit Watson d'une voix grondante.
Il ne hurlait plus, mais sa voix basse débordait de violence contenue.
-Comment avez-vous pu me faire une chose pareille à moi ? À moi ?
-C'était pour les besoins de l'enquête, Watson, répondit un peu sèchement Holmes, sur la défensive.
-N'importe quoi. Vous auriez pu envoyer quelqu'un d'autre, à ma place. Vous auriez pu me dire la vérité, à moi et cette pauvre Madame Hudson. Vous auriez pu. Mais non, vous avez préféré jouer le martyre, être le premier rôle de votre drame formidable ! Vous avez préféré me mentir et me manipuler, pour jouer, parce que c'était plus intéressant pour vous...
-Cessez vos enfantillages, Watson ! Vous n'en êtes pas mort, que je sache !
-Je n'en suis pas... s'étrangla Watson avant de laisser échapper un rire grinçant, qui heurta Holmes plus qu'il ne l'aurait cru.
Il n'avait jamais rien entendu d'aussi cynique sortir des lèvres de son Watson.
-Mais j'en suis mort, Holmes. Vous ne vous souvenez pas ? Vous m'avez déjà trompé ainsi. À Reichenbach.
-Vous n'avez pas réagi comme ça, après... dit Holmes d'une toute petite voix.
-Non, parce que vous m'avez dit que c'était la seule solution, et je vous ai cru. Je vous crois toujours. Je vous fais toujours une confiance aveugle, Holmes, vous le savez bien. Mais là, là, c'était cruel. Vous dites que je n'en suis pas mort... Mais Holmes, lorsque j'étais caché derrière votre lit...
Il se rapprocha du détective, jusqu'à ce que son visage ne soit plus qu'à quelques centimètres du sien.
-Je me suis dit que si vous mourriez, alors je mourrais aussi. J'étais prêt à perdre ma vie, Holmes, à me prendre la vie, pour ne pas avoir à vivre dans un univers sans vous. J'étais en train de me résigner à mourir avec vous.
Holmes pâlit dangereusement.
-Watson ! s'exclama-t-il en refermant ses mains sur les avants bras de son amant.
Watson se désengagea de son étreinte.
-Mais ce n'était qu'un mensonge ! Un mensonge !
-Watson, balbutia Holmes, je...
Mais le docteur, toujours furieux, lui tourna le dos et sortit de la pièce en claquant la porte.
L'écho traina longtemps avant de disparaître, avalé par le silence.
Holmes se laissa tomber sur le sofa.
Les paroles de Watson, le visage de Watson tournaient encore et encore dans sa mémoire. Il passa ses mains tremblantes sur son visage.
Il était tellement excité par son nouveau tour, par sa nouvelle idée, qu'il n'avait pas pris toutes les données en compte. Ou plutôt, il avait pris toutes les données en compte, mais il avait oublié que ce n'était pas que des données, que derrières elles se trouvaient des humains. Watson. Son Watson.
Toute la méprise venait, bien sûr, du fait que Holmes avait toujours du mal à croire que quelqu'un puisse s'inquiéter pour lui... Mais Watson, oh, après Reichenbach, après l'état dans lequel il l'avait retrouvé, trois ans plus tard... Il aurait dû savoir l'effet que son mensonge aurait sur Watson. Il aurait du savoir...
-Pauvre fou... murmura-t-il à voix haute.
Mais il allait se rattraper. Oui... D'abord, il emmènerait Watson au Simpson... Non, mieux valait rester à Baker Street. Il demanderait à Madame Hudson de lui faire son plat préféré. Ah, Madame Hudson ! Il faudra qu'il s'excuse auprès d'elle, aussi ! Mais chaque chose en son temps...
En attendant que Watson revienne, il pouvait ranger le salon et la chambre. Faire disparaître toute trace de son subterfuge. Installer une table avec des chandelles, pour plaire à son romantique amant. L'emmener dans son lit. S'occuper de lui comme il ne l'avait jamais fait. Lui demander, le supplier à genoux de lui pardonner. Oui, Watson ne pourrait pas résister à ça...
Il se rattraperait, répéta-t-il dans sa tête. Il pouvait se renseigner auprès des libraires, et acheter tous les livres qui ferait plaisir à Watson. Lui acheter des fleurs, aussi, parce que c'était définitivement un vieux romantique. L'emmener au restaurant. Au théâtre, même si, personnellement, il préférait l'opéra. L'emmener en vacance, peut-être ? Oui, un joli petit cottage, éloigné de tout, où ils pourraient rester au lit toute la journée...
Après, les choses reviendraient à la normale, et c'est certainement Watson qui s'excuserait d'avoir été aussi mélodramatique.
Tout en parlant, le détective s'était relevé et avait commencé à ranger frénétiquement tout autour de lui, pour mettre en place la première partie du plan : « Je suis un idiot Watson pardonnez-moi ». Il fit disparaître les dernières traces de maquillages qui lui donnait un air malade, se lava, se rasa de près, revêtit des vêtements propres. Il alla s'excuser auprès de Madame Hudson, qui se retint visiblement de lui tirer l'oreille mais accepta de bon cœur de cuisiner le plat préféré de Watson. Il jeta un coup d'œil aux brochures que Watson gardait dans un tiroir de son bureau, sur divers lieux de vacances...
Et il attendit.
La table était mise. Le salon avait été aéré et, grâce à Madame Hudson, sentait bon la lavande. Tout était prêt. Ne manquait plus que Watson...
Watson qui ne venait pas...
Assis dans son fauteuil, dans l'attente de son furibond bien-aimé, Holmes laissa ses yeux se fermer, et le sommeil l'emporter.
Trois petits coups le réveillèrent. Quelle heure était-il ? Il faisait déjà nuit dehors, et son cou ankylosé lui indiquait qu'il avait dormit depuis plusieurs heures.
Le visiteur frappa une nouvelle fois. Pas Watson.
-Entrez, lâcha Holmes d'un ton bourru.
Lestrade fit un pas à l'intérieur du salon. Il avait l'air nerveux, et triturait son chapeau entre ses doigts.
-Je suis désolé, inspecteur, grommela Holmes, mais je ne puis me charger d'une affaire à présent.
-Il... Il ne s'agit pas de cela... balbutia le policier en restant debout, ses mains crispées sur son pauvre chapeau, ses yeux fixés sur le sol.
-Alors quoi, Lestrade ? Je n'ai pas le temps. Vous avez l'air fatigué, vous savez. Vous devriez vous reposer.
-Holmes... dit enfin l'inspecteur.
Quelque chose, dans le ton de sa voix, alarma le détective.
-Lestrade ?
Le policier prit une grande inspiration.
-Holmes, répéta-t-il, comme pour se donner du courage. C'est Watson.
-Eh bien quoi, Watson ? Répondit aussitôt Holmes, sur un ton qu'il espérait plus sec que paniqué. Il s'est retrouvé mêlé à une bagarre et a besoin d'une caution pour sortir de cellule ?
Parce que c'était forcément ça. Toutes les autres options étaient trop terrifiantes pour être réelles.
-Il n'a... Il n'a pas besoin de sortir de prison, répondit doucement l'inspecteur. Il... Il a eu un accident. Holmes... Watson est mort.
Holmes se figea. Sa pipe tomba sur le sol.
Les trois mots l'avaient heurté de plein fouet, avec une violence inouïe.
D'abord, l'incompréhension.
Et puis une vague de terreur brute, froide, qui partit de son cœur pour ravager son organisme, balayant toute pensée rationnelle sur son passage. Il était glacé jusqu'à l'os.
-Quoi ? Arriva-t-il à bégayer.
-Il... Il a eu un accident cette après-midi, reprit doucement Lestrade. En sortant d'ici. Les témoins ont dit qu'il avait l'air hors de lui. Il n'a pas regardé avant de traverser et... Juste quelques maisons plus loin... Une calèche l'a heurté de plein fouet... Son corps a été rapatrié à la morgue... On a retrouvé des documents sur lui, et on m'a demandé de l'identifier...
Mais Holmes n'écoutait plus. Holmes ne bougeait plus. Holmes ne respirait plus. Holmes ne pensait plus.
Dans sa tête tournait en boucle les mêmes mots.
Watson est mort. Watson est mort. Watson est mort.
Et puis, la pleine portée des paroles de Lestrade le heurtèrent, soulevant une deuxième vague de douleur qui le fit presque se plier en deux.
Il était hors de lui. Parce que je l'avais blessé. Il est mort à cause de moi.
Il est mort.
Mort.
-Holmes ? Tenta Lestrade.
-Partez, répondit le détective d'une voix étranglée.
-Mais, Holmes...
-Pour l'amour de Dieu, disparaissez !
L'homme du Yard se mordit la lèvre, visiblement indécis, puis fit volte face et quitta le salon.
Holmes releva la tête. Erreur. La pièce était pleine de Watson. C'était là qu'il vivait avec lui. Il y avait son fauteuil, sa couverture, son bureau, ses livres, son manteau (il était partit sans, il avait dû avoir froid !), son odeur... Sa présence s'était imprégnée partout, tant et si bien que même ce qui n'appartenait qu'à lui, Holmes, portait aussi la trace de Watson. Lui-même portait en lui la trace de Watson.
L'enlever, c'était laisser un vide. Un gouffre abominable.
-Watson... gémit-il.
Il ne l'emmènerait pas en vacances. Il ne lui ferait pas l'amour pour se faire pardonner. Il ne pourrait même pas lui demander pardon.
Le cœur du détective se fendilla, et il explosa en sanglots.
~
Lestrade passa le coin de la rue à toute vitesse. Mais qu'est-ce qui lui avait prit, de s'être laissé entraîné là-dedans ?
Une silhouette familière l'attendait là, contre le mur, visiblement nerveuse.
-Alors ? s'exclama Watson aussitôt qu'il le vit arriver.
-C'était la chose la plus horrible à faire de toute mon existence. Il était...
Mais il n'eut pas le temps de finir que Watson était déjà en train de courir, poussé par le regret.
Il ouvrit en grand la porte du 221b, dépassa une Madame Hudson, qui, décidément, en avait assez, et grimpa quatre à quatre les marches qui menaient à l'étage.
Il déboula dans le salon, fit claquer la porte derrière lui, et laissa son regard faire frénétiquement le tour de la pièce.
-HOLMES ! Hurla-t-il en se précipitant vers la forme avachie au coin du sofa.
-Watson ? Balbutia Holmes en relevant la tête.
Les bras du docteur l'attiraient déjà contre son torse. Watson s'aperçut que son amant tremblait de tous ses membres.
-Watson... répéta Holmes, les yeux écarquillés. Watson...
-Je suis là, je suis là... murmura le docteur en essuyant du bout de ses pouces les larmes qui coulaient encore sur les joues creuses de Holmes. Je suis là, mon amour, je suis là...
-Vous... Vous...
Watson le serra contre lui et posa un baiser dans ses cheveux. Holmes l'enserra aussitôt de ses bras se serra fort contre son torse, et enfouis sa tête dans le creux de son épaule.
-Oh mon Dieu, murmura-t-il, Watson, vous êtes là... Vous êtes là...
-Je suis là, répéta Watson, je suis là. Je ne vous laisse pas.
-Lestrade...
-N'a fait que répéter ce que je lui ai demandé de dire.
Holmes cligna des yeux. Et se désengagea aussitôt.
-Pardon ? Lâcha-t-il. Vous lui avez demandé de... Comment avez-vous pu faire une chose pareille ?
-Une chose pareille ? Répéta Watson en savourant l'ironie.
-Une chose aussi cruelle !
-Voyons, Holmes, cessez vos enfantillages !
-Que je...
Il cessa soudain, le ridicule de la situation lui parvenant enfin. Ils avaient déjà eu cette conversation, un peu plus tôt. Sauf que les rôles étaient inversés.
-Oh, dit-il enfin. Mais ce n'est pas la même chose ! Lança-t-il en se reprenant. Moi, je vous ai mentit pour arrêter un bandit, pas pour le sport !
-Balivernes ! Il y avait cent autres moyens de faire croire à Smith que vous étiez infecté ! Vous avez choisi celui-là pour la performance. Pour le sport.
-Mais je...
-Dites-moi, lorsque Lestrade vous a délivré son message, vous n'avez pas pensé que ce puisse être un coup monté de ma part ?
-Non ! Bien sûr que non !
-Pourquoi ?
-Parce que j'avais confiance en vous ! Et qui construirait un mensonge aussi cruel ?
Il y eut un instant de silence.
-Mais sûrement, reprit Holmes d'une toute petite voix, ce n'est pas ainsi que vous vous sentez à l'idée de ma mort...
-Pourquoi dites-vous cela, Holmes ? Répondit doucement le docteur en lui caressant la joue. Vous pensez que je vous aime moins que vous m'aimez ? Vous m'avez cru mort pendant dix minutes, Holmes. Vous m'avez fait croire à votre agonie toute une après-midi.
Holmes ferma les yeux.
-Je vous demande pardon, John, dit enfin le détective.
-Moi aussi, Sherlock. Moi aussi.
Et il se pencha pour l'embrasser.
-Je vous promets, murmura Holmes dans son oreille, que jamais plus je ne me ferais passer pour mort à vos yeux.
-De toute façon, plaisanta Watson, si vous recommencez, vous serez vraiment mort au moment où je m'en apercevrais...
Holmes rit et captura son visage entre ses mains pour l'embrasser de nouveau.
-Et si nous allions chercher un autre type de petite mort ? Murmura-t-il avec un regard des plus suggestifs.
Watson lui donna sa réponse sous la forme d'un baiser brûlant.
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